Un mois à peine après le pompeux 20e congrès du Parti communiste chinois (PCC), la colère de la base remonte à la surface. La semaine dernière, la méga-usine Foxconn de Zhengzhou, dans le Henan, a été le théâtre d’une violente confrontation entre les travailleurs et la police au sujet d’un vol de salaires par la direction, et ces deux derniers jours, des manifestations importantes et violentes ont été signalées dans de nombreuses grandes villes, visant les mesures de confinement draconiennes du régime, qui sont devenues un point focal du mécontentement général. Comme nous l’avons prédit depuis longtemps, la crise profonde du capitalisme chinois commence à pousser les masses à l’action. Cet article a été écrit le 27 novembre.
De la fuite à la lutte à Foxconn
Les ouvriers de l’usine Foxconn de Zhengzhou, dans le Henan, ont été les premiers à bouger. Cette méga-usine assemble la majeure partie de la production mondiale de Foxconn, le producteur de 70% des iPhones du monde. Pour cette opération titanesque, la méga-usine abrite plus de 130 000 travailleurs, qui vivent sur place.
L’usine, qui s’est vue décerner en 2021 le prix de l’« Avant-garde ouvrière » par la Fédération nationale des syndicats de Chine, associée au régime du PCC, est en réalité un enfer d’exploitation brutale pour ses travailleurs. À la fin du mois d’octobre, des dizaines de milliers de travailleurs avaient déjà fui le site à pied, craignant qu’il ne soit soumis à un confinement brutal en raison d’une épidémie de COVID-19 que l’absence inconsidérée de mesures de protection de la part de la direction avait laissé se propager. Aujourd’hui, les travailleurs de cette même usine s’insurgent contre un cas manifeste de vol de salaires.
Les travailleurs avaient signé des contrats promettant des primes de 3000 RMB (416,77 USD) pour 30 jours de travail, avec une prime supplémentaire de 3000 RMB pour 30 jours supplémentaires. Mais bientôt, beaucoup ont découvert que Foxconn avait modifié les dates de sorte qu’aucun travailleur ne recevrait sa première prime avant bien après 60 jours de travail. De nombreux travailleurs ont été furieux de cette situation, car ils économisaient pour les vacances du Nouvel An lunaire, début 2023.
Le 22 novembre, des travailleurs enragés se sont rassemblés pour protester contre le vol commis par la direction. Ils ont été confrontés à la violence des forces de sécurité de l’usine, à laquelle ils ont répondu par une vaillante riposte. Le personnel de sécurité de l’usine étant rapidement débordé, les autorités locales du PCC ont déployé la police dans l’usine pour se joindre à la répression.
Mais l’ampleur et la férocité de la manifestation étaient telles que le gouvernement du Henan a dû mobiliser plus de 20 camions de police des villes voisines de Luoyuang, Kaifeng, Zhumadian et Xuchang.
Malgré cela, les travailleurs sont restés défiants face aux forces de l’ordre, qui étaient armées de boucliers anti-émeute, de gaz lacrymogènes et de canons à eau. Les combats de rue ont persisté dans toute l’usine, alors même que la police était mobilisée. Finalement, la direction de l’usine a cédé et a promis de remettre 10 000 RMB à tout travailleur qui accepterait de quitter le site immédiatement.
La nouvelle de la lutte s’est rapidement répandue dans toute la Chine. Le mouvement des travailleurs de Foxconn a montré qu’il est possible de se battre contre le régime, et de gagner des concessions. Cela a inspiré une couche plus large des masses à se prononcer ouvertement contre les mesures draconiennes de confinement du régime elles-mêmes. Tout cela, une fois de plus, expose la véritable essence du régime du PCC en tant que gardien du capitalisme chinois, aux dépens de la classe ouvrière.
Révolte contre les confinements
Au départ, les mesures rigides ont permis au régime du PCC de contenir la COVID-19 mieux que ses homologues occidentaux. Mais comme nous l’avons déjà expliqué, maintenir une stratégie d’élimination « Zéro COVID » dans un seul pays n’est pas viable. La Chine ne peut pas se couper complètement du reste du monde, et l’émergence de mutations plus contagieuses du virus rend de nouvelles éclosions inévitables.
Les masses chinoises ont payé un lourd tribut sous forme de mesures de confinements sévères, perturbant massivement la vie quotidienne et entraînant des pertes d’emploi. Le régime a prolongé ces mesures bien plus longtemps que d’autres pays. Il tente aujourd’hui de changer quelque peu de direction, mais le caractère bureaucratique du régime fait que cela ne fait qu’aggraver la souffrance des masses.
Après le 20e Congrès, le régime a assoupli les règles de quarantaine pour les visiteurs étrangers, les faisant passer de sept à cinq jours. Mais il a continué à donner des ordres aux bureaucrates locaux pour qu’ils maintiennent une politique de Zéro COVID.
Et lorsque les cas de COVID-19 ont commencé à augmenter avec l’assouplissement des restrictions de voyage, les bureaucrates locaux – suivant les diktats d’en haut demandant de maintenir les cas à zéro – ont répondu par de nouvelles séries de confinements toujours plus draconiens et frénétiques, provoquant des perturbations toujours plus grandes dans la vie des masses. La bureaucratie s’attendait à ce que les masses se conforment simplement à ses ordres. Elle n’a pas compris que les masses avaient atteint le bout du rouleau.
Les masses ont craqué. À Urumqi, la capitale provinciale du Xinjiang, l’incendie d’un immeuble d’habitation qui a fait plus de 10 morts (mais beaucoup ont dit qu’il pourrait y en avoir jusqu’à 44) a été le catalyseur d’un déferlement de rage. À la suite de cet incendie, nombreux sont ceux qui ont pointé du doigt les mesures de confinement imposées par l’État dans le quartier, qui ont entraîné des retards importants dans les opérations de sauvetage et causé de nombreux décès inutiles.
C’en était trop pour les masses, qui sont rapidement passées de simples plaintes en ligne à des manifestations de masse dans les rues. Comme dans de nombreux mouvements de masse précédents, les manifestations ont commencé par quelques individus indignés qui ont pris un grand risque personnel en appelant à la désobéissance. Puis, à mesure que d’autres personnes se sont jointes à eux, l’indignation commune s’est transformée en une masse courageuse et déterminée.
Des centaines, voire des milliers de personnes, ont spontanément défilé dans les rues, bravant les mesures de confinement et manifestant devant l’hôtel de ville.
L’avalanche de fureur qui s’est abattue sur Internet était telle qu’elle s’est révélée trop forte, même pour l’appareil de censure massif dont dispose le régime. Il n’a pas réussi à contenir le mouvement initial. Partout, les gens trouvent maintenant le courage de se joindre à eux. En l’espace de quelques jours, des veillées de protestation en hommage aux victimes de l’incendie d’Urumqi se sont spontanément répandues dans toutes les grandes villes de Chine. La plupart des manifestants sont totalement novices en matière de politique ou d’actes de protestation, et beaucoup d’entre eux ont diffusé leurs activités en direct, rendant la censure difficile.
En particulier, le fait de brandir une feuille de papier blanc est devenu le symbole de nombre de ces manifestations : un coup de gueule ironique à l’encontre du régime qui interdit tout slogan inspiré des manifestations de Hong Kong en 2019.
Jusqu’à présent, des actions de protestation allant de rassemblements de masse au démantèlement des barrages de confinement ont été signalées à Nanjing, Chongqing, Chengdu, Shanghai, Guangzhou, Wuhan et Pékin.
[Cet article a été rédigé le 27 novembre. Au moment de la publication, il semble que la plupart des foules se soient maintenant dispersées et que la police se soit établie dans de nombreux endroits. Les événements évoluent très rapidement, et il reste à voir comment le mouvement va se développer dans les heures et les jours à venir.]
Les jeunes se sont mobilisés avec énergie. À l’heure actuelle, 79 universités réparties dans 15 provinces ont été le théâtre de manifestations massives d’étudiants, dont 14 dans la capitale, Pékin.
À Nanjing, de grands rassemblements nocturnes d’étudiants ont eu lieu, notamment à l’école de journalisme de l’Université de Nanjing. On a entendu des étudiants chanter l’hymne national chinois et l’Internationale, et défier ouvertement les confinements. Les rassemblements étaient si importants que le recteur de l’école est sorti pour tenter de convaincre les étudiants de se disperser. Il est allé jusqu’à promettre que, si les étudiants partaient, il oublierait tout ce qui s’est passé. Bien sûr, les étudiants savent très bien que c’est un mensonge éhonté, et ils sont restés sur leurs positions.
Des rassemblements similaires sur les campus ont été signalés à Pékin. L’Université de Tsinghua aurait vu jusqu’à 1000 étudiants manifester dans la journée.
En dehors des campus, des citoyens ordinaires ont également défilé dans les rues en criant : « Nous ne voulons pas de PCR, nous voulons manger. Nous ne voulons pas de confinements, nous voulons la liberté. » Ce slogan a été soulevé à l’origine par un manifestant solitaire qui a accroché une grande banderole à Pékin avant le 20e Congrès du PCC. Bien qu’il ait été rapidement arrêté, son slogan a manifestement trouvé un écho auprès de nombreuses personnes. Tout au long de la journée, les manifestants se sont rassemblés au pont Sitong, où la banderole avait été déployée il y a quelques semaines, ou se sont retrouvés à la rivière Liangma pour poursuivre leur veille. Toute la nuit, on a pu entendre chanter L’Internationale.
À Shanghai, des foules de personnes se sont rassemblées autour d’une route appelée Urumqi Road pour organiser une veillée, avant d’être dispersées ou arrêtées par la police. Le lendemain, d’autres personnes se sont rassemblées au même endroit.
La situation évolue rapidement, mais par son ampleur et sa portée, la lutte actuelle s’inscrit déjà dans l’histoire comme la plus importante de ces 30 dernières années.
La rébellion est dans l’air
Les marxistes soutiennent pleinement la lutte des masses contre le confinement draconien imposé par le PCC, qui, en fin de compte, mène une politique visant à maintenir son propre pouvoir dictatorial. Xi a joué sa réputation sur le succès de la politique de confinements rigides. Il doit être perçu comme l’homme puissant au sommet qui peut protéger le peuple chinois, car cela lui donnerait l’autorité dont il a besoin pour affronter la tempête économique et sociale à venir.
Le régime est également confronté au problème que son vaccin Sinovac n’a pas l’efficacité des vaccins occidentaux. Cela est dû en grande partie au protectionnisme technologique de l’Occident qui retient la technologie ARNm. Mais le régime lui-même a refusé d’acheter des vaccins plus efficaces aux sociétés pharmaceutiques occidentales pour des raisons de prestige.
Mais l’autorité et le prestige du régime sont en train de s’effondrer. Les gens ont été poussés à bout, mais la COVID-19 n’a pas été éliminée. Alors que les grandes entreprises ont bénéficié d’importantes réductions d’impôts et d’avantages, de nombreuses personnes ordinaires n’ont pas accès à la viande et ont parfois du mal à commander de la nourriture, quelle qu’elle soit, en raison des confinements.
Bien qu’elle persiste à se qualifier de régime « communiste », il n’y a pas de communisme en Chine. Il n’y a pas de contrôle démocratique des travailleurs sur les lieux de travail, ni dans la société en général. Cette absence de contrôle démocratique par le bas a conduit à toutes les incohérences, les bévues et les souffrances que la bureaucratie a imposées aux masses.
S’il existait une véritable démocratie ouvrière en Chine, la lutte contre la pandémie aurait mobilisé les masses elles-mêmes pour élaborer les mesures nécessaires pour réduire les infections, vacciner la population, protéger les emplois et le gagne-pain des gens et garantir l’accès aux produits de première nécessité. Les gens ordinaires auraient été pleinement informés et auraient participé à un effort collectif de protection de la santé publique, au lieu de se voir imposer des mesures lourdes et désordonnées par les autorités.
Aucune confiance envers les libéraux !
À ce stade, nous lançons un avertissement aux personnes impliquées dans le mouvement de masse. Alors que, pour l’instant, il y a peu de signes d’intervention des éléments néfastes de la bourgeoisie libérale dans les protestations, il devrait y avoir un rejet absolu de toute personne faisant appel à l’aide de l’Occident. C’est l’erreur fatale qui a conduit le mouvement de contestation de Hong Kong de 2019 à la défaite. Il est probable que les gouvernements occidentaux offriront des déclarations à la langue fourchue de « solidarité » avec ces manifestations pour la « démocratie », mais ces avances doivent être rejetées avec dédain. L’impérialisme occidental n’est pas l’ami des travailleurs et des jeunes chinois. Il souhaite uniquement affaiblir la Chine – le principal rival du capitalisme américain sur la scène mondiale – afin de promouvoir ses propres intérêts politiques.
Nous ne devons pas non plus nous faire d’illusions sur le régime procapitaliste du PCC. Celui-ci pourrait être contraint de faire quelques concessions, mais ce ne serait que pour démobiliser les manifestants. Plus tard, lorsque le mouvement s’essoufflera, les autorités frapperont durement toute personne impliquée dans l’organisation de cette lutte. L’idée qu’une sorte de réforme menant à un véritable socialisme soit possible sous ce régime doit également être exclue.
Pour l’instant, la majorité des manifestations lancent des slogans visant à mettre fin aux confinements sévères, ou simplement à rendre les confinements « plus humains ». Les appels à la chute du PCC et de Xi Jinping, ou les revendications libérales bourgeoises, telles que la liberté de presse et d’expression, sont minoritaires. Si le régime tente d’étouffer ces manifestations par la répression, il s’agira d’une leçon brûlante pour une nouvelle génération de travailleurs et de jeunes.
Mais tant la répression que les concessions comportent des dangers pour le régime. Les concessions enhardiront les masses, démontrant que ce régime n’est pas aussi tout-puissant qu’il le montre. La répression, quant à elle, comporte le danger d’attiser les flammes de la colère et de l’indignation.
Quelle que soit l’évolution de la situation, cette expérience contribuera à amener les couches les plus avancées à la conclusion que de simples réformes démocratiques bourgeoises ne résoudront en rien les problèmes auxquels elles sont confrontées. La seule voie à suivre est la suppression révolutionnaire du régime capitaliste du PCC, suivie de l’établissement d’une véritable démocratie ouvrière socialiste.
Le mouvement ne peut pas simplement attendre que le régime concède sa défaite. Le régime de Xi Jinping a concentré les pouvoirs sur l’homme au sommet, et son objectif est de maintenir cette situation. À un moment donné, des représailles de la part du régime se produiront. En fait, on rapporte déjà que certains travailleurs de Zhengzhou ont été arrêtés à leur domicile après avoir pris leur concession de 10 000 RMB.
Ce mouvement de protestation a toutefois permis de lever le voile sur le profond ressentiment de la masse des travailleurs et des jeunes. Compte tenu de la nature du régime, avec ses puissants moyens de coercition et de répression, sa censure massive et son contrôle des moyens de communication, l’on pourrait parfois se faire l’image d’une société et d’un régime stables en Chine… c’est-à-dire jusqu’à ce que tout éclate par en bas. C’est alors que la véritable instabilité émerge et que le potentiel de révolution sociale devient parfaitement clair pour des millions de personnes. Un processus de différenciation des classes est en cours, qui découle de la polarisation sociale produite par des décennies de développement capitaliste.
Tant que la transition vers le capitalisme semblait fonctionner – avec la création d’emplois, le développement de la société, la mise en place d’un appareil productif puissant, malgré toutes les inégalités – les masses pouvaient avoir le sentiment que les choses s’amélioraient, qu’aujourd’hui était meilleur qu’hier et que demain serait meilleur qu’aujourd’hui. Mais cela a maintenant atteint ses limites.
L’époque des taux de croissance à deux chiffres est révolue. Nous avons maintenant toutes les contradictions du capitalisme qui poussent les masses sur la voie de la lutte des classes. Mais les 40 dernières années de transformation et de développement du capitalisme en Chine ont produit le plus grand prolétariat de la planète, qui se compte maintenant par centaines de millions. Cette force commence à bouger. Les bureaucrates du PCC, ainsi que les capitalistes chinois locaux et étrangers, ont de bonnes raisons de s’inquiéter de ces derniers développements.
Photo : Date20221127
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