La Biélorussie est secouée par des mobilisations de masse contre le régime du président Alexandre Lukashenko. Après des élections présidentielles truquées lors desquelles Lukashenko a été réélu pour la sixième fois consécutive, la colère des masses a explosé dans les rues.
Malgré sa corruption et son caractère autoritaire, le régime de Lukashenko a bénéficié longtemps d’une certaine popularité. A partir de son arrivée au pouvoir en 1994, il a interrompu les réformes ultra-libérales qui étaient appliquées depuis la dissolution de l’URSS en 1991. Il a conservé une forte proportion d’industrie publique et même certains éléments de planification. Ceci lui a permis de consolider son pouvoir en se posant comme arbitre entre les classes, en parfait bonapartiste. Pour les marxistes, ce type de régime se caractérise par le fait que la bourgeoisie perd en partie le pouvoir politique direct, bien que les moyens de répression de l’Etat demeurent à son service dans la lutte contre les travailleurs. En ce sens, le bonapartisme est une tentative de sauver le capitalisme… des capitalistes eux-mêmes.
Cet équilibre ne pouvait pas durer éternellement. Sans véritable planification, l’économie de la Biélorussie ne pouvait rester compétitive, sur le marché mondial, qu’en s’attaquant au niveau de vie des travailleurs, surtout depuis la crise mondiale en 2008. Ces dernières années ont été marquées par de nombreuses contre-réformes, qui ont miné la popularité du régime : privatisations, hausse de l’âge du départ à la retraite, « réforme » du droit du travail, etc.
En conséquence, la popularité du chef de l’Etat s’est effondrée. Par exemple, Lukashenko a voulu faire une démonstration de sa popularité, le 17 août, par un discours devant une usine industrielle publique. Mais au milieu de son discours, l’auditoire d’ouvriers en bleu de travail s’est mis à lui crier : « va-t-en ! ». Le président en fut le premier surpris : confus, il a réagi – par réflexe – en remerciant la foule qui le huait…
Les contre-réformes récentes ont fait vaciller tout l’équilibre du régime. C’est que la bourgeoisie en veut encore plus, quitte à renverser Lukashenko. De son côté, faute de soutien populaire, le régime en est réduit à s’appuyer sur la répression et la peur. Le soir de l’annonce des résultats, les manifestations ont été confrontées à une violence brutale. La police spéciale a tiré des balles en caoutchouc, des gaz lacrymogènes et a même fait foncer des camions dans la foule. Les manifestants arrêtés ont été systématiquement battus. De simples passants ont subi le même sort. Des dizaines de personnes ont été blessées et plusieurs autres tuées.
Lukashenko a aussi essayé de susciter un mouvement de peur, dans la population, pour apparaître comme le garant de la stabilité. Avant les élections, ses services secrets ont rendu publique une histoire abracadabrante de mercenaires russes arrêtés dans des hôtels de la capitale. Lukashenko a prétendu que c’était la preuve que la Russie s’apprêtait à le renverser. Aujourd’hui, son discours a fait un virage à 180° : il agite le spectre d’une invasion de la Biélorussie par les armées de l’OTAN. L’armée a été mise en état d’alerte sur la frontière occidentale et des hélicoptères biélorusses ont même pénétré brièvement l’espace aérien lituanien, le 24 août. A court d’idées, Lukashenko tente tout et n’importe quoi pour distraire l’attention des masses et se maintenir au pouvoir.
La propagande du régime est facilitée par le fait que les dirigeants de l’opposition (et avant tout la candidate libérale, Tikhanovskaya) sont bel et bien soutenus par l’OTAN, l’UE et les Etats-Unis. Et pour cause, ce sont des opposants de droite, qui souhaitent pousser encore plus loin les mesures de privatisation et les attaques contre les travailleurs. Est-ce que cela veut dire que les marxistes doivent soutenir le régime actuel, d’une façon ou d’une autre ? Non, ce serait une erreur mortelle. Lukashenko est un ennemi des travailleurs. Si son régime pro-capitaliste se maintient, il n’aura pas d’autre choix que de continuer à mettre en place des mesures d’austérité. Il doit être renversé. Mais cette tâche ne doit pas être confiée à l’opposition libérale, qui appliquera les mêmes mesures si elle arrive au pouvoir. Le renversement du régime doit être accompli par les travailleurs, avec leur propre programme et leurs propres méthodes de lutte.
Depuis le début du mouvement, des grèves ont éclaté dans de nombreuses usines. On a même vu apparaître des comités de grévistes qui, en plus des demandes démocratiques sur le départ de Lukashenko, ont mis en avant leurs propres revendications, comme l’interdiction des privatisations dans l’industrie, l’agriculture et les services publics, ou la création de conseils d’autogestion ouvrière dans les usines. C’est cette voie que le mouvement ouvrier biélorusse doit suivre s’il ne veut plus être le jouet du régime ou de l’opposition libérale.
La rédaction
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