La Manifestation de 10’000 personnes pour « L’hellénicité de la Macédoine » qui a eu lieu le Samedi 21 Janvier à Thessalonique a causé beaucoup de discussions dans les médias généralistes, au sein des partis politiques mais aussi dans les cercles des simples travailleurs du pays. A son tour, il semblerait y avoir une série de développements importants dans les relations des co-gouvernants SYRIZA[1] et ΑΝΕΛ[2], mais aussi au sein de la ΝΔ[3], alors que ses organisateurs prévoient une nouvelle manifestation le 4 Février, cette fois à Athènes.
Différents participants et organisateurs du rassemblement ont essayé de faire valoir qu’il s’agissait d’une mobilisation spontanée avec un message progressiste, anti-mémorandum[4], anti-gouvernemental. Nombre d’entre eux ont tenté l’analogie grossière avec le rassemblement du « Mouvement des Places[5] » en 2011. La manifestation, disent-ils, peut avoir eu des éléments d’hétérogénéité politique et d’immaturité, simplement parce qu’il s’agissait d’un premier acte de mobilisation populaire authentique et spontanée. Cependant la réalité se révèle être totalement différente.
En plus du petit groupe qui formait le comité de coordination « officiel » de l’organisation, des sections de l’État, des municipalités et, bien sûr, de l’Église ont été mobilisées en masse, et pas seulement dans le nord de la Grèce. Les métropolites[6], les maires – surtout les « bleus » (ndt : appartenant à la ΝΔ) – et les associations de militaires à la retraite ont mené à la fois la propagande et l’encouragement de la participation, ainsi que réglé une grande partie des problèmes « pratiques » tels que le transport des manifestants par autocars, l’impression du matériel imprimé.
Parmi les participants figuraient un certain nombre de députés et de dirigeants de la Nea Dimokratia (dont « l’éminent » K. Karamanlis[7]), de l’ΑΝΕΛ, de l’Union des Centres et, bien sûr, les néo-nazis de L’Aube Dorée.
Il est ainsi plutôt amusant de chercher la relation entre les organisateurs cités ci-dessus, les « sponsors », les conférenciers et les éminents participants avec tout ce qui pourrait être progressiste ou anti-mémorandum. Et bien sûr, sur la base de tous les faits ci-dessus, le contenu lui-même, les discours et les slogans du rassemblement ne pouvaient être que réactionnaire et non pas progressistes. Ce caractère réactionnaire est sans doute confirmé par l’incendie partisan du squat « Libertatia » en marge de la manifestation par des équipes d’extrême-droite et sous les cris « anarchistes et Bolchéviks, cet endroit ne vous appartient pas ».
Il ne fait aucun doute que la teneur, en substance, du rassemblement n’était pas un rejet de la politique du gouvernement selon un point de vue progressiste – comme le serait une opposition aux politiques antipopulaires et anti-ouvrières et à sa soumission complète de la classe dirigeante grecque et européenne – mais bien le nationalisme. Le message central de la concentration était clair : « l’ennemi » du peuple n’est pas dans le pays, ce ne sont pas les banques et les multinationales, « l’ennemi » est à « l’extérieur » dans le pays voisin.
L’importance de la Manifestation
La participation au rassemblement était sans aucun doute massive. Sans que personne ne puisse confirmer les évaluations des organisateurs à 500’000 participants, il n’est pas impossible que le chiffre ait approché les deux cent milles[8]. Toutefois, de l’aveu général, le rassemblement était considérablement inférieur à celui de 1992 sur le même sujet. Cela est dû en partie à la moindre mobilisation du mécanisme étatique et de ses « franges ». En effet, la bourgeoisie grecque sent qu’elle a maintenant sauvegardé ce qu’elle peut pour ses intérêts économiques dans la région du sud des Balkans et ne veut pas fâcher inutilement ses voisins. Cela se reflète dans la position officiellement modérée de la direction de la ΝΔ, qui ne diffère pas vraiment de celle du gouvernement.
Un autre facteur clé de la plus faible participation à ce rassemblement est aussi l’indifférence croissante des populations pauvres sur la question. D’une part, pendant les deux décennies et demie écoulées depuis 1992, les exagérations nationalistes abandonnées par la bourgeoisie grecque pour ses propres raisons, à savoir que l’Etat voisin a hâte de prendre le contrôle de terres grecques, se sont révélées être « fantômes ». D’autre part, à cause des conséquences de plus en plus difficiles de la crise économique, de plus en plus de gens se préoccupent des problèmes politiques, économique et surtout des questions de classes. Le patriotisme et le nationalisme ne peuvent pas nourrir les jeunes travailleurs, chômeurs et agriculteurs touchés par la crise dans le Nord ou dans le reste de la Grèce.
Cela s’exprime donc dans la volonté réduite de se mobiliser activement, même pour ceux qui partagent l’idée que la Macédoine est grecque.
La composition de classe de la manifestation
Un autre élément pouvant être un critère pour la dynamique réelle de la mobilisation est sa composition de classes. Les couches les plus organisées et les plus actives – productives, socialement et politiquement – de la société y participent-elles dans une large mesure ou dans une moindre mesure ? Quels groupes sociaux « donnent le ton » ? En ce qui concerne cette manifestation, il n’y a certainement pas de données chiffrées sur cette question. Mais il existe de nombreux moyens indirects de tirer des conclusions.
Le fait qu’une grande partie des participants sont arrivés à Thessalonique par bus des villages et des petites villes de la Grèce du Nord (et d’ailleurs), et la contribution des diverses associations culturelles et l’Eglise dans ce transport organisé permet d’estimer que la majorité des participants étaient des retraités, des femmes au foyer et des petits paysans de la campagne. Le soutien ouvert à la manifestation des trois chambres professionnelles de la Grèce du Nord reflète manifestement une certaine volonté de participation de la part des bourgeois.
Inversément, la classe ouvrière ne sembla pas participer de manière décisive au rassemblement. Rien ne renvoyait même vaguement aux slogans, symboles et méthodes du mouvement ouvrier. Aucun syndicat et aucun parti des travailleurs n’y ont participé (contrairement à 1992). Aucun dirigeant ouvrier n’a ressenti de pression de la part de sa base même de faire une simple déclaration pour soutenir la mobilisation. Au lieu de cela, ce sont les députés ΝΔ, le Périphériarques[9], les maires, qui obtiennent leur soutien électoral non pas des forces sociales organisées, mais de la « masse des électeurs ». Ces députés se sentirent donc poussés par leur électeurs à participer – même contre la ligne officielle de leur parti.
La caractéristique la plus évidente, bien sûr, était le manque apparent de participation – organisée ou non – de la jeunesse. Une mobilisation massive de la jeunesse est toujours un baromètre fiable pour les tendances qui sont façonnées dans la conscience de la société et en particulier de la classe ouvrière. L’absence de jeunes du rassemblement de Thessalonique reflète d’une manière typique la dynamique sociale limitée de cette mobilisation, ainsi que du « mouvement pour l’héllénicité de Macédoine » en général – en contraste complet avec le « Mouvement des Places » en 2011 et le référendum de 2015, où la mobilisation de la jeunesse active mais aussi des jeunes chômeurs et des étudiants était massive.
Virage réactionnaire et conservateur dans la société ?
Laissant de côte les lamentables estimations de certains partis de gauche que le rassemblement de Thessalonique possède « une dynamique progressiste », une autre partie importante de la gauche la traite comme une indication d’un tournant réactionnaire à venir – ou déjà en cours – de la société.
L’analyse ci-dessus montre clairement qu’il est faux d’attribuer une telle importance au rassemblement pour la question Macédonienne. Le soutien enthousiaste à l ‘ « hellénicité » de la Macédoine et, en outre, la mobilisation active sous la direction de retraités réactionnaires et de métropolites non seulement ne gagne pas de terrain dans le mouvement ouvrier et la jeunesse, mais diminue même parmi ses partisans traditionnels.
Dans la période actuelle, la quête principale des travailleurs et des masses populaires pauvres – et en particulier des jeunes – n’est pas orientée vers la droite : l’attrait d’Aube Dorée ne semble pas être en hausse, la ΝΔ ne montre aucun élan spécial, le Centre – malgré ce qu’en disent les médias – se résume à un pourcentage proche de celui remporté lors des élections précédentes et les autres partis bourgeois traditionnels se sont effondrés (ΑΝΕΛ, ΕΚ).
Toutefois, la bourgeoisie exploitant le caractère principal de cette période, c’est-à-dire la confusion politique et la déception après la trahison de l’été 2015[10], utilise les rassemblements nationalistes pour créer un climat réactionnaire, pour détourner les gens de son isolement social, de son lien avec le mémorandum et la Troïka[11]. Mais le mieux qu’elle puisse réaliser est la rupture d’une très fragile unité nationale, qui va vite prendre fin, alors que les grandes questions de classe, à cause de l’impasse de la crise irrémédiable du capitalisme grec, vont revenir sur le devant de sa scène.
L’impact politique de la manifestation
Le récent rassemblement a néanmoins eu un impact sur la situation politique. Nea Dimokratia est dans une situation difficile. Les deux ailes principales du partis, les « Karamanlistes » et les « Samaristes » ont montré une attitude plus dure et anti-négociations et une volonté de soutenir le rassemblement, forçant la direction du parti à prendre position, en conscience, pour une participation ou non de ses cadres au rassemblement.
Ensuite, la taille du rassemblement, la peur de perdre de l’influence électorale pour la droite et les conflits à l’intérieur du parti qui ont rappelé la période de l’élection du chef du parti, ont forcé l’équipe dirigeante de Mitsotakis[12] à glisser vers une ligne plus dure, tout en essayant de garder un semblant de responsabilité, du point de vue bourgeois, pour ne pas paraitre nationaliste-démagogue.
En réalité, la classe dirigeante grecque retrouve ce qu’elle à semé. Ayant cultivé pendant des décennies le nationalisme et l’hystérie pour « l’irrédentisme[13] de Skopje », elle a maintenant besoin d’un positionnement cohérent et sobre de la part de son principal parti politique, mais en même temps de le garder le plus fort possible électoralement, loin d’une perte du soutien électoral de droite.
Bien sûr, bien que dans les conditions actuelles de crise profonde et de déclin du capitalisme grec il y aura toujours toutes sortes de divisions et de crises au sein de son camp politique, la bourgeoisie ne laissera pas facilement quelque chose de ce genre arriver à ce stade et autour d’une question secondaire à ses yeux. L’appel à un « accord » (et non pas, bien entendu, à la présentation d’une solution) provenant des colonnes de la « Καθημερινής[14] » trois jours après le rassemblement en est caractéristique. Elle mentionne : « L’affaire de Skopje (…) vise à briser l’opposition principale ou à créer un nouveau parti à sa droite. Quel que soit le scénario concrétisé, il sera fatal pour la stabilité politique de la droite. Les dirigeants devront faire preuve de beaucoup de prudence et d’attention pour éviter cela… »
De l’autre côté, le gouvernement Tsipras, pour ses opérations principales sur la question Macédonienne, a évidement le soutien de la partie la plus forte de la bourgeoisie, qui veut régler la question sans grandes pertes et avec une attitude responsable face aux impérialistes occidentaux – dont le capitalisme grec continue à dépendre totalement pour éviter la banqueroute.
Au final, le travail réactionnaire du gouvernement ne diffère pas de celui du rassemblement du 21 Janvier « pour l’héllénicité de la Macédoine » et des autres rassemblements analogues qui auront lieu[15]. Ils occultent pendant un instant les nouvelles mesures d’austérité qui doivent être votées et appliquées sur une demande des créanciers et de la classe dirigeante grecque et vue de la fin du 3ème programme de prêt.
Par Patroclos Psaltis, Κομμουνιστική Τάση, Αthènes
Cet article est constitué d’extraits d’articles de Επαναστασή (ˮRévolutionˮ), la section grecque de la Tendance Marxiste Internationale
Traduction et commentaires :
C.T.
JS Genève
[1] NDT : SYRIZA est le parti majoritaire en Grèce, positionné à gauche.
[2] Aux dernières élections, SYRIZA a dû créer une coalition gouvernementale avec ΑΝΕΛ, ou « Grecs Indépendants », parti minoritaire nationaliste-conservateur.
[3] NDT : Nea Dimokratia : Parti du Droite libérale, principale opposition au sein de la Βουλή (Parlement).
[4] NDT : Le mémorendum est le nom donné aux plans d’austérités acceptés par le 1er gouvernement Tsipras de SYRIZA.
[5] NDT : Sommet des tensions sociales en 2011 où pendant une grève générale, les manifestants décident d’occuper la Place Syntagma à Athènes et la Place Aristotelous à Thessalonique, inspirés par l’occupation de la Puerta del Sol à Madrid.
[6] NDT : Evêque important dans la religion orthodoxe.
[7] NDT : Ancien Premier Ministre et Président de la ΝΔ.
[8] NDT : Les chiffres de la Police font état de 90’000 personnes.
[9] NDT : Gouverneur d’une Périphérie, division territoriale administrative.
[10] NDT : Le non-respect du NON au référendum anti-austérité par le gouvernement Tsipras.
[11] NDT : Nom donné aux trois institutions responsables de l’austérité en Grèce : Commission Européenne, Banque Centrale Européenne et FMI.
[12] NDT : Actuel président de ΝΔ
[13] NDT : La volonté affichée d’une partie du gouvernement Macédonien de revendiquer la région de Thessalonique, la Macédoine grecque, comme leur appartenant.
[14] NDT : Grand quotidien de droite libérale
[15] NDT : L’article a été rédigé avant le rassemblement d’Athènes. C’est à cela que l’auteur fait référence.
Europe — de Emanuel Tomaselli, ICR Autriche — 16. 11. 2024
Amérique du nord — de la rédaction — 13. 11. 2024
Europe — de Jack Halinski-Fitzpatrick, marxist.com — 11. 11. 2024