La dynamique économique, sociale et politique du capitalisme français est indissociable des processus qui se développent au niveau mondial. C’est d’autant plus vrai que le déclin relatif de l’impérialisme français, depuis plus d’un demi-siècle, aggrave sa dépendance à l’égard des flux et reflux de la conjoncture économique internationale.
Au-delà de la sphère économique, la vie politique et la lutte des classes, en France, ne se développent pas en vase clos : elles subissent l’influence des grands événements qui se déroulent dans le monde entier. En conséquence, ces Perspectives pour la France doivent être lues conjointement aux Perspectives mondiales de la TMI.
On parle d’un déclin relatif du capitalisme français en comparant sa dynamique à celle d’autres puissances impérialistes – et en particulier des Etats-Unis, de l’Allemagne, de la Chine et de la Russie. Bien sûr, ces puissances sont elles-mêmes frappées, à des rythmes et des degrés divers, par la crise mondiale du capitalisme. Mais relativement à leurs dynamiques respectives, la France décline depuis de nombreuses années.
Pour illustrer ce déclin relatif, il suffit de citer les chiffres du commerce extérieur de la France, qui reflètent d’une façon tangible ses problèmes de compétitivité. Le solde de sa balance commerciale – c’est-à-dire la différence entre ses exportations et ses importations de biens – est systématiquement négatif depuis 2004, soit près de 20 ans. Ces quatre dernières années, le déficit commercial s’est rapidement aggravé : 58 milliards d’euros en 2019, près de 65 milliards en 2020, près de 85 milliards en 2021 et plus de 164 milliards en 2022.
De son côté, l’Allemagne – qui est la principale concurrente de la France sur le marché européen – affiche une balance commerciale positive depuis sa réunification en 1990. Son excédent commercial n’a pratiquement jamais cessé d’augmenter et a atteint un sommet en 2016 (près de 250 milliards d’euros), avant d’entamer un reflux le menant à 173 milliards en 2021, puis de subir une chute significative en 2022, à 79 milliards. Le chiffre de 2022 est notamment lié à la guerre en Ukraine et aux sanctions contre la Russie, qui ont fait flamber la facture des importations d’énergie en Allemagne (gaz et électricité). Reste que la balance des paiements allemande demeure positive, quand celle de la France s’enfonce dans le négatif, malgré la plus grande « indépendance énergétique » que son industrie nucléaire est censée garantir au pays. Il faut dire que le piteux état du parc nucléaire français – faute d’investissements suffisants, depuis de nombreuses années – a obligé la France à importer de grandes quantités d’énergie au prix fort.
Dans son projet de loi de Finances, le gouvernement Macron anticipe un déficit commercial de 154 milliards d’euros en 2023, soit à peine « mieux » qu’en 2022. Ce faisant, le gouvernement table sur une « stabilisation » des prix de l’énergie importée.
Il faut noter qu’en 2022 comme en 2021, la balance des services est excédentaire, à 50 milliards d’euros, tout comme la balance des revenus (dont les services financiers) : 31 milliards d’euros. Ainsi, la France confirme son statut d’économie en déclin sur le plan industriel – au profit des services et du secteur financier. Or comme nous l’avons souvent expliqué, la production manufacturière est la colonne vertébrale d’une économie qui prétend jouer un rôle important sur le marché mondial. Seule exception à ce déclin industriel : l’industrie d’armement française a vu ses exportations augmenter de 44 % entre 2013 et 2022. La France pourrait bientôt ravir à la Russie la place de deuxième exportatrice d’armes au monde.
Dans une analyse de la compétitivité de la France publiée début février, l’institut Rexecode souligne que la part du pays dans la valeur ajoutée industrielle de la zone euro a « diminué de 1,4 point entre 2019 et 2022 (soit une baisse de son poids d’environ 10 %), dans la continuité de la tendance baissière des deux dernières décennies ».
Commentant le document de Rexecode, Le Figaro du 6 février souligne que « sur les trois dernières années, la France a perdu du terrain par rapport aux autres grands pays de la zone euro comme l’Espagne, l’Italie et les Pays-Bas, qui ont vu leur situation s’améliorer en raison d’une meilleure organisation de l’appareil exportateur et d’un rapport qualité-prix en leur faveur. L’Allemagne a, elle aussi, vu ses parts de marché reculer, mais dans des proportions moindres que la France. » Autrement dit, la France décline non seulement face à l’Allemagne, mais même relativement à des économies européennes moins puissantes qu’elle.
Dans une étude publiée en 2022, le Cepii [1] affirmait : « Si la hausse plus rapide des coûts unitaires du travail par rapport à l’Allemagne pouvait expliquer une part de la mauvaise performance à l’exportation française au début des années 2000, l’écart a été complètement résorbé depuis 2012 ». Le Cepii cite les politiques de Hollande et Macron ayant permis de « baisser le coût du travail » : CICE, baisses de charges, baisses de l’impôt sur les sociétés et des impôts de production – à quoi il faut ajouter les effets des « lois Travail » sur l’exploitation de la force de travail. Mais cela ne s’est pas traduit « par une amélioration du solde des biens, ce qui place aujourd’hui la France dans une position de déficit commercial atypique au sein de la zone euro », souligne l’étude du Cepii.
Cette position « atypique » doit être liée à une singulière performance du grand Capital français : depuis quelques années, il est le champion incontesté, en Europe, de la distribution de dividendes à ses actionnaires. Le Figaro du 28 février soulignait qu’en 2022 la France est le « pays qui a le plus contribué à la croissance des dividendes en Europe, avec 59,8 milliards d’euros (+ 4,6 %) ». C’est un nouveau record. Le CAC40 versait 49,2 milliards d’euros de dividendes en 2019, puis « seulement » 28,6 milliards en 2020 (sur fond de pandémie), avant de repartir en flèche : 45,6 milliards en 2021.
Autrement dit, la baisse du « coût unitaire du travail », en France, ne se traduit pas principalement par un réinvestissement des profits dans la modernisation ou l’extension de l’outil productif, mais par une croissance des orgies de dividendes et d’investissements spéculatifs. Cela souligne le caractère parasitaire du capitalisme français. Au lieu d’investir dans la production, les grandes entreprises gavent leurs actionnaires. Le sous-investissement chronique mine la compétitivité. Mais en retour, la baisse de la compétitivité pèse sur l’investissement : à quoi bon investir lorsque les parts de marchés diminuent ? Dialectiquement, la cause devient effet et l’effet devient cause. Dans le même temps, pour défendre ses marges de profits, la classe dirigeante française exige de nouvelles politiques d’austérité et de nouvelles attaques contre le monde du travail.
Le déclin relatif du capitalisme français se manifeste également, depuis quelques années, par une série de revers spectaculaires sur les plans militaire, diplomatique et géostratégique. C’est d’autant plus remarquable que Macron, dès 2017, prétendait replacer la France au centre du jeu diplomatique mondial.
Ce faisant, Macron prolongeait une vieille tradition de l’impérialisme français, qui consiste à proclamer haut et fort son « indépendance » et sa « puissance », en contradiction frontale avec la dynamique réelle sur le terrain. Ce fut le cas notamment au Moyen-Orient, en 2003, lorsque la bruyante opposition « de principe » de Chirac à la guerre en Irak visait à défendre (en vain) les intérêts de l’impérialisme français dans cette région.
La « Françafrique » a de plus en plus de plomb dans l’aile, non parce que l’impérialisme français aurait renoncé aux méthodes mafieuses d’ingérence et de corruption systématiques, mais parce qu’il doit céder du terrain face à la concurrence économique ou militaire d’autres puissances impérialistes, dont la Chine et la Russie.
En février 2022, Macron a été contraint d’annoncer la fin de l’opération Barkhane au Mali. Engagée en 2013, cette intervention militaire française visait à reprendre aux djihadistes le contrôle du nord du Mali. Il s’agissait aussi de rassurer les régimes pro-français de la région. Mais la guérilla islamiste a prospéré sur le terreau de la misère et de la crise sociale. Une succession de coups d’Etat militaires a pris de court la diplomatie française et placé les militaires au pouvoir à Bamako. Le gouffre entre les gouvernements malien et français n’a cessé de se creuser, jusqu’à ce que le nouveau régime malien fasse appel à la Russie.
Entre août 2022 et février 2023, les troupes françaises ont dû quitter le Mali, la Centrafrique et le Burkina Faso. Au Mali et en Centrafrique, les troupes françaises ont été remplacées par des « conseillers » russes. Pour expliquer ces déboires, la diplomatie française accuse la Russie d’attiser dans la région des « sentiments anti-français ». C’est exact, à ceci près que les crimes de l’impérialisme français, dans ces pays, ont beaucoup plus largement contribué au développement de ces « sentiments ». Il y a une crise générale – à la fois politique, économique et militaire – de l’impérialisme français en Afrique.
Par exemple, en décembre 2022, le groupe Bolloré a vendu toutes ses activités logistiques et portuaires, sur le continent africain, à l’armateur italo-suisse MSC. Autre exemple : en juin 2021, l’ambassadeur de France au Cameroun, Christophe Guilhou, révélait que « la part de marché des entreprises françaises au Cameroun est passée de 40 % dans les années 1990 à 10 % aujourd’hui ». En cause : la concurrence de la Chine, qui « depuis les années 2000 (…) rafle pratiquement tous les contrats d’infrastructures au Cameroun. » Ce phénomène est global. Dans une étude publiée en 2018, Coface (une filiale de la banque Natixis) soulignait que la France a vu ses parts de marché en Afrique tomber de 11 % à 5,5 % entre 2000 et 2017.
La guerre en Ukraine est un autre problème de taille pour l’impérialisme français. Derrière les discours officiels de soutien indéfectible à la « souveraineté » de l’Ukraine, la classe dirigeante s’inquiète des conséquences à court et moyen termes de ce conflit entre l’OTAN (c’est-à-dire les Etats-Unis) et la Russie. Au-delà des conséquences économiques et politiques immédiates (inflation accrue et instabilité sociale), cette guerre rapproche la Russie de la Chine et, par conséquent, renforce la dépendance de l’impérialisme français à l’égard de l’impérialisme américain, notamment en Afrique.
La France n’avait pas intérêt à ce que l’OTAN et la Russie s’affrontent militairement en Ukraine, notamment parce qu’elle a intérêt à garder ouverte la possibilité d’accords avec la Russie à propos de leur confrontation en Afrique. Mais sa dépendance à l’égard de l’impérialisme américain est telle qu’elle ne pouvait pas s’y opposer. En outre, une telle opposition aurait fracturé l’Union européenne. Mais en retour, l’alignement de la France sur la position des Etats-Unis, en Ukraine, réduit encore les marges de manœuvre de l’impérialisme français sur la scène mondiale. Au passage, d’importants investissements français en Russie ont dû être liquidés.
Le déclin de l’impérialisme français a des conséquences directes sur les perspectives pour la lutte des classes en France. La classe dirigeante cherchera à compenser ses reculs sur l’arène mondiale par une intensification de l’exploitation des travailleurs, en France, et par toute une série de contre-réformes drastiques.
L’évolution de sa dette publique est une autre illustration de la crise spécifique du capitalisme français. Mais elle est aussi et surtout une bombe à retardement, car la dette publique ne peut pas croître indéfiniment sans précipiter une crise majeure, à un certain stade.
Au début de l’année 2023, la dette publique a franchi la barre symbolique des 3000 milliards d’euros, soit 113 % du PIB, contre 98 % en 2019. Cette augmentation de la dette publique de 15 %, en trois ans, doit être comparée à l’augmentation du PIB au cours de la même période : + 0,9 %. Ainsi, la dette publique a augmenté entre 16 et 17 fois plus vite que la production de richesses. C’est évidemment insoutenable, à terme, et c’est pourquoi de nombreux économistes bourgeois exhortent le gouvernement à en finir radicalement avec le « quoi qu’il en coûte ». C’est d’ailleurs bien son intention.
A première vue, l’inflation allège le poids relatif de la dette publique, comme de toute autre dette fixe. Cependant, ce que l’Etat gagne d’une main grâce à l’inflation (par exemple en surplus de recettes de TVA), il le perd de l’autre : le montant de ses dépenses augmente. Par ailleurs, 11,5 % des titres de la dette française sont indexés sur l’inflation française ou européenne. Enfin, le resserrement des politiques monétaires de la BCE se répercute sur les taux d’emprunt de l’Etat français. En février 2023, le taux d’intérêt des obligations françaises à dix ans est monté à son plus haut niveau depuis 2012 : 3,1 %, contre 0 % au début de l’année 2022.
La charge de la dette, c’est-à-dire le paiement des seuls intérêts, est passée de 35 milliards d’euros en 2021 à 50 milliards d’euros en 2022. C’est le deuxième poste budgétaire de l’Etat, derrière l’Education nationale. Si les taux d’intérêt auxquels s’endette l’Etat français continuent d’augmenter, cette facture finira par être insoutenable.
Encore une fois, la comparaison avec la situation de l’Allemagne est significative. Sa dette publique avoisine 70 % de son PIB (contre 113 % en France). En février 2023, le taux d’intérêt de ses obligations d’Etat à 10 ans était de 2,5 % (contre 3,1 % en France). Or le resserrement des politiques monétaires de la BCE – inévitable dans un contexte inflationniste – ne peut qu’aggraver l’écart entre l’état des finances publiques (et les conditions d’emprunt) de ces deux pays. Le problème, d’ailleurs, se pose à l’échelle européenne : l’Italie, en particulier, accuse une dette publique supérieure à 150 % de son PIB, et le taux d’intérêt de ses obligations à 10 ans s’élevait à 4,5 % en février 2023. Une aggravation ultérieure du « spread » (« écart ») entre les conditions d’emprunt des différents pays de la zone euro risque de précipiter une crise des dettes souveraines encore plus sérieuse que celle de 2012, car il sera beaucoup plus compliqué de « sauver » l’Italie, par exemple, qu’il ne le fut de « sauver » la Grèce.
Dans un contexte inflationniste et récessif, on voit mal comment cet écart pourrait ne pas s’aggraver, à terme. D’un côté, l’inflation persistante pousse la BCE à augmenter ses taux d’intérêt, ce qui pèse de façon toute particulière sur les conditions d’endettement des pays qui sont déjà les plus endettés. D’un autre côté, les effets récessifs de cette politique monétaire aggraveront le problème, car une récession assèche les rentrées fiscales, donc accroît les dettes publiques – et exerce une nouvelle pression à la hausse sur les marchés obligataires. Ce cercle vicieux ne peut pas être brisé par telle ou telle politique fiscale ou monétaire, car il s’agit d’une étape de la crise organique du capitalisme, après des années de politiques monétaires extrêmement souples, et notamment de taux d’intérêt oscillant autour de 0 %.
Après une chute de 8,2 % en 2020, le PIB de la France a rebondi de 6,8 % en 2021, puis de 2,6 % en 2022. Le ralentissement devrait se poursuivre : la Banque de France prévoit une croissance de 0,3 % en 2023. Ce scénario est jugé « pessimiste » par le gouvernement, qui table, lui, sur 1 % de croissance en 2023.
Ceci dit, la situation économique est tellement instable et fragile, au niveau mondial, que la France pourrait aussi bien finir l’année 2023 sur une récession. Certains économistes le considèrent même comme probable. Au centre de l’équation, il y a la question de l’inflation, que les Banques Centrales doivent combattre en resserrant leurs politiques monétaires – mais au risque, dès lors, de brider l’investissement, déstabiliser les marchés financiers et, finalement, provoquer une récession. Janet Yellen, Secrétaire d’Etat au Trésor américain, explique souhaiter « une trajectoire dans laquelle l’inflation diminue sensiblement et l’économie reste forte ». Mais rares sont les économistes bourgeois qui croient en la possibilité d’une telle trajectoire.
En réalité, les prévisionnistes ne savent plus sur quel pied danser. Fin 2022 et début 2023, le ralentissement économique a été moins fort que redouté : bonne nouvelle. Mais mauvaise nouvelle : l’inflation ne recule pas aussi vite que prévu. Après un léger reflux à la fin de l’année 2022, elle repart à la hausse.
En France, cette hausse s’explique notamment par la levée partielle du « bouclier tarifaire ». L’économiste Marc Touati explique que cette mesure « s’est notamment traduit[e] par une nette remontée de l’inflation des produits alimentaires et du secteur énergétique, avec des niveaux de respectivement 13,2 % et 16,3 %. » Mais il ajoute : « En outre, il faut souligner que l’inflation continue de se généraliser avec par exemple un niveau de 4,6 % pour l’ensemble des produits manufacturés, contre 0,6 % en janvier 2022. » Cette généralisation de l’inflation – c’est-à-dire son infiltration dans tous les secteurs de l’économie – pèse lourdement sur les perspectives de croissance de l’économie française.
L’un des effets immédiats de la crise inflationniste, c’est l’augmentation des faillites d’entreprises (+ 50 % en 2022), en particulier parmi les TPE et PME qui ont des frais de transport et d’énergie importants. Après deux années marquées par des mesures de soutien en réponse à la crise sanitaire, le réveil d’un certain nombre de petites et moyennes entreprises est brutal.
Dans ce contexte général, le chômage pourrait repartir à la hausse, après un reflux bien plus marqué, en 2021 et 2022, que nous ne l’avions anticipé dans nos précédentes Perspectives. Ce reflux, bien sûr, s’est accompagné d’une plus grande précarité de l’emploi. Selon l’INSEE, le taux d’emploi en CDI a baissé de 0,2 % par rapport à son niveau d’avant la crise sanitaire, tandis que l’emploi en CDD ou en intérim a augmenté de 0,4 %, et l’emploi des « indépendants » (livreurs, etc.) de 0,6 %. A cela s’ajoute une augmentation des radiations de Pôle Emploi, des temps partiels imposés et du « halo du chômage », c’est-à-dire du nombre de personnes qui « souhaitent travailler, mais sont considérées comme inactives » et ne sont donc pas comptabilisées dans les statistiques du chômage (1,9 million en février 2023). Il n’empêche : la baisse du taux de chômage, qui s’établit officiellement à 7,2 % en février 2023, est d’abord un effet de la reprise économique post-Covid.
Fort de ce chiffre, Macron s’est fendu d’un tweet triomphal, le 14 février 2023 : « Le chômage est à son niveau le plus bas pour la deuxième fois depuis 40 ans. Objectif plein emploi ! » Il s’agit notamment, pour le chef de l’Etat, de vendre ses contre-réformes – passées et à venir – de l’assurance chômage et du RSA. Leur objectif est double : réaliser des milliards d’euros d’économie et forcer les chômeurs à se diriger vers les secteurs dits « en tension » qui peinent à recruter à cause des mauvaises conditions de travail (industrie, restauration, bâtiment, etc). Pour autant, une situation de « plein emploi » est exclue à court terme, en France. Si la croissance du PIB en 2023 s’établit à 0,3 %, comme le prévoit la Banque de France, le chômage repartira nécessairement à la hausse. Dans l’hypothèse d’une récession, il flambera.
Lénine soulignait que « la politique, c’est un concentré de l’économie ». Les différentes manifestations de la crise organique du capitalisme ont un impact sur la conscience de toutes les classes sociales – y compris celle de la bourgeoisie, qui aujourd’hui a complètement perdu l’optimisme qu’elle affichait dans les années 90, après la chute de l’Union soviétique et du Bloc de l’Est. Elle ne voit pas d’issue au marasme actuel ; elle constate qu’il provoque une instabilité politique et sociale croissante ; elle redoute à juste titre que de grandes convulsions révolutionnaires n’éclatent jusque dans les pays capitalistes développés. Tel est du moins l’état d’esprit de la fraction la plus clairvoyante de la classe dirigeante. Quant aux autres : « bienheureux les pauvres d’esprit » !
L’impact de la crise sur la conscience de la classe ouvrière et des classes moyennes se développe à un autre rythme – plus lent, mais aussi plus explosif, le moment venu : le mouvement des Gilets jaunes en fut une illustration spectaculaire. Ceci dit, une large fraction de la classe ouvrière s’accroche toujours à l’espoir que des réformes progressistes permettront, au minimum, d’atténuer l’impact de la crise sur ses conditions de vie et de travail. Elle s’y accroche d’autant plus que les dirigeants réformistes du mouvement ouvrier renforcent sans cesse ces illusions. Cependant, la jeune génération de la classe ouvrière n’a connu que la crise et ne porte sur ses épaules ni grandes défaites, ni profondes désillusions ; aussi commence-t-elle à tirer des conclusions très radicales. Quant aux classes moyennes, et en particulier la masse de la petite bourgeoisie étranglée par la crise, elles oscillent de plus en plus violemment vers la droite et vers la gauche. N’oublions pas que les Gilets jaunes comptaient dans leurs rangs une fraction significative d’artisans, de petits paysans, de petits commerçants, etc.
La poussée inflationniste marque une rupture qualitative dans le développement de la crise. Son impact sur le niveau de vie de toutes les couches exploitées et opprimées de la population est immédiat et très sensible. Ses effets sur les consciences et la combativité des travailleurs sont très rapides. Face à une chute soudaine et significative de leur salaire réel, même les travailleurs les plus passifs et les plus éloignés des organisations syndicales, habituellement, seront prêts à s’engager dans une grève dure. Or l’impact psychologique et politique de ces grèves dépasse largement la question de la fiche de paie. Comme l’écrivait le jeune Lénine : « En temps ordinaire (…), l’ouvrier traîne son boulet sans mot dire, sans contredire le patron, sans réfléchir à sa situation. En temps de grève, il formule bien haut ses revendications, il remet en mémoire aux patrons toutes les contraintes tyranniques qu’ils lui ont infligées, il proclame ses droits, il ne songe pas uniquement à lui-même et à sa paie, il songe aussi à tous les camarades qui ont cessé le travail en même temps que lui et qui défendent la cause ouvrière sans craindre les privations. » Autrement dit, de simples grèves « locales » peuvent avoir des effets très importants sur la conscience politique des travailleurs impliqués.
Soit dit en passant, la baisse du taux de chômage, ces deux dernières années, renforce la position des travailleurs – en particulier dans les secteurs « en tension » (qui ont du mal à recruter). S’ils ont du mal à recruter, c’est principalement parce que les conditions de travail et les salaires y sont mauvais. On peut donc s’attendre, dans ces secteurs, à un certain nombre de grèves pour pousser les patrons à augmenter nettement les salaires.
Il est impossible de prédire comment l’inflation va évoluer, en France, au cours de la prochaine période : trop de facteurs entrent ici en ligne de compte. Il se peut qu’elle baisse à court terme, mais la majorité des économistes bourgeois excluent le scénario d’une forte baisse qui ramènerait l’inflation aux alentours de 2 %, c’est-à-dire vers le taux que visent les Banques Centrales. Compte tenu de la dynamique actuelle du capitalisme mondial, ce qui se dessine de plus en plus nettement, c’est la possibilité d’une phase de « stagflation » : une combinaison de récession (ou, au mieux, de quasi-stagnation) et d’inflation élevée. Un tel scénario renforcerait l’instabilité sociale et politique. Il brûlerait les illusions dans la possibilité d’un retour à l’époque où le capitalisme garantissait un minimum de niveau de vie et de stabilité à la masse des travailleurs, ainsi qu’un certain progrès d’une génération à l’autre.
Les étapes et le rythme de la crise, dans les années à venir, ne peuvent pas être anticipés avec précision. Nous ne pouvons anticiper que les tendances générales. Pendant des années, nous avons expliqué qu’une crise inflationniste était inévitable, à un certain stade, notamment du fait des énormes quantités de capitaux fictifs injectés dans l’économie mondiale, depuis 2008. A présent que cette crise a éclaté, nous pouvons affirmer que la tentative de la résoudre minera la croissance, voire plongera le monde dans une nouvelle récession. Ce qui est exclu, dans la période à venir, c’est une phase de solide croissance économique semblable aux Trente Glorieuses – ou même une phase de croissance semblable aux années 1990.
Cela signifie que les bases matérielles du réformisme ont disparu. La classe dirigeante ne concèdera des réformes significatives que sous la menace de tout perdre (comme en juin 36 et en mai 68). Le reste du temps, elle ira d’austérité en contre-réformes. Ceci aura d’énormes conséquences sur la conscience des masses – et sur leurs organisations politiques et syndicales, où la question de l’alternative au système capitaliste sera de nouveau posée, d’une façon ou d’une autre. On en voit les prémisses avec « Unité CGT », par exemple ; nous y reviendrons plus loin.
La réélection de Macron, en mai 2022, était loin d’être garantie. Un deuxième tour l’opposant à Mélenchon – et non Le Pen – aurait posé davantage de problèmes à Macron, car cela aurait polarisé les débats suivant une ligne de classe. Il a manqué 420 000 voix à Mélenchon pour accéder au deuxième tour. La responsabilité de Mélenchon et de la direction de la FI, dans cet échec, est évidente. Nous y reviendrons plus loin. Mais il faut aussi souligner la responsabilité flagrante du PCF et de l’extrême gauche, dont les candidats ont totalisé près de 1,3 million de voix, soit le triple de ce qui a manqué à Mélenchon. Macron leur doit une fière chandelle.
Au deuxième tour, Macron s’est appuyé sur le rejet de Marine Le Pen – et sur le soutien des dirigeants de la gauche réformiste, au nom du « Front Républicain » – pour l’emporter haut la main. Cependant, une analyse détaillée de ce deuxième tour souligne la fragilité du gouvernement. En tenant compte de l’abstention et des bulletins blancs ou nuls, Macron n’a recueilli les suffrages que de 38,5 % des inscrits. C’est 5 % et 2 millions de voix de moins qu’en 2017. En outre, les enquêtes d’opinions ont souligné que près d’une moitié de ses électeurs du deuxième tour n’avaient aucune confiance en lui. Autrement dit, moins de 20 % de l’électorat global avait « confiance » en Macron, en mai 2022.
Les élections législatives de juin 2022 ont confirmé cette dynamique. Sur fond d’abstention massive et de nouvelle percée du Rassemblement National, LREM et ses alliés ont échoué à 44 sièges de la majorité absolue. Cette majorité relative est l’expression parlementaire de la fragilité du gouvernement. Mais en réalité, le rapport de force parlementaire ne donne pas la véritable mesure de la situation. Dans la masse de la population, Macron et sa clique sont plus nettement minoritaires qu’à l’Assemblée nationale. Dans les couches les plus exploitées et opprimées, le chef de l’Etat est profondément détesté. Même Sarkozy, en son temps, n’avait pas concentré autant de haine populaire sur sa personne. Il faut dire qu’en matière d’arrogance et de « petites phrases » méprisantes à l’égard du peuple, Macron a réussi à dépasser Sarkozy, ce qui est une performance remarquable.
On voit mal ce qui pourrait améliorer durablement la popularité du chef de l’Etat et de son gouvernement. D’une part, comme nous l’avons vu, les perspectives économiques à court terme ne leur sont pas favorables. La levée des « boucliers tarifaires », notamment, aggravera le poids de l’inflation sur le budget des ménages. D’autre part, la classe dirigeante française ne peut pas se permettre de ralentir le rythme des contre-réformes. Adoptée contre l’opinion d’une écrasante majorité de la population active, la réforme des retraites a très nettement renforcé l’hostilité des masses à l’égard du pouvoir.
D’autres contre-réformes seront à l’ordre du jour. Cependant, celle des retraites a déjà montré les limites, dans le contexte actuel, d’un gouvernement minoritaire et très impopulaire qui avance à coups de majorités ponctuelles et de 49.3. Le recours au 49.3, le 16 mars, a déclenché des manifestations spontanées et un rebond général de la mobilisation contre la réforme des retraites. A l’Assemblée nationale, il n’a manqué que neuf voix à la motion de censure. Compte tenu de la division des Républicains et des premières fissures chez les députés « macronistes », une nouvelle motion de censure pourrait être majoritaire à court ou moyen terme, ce qui provoquerait une dissolution de l’Assemblée nationale. Macron pourrait aussi dissoudre dans la foulée du rejet d’un texte législatif. De manière générale, si Macron ne peut plus avancer, il sera contraint de convoquer des élections législatives anticipées.
Du point de vue de la bourgeoisie, compte tenu de l’extrême faiblesse du gouvernement actuel, l’idéal serait une dissolution rapide débouchant sur un gouvernement de droite doté d’une majorité à l’Assemblée nationale. Le problème, c’est qu’un tel scénario est loin d’être évident, car il est très probable que de nouvelles élections profiteraient non à LREM et ses alliés, mais au RN et, peut-être, à la NUPES (ou toute autre coalition de gauche). On voit mal quelle « majorité » stable pourrait en sortir, sauf dans le cas d’une nette victoire du RN ou de la NUPES. Du point de vue de la bourgeoisie, des élections législatives anticipées pourraient donc aggraver le problème au lieu de le résoudre – et ouvrir une nouvelle phase de la crise politique et institutionnelle. En d’autres termes, la bourgeoisie est dans une impasse politique très dangereuse, de son point de vue. N’oublions pas qu’une révolution commence toujours par une crise au sommet de la société.
Dans l’immédiat, le gouvernement saisira toutes les opportunités d’intensifier la propagande contre les immigrés et les musulmans, dans le but de diviser notre classe et de détourner son attention des véritables responsables de la crise. Cependant, la propagande raciste du gouvernement, combinée à des violences contre les immigrés ou de nouvelles « bavures » policières, pourrait déclencher une réaction massive et potentiellement incontrôlable. N’oublions pas la « révolte des banlieues » déclenchée, en 2005, par la mort de deux jeunes poursuivis par la police. Dans le contexte actuel, sur fond de propagande raciste permanente, une explosion sociale du même ordre est possible à tout moment.
De manière générale, le gouvernement Macron est embourbé dans un phénomène qui le dépasse et qui a mûri de longue date : la crise de régime du capitalisme français. Toutes les institutions politiques, y compris les vieux « partis de gouvernement », sont profondément discréditées. L’abstention croissante à toutes les élections – en particulier les élections intermédiaires et législatives – en est une expression limpide. La fragmentation de l’Assemblée nationale en est une autre. Quant aux médias, à la police et à la Justice, la masse de la population ne les estime guère plus que les vieux politiciens bourgeois.
Dans ce climat général, les « affaires » creusent le gouffre entre le peuple et le pouvoir. En 2017, Macron avait promis un « renouvellement des pratiques politiques ». Six ans plus tard, deux informations judiciaires sont ouvertes sur les liens entre le chef de l’Etat et le cabinet de conseil McKinsey : les conditions d’attributions de juteux contrats publics sont en cause. Dans le même temps, le ministre de la Justice, Eric Dupont-Moretti, et le secrétaire général de l’Elysée, Alexis Kohler, sont mis en examen pour « prise illégale d’intérêts ». Olivier Dussopt, Ministre du Travail, a été visé par une enquête du parquet national financier (PNF) pour « corruption » et « prise illégale d’intérêts ». Sébastien Lecornu, ministre des Armées, est visé par une enquête du PNF pour « prise illégale d’intérêts ». Depuis 2017, on ne compte plus le nombre de ministres qui ont dû démissionner pour des raisons semblables. Pour ne pas trop déstabiliser son gouvernement, Macron a dû renoncer au « principe » qu’il avait proclamé haut et fort en 2017 : « un ministre doit quitter le gouvernement lorsqu’il est mis en examen ».
Il ne faut pas sous-estimer les effets de telles affaires sur l’évolution de la situation politique, en particulier lorsqu’un régime est à bout de souffle. Des scandales de corruption ont souvent joué un rôle important dans la maturation d’une crise révolutionnaire. Ce fut le cas en France, notamment, avec « le scandale Teste-Cubières » (1847), qui a porté un coup sévère à la monarchie de Juillet, ou encore avec « l’affaire Stavisky » (1934), qui a profondément ébranlé la IIIe République. De nouveaux scandales sont inévitables dans la période à venir. Ils seront autant de coups portés contre l’édifice vermoulu de la Ve République.
Soit dit en passant, le profond discrédit qui frappe la « représentation nationale » (le Parlement) renforce le caractère dérisoire des subtiles manœuvres parlementaires auxquelles se livrent les députés de la NUPES – et auxquelles Mélenchon, en particulier, accorde une si grande importance. Ils semblent avoir oublié que 54 % des inscrits se sont abstenus au second tour des dernières élections législatives. Par ailleurs, l’écrasante majorité des jeunes et des travailleurs ne prête aucune attention aux tempêtes dans un verre d’eau qui se succèdent au Palais Bourbon. La plupart n’attendent plus rien de positif de cette institution sous le mandat de Macron, à juste titre.
Nous l’avons souvent souligné depuis 2017 : les meilleurs alliés du gouvernement Macron, ce sont les dirigeants des grandes confédérations syndicales, CGT comprise. C’était déjà le cas avant Macron, et ce phénomène n’est pas spécifiquement français : il existe à l’échelle internationale. Les contre-réformes et politiques d’austérité ne pourraient pas être menées de la même façon sans le conservatisme des bureaucraties syndicales, qui sont des « agents de la bourgeoisie au sein du mouvement ouvrier » (Lénine).
Cela étant dit, il ne faut pas transformer cette vérité générale en une abstraction vide. Les organisations ultra-gauchistes ont tendance à simplifier les choses : à les entendre, on a l’impression que les travailleurs sont toujours déterminés à lutter massivement, mais qu’ils se heurtent constamment à l’obstacle de leurs directions syndicales. Ce n’est pas le cas. La façon dont le conservatisme des sommets syndicaux pèse sur la lutte des classes est plus complexe que ne le suggèrent les schémas rigides des gauchistes.
Lors de nos discussions avec des militants syndicaux, nous devons savoir expliquer notre point de vue de façon concrète. Si on explique en toutes circonstances que « les dirigeants syndicaux sont des traîtres qui refusent d’organiser une grève générale », on ne convaincra personne, car cela ne cadre pas avec l’expérience concrète des militants syndicaux, sur le terrain.
Les travailleurs ne sont pas toujours disposés au combat. Et pour cause : la lutte implique des risques et des sacrifices. La plupart du temps, les salariés aspirent à la stabilité, à mener leur vie paisiblement, sans conflits avec leurs patrons. Ils sont même prêts à accepter des reculs (sans pour autant les approuver). Ils ne se lancent dans la lutte que lorsque « trop, c’est trop ». Alors, les salariés les plus passifs, habituellement, peuvent devenir très combatifs – et parfois même plus combatifs que les délégués syndicaux de l’entreprise, qui pendant des années se sont adaptés à ce qu’ils pensaient être le « niveau de conscience » définitif de leurs collègues de travail.
Il en va de même au niveau national. La masse des travailleurs n’est pas toujours prête à lutter contre telle ou telle contre-réforme. Quant aux dirigeants syndicaux, ils renforcent cet état d’esprit en expliquant qu’il y a une marge de négociation avec le gouvernement – même lorsqu’il n’y a aucune marge, en réalité, et qu’ils finissent par « négocier » la régression sociale, ce qui est le cas depuis de nombreuses années.
Dans le même temps, ils organisent régulièrement des « journées d’action » ponctuelles et sans lendemain. De leur point de vue, ces journées d’action ont plusieurs fonctions. D’une part, elles donnent le change à la base la plus militante des syndicats : « voyez, vos dirigeants organisent la lutte ». D’autre part, elles permettent d’ouvrir les vannes du mécontentement et, ainsi, de faire un peu retomber la pression. Enfin, lorsque la mobilisation des travailleurs devient massive, comme par exemple en 2003, en 2010, en 2016 et tout récemment, les journées d’action deviennent une stratégie délibérée visant à canaliser le mouvement, à en limiter la portée, à l’empêcher de prendre des formes trop menaçantes pour le gouvernement et la classe dirigeante. Autrement dit, les directions confédérales œuvrent à la défaite de mouvements qui auraient pu être victorieux.
Lorsque nous critiquons la stratégie des « journées d’action » et expliquons la nécessité d’un vaste mouvement de grèves reconductibles, nous ne prétendons pas qu’un tel mouvement serait facile à organiser et que la masse des travailleurs s’y impliqueraient forcément. Ce que nous disons, c’est que face à une contre-réforme majeure dont la classe dirigeante a besoin, les journées d’action ne peuvent pas faire reculer un gouvernement. Donc, il faudra des grèves reconductibles – et donc, il faut commencer par reconnaître ce fait, l’expliquer ouvertement, puis organiser une puissante campagne d’agitation, dans les entreprises, pour évaluer la possibilité d’organiser un tel mouvement. Au lieu de cela, lorsqu’une succession de grandes journées d’action laissent le gouvernement de marbre et que le mot d’ordre de « grèves reconductibles » commence à monter dans les bases syndicales (comme ce fut le cas en 2016 et en janvier-avril 2023), la direction confédérale de la CGT se contente de déclarer : « c’est aux AG de travailleurs de décider s’ils veulent se lancer dans une grève reconductible ». Autrement dit, au lieu d’organiser le combat, elle se défausse sur « les AG de travailleurs », comme si celles-ci n’étaient pas influencées, dans leurs décisions, par la stratégie des directions confédérales.
L’autre élément central de notre critique porte sur le caractère strictement défensif des mots d’ordre (ou du mot d’ordre) avancés par les directions confédérales. Comme nous l’expliquions en janvier 2023, au seuil de la lutte contre la réforme des retraites, un vaste mouvement de grèves reconductibles peut difficilement se développer sur la base du seul mot d’ordre de « retrait du projet de réforme ». En effet, « dans un contexte où les coups pleuvent de toute part (inflation, misère et précarité croissantes, casse des services publics, etc.), la jeunesse et le salariat ne passeront à l’action d’une façon exceptionnellement massive et durable que si l’objectif de la lutte est bien plus large que l’abandon de ce projet de réforme – dont on sait bien que, chassé par la porte, il reviendrait par la fenêtre quelques années plus tard, si rien d’autre ne change. Il faut que le jeu en vaille la chandelle, que les objectifs du combat soient à la hauteur des sacrifices qu’il exige. » La faible mobilisation de la jeunesse étudiante, avant le 49.3, en fut une illustration évidente. La plupart des étudiants n’étaient pas favorables à la réforme, mais ils n’étaient pas disposés à risquer leur année universitaire dans un mouvement dont la victoire – comme la défaite – ne changerait strictement rien à leurs conditions de vie et d’étude. La jeunesse étudiante se serait sans doute mobilisée massivement dans la foulée du développement d’un vaste mouvement de grèves reconductibles, précisément parce que celui-ci aurait fait spontanément émerger d’autres revendications que le seul retrait de la réforme des retraites. A cet égard, il est remarquable qu’une fraction de la jeunesse étudiante et lycéenne se soit mobilisée dans la foulée du 49.3, c’est-à-dire en réaction au « passage en force » du gouvernement. La jeunesse mobilisée ne visait pas seulement la réforme des retraites ; elle visait surtout l’autoritarisme de Macron, son gouvernement et le régime dans son ensemble.
Lors de la lutte contre cette réforme, la stratégie des journées d’action a eu le plus grand mal à canaliser la colère et la combativité des masses. Le rebond du mouvement et l’irruption de la jeunesse dans la lutte, au lendemain du 49.3, ont donné des sueurs froides aux dirigeants de l’intersyndicale. A la onzième journée d’action (6 avril), il y avait encore beaucoup de monde dans les rues, alors que les dirigeants confédéraux – et le gouvernement – tablent habituellement sur un reflux bien plus rapide de la mobilisation, au fil des journées d’action. Par ailleurs, une fraction croissante de la jeunesse et des travailleurs comprend les sérieuses limites des journées d’action. Ceci prépare des explosions de la lutte des classes que les directions confédérales ne pourront pas contrôler.
C’est la succession de défaites du mouvement syndical au plan interprofessionnel, ces 20 dernières années, qui a créé les conditions de l’irruption volcanique des Gilets jaunes, en 2018 et 2019. L’exaspération des couches les plus exploitées et opprimées de la population s’est exprimée en dehors des organisations du mouvement ouvrier. La réaction de la direction confédérale de la CGT – pour ne rien dire des autres – fut caractéristique de son conservatisme. Elle était littéralement paniquée. Au lieu de profiter de l’impulsion donnée par les Gilets jaunes pour mettre à l’ordre du jour un mouvement de grèves reconductibles contre le gouvernement et, ainsi, lui porter le coup de grâce, Philippe Martinez prenait ses distances et accusait les Gilets jaunes d’être manipulés par l’extrême droite. En décembre 2018, à la demande expresse de Macron, la direction de la CGT est allée jusqu’à signer avec d’autres confédérations un appel condamnant les « violences » des Gilets jaunes.
Est-ce que le mouvement des Gilets jaunes peut renaître à une échelle massive, dans la prochaine période ? On ne saurait l’exclure totalement, mais ce n’est pas le plus probable, car ce mouvement s’est épuisé dans des manifestations hebdomadaires qui ne pouvaient plus rien obtenir du gouvernement et se heurtaient à une répression extrêmement brutale. Ceci dit, la succession de défaites au niveau interprofessionnel signifie qu’un mouvement peut de nouveau se développer, sous une forme ou sous une autre, en dehors des organisations syndicales. Le phénomène des « Nuits debout », en 2016, en donnait un aperçu. On doit s’attendre à toutes sortes de développements inédits, ainsi qu’à la création de divers « collectifs » et « coordinations » de travailleurs, à l’instar du « Collectif Inter-hôpitaux ».
Dans le même temps, l’aggravation de la crise du capitalisme aura nécessairement un profond impact sur l’ensemble du mouvement syndical, tôt ou tard, et pas seulement sur la CGT. Lors de la lutte contre la réforme des retraites, la relative « intransigeance » de Laurent Berger (CFDT) en a donné une petite indication. Sous la pression de la base, il a été poussé à défendre – au moins verbalement, d’une voix qui tremble – des méthodes de lutte qu’il combattait vivement par le passé. En 2010, son prédécesseur, François Chérèque, soutenait publiquement la réquisition des grévistes et l’envoi de CRS pour débloquer les dépôts de pétrole.
La polarisation interne au mouvement syndical se développera sur toute une période. Cela passera par l’expérience de grandes luttes et un certain renouvellement des effectifs militants. Il faut tenir compte du fait que le conservatisme n’existe pas seulement au plus haut niveau des organisations syndicales, mais aussi à tous ses échelons inférieurs. Comme nous l’expliquions dans nos précédentes Perspectives : « Même à la CGT, bon nombre de militants syndicaux sont profondément marqués par les défaites de ces dernières décennies. Les militants les plus âgés ont connu les trahisons de plusieurs gouvernements “socialistes”, la chute de l’URSS et du Bloc de l’Est, le long déclin du PCF, la chute des effectifs de la CGT et toute une série de défaites syndicales sous Chirac, Sarkozy, Hollande et Macron. Ils en ont souvent tiré des conclusions pessimistes. Nombre d’entre eux sont sceptiques, voire cyniques. »
Les travailleurs les plus jeunes ne partagent pas cet état d’esprit. Tôt ou tard, ils entreront en plus grand nombre dans les organisations syndicales. Ce sera un facteur important dans la transformation des syndicats. La polarisation interne se traduira par une série de luttes pour remplacer des éléments conservateurs par des éléments plus combatifs à la tête de différentes structures : syndicats, Unions Locales (UL), Unions Départementales (UD) et Fédérations. Dans un certain nombre de cas, les directions sortantes devront virer à gauche – ou, à défaut, seront balayées par une opposition de gauche. Ce processus trouvera une expression jusqu’aux sommets des organisations syndicales.
La défaite du récent mouvement contre la réforme des retraites va laisser de l’amertume parmi les grévistes et les manifestants, mais elle aura aussi des effets positifs sur la conscience des jeunes, des travailleurs et des militants syndicaux, car elle les obligera à réfléchir à ce qui était requis pour l’emporter. Comme le disait Napoléon : « les armées vaincues apprennent bien ».
Le développement d’« Unité CGT » est une expression très claire de la polarisation interne à la confédération syndicale la plus puissante et la plus militante. Lancée en amont de la grande journée d’action du 5 décembre 2019 (contre la retraite « à points »), Unité CGT regroupe un certain nombre d’organisations de la CGT, à commencer par la Fédération nationale des industries chimiques (FNIC) et l’Union Départementale des Bouches-du-Rhône. Au-delà de ces deux bastions, Unité CGT trouve un écho dans de nombreuses UD et Fédérations, à des degrés divers. C’est le cas notamment dans les Fédérations des Cheminots, des Verres et Céramiques, des Ports et Docks et de l’Energie.
Il ne s’agit pas d’une fraction homogène et centralisée, mais plutôt d’un courant vers lequel convergent les opposants de gauche à la direction confédérale. Dans les années à venir, ce courant pourrait se développer, voire se structurer, et gagner le soutien de nouvelles UL, UD et Fédérations. Le fait est qu’il défend une ligne bien plus radicale et combative que celle de la direction confédérale actuelle. C’est apparu très clairement dès la phase préparatoire du Congrès de la CGT qui s’est tenu fin mars. La longue « contribution » écrite d’Unité CGT était bien meilleure, à tous points de vue, que le Document d’orientation de la direction sortante. En particulier, Unité CGT souligne la nécessité de lier la lutte pour des réformes à la lutte pour exproprier la grande bourgeoisie. C’est ce que ces camarades appellent la « double besogne ». Mais dans leur document, les deux « besognes » ne sont pas bien articulées : l’expropriation de la grande bourgeoisie cohabite de façon abstraite avec l’objectif d’une « autre répartition des richesses ». C’est caractéristique d’une position qui reste, au fond, réformiste de gauche. Mais au moins, cette approche rompt avec l’hypocrisie de « l’indépendance syndicale » à l’égard de la politique, et remet la question du socialisme dans les débats. En soi, c’est très positif.
La plupart des organisations d’extrême gauche refusent de soutenir Unité CGT au motif qu’il s’agirait d’une tendance « stalinienne », « viriliste » et indifférente à la crise environnementale (accusation que reprend, d’ailleurs, la direction confédérale de la CGT). Tant pis pour eux, tant mieux pour nous. Il est vrai qu’un certain nombre de dirigeants d’Unité CGT ont été plus ou moins proches des oppositions « orthodoxes » à la « mutation » sociale-démocrate du PCF, à partir des années 90. Ils en portent les marques idéologiques. Quelques-uns sont toujours hostiles au « trotskysme ». Cependant, caractériser Unité CGT comme une tendance « stalinienne », c’est rater l’essentiel. Face à la longue dérive droitière de la direction confédérale de la CGT, cette tendance exprime la pression d’une partie de la base pour orienter la CGT vers la gauche et radicaliser son programme. Quant aux accusations portant sur le « virilisme » ou la question environnementale, elles reflètent surtout l’influence fatale des idées petites-bourgeoises sur les accusateurs eux-mêmes.
Le Congrès de la CGT, fin mars 2023, fut un séisme majeur qui en annonce d’autres. L’aile gauche était en force et à l’offensive. Les candidatures d’Olivier Mateu et d’Emmanuel Lépine à la Commission Exécutive Confédérale ont obtenu 36,5 % des voix. Pour Philippe Martinez et la direction sortante, le rejet du Rapport d’activité fut un énorme désaveu. Mais ce fut surtout un avertissement très clair adressé à la nouvelle direction, qui ne diffère pas fondamentalement de la précédente (Sophie Binet vient de l’aile droite). La polarisation interne à la CGT ne cessera pas de sitôt. Au contraire : elle s’intensifiera dans les mois et les années à venir, car elle est une conséquence de la polarisation de classe croissante dans la société en général.
La candidature d’Olivier Mateu (UD 13) à la tête de la CGT marquait une étape importante dans la polarisation interne à la CGT. Elle a ulcéré les sommets de la confédération, qui n’a pas hésité à jouer à fond la carte « féministe » pour promouvoir la candidate de l’aile droite, Marie Buisson. Les camarades d’Unité CGT ont été accusés de « sexisme » au seul motif qu’ils soutenaient la candidature d’un homme. C’est un exemple flagrant du rôle complètement réactionnaire que peut jouer le féminisme au sein du mouvement ouvrier. Au passage, il faut souligner que les chroniqueurs d’extrême droite, si prompts à condamner le féminisme, se sont bien gardés de protester : dans ce cas, leur point de vue de classe leur dictait le silence.
Nous avons apporté un soutien critique à la candidature d’Olivier Mateu et à la démarche d’Unité CGT en général. Nous continuerons de soutenir tout ce qui va dans la bonne direction, sans pour autant renoncer à critiquer ce qui est erroné ou confus. Nous devons suivre de près les développements internes au mouvement syndical – et saisir chaque opportunité d’y faire connaître nos idées, notre programme et notre organisation.
La disparition des bases matérielles du réformisme ne s’accompagne pas mécaniquement de la disparition du réformisme en tant que tendance politique de masse. Le réformisme continuera de dominer la gauche dans les années à venir. Il y a deux raisons à cela : 1) les forces du marxisme sont trop faibles, à ce stade, pour représenter une alternative crédible aux yeux des masses ; 2) pour que les masses perdent leurs illusions réformistes, elles devront faire – et refaire – l’expérience de l’impasse du réformisme.
Dès le lancement de la France insoumise, en 2016, il était clair qu’elle avait un énorme potentiel. La crise du capitalisme d’une part, et le discrédit frappant le PS et le PCF, d’autre part, créaient les conditions générales d’une ascension rapide du mouvement fondé par Jean-Luc Mélenchon, dans la mesure où ce dernier proclamait sa rupture radicale avec la « vieille gauche ».
L’élection présidentielle d’avril 2017 a confirmé ce potentiel et a marqué un tournant majeur dans le rapport de forces interne à la gauche française. Avec 7 millions de voix (contre 2,3 millions pour Hamon), Mélenchon mettait un terme à plusieurs décennies de domination du Parti Socialiste, à gauche. Il faut dire que ce dernier avait reçu le coup de grâce, entre 2012 et 2017, des mains de François Hollande, Manuel Valls et consorts, dont la politique réactionnaire avait fini par susciter un nouveau mot d’ordre sur les manifestations de masse : « Tout le monde déteste le PS ! »
La FI représente l’aile gauche du réformisme. Elle est donc organiquement instable et opportuniste. Dans les années qui ont suivi le succès d’avril 2017, la direction de la FI a multiplié les erreurs droitières, sur fond de modération générale de sa politique. Aux élections locales, elle a multiplié les alliances sans principe avec les Verts et le PS. Aux élections européennes, Manon Aubry a dirigé une campagne à son image : confuse et modérée. A toutes ces élections intermédiaires, la FI a subi des revers. Dans le même temps, le refus de transformer le mouvement en un parti démocratique a eu pour effet, fatalement, de démobiliser l’écrasante majorité de ceux qui s’étaient investis dans la campagne électorale de 2017. Faute d’un parti démocratique, il n’était pas possible, non plus, d’organiser de nouvelles couches militantes dans des proportions significatives. Au seuil de la campagne électorale de 2022, la FI ne disposait pas d’une force militante à la hauteur de son potentiel.
Malgré tout cela, nous avons anticipé la possibilité que Mélenchon réalise un meilleur score en 2022 qu’en 2017. Dans nos Perspectives pour la France de 2021, nous écrivions : « objectivement, le potentiel de sa candidature est encore plus important qu’en 2017, car la crise du capitalisme s’est aggravée, depuis. La campagne présidentielle sera encore plus polarisée que ne l’était celle de 2017. Par ailleurs, beaucoup de jeunes et de travailleurs qui aspirent à une “rupture” avec l’ordre établi prendront acte du fait qu’il n’y a pas, à gauche, d’alternative à la candidature de Mélenchon. »
De fait, malgré les diverses erreurs de la direction de la FI entre 2017 et 2022, Mélenchon a recueilli 7,7 millions de voix en 2022, soit 650 000 de plus qu’en 2017, alors même qu’il était concurrencé, cette fois-ci, par une candidature du PCF (800 000 voix).
Au lendemain de ce résultat, Mélenchon et son entourage ont lancé la NUPES en vue des élections législatives. Ceci marquait le virage à droite le plus net depuis la création de la FI. Une alliance avec le PS, les Verts et le PCF ne pouvait pas susciter d’enthousiasme dans cette fraction massive de l’électorat populaire qui rejette au moins l’un de ces trois partis, quand elle ne rejette pas les trois en même temps.
Du fait du mode de scrutin de l’élection législative, l’alliance au premier tour de la FI, du PS, des Verts et du PCF garantissait à la FI un bien plus grand nombre de sièges qu’à l’issue des législatives de 2017. De ce point de vue, la NUPES fut un « succès ». Mais du point de vue de la mobilisation électorale, qui s’évalue en nombre de voix, ce fut un échec. Pour en prendre la mesure, il suffit de comparer les séquences présidentielles-législatives de 2017 et 2022. Entre le premier tour des présidentielles de 2017 et le premier tour des législatives de la même année, les partis constitutifs de la NUPES ont perdu 3,6 millions de voix. Cinq ans plus tard, ils en ont perdu 4,6 millions, soit un million de plus. Contrairement à ce qu’affirme Mélenchon, la NUPES n’a pas créé de dynamique électorale. Au contraire.
Soit dit en passant, une campagne radicale de la FI aux élections législatives, sans alliances avec le PS et les Verts, lui aurait peut-être permis de remporter davantage de sièges qu’elle n’en a obtenus avec la NUPES. Dans tous les cas, une telle stratégie aurait été beaucoup plus bénéfique à la FI, politiquement, car elle aurait renforcé son autorité dans les couches les plus radicalisées de la jeunesse et du salariat. Mais la direction de la FI n’en voulait rien savoir : elle a subordonné toute sa stratégie au seul et unique objectif de garantir l’élection d’un maximum de députés – à l’exclusion de toute autre considération.
Du point de vue du PS, des Verts et du PCF, la NUPES constituait la seule chance d’éviter une débâcle aux élections législatives. Ces trois naufragés de la présidentielle ont donc avidement saisi la proposition de la FI. Ceci dit, le PS et les Verts ont tenu à inscrire en toutes lettres, dans le programme officiel de la NUPES, leurs multiples divergences avec ce même programme. Par exemple : « Le Parti socialiste ne soutiendra pas la suppression de toutes les stock-options et la titularisation proposée à tous les contractuels de la fonction publique. » Ou encore : « Le Parti socialiste et Europe Ecologie-Les Verts (…) ne soutiendront pas la renationalisation d’Engie. » Autre exemple : « le Parti socialiste ne soutiendra pas (…) les nationalisations de la branche énergies marines d’Alstom, de la branche éolienne offshore d’Areva et d’Alcatel Submarine Network. » Mais aussi : « Europe Ecologie-Les Verts et le Parti socialiste (…) ne souhaitent pas de nationalisations de banques généralistes. » Et ainsi de suite, dont l’infamie suivante : « Le Parti socialiste refuse l’utilisation de la terminologie “violences policières” ; en conséquence, il ne soutiendra pas la création d’une commission d’enquête sur les violences policières ayant entraîné la mort ou la mutilation de citoyens pour en établir toutes les responsabilités. » C’est logique : après avoir défendu les stock-options et l’économie de marché, le PS défend l’appareil d’Etat bourgeois, c’est-à-dire les « hommes en armes » qui défendent les rapports de production capitalistes.
Depuis les élections législatives, les composantes de la NUPES offrent le spectacle d’une succession de divergences, y compris lors de votes à l’Assemblée nationale, et de critiques en tous genres – dont la FI est en général la cible. Si cette drôle d’« Union » n’a pas encore été formellement enterrée, c’est parce que la direction de la FI y voit la condition de victoires à venir, d’une part, et d’autre part parce que les dirigeants du PS, des Verts et même du PCF (quoi qu’en dise Fabien Roussel) auraient besoin de la NUPES – ou d’autres formes de coalition électorale – dans l’hypothèse d’élections législatives anticipées, notamment. Compte tenu du rapport de forces interne à la gauche, les dirigeants de ces trois partis ont tout intérêt à maintenir la NUPES comme cadre de futures alliances électorales, tout en s’efforçant d’affaiblir la FI à leurs profits.
On peut douter qu’ils y parviennent, compte tenu de leurs lignes politiques respectives. L’extrême modération programmatique des dirigeants du PS et des Verts ne peut pas susciter beaucoup d’enthousiasme dans un électorat qui ne cesse de se polariser, politiquement, sous l’impact de la crise du capitalisme. Pour sortir de leur marasme, il faudrait que ces deux partis virent nettement à gauche, ce qui n’est pas très probable, du moins à court terme. Quant à la direction du PCF, elle est désormais fermement tenue par Fabien Roussel, qui jusqu’alors n’a pas orienté son parti vers la gauche mais, au contraire, lui a infligé de scandaleuses embardées vers la droite, sous prétexte de défendre, entre autres, « la France qui travaille » (police comprise) face à « la France des allocs ». Soit dit en passant, la victoire écrasante de Fabien Roussel lors du vote interne sur les documents de Congrès du PCF (82 %), en février dernier, souligne que la base militante est largement déconnectée de l’humeur des couches les plus radicalisées de la classe ouvrière et de la jeunesse, mais aussi l’absence d’une véritable opposition de gauche à la ligne de Roussel. L’opposition officielle à cette ligne (Pierre Laurent, Marie-George Buffet) représente l’ancienne direction du parti, qui elle aussi s’orientait vers la droite.
La NUPES connaîtra toutes sortes de tensions et divisions internes dans la période à venir. Cela pourrait aller jusqu’à la rupture formelle. Mais si des élections législatives anticipées sont organisées, il est probable que cette alliance sera reconduite dès le premier tour, sous une forme ou sous une autre. Nous avons déjà expliqué le danger qu’une telle alliance constituerait : « supposons que la NUPES remporte les élections législatives. La classe dirigeante s’opposera immédiatement, et très fermement, à la mise en œuvre de son programme. Elle exercera différents types de pressions, notamment économiques : chantage à l’emploi, fuite des capitaux, etc. De l’Elysée, Macron fera tout ce qui est en son pouvoir pour s’opposer aux réformes sociales du gouvernement. Enfin, la pression de la classe dirigeante trouvera de solides relais parmi les députés Verts et PS. Forts de leur poids dans la majorité parlementaire, ces derniers seront en position d’exiger de la FI qu’elle renonce à la mise en œuvre de son programme. Autrement dit, la pression de la bourgeoisie trouvera une expression directe dans cette composante de la majorité parlementaire. »
Autrement dit, non seulement la FI se heurterait aux limites de son propre programme réformiste, mais elle subirait aussi la pression directe – et droitière – de ses « alliés ». Cette pression lui fournirait d’ailleurs une excuse supplémentaire pour renoncer à son programme.
Dans l’immédiat, la NUPES exerce déjà une pression droitière sur les sommets de la FI. Mais comme, dans le même temps, ils subissent la pression inverse des couches les plus radicalisées de notre classe, ces pressions contradictoires peuvent contribuer à créer une différenciation interne au groupe parlementaire de la FI. Les conditions d’une telle différenciation sont d’ailleurs renforcées par la nette augmentation du nombre de députés de la FI : il y en avait 17 dans la précédente mandature ; il y en a désormais 74. En outre, Mélenchon n’en faisant plus partie, il n’y exerce plus la même autorité.
Entre 2017 et 2022, la FI a connu une série de petites crises marquées par le départ de telle ou telle figure dirigeante (Charlotte Girard, etc.). Dans l’ensemble, cependant, le navire était fermement dirigé par Mélenchon et son entourage. La crise qui a éclaté à l’occasion de la recomposition de la direction de la FI, en décembre 2022, est plus profonde, et elle est loin d’être terminée. Contrairement à ce qu’a écrit Mélenchon dans sa note de blog du 11 décembre, elle ne se réduit pas au mécontentement de quelques « anciens » écartés de la direction et redoutant de « perdre de la lumière médiatique ».
Cette crise s’alimente à plusieurs sources : 1) le troisième « échec » de Mélenchon à l’élection présidentielle, qui a ouvert une guerre de succession, notamment en vue de la prochaine élection présidentielle ; 2) l’insatisfaction d’une fraction des militants de la FI concernant son fonctionnement interne, qui n’est pas du tout démocratique ; 3) le scepticisme d’une fraction des militants (et souvent les mêmes) concernant la fondation de la NUPES, qui n’a fait l’objet d’aucune consultation interne et, surtout, a marqué un virage à droite de la FI ; 4) la gestion erronée de « l’affaire Quatennens » par la direction de la FI, et en particulier la communication de Mélenchon sur cette question.
La combinaison de ces différents facteurs, dans un contexte d’instabilité politique et sociale croissante, va exercer toutes sortes de pressions contradictoires sur les couches dirigeantes de la FI, qui sera agitée par une vie interne plus conflictuelle et polarisée qu’entre 2017 et 2022. Cependant, la question de la transformation de la FI en un parti ne sera probablement pas mise à l’ordre du jour, dans l’immédiat, car même les dirigeants qui ont critiqué le nouvel organigramme du mouvement ne défendent pas la perspective d’une telle transformation. Cela donnera un caractère d’autant plus chaotique – et frustrant, pour la base de la FI – aux débats internes sur la ligne politique, la candidature susceptible de l’incarner et le mode de désignation de celle-ci.
Malgré tous les défauts de la FI, son potentiel n’est pas épuisé, à ce stade, pour les raisons mêmes qui ont favorisé son ascension initiale : la crise du capitalisme et le discrédit qui frappe le reste de la gauche. En ce qui nous concerne, nous continuerons à intervenir dans les débats internes à la FI, d’un point de vue marxiste. Nous interviendrons dans ses grandes initiatives publiques : meetings, manifestations de masse, etc. Mais en aucun cas nous ne devons apparaître comme organiquement liés à la FI, car cela nous couperait d’une couche de la jeunesse radicalisée qui est très critique à son égard, à juste titre.
La victoire de Macron à l’élection présidentielle de 2017 a plongé les Républicains dans une crise qui avait été préparée de longue date par les politiques réactionnaires et la corruption notoire des clans Chirac, Juppé, Balladur et Sarkozy. Les « affaires Fillon » ont parachevé le tableau.
Depuis, le déclin des Républicains se poursuit sans répit. Avec 4,8 % des voix à l’élection présidentielle, est-ce qu’ils ont touché le fond de l’abîme ? Ce n’est pas sûr. Pris en étau entre LREM et l’extrême droite, l’ancien grand parti de la bourgeoisie française est confronté à la question suivante : à quoi sert-il ? Pour son électorat traditionnel, la réponse n’est pas évidente. La division du groupe parlementaire de ce parti sur la réforme des retraites était une expression très claire de l’impasse dans laquelle il se trouve. D’un côté, le soutien des Républicains au gouvernement Macron ne peut pas leur profiter, car ils seront associés à une politique de plus en plus impopulaire ; mais d’un autre côté, s’ils provoquent la chute du gouvernement et des élections anticipées, ils s’exposent à une défaite électorale encore plus lourde qu’en juin 2022.
En avril 2017, 31 % des électeurs de Macron avaient voté, en 2012, pour Sarkozy ou Bayrou. Depuis, Macron a gagné le soutien d’une autre fraction significative de l’électorat traditionnel des Républicains, pour cette simple raison que LREM a mis en œuvre le programme de Fillon. Dans le même temps, le processus de polarisation politique se traduit par le déplacement d’une autre fraction de l’électorat traditionnel des Républicains – mais cette fois-ci vers l’extrême droite (Le Pen et Zemmour). Les Républicains ont donc été dépouillés, électoralement, par un processus combinant une recomposition de la droite « modérée » autour de LREM et, en même temps, un développement de la polarisation vers l’extrême droite. Un grand nombre des électeurs de Zemmour, par exemple, avaient voté Fillon en 2017.
Du point de vue de la grande bourgeoisie, l’idéal est un gouvernement du soi-disant « centre ». Mais il est clair que la polarisation politique – c’est-à-dire, précisément, le rejet du « centre » – devient un obstacle à la répétition de ce scénario. LREM va perdre beaucoup de plumes dans le deuxième mandat de Macron. Par exemple, nombre d’anciens électeurs du PS qui ont voté Macron ne pourront pas avaler la pilule de la réforme des retraites (entre autres).
Par le passé, la stabilité de la démocratie bourgeoise était garantie par « l’alternance » : lorsque la droite était discréditée par son passage au pouvoir, le Parti Socialiste prenait le relais et menait la politique de la bourgeoisie, ce qui décevait l’électorat de gauche et, ainsi, préparait le retour de la droite au pouvoir. Sous l’impact de la crise du capitalisme, cette mécanique bien huilée s’est grippée en 2017. A gauche, les candidats au pouvoir ne sont plus les dirigeants de l’aile droite du PS, mais ceux de la France insoumise, qui dominent la NUPES. Dans le même temps, l’extrême droite ne cesse de progresser et de se rapprocher du pouvoir. En conséquence, la bourgeoisie française envisage désormais la possibilité d’un gouvernement incluant l’extrême droite, comme c’est le cas en Italie.
De son côté, le RN s’efforce d’apparaître comme un parti « responsable », c’est-à-dire capable de défendre les intérêts fondamentaux de la bourgeoisie française sans créer une crise sociale majeure. Cette « normalisation » du RN est passée par l’abandon des éléments de son programme qui étaient incompatibles avec les intérêts du grand Capital français, en particulier la sortie de la zone euro (et même de l’UE). Le RN s’efforce également de présenter un visage moins ouvertement réactionnaire sur les droits des femmes et des personnes LGBT. Il a officiellement renoncé à la propagande antisémite et pétainiste de Jean-Marie Le Pen. Il exclut régulièrement de ses rangs les éléments qui affichent leurs idées fascistes. En retour, les grands médias bourgeois ne cessent d’encenser la « normalisation » du RN.
Autour du RN, deux forces politiques sont disponibles pour gouverner avec lui : les Républicains (Ciotti ne le cache plus) et Reconquête (le parti de Zemmour). A eux trois, ils ont réuni 35 % des voix au premier tour de l’élection présidentielle. Il est vrai que Reconquête a subi un cuisant échec au regard de ses ambitions. Mais sa base électorale n’a pas disparu – pas plus que les ambitions de Marion Maréchal, la vice-présidente de Reconquête. Par ailleurs, la stratégie de « normalisation » de Marine Le Pen laisse orphelins certains des éléments les plus radicaux qui gravitaient jusque-là autour du RN. Certains d’entre eux se sont déjà ralliés à Zemmour et d’autres pourraient encore suivre.
Le problème du RN, c’est l’hétérogénéité sociale de son électorat. Le RN agrège à la fois un électorat de petits bourgeois archi-réactionnaires et un électorat ouvrier écœuré par les trahisons successives de la gauche au pouvoir. Si Marine Le Pen renonce à sa démagogie « sociale » et adopte un programme ouvertement libéral, elle risque de perdre son électorat ouvrier. D’un autre côté, elle doit renoncer à une partie de sa démagogie « sociale » pour garder son électorat de petits bourgeois réactionnaires – et, dans le même temps, ouvrir la perspective d’une « union des droites ». L’attitude du RN durant la mobilisation contre la réforme des retraites a clairement illustré ces contradictions. Le RN s’est tenu au maximum éloigné des débats, tiraillé entre son électorat ouvrier (qui soutenait la mobilisation) et son électorat petit-bourgeois réactionnaire (qui s’y opposait). Dans le même temps, le RN voulait montrer à la bourgeoisie son sens de la mesure et des « responsabilités ».
Au final, l’élément décisif de cette équation ne sera pas à droite, mais à gauche. La France insoumise peut gagner une fraction significative de l’électorat populaire que vise Marine Le Pen, mais à une condition : que l’orientation politique de la FI soit suffisamment radicale et « anti-système ». Seul un programme de gauche radical serait en mesure de cristalliser cette fraction de l’électorat populaire qui, sans cela, s’orientera vers le RN (ou s’abstiendra). A cet égard, la NUPES est le contraire de ce qui est requis. Les contradictions internes à la NUPES et sa modération générale favorisent le RN, comme on l’a vu aux élections législatives de juin 2022. Même Marine Le Pen était étonnée du succès de son parti au deuxième tour. Nous ne l’étions pas.
Ceci étant dit, il est impossible d’anticiper, à ce stade, quelle sera la composition du prochain gouvernement. Trop de facteurs entrent en ligne de compte. La situation économique, les développements de la lutte des classes, la viabilité du gouvernement Macron, l’évolution de la FI et des tensions internes à la NUPES – ce sont là autant d’éléments qui, dans le contexte d’une très grande volatilité politique, peuvent faire pencher la balance dans un sens ou dans l’autre.
Un gouvernement de droite incluant le RN, voire Reconquête, ne marquerait pas l’avènement d’un régime bonapartiste en France, sans parler d’un régime fasciste. Pour le comprendre, il suffit d’analyser sobrement les bilans des gouvernements Trump, aux Etats-Unis, et Bolsonaro au Brésil. Aucun des deux n’a instauré de régime dictatorial, car le rapport de forces entre les classes excluait la possibilité d’un tel régime. La petite bourgeoisie, qui constituait dans les années 1930 la principale base sociale du fascisme, a largement disparu, tandis que la classe ouvrière s’est énormément développée et représente aujourd’hui l’écrasante majorité de la population. Les bourgeoisies brésilienne et américaine savaient qu’un pas décisif en direction d’un régime bonapartiste aurait provoqué une explosion de la lutte des classes.
Il en irait de même en France. Un gouvernement dirigé par le RN aurait évidemment un caractère très réactionnaire, mais il ne pourrait pas aller beaucoup plus loin que Macron – et, au fond, poursuivrait l’essentiel de sa politique. L’actuel gouvernement de Giorgia Meloni, en Italie, en donne un bon aperçu. Pour les 100 jours de ce gouvernement, le 30 janvier dernier, Le Figaro a publié un article apologétique dans lequel il se réjouit que Meloni se soit « très sagement inscrite dans les pas de Mario Draghi, reprenant à la lettre la quasi-totalité de ses politiques ». Elle a notamment « présenté à Bruxelles un budget 2023 reprenant les grands équilibres de son prédécesseur, et su renoncer rapidement aux symboles qui ont agacé Bruxelles ». Et ainsi de suite.
Comme ce sera le cas en Italie à un certain stade, un gouvernement dirigé par l’extrême droite, en France, préparerait un puissant retour de balancier vers la gauche. Ceci dit, encore une fois, un tel gouvernement n’est qu’une possibilité. A la différence de l’Italie, il y a en France une organisation de la « gauche radicale » – la FI – dont le potentiel n’est pas épuisé. C’est un élément important de l’équation.
Le vote des DOM-TOM à l’élection présidentielle en a donné une illustration très nette. Dans ces départements et territoires ravagés par le chômage et la pauvreté, Mélenchon est arrivé en tête au premier tour avec 40 % des voix, loin devant le RN (21 %). Mais au deuxième tour, en l’absence de Mélenchon, Marine Le Pen a recueilli 60 % des voix. Autrement dit, un nombre important d’électeurs de Mélenchon a voté pour Le Pen au deuxième tour. Sont-ils devenus racistes et archi-réactionnaires en l’espace de 15 jours ? Evidemment pas. Ces résultats soulignent surtout ce que nous avons expliqué plus haut : dans le contexte d’un rejet massif du « centre », seule une gauche suffisamment radicale peut faire obstacle à l’arrivée au pouvoir du Rassemblement National.
La profonde crise du capitalisme, la radicalisation politique d’une fraction croissante de la jeunesse, les erreurs et trahisons des dirigeants réformistes, y compris ceux de la FI et de la CGT : ce sont là autant de facteurs qui créent des conditions favorables, sur le papier, au développement des organisations ultra-gauchistes dans la période à venir. Dans La maladie infantile du communisme, Lénine soulignait que le développement du gauchisme était une punition pour les trahisons des dirigeants réformistes. En l’occurrence, les tendances ultra-gauchistes contre lesquelles Lénine polémiquait et qu’il cherchait à gagner au bolchevisme authentique, en 1920, étaient une punition pour les monstrueuses trahisons des dirigeants de la IIe Internationale en 1914 et au cours des années suivantes.
Ceci étant dit, il y a une différence de taille entre les organisations gauchistes qui se tournaient vers la IIIe Internationale, en 1920, et des organisations telles que Lutte Ouvrière, les deux NPA, le POI et le POID, de nos jours.
Dans le premier cas, il s’agissait d’une « maladie infantile », comme l’écrivait Lénine : sous l’impact de la révolution d’Octobre et en réaction aux trahisons des dirigeants réformistes, une fraction de l’avant-garde prolétarienne se détachait des masses et adoptait des positions « de principe » très abstraites et formalistes, qui constituaient autant d’obstacles au développement de ces jeunes et petits partis communistes dans les gros bataillons de la classe ouvrière.
Dans le deuxième cas (LO, NPA, etc.), la maladie « infantile » dure depuis de longues décennies ; elle s’est transformée en une maladie chronique incurable et qui se manifeste par une profusion de symptômes ultra-gauchistes et opportunistes profondément enracinés, le tout combiné à des régimes internes plus ou moins sclérosés. Ceci constitue un sérieux obstacle à leur croissance, malgré des conditions objectives qui leur sont favorables.
La récente scission du NPA en offre une bonne illustration. A l’époque de la LCR, cette organisation avait déjà sombré, de longue date, dans un éclectisme théorique forcené. Elle s’ouvrait à toutes les modes successives sécrétées par l’intelligentsia « de gauche » : le tiers-mondisme, le néo-keynésianisme, l’altermondialisme, l’écosocialisme – sans oublier, bien sûr, les mille et une fleurs pourries du postmodernisme. Tout ce qu’on voudra, sauf les idées authentiques, cohérentes, du trotskysme.
La transformation de la LCR en NPA, en 2009, a marqué une intensification de ces tendances éclectiques, c’est-à-dire opportunistes, qui cependant cohabitaient toujours avec un vieux sectarisme à l’égard des grandes organisations de la gauche réformiste. Ironie de l’histoire : au moment même où le NPA était lancé et proclamait sa volonté de doubler le PS et le PCF sur leur gauche, Mélenchon rompait avec le PS, fondait le Parti de Gauche, s’alliait avec le PCF dans le « Front de Gauche » et commençait à capter la radicalisation politique d’une fraction croissante de la jeunesse et du salariat, ruinant du même coup les ambitions du NPA. De toutes ces erreurs – théoriques, tactiques et de perspective – il ne pouvait rien résulter de bon. Un an après sa fondation, le NPA sombrait dans une crise permanente.
Débarrassée de l’aile la plus ultra-gauchiste du NPA, la fraction dirigée par Poutou et Besancenot s’oriente vers la droite : elle voit dans la NUPES une planche de salut – et l’occasion de glaner, peut-être, quelques positions éligibles lors des scrutins électoraux à venir. En déclarant que « le NPA n’est pas un parti trotskyste », Poutou ne s’est pas contenté de formuler une évidence : il a signalé l’orientation réformiste de son organisation. Sur cette voie déjà bien encombrée, elle aura sans doute du mal à se développer. Quant au « deuxième » NPA, il sera limité par sa ligne à la fois ultra-gauchiste et opportuniste, sans parler de ses propres divisions internes.
Lutte Ouvrière, le POI et le POID sont des sectes particulièrement dégénérées, chacune à leur manière, mais de façons telles qu’il est difficile d’imaginer qu’elles puissent se développer dans la période à venir. Le courant de l’histoire les engloutira probablement sans que personne y prenne garde, tôt ou tard. En attendant, l’opportunisme extrême du POI à l’égard de la direction de la FI est une nouvelle et frappante illustration du lien organique, qu’on souligne souvent, entre opportunisme et gauchisme. Ce sont deux faces de la même pièce, du même manque de confiance dans la classe ouvrière et dans sa capacité à prendre le pouvoir.
Ces dernières années, Révolution permanente (RP) a attiré l’attention d’une petite fraction de la jeunesse et des travailleurs radicalisés. C’est le résultat d’un investissement systématique dans sa visibilité en ligne, d’une nette tendance à exagérer ses forces et son rôle à des fins de publicité (notamment sur le plan syndical), d’une attitude opportuniste à l’égard de personnalités plus ou moins célèbres (Lordon, Haenel, Traoré) toujours à des fins de publicité, mais aussi et surtout d’un éclectisme théorique savamment dosé pour être en phase avec les idées qui circulent dans la jeunesse radicalisée (féminisme, théories intersectionnelles, « gramscisme », etc.). La tentative de lancer Anasse Kazib comme candidat à l’élection présidentielle relevait, là aussi, d’une tactique de la « visibilité à tout prix » – au détriment, forcément, d’idées et de perspectives sérieuses.
Sur les plans théorique et organisationnel (pas de journal papier, notamment), RP n’est pas une organisation trotskyste digne de ce nom. Mais compte tenu du marasme qui règne dans le reste de « l’extrême gauche », le mélange particulier de radicalité, d’activisme et d’éclectisme que propose RP pourrait favoriser sa croissance numérique à court terme. Cependant, la trajectoire de la LCR et du NPA – dont RP reproduit les erreurs fondamentales avec une époque de retard – a montré les limites d’une « savante » combinaison d’ultra-gauchisme et d’opportunisme. Tôt ou tard (et peut-être assez rapidement), RP connaîtra le même genre de déboires.
Du point de vue du développement de la lutte des classes dans les années à venir, les recompositions de « l’extrême gauche » n’ont pas grande importance. Elles n’en ont pas davantage du point de vue de la construction de notre propre organisation, car elles n’appelleront pas de décisions tactiques significatives de notre part. Sur le plan « tactique », nos camarades doivent surtout savoir distinguer un irréductible sectaire d’un jeune révolté, sincère, ouvert, mais rebuté à juste titre par la modération des dirigeants de la gauche réformiste. Or des jeunes de ce type sont nombreux en dehors des organisations gauchistes. On doit savoir discuter avec eux en commençant, non par brandir La maladie infantile de Lénine, mais par expliquer notre critique marxiste des dirigeants réformistes. Il faut commencer par ce sur quoi nous sommes d’accord. Ensuite, seulement, on peut expliquer patiemment et concrètement la question de la tactique à l’égard des grandes organisations réformistes du mouvement ouvrier.
Depuis qu’elle est en âge de développer une conscience politique, la jeunesse qui a moins de 30 ans, aujourd’hui, n’a rien connu d’autre que la crise organique du capitalisme, le chômage de masse, la précarité croissante, le développement vertigineux des inégalités sociales, une succession de guerres impérialistes et l’accélération de la crise environnementale. En conséquence, elle a beaucoup moins d’illusions dans la viabilité du capitalisme que ne pouvait en avoir, par exemple, la jeunesse des années 90. Cette décennie fut marquée par la chute de l’URSS et du Bloc de l’Est, mais aussi par une phase de relative croissance économique et par le ralliement enthousiaste des dirigeants « socialistes » et « communistes » aux merveilles de l’économie de marché.
Aujourd’hui, beaucoup de jeunes comprennent que le système actuel leur prépare un avenir cauchemardesque. Une partie d’entre eux en tire des conclusions très pessimistes ; d’où un certain succès des idées « décroissantes », voire « effondristes » (« collapsologie »). Mais une autre fraction de la jeunesse – et une fraction croissante – commence à tirer des conclusions révolutionnaires. C’est vrai à l’échelle mondiale, comme les enquêtes d’opinion le soulignent depuis plusieurs années. L’une des plus récentes, publiée au Canada, rapporte que 43 à 53 % des Canadiens, des Américains, des Britanniques et des Australiens âgés de 18 à 34 ans considèrent « le socialisme » comme « le meilleur système économique ». Dans la même tranche d’âge, 13 % des Canadiens, 20 % des Américains, 20 % des Australiens et 29 % des Britanniques considèrent « le communisme » comme « le meilleur système économique ».
En France, le discrédit du Parti Socialiste et du Parti Communiste est tel qu’un certain nombre de jeunes auront peut-être plus de mal, dans l’immédiat, à identifier leurs idées au « socialisme » ou au « communisme ». Mais ce n’est pas une question de mots, qui ne changent rien au fond de l’affaire. Le rejet du capitalisme et l’aspiration à un autre système – sans exploitation ni oppressions – sont au moins aussi forts dans la jeunesse de France que dans celle des quatre pays cités ci-dessus. Par ailleurs, ce que la jeunesse de ces pays entend par « communisme » et « socialisme » est souvent assez vague. Le rôle de notre Internationale est précisément de gagner les meilleurs éléments de cette jeunesse aux idées authentiques du socialisme et du communisme, c’est-à-dire aux idées du marxisme révolutionnaire.
En France, le regain des idées « communistes » se manifeste, entre autres, dans le succès d’intellectuels tels que Bernard Friot et Frédéric Lordon, qui se déclarent « communistes », mais sont en réalité à la fois des réformistes et des utopistes (au sens du « socialisme utopique »). Nous devons intervenir dans les débats qu’ils suscitent, car ce sont d’excellentes occasions de démontrer la supériorité des idées du marxisme et, surtout, de répondre aux questions que se posent les éléments les plus radicalisés de la jeunesse. De même, nous devons défendre les idées authentiques du marxisme face à la horde des « marxiens » (les « marxistes académiques », cette contradiction dans les termes) et face aux diverses théories « radicales » qui sont imprégnées d’idées postmodernes.
On doit prendre la mesure de l’instrumentalisation massive des idées postmodernes par la bourgeoisie et ses intellectuels. Ils jouent un double jeu, conformément à la formule : « pile, je gagne ; face, tu perds ! ». D’un côté, ils favorisent la diffusion massive des idées postmodernes, parce qu’elles sèment une confusion maximale et divisent notre classe. D’un autre côté, la droite et l’extrême droite attaquent les minorités opprimées sous prétexte d’attaquer les idées postmodernes et de défendre « l’universalisme ».
Si nous faisions la moindre concession aux idées postmodernes, nous exposerions notre organisation à la ruine – comme l’expérimentent ou l’expérimenteront bientôt les organisations ultra-gauchistes qui s’abandonnent à de telles concessions.
La crise environnementale est une préoccupation majeure de la jeunesse, qui est de plus en plus révoltée par la passivité, l’hypocrisie et le cynisme des classes dirigeantes face à un problème qui menace rien moins que la survie de l’espèce humaine. C’est un puissant facteur de radicalisation politique. Les manifestations et « grèves pour le climat » l’ont montré. Dans les années qui viennent, il y aura probablement d’autres mobilisations massives de la jeunesse sur ce thème. Cependant, de plus en plus de jeunes comprennent qu’il ne suffira pas de défiler dans les rues pour changer les choses. Ils sont à la recherche d’un programme et d’une stratégie révolutionnaires. A nous de les convaincre que seule une planification démocratique de la production à l’échelle mondiale permettra d’en finir avec la crise climatique – et que la construction d’une Internationale révolutionnaire en est une condition préalable.
Dans l’immédiat, la jeunesse continue de subir la dégradation de ses conditions de vie, d’étude et de travail. Les sujets de mécontentement s’accumulent : sélection à l’université, « réformes » du lycée, chômage, emplois précaires, salaires de misère, hausse des loyers, violences policières, racisme, sexisme, etc. C’est une bombe à retardement. Des mobilisations explosives de la jeunesse sont à l’ordre du jour dans les années qui viennent. Elles ne se contenteront pas de rejeter telle ou telle contre-réforme, mais viseront aussi l’ensemble du système.
La radicalisation politique de la jeunesse s’est exprimée d’une façon remarquable dans l’entre-deux tours de l’élection présidentielle. Il y avait une rupture générationnelle flagrante dans la façon d’aborder le vote du deuxième tour. Les travailleurs les plus âgés avaient tendance à considérer qu’il fallait appeler à voter pour Macron, de façon à battre Le Pen. A l’inverse, beaucoup de jeunes accueillaient favorablement notre mot d’ordre : « Ni l’un, ni l’autre ! »
Le paradoxe, dans ce contexte, c’est l’extrême faiblesse des organisations de gauche de la jeunesse (UNEF, MJCF et UEC, etc.). Elles ne sont plus que l’ombre de ce qu’elles étaient il y a vingt ans. Il y a une bonne raison à cela : ces organisations ont été discréditées par les décennies de renoncements et de trahisons des dirigeants du PS et du PCF, auxquels elles étaient liées. De son côté, le mouvement « gazeux » de la FI ne pouvait pas occuper l’espace laissé vacant. Cette situation a donné lieu à la création de syndicats étudiants locaux dans certaines des universités les plus mobilisées (Montpellier, Rennes, etc.) ainsi qu’à l’amorce de Syndicats d’Etudiants, de Lycéens et d’Apprentis (SELA), en lien avec des structures locales de la CGT. Il est possible que leur nombre et leurs forces augmentent dans la période à venir. Cependant, tôt ou tard, le syndicalisme étudiant retrouvera des forces au plan national, et il sera sans doute très politisé, sur fond de crise du capitalisme.
En attendant, la faiblesse des organisations étudiantes et la croissance du poids relatif des gauchistes pèsent sur la façon dont les mobilisations étudiantes sont menées. En particulier, la tactique des « blocages » systématiques, décidés par des AG de quelques centaines d’étudiants, ne peut que tenir l’écrasante majorité des étudiants à distance du combat. Cependant, un autre facteur plus déterminant entre ici en ligne de compte. Depuis l’énorme mouvement de 2006 contre le CPE, les mobilisations étudiantes se sont toutes soldées par des défaites. En conséquence, la masse des étudiants est réticente à s’engager dans un long mouvement, qui menace leur année d’étude, s’il n’y a aucune perspective concrète de victoire. En un sens, ceci marque un progrès de la conscience politique des étudiants, car ils comprennent plus ou moins confusément que leur sort est lié à celui de la classe ouvrière dans son ensemble – et au développement d’une lutte unitaire, massive, des jeunes et des travailleurs.
La crise organique du capitalisme aggrave toutes les manifestations de l’oppression des femmes : salaires relativement plus faibles, plus grande précarité de l’emploi (CDD, temps partiels imposés, etc.), précarité sanitaire, double journée de travail, dépendance à l’égard du conjoint, violences conjugales, harcèlements et agressions sexuelles, etc.
Par exemple, le 8 mars 2023, Macron a annoncé – sous les vivats d’un certain nombre de féministes – qu’il voulait inscrire le droit à l’IVG dans la Constitution française. Mais un droit formel peut être inscrit dans tous les textes officiels qu’on voudra ; il ne vaut rien si les conditions concrètes de son exercice ne sont pas réunies. Or précisément, le droit effectif à l’IVG recule en France. Ces quinze dernières années, le Planning familial a dénombré la fermeture de près de 130 centres d’IVG. Le Planning familial a lui-même subi des baisses régulières de ses subventions publiques. Par ailleurs, la « clause de conscience » – que Macron ne veut pas remettre en cause – autorise les médecins à refuser de pratiquer un acte médical « contraire à [leurs] propres convictions », même si cet acte est légal. Le Code de la santé publique affirme même qu’un praticien n’est « jamais tenu de pratiquer une IVG ». Résultat : pour les femmes souhaitant avorter, la première épreuve consiste trop souvent à trouver un médecin prêt à les y aider.
Les réformes successives de l’assurance chômage et des retraites ont frappé – et frapperont – les femmes d’une façon disproportionnée. Elles sont aussi les premières affectées par la destruction des services publics. Pendant ce temps, des féministes expliquent qu’il suffirait de « changer les représentations » et d’imposer des quotas pour régler le problème. C’est dérisoire, et un nombre croissant de femmes le comprennent, y compris dans la jeunesse. Elles font le lien entre l’oppression des femmes et la crise du capitalisme. Nous devons nous efforcer de gagner les meilleures d’entre elles aux idées et au programme du marxisme.
Il ne s’agit pas de critiquer bêtement les jeunes qui se disent « féministes », car ce qu’ils ou elles entendent par « féminisme », bien souvent (mais pas toujours !), c’est la lutte contre l’oppression des femmes. Nous devons expliquer patiemment, mais très clairement, que la lutte contre l’oppression des femmes est indissociable de la lutte des classes pour la transformation révolutionnaire de la société. Or cela suppose l’unité, dans l’action, des travailleuses et des travailleurs.
Les marxistes soutiennent toute lutte pour améliorer concrètement et réellement le sort des femmes sous le capitalisme. Mais dans le même temps, nous expliquons que l’oppression des femmes ne pourra pas être éliminée sur la base du capitalisme. Seule une planification socialiste et démocratique de l’économie permettra de baisser le temps de travail et de socialiser les tâches domestiques d’une façon telle que les bases matérielles de l’oppression des femmes disparaîtront. Telle sera la condition préalable aux changements des « représentations » et des mentalités, qui d’ailleurs n’adviendront pas du jour au lendemain.
Précisément parce qu’elles sont opprimées, les femmes des classes exploitées ont toujours été en première ligne de tous les grands mouvements révolutionnaires. Il n’en ira pas autrement à l’avenir. Dans l’immédiat, on doit s’attendre à de puissantes mobilisations contre l’oppression des femmes, et en particulier contre les diverses formes de violences qu’elles subissent. Nous devrons y intervenir énergiquement pour y défendre nos idées et notre programme révolutionnaires.
Pendant des décennies, la bourgeoisie française n’a pas osé attaquer les travailleurs aussi brutalement que ne l’a fait, par exemple, la bourgeoisie allemande. Cette relative prudence s’explique par les grandes traditions révolutionnaires des travailleurs de notre pays. Mai 68 reste un traumatisme pour la bourgeoisie (et pour les bureaucraties réformistes du mouvement ouvrier). En décembre 1995, si le gouvernement s’était obstiné, la grève générale illimitée de la Fonction publique aurait pu s’étendre au secteur privé, créant de facto une nouvelle situation révolutionnaire. En 2006, la lutte contre le CPE et la mobilisation explosive de la jeunesse ont complètement échappé au contrôle des directions syndicales. C’est ce qui a convaincu Jacques Chirac de jeter l’éponge. Plus récemment, les Gilets jaunes ont donné des sueurs froides au grand Capital.
Il est vrai que de sévères contre-réformes ont été mises en œuvre, notamment dans le domaine des retraites. Le vaste secteur public hérité des nationalisations d’après-guerre, puis du premier gouvernement Mitterrand, a été soumis à une politique de privatisations massives, avec la complicité active des dirigeants « socialistes » et « communistes ». Ce qu’il reste des services publics est dans un état de délabrement avancé. Il n’empêche : redoutant une explosion de la lutte des classes, la bourgeoisie française a procédé moins rapidement et moins drastiquement que dans d’autres pays d’Europe.
Cette époque est terminée. Le déclin relatif du capitalisme français, son déficit de compétitivité, obligent la classe dirigeante à passer à l’offensive sur plusieurs fronts à la fois. Emmanuel Macron incarne cette fougue réactionnaire. Il a mené des contre-réformes que ses prédécesseurs n’avaient pas osé engager, par exemple Parcoursup, la privatisation de la SNCF et la suppression de l’ISF. Mais ce faisant, il a créé les conditions d’une énorme intensification de la lutte des classes. Il gouverne au sommet d’un volcan social.
Cela ne signifie pas que la révolution socialiste est à l’ordre du jour à court terme, en France, car il manque le facteur subjectif : le parti révolutionnaire. En l’absence d’un tel parti, la lutte des classes va se développer pendant des années avec des flux et des reflux, des victoires et des défaites partielles, voire des périodes de réaction. A un certain stade, l’aile gauche du réformisme sera soumise à l’épreuve du pouvoir. Il s’agira d’une étape incontournable dans le processus de liquidation des préjugés réformistes qui dominent le mouvement ouvrier – et pas seulement ses sommets.
Cependant, dès à présent, une fraction croissante de la jeunesse cherche une alternative radicale au système capitaliste. C’est avant tout dans cette jeunesse – étudiante et ouvrière – que nous devons construire les forces de la Tendance Marxiste Internationale. Dans les années qui viennent, notre tâche centrale est parfaitement claire : gagner à la TMI les meilleurs éléments de cette jeunesse et construire une solide organisation de cadres révolutionnaires.
Nous accomplirons ce travail patient, systématique et minutieux dans le contexte des flux et des reflux de la lutte des classes – y compris, à un certain stade, d’une situation révolutionnaire ou pré-révolutionnaire. Celle-ci peut ouvrir d’énormes possibilités à une organisation marxiste, mais à deux conditions : qu’elle ait une ligne politique juste, d’une part, et d’autre part que ses effectifs aient préalablement atteint un seuil quantitatif lui permettant de profiter pleinement de la situation. Aborder une crise révolutionnaire ou pré-révolutionnaire avec 150 militants ou 1000 militants n’est pas du tout la même chose en termes de potentiel de croissance. Pour citer nos Perspectives mondiales 2021 : « Si nous nous demandons si nous sommes prêts à tirer profit des immenses opportunités qui existent, quelle est la réponse ? En toute honnêteté, nous devons répondre par la négative. Non, nous ne sommes pas prêts – du moins pas encore. Nous devons le devenir aussitôt que possible. Et cela, au final, signifie croître. »
Pendant toute une période, nos forces ne nous permettront pas d’avoir un impact sur le cours des événements. Mais si nous travaillons correctement, nous finirons par émerger comme un point de référence pour une couche significative de jeunes et de travailleurs. Alors, sur la base des événements titanesques qui se préparent, et grâce à l’expérience collective de la TMI, nous finirons par être en mesure de disputer aux dirigeants réformistes la direction du mouvement ouvrier, c’est-à-dire de mettre à l’ordre du jour la transformation socialiste de la société.
Mouvement ouvrier — de Martin Kohler, Bern — 10. 10. 2024