Le mandat pour les deux semaines de grève étudiante tire à sa fin et le prochain congrès de l’ASSÉ, ce weekend, sera dominé par les débats sur la voie à suivre. De nombreuses controverses ont surgi à propos de la proposition de l’exécutif de l’ASSÉ voulant mettre fin à la grève et attendre la reprise éventuelle des actions de grève syndicale à l’automne. D’autre part, le comité printemps 2015 – un regroupement large d’étudiant-e-s radicaux responsables de la plupart des mobilisations de la présente grève étudiante – a dénoncé cette initiative et fait pression pour une poursuite de la grève. La fréquence des manifestations de nuit et le grand nombre d’étudiant-e-s en grève montrent qu’il y a une détermination chez les jeunes à lutter contre l’austérité et une volonté de rechercher les voies pour la lutte. Mais que faire?
Les deux positions dominantes sur la question occultent la tâche principale qui s’impose au mouvement étudiant : amener les travailleurs-euses dans la lutte! Il y a un énorme potentiel dans ce mouvement, mais il est clair que les étudiant-e-s ne peuvent pas gagner seul-e-s et que toutes stratégies concrètes devraient consister à rallier les travailleurs-euses.
Certes, le mouvement étudiant québécois a une fois de plus montré sa force et sa détermination. Environ 55 000 étudiant-e-s sont en grève depuis le 23 mars et plus de 130 000 ont voté la grève pour la grande manifestation du 2 avril. La tradition des manifestations de nuit a été relancée avec des milliers de manifestant-e-s dans les rues, plusieurs fois par semaine, pour protester contre les coupures. En outre, c’est la première « grève politique » des étudiant-e-s dans l’histoire de l’ASSÉ – le principal syndicat étudiant et initiateur du printemps 2012 au Québec. L’objectif des étudiant-e-s cette fois-ci est de lutter directement contre l’austérité, dans le but de déclencher une grève générale plus large de la classe ouvrière.
La route vers une grève générale de 24 heures
Dans le contexte des mobilisations étudiantes, de plus en plus de syndicats ouvriers font pression pour une grève générale de 24 heures le 1er mai. Les enseignant-e-s de plusieurs cégeps, y compris Joliette et Sherbrooke, ont voté pour une journée de grève le 1er mai. Leur proximité avec les élèves, ainsi que leur position plus précaire par rapport aux professeur-e-s des universités, les rendent particulièrement aptes à faire le pont entre les mouvements étudiant et ouvrier. Malgré que les dirigeant-e-s de la CSN et de la FTQ aient déjà affirmé leur « solidarité » avec les étudiant-e-s, aucun plan d’action de grève n’existe pour le moment. Cependant, il est clair que le simple fait qu’il y avait nécessité de répondre à cette question montre que l’idée d’une grève générale a un fort attrait auprès de la base, ce que les dirigeant-e-s essaient de contrecarrer. Mais cela n’est pas si simple. Bien que les dirigeant-e-s se distancient publiquement de la grève de ce printemps ou de cet été et s’opposent à la tactique de la grève générale, plusieurs syndicats ont voté pour une grève depuis, y compris le SETUE – Syndicat des étudiants et étudiantes employé-e-s de l’UQAM. Les infirmiers-ères de Sept-Îles et les cols bleus de la ville de Québec ont même appelé à une action de grève illégale!
Cela a forcé la direction de la CSN à mettre en place une page Web traitant spécifiquement de la question de la grève générale et à expliquer pourquoi « nous ne sommes pas prêts ». Sont mentionnés les mandats de grève de 1976 contre Trudeau et de 2004 contre Charest. Il est cependant omis de mentionner qu’en 2004, la majorité des membres, à la fois de la FTQ et de la CSN, ont voté pour une grève générale de 24 heures dans laquelle l’exécutif n’avait pas pris part. Cela passe également sous silence la plus grande grève générale de l’histoire du Québec en 1972, cette lutte révolutionnaire de masse héroïque qui a presque fait tomber le gouvernement cette année-là.
Cela donne une indication de la panique au sommet, où la perspective d’avoir à mener une véritable lutte fait peur à la direction syndicale. Ils ont également écarté toute action de grève illégale, alors que le gouvernement a déjà déclaré son intention de légiférer sur le retour au travail! Il s’agit essentiellement de se déclarer vaincu avant d’avoir livré bataille. Toute stratégie qui se résume à une approche « attendre et voir » pour les étudiant-e-s ne peut pas être adoptée, car cela signifierait que nous nous en remettons à la bonne foi de la bureaucratie syndicale.
Entrainons les travailleurs-euses dans la lutte !
Le moment le plus important du mouvement 2012 a été l’afflux soudain de nouvelles couches de la société lors du mouvement spontané des « casseroles ». C’est à ce moment que les couches populaires de la classe ouvrière sont descendues dans les rues en solidarité avec les étudiant-e-s contre la loi d’urgence destinée à les écraser. Cette loi a transformé la situation, et tout à coup, le mouvement devenait plus large que le simple mouvement étudiant. Les parents avec leurs poussettes, les grands-parents munis de leurs casseroles; les manifestations nocturnes ont alors pris un nouveau tournant, résultat direct de la répression qui allait trop loin.
La classe ouvrière constitue le pouvoir réel dans la société, et lorsque les travailleurs-euses sortent dans la rue, toute l’équation change. Mais malgré son énorme impact, le mouvement actuel n’a pas encore atteint le point où les travailleurs-euses ont rejoint la lutte d’une manière organisée. Malheureusement, les dirigeant-e-s syndicaux ont refusé d’appeler à la grève de solidarité avec les étudiant-e-s, un geste qui aurait entièrement transformé la situation. La présence de dizaines de milliers de travailleurs-euses individuel-le-s qui se joignent au mouvement de contestation fait bien sûr une différence, mais leur participation en tant que travailleurs-euses – faisant la grève et arrêtant la production – aurait un poids décisif dans le mouvement. C’est la tâche centrale qui incombe au mouvement de cette année : entrainer les travailleurs-euses dans la lutte en tant que classe.
Il doit être clair que l’hésitation des dirigeant-e-s syndicaux ne reflète pas l’état d’esprit de la base. Il y a un momentum exceptionnel tant au sein de la jeunesse étudiante que chez les travailleurs-euses. Il serait irresponsable de mettre purement et simplement le mouvement sur la glace parce que des dirigeant-e-s syndicaux ont déclaré qu’ils ne prévoyaient pas de grève ce printemps ou cet été. Les travailleurs-euses ont besoin de l’enthousiasme et de la participation des jeunes pour les aider à surmonter leur propre bureaucratie syndicale. La question devrait être, « comment pouvons-nous y arriver? »
Nous atteignons une nouvelle étape dans l’escalade de la lutte. Suite aux deux semaines de grève étudiante, dont le mandat s’achève bientôt, l’ASSÉ tiendra un congrès cette fin de semaine et devra se prononcer sur l’opportunité de poursuivre la grève ou d’attendre à l’automne. La proposition de l’exécutif, voulant reporter la grève à l’automne, risque de faire perdre l’élan au mouvement et pourrait également aider les directions syndicales à prendre le contrôle de leur base, celle-ci étant en voie de radicalisation. Il faut également tenir compte du fait que la plupart des étudiant-e-s ne désirent pas se lancer dans une longue grève étudiante si elle demeure isolée. « Continuer la grève ou pas? » n’est pas le cœur de la question. Les travailleurs-euses doivent entrer dans la lutte, car sans cela, la lutte étudiante échouera. Les étudiant-e-s ne peuvent pas vaincre l’austérité en restant isolé-e-s. Par conséquent, les comités de solidarité étudiants-travailleurs doivent être consolidés sur chaque campus et être chargés d’envoyer des délégations étudiantes dans chaque syndicat local et dans chaque lieu de travail afin de tisser des liens avec les travailleurs-euses. C’est seulement de cette manière que ces délégué-e-s pourraient identifier, parmi les représentant-e-s syndicaux, ceux et celles favorables au mouvement, et les enjoindre à voter pour la grève le 1er mai, suivant l’exemple donné par de nombreux syndicats locaux.
Nous ne pouvons pas laisser cette tâche aux dirigeant-e-s syndicaux. Les étudiant-e-s doivent aller directement à la rencontre des travailleurs-euses. Que l’on soit en grève ou non, les comités de mobilisation sur les campus, en lien avec les travailleurs-euses du campus et les enseignant-e-s, devraient s’organiser pour visiter tous les lieux de travail dans leur quartier. En commençant par les travailleurs-euses du secteur public, puis ceux et celles d’autres secteurs de la classe ouvrière. Les étudiant-e-s doivent faire la promotion d’une grève générale de 24 heures le 1er mai, en appelant les syndiqué-e-s à faire cette proposition, à la débattre, et à la voter en assemblées.
Le mouvement vers une grève générale s’accélère et pourrait donner lieu à une grève générale de 24 heures le 1er mai, Journée internationale des travailleurs-euses. Ce n’est qu’ainsi que la grève générale peut être gagnée, en se tournant vers la classe ouvrière, tout comme les étudiant-e-s l’ont fait lors de mai 1968 en France.
Faisons la grève ensemble !
Europe — de Emanuel Tomaselli, ICR Autriche — 16. 11. 2024
Amérique du nord — de la rédaction — 13. 11. 2024
Europe — de Jack Halinski-Fitzpatrick, marxist.com — 11. 11. 2024