Après la publication des résultats des élections européennes, toute la presse s‘est exclamée à l‘unisson que rien ne pouvait plus freiner l’avancée de la droite et des forces «eurosceptiques». Les progrès de la gauche en Grèce et en Espagne ont été consciemment passés sous silence. La formation la plus intéressante de ce scrutin – et en large partie responsable de ce succès en Espagne – est le mouvement PODEMOS.
En seulement quatre mois d’existence, PODEMOS (« nous pouvons ») a convaincu 1,2 million d’électeurs et électrices lors des élections européennes, soit 7.9 % de l’électorat espagnol. Izquierda Unida (IU), le parti traditionnel à gauche du PSOE, est arrivé quant à lui à 10 % des voix. Un tel résultat, donnant 18 % à la gauche radicale, était totalement inattendu.
La renaissance du 15M
L’arrivée soudaine de cette nouvelle formation sur le front électorale et politique peut étonner à première vue, mais ce n’est en réalité pas surprenant. PODEMOS est la continuation directe du mouvement de masse du 15M de 2011. Il reflète en même temps l’expérience de six années de crise et de luttes sociales ardues : le combat des mineurs des Asturies, le mouvement contre les expulsions PAH, la Marea Verde en défense du système scolaire, la résistance du quartier Gamonal à Burgos et les grèves illimitées de Coca Cola et Panrico. C’est ce même mouvement qui, en 2011, campait sur les places de toute l’Espagne et protestait contre tous les politiciens corrompus et tous leurs partis qui construit aujourd’hui son propre parti. C‘est la preuve d’une politisation massive et d’un processus de prise de conscience chez de larges couches de la population espagnole. La naissance de PODEMOS doit beaucoup au personnage de Pablo Iglesias.
Pablo Iglesias II
Quelle ironie du destin que le nom du fondateur du PSOE guide aujourd’hui de nouveau une organisation qui porte
l’espoir de changer le sort d’une génération ! Le professeur de sciences politiques de Madrid et animateur d’un talk-show de gauche, Iglesias, apparaît pour beaucoup comme le porteur d‘une critique radicale d‘une situation sociale intenable, d‘une caste politique à bout de souffle et d’un système qui a perdu la confiance d’une grande partie des Espagnols. Bien que sa critique soit ardue et puissante, l’ancien politicien d‘IU dévie le mécontentement entre des bornes réformistes et moralisatrices. Iglesias écarte consciemment la division gauche-droite. Il construit une dichotomie « citoyens honnêtes contre politiciens corrompus » qui tiennent la démocratie prisonnière. De plus, il défend un certain nationalisme « positif ». Bien que les programmes électoraux d’IU et PODEMOS ne diffèrent guère, les deux défendent un réformisme de gauche, c’est celui d‘Iglesias qui rassemble clairement les éléments les plus radicaux.
Le succès électoral de PODEMOS n’est la preuve de la justesse ni de ses positions petit-bourgeoises ni de son masquage conscient de la lutte de classe (qui est en fait omniprésente aujourd’hui en Espagne). C’est le personnage d’Iglesias qui fait la différence. Il représente dans les yeux de milliers de gens une rupture claire avec le système actuel. Les discours incendiaires font écho chez la jeunesse espagnole et chez une grande partie des travailleurs et travailleuses. Toutefois, il ne vise pas à élever la conscience des couches les plus radicales à un niveau politique plus avancé, mais s’oriente vers les couches plus passives pour ne pas effrayer les classes moyennes.
A Madrid, la jeune formation a dépassé IU de deux mille voix et est arrivée troisième force avec 18 % des voix. Un démarrage rapide impressionnant.
Un tremblement de terre avec répliques sismiques
Que les deux partis à gauche du PSOE arrivent à 18 % de score en tout est une valeur record depuis la fin du règne de Franco. Ceci montre que le régime politique dit « de 78 », qui avait surgi de la capitulation de la direction du PSOE et du PC pendant «la transition », se trouve aujourd’hui dans la crise la plus profonde de son histoire. La démission du roi Juan Carlos, le successeur direct de Franco, doté de pouvoirs et compétences importants par ce dernier, est clairement une réaction au résultat des élections et à l’effondrement du soutien au PP et au PSOE chez ses sujets. Ces deux partis sont connus ensemble sous le nom de « Bipartidismo » (système bipartite). Depuis les élections présidentielles de 2011, ils ont perdu plus que sept millions de voix et leur score commun est tombé pour la première fois en dessous de 50 %.
Un revers électoral pour IU
Bien que Izquierda Unida ait augmenté son pourcentage, elle n’arrive pas à un bon résultat. Le parti n’a manifestement pas pu canaliser le mécontentement social. En raison de diverses alliances opportunistes au niveau régional, les gens ne le voient pas comme une alternative à la politique de la classe dominante. En Andalousie, ce parti gouverne la région en coalition avec le PSOE et applique des mesures d’austérité,
des expulsions de locataires, etc. De plus, une partie de sa direction est vue comme des dinosaures qui bouchent l’arrivée d’une nouvelle génération de leaders plus radicaux. De telles erreurs sont impardonnables dans la situation actuelle. Le résultat du scrutin a eu l’effet d’un signal d’alarme pour une partie d‘IU et surtout, la base se pose des questions. Mais s’il est vrai que dans les enquêtes récentes son soutien s’effondre, il ne faut pas oublier que ce parti jouit d’un ancrage dans les quartiers et les syndicats qui s’est construit depuis des décennies.
Les conséquences se font déjà sentir
La démission de Juan Carlos, le changement de direction du PSOE, les démissions d‘IU : de nombreuses têtes sont déjà tombées ! Plus impressionnantes encore sont les conclusions collectives qui ont été tirées. Prenons comme exemple IU à Malaga, en Andalousie : pour la candidature aux élections municipales, elle vient de décider que tous les candidats seront révocables à tout moment une fois en place et qu‘aucune décision importante ne pourra être prise par les élus seuls, mais qu‘elles devront être confirmées par des assemblées populaires. De tels choix disent
beaucoup sur l’état d’esprit au sein du parti. Suite au succès électoral des deux formations (18 % des suffrages), des voix se sont élevées pour demander un front unique de gauche. Les possibilités dont jouirait une force avec un tel soutien ne doivent pas être perdues à cause de frictions stériles, d’un bureaucratisme opportuniste ou d’une position sectaire sans fondement théorique.
Une semaine après les élections, le journal El Pais n’osait pas publier, dans son édition papier, une enquête qu’il avait pourtant commandé lui-même. Cette enquête disait que si un nouveau scrutin avait eu lieu en juin, PODEMOS aurait fait 21.5 % des voix et IU 5.9 %. Ensemble, ces deux formations auraient dépassé le PP (26.5 %) et formeraient le bloc politique le plus important. Ceci montre le potentiel phénoménal d’une telle alliance. L’union organisationnelle ne suffira toutefois pas pour assurer le succès à long terme de la gauche. Pour le garantir, une base politique est nécessaire. Un succès électoral sans programme révolutionnaire visant la rupture avec l’ordre économique bourgeois et la prise en main des piliers fondamentaux de l’économie par les travailleurs et travailleuses ne peut que décevoir cruellement les attentes de la jeunesse espagnole et de tous ceux qui souffrent de la crise. Il est du devoir des marxistes espagnols de défendre un tel programme – particulièrement dans les débats programmatiques qui se feront prochainement au sein de PODEMOS.
Le front de gauche se crée déjà dans les faits
Un formidable exemple d’un tel front unique (semi-spontanée) est la candidature unitaire « Guanyem Barcelona » (Gagnons Barcelone). Sous la direction du militant défenseur des locataires expulsés Ada Colau, les mouvements sociaux s’unifient aux forces de gauche et de la gauche nationaliste pour construire une alternative aux élections municipales. Plusieurs listes ont déjà copié cet exemple et même la presse bourgeoise leur donne une chance réelle dans douze villes. Avec la croissance de la conscience politique, les voix en faveur de l’unité de la classe deviennent plus fortes. C’est pour cela que le mot d‘ordre de front unique des organisations de gauche est si important et doit être défendu par les révolutionnaires à la fois contre l‘opportunisme de certains qui visent uniquement à défendre leur siège au parlement (principalement à IU) et à la fois contre le sectarisme aveugle de certaines tendances de PODEMOS. Seule la classe ouvrière, unie politiquement, peut donner le coup de grâce à l’état pourri d’Espagne et à sa monarchie corrompue. En 1931, la deuxième république espagnole était proclamée après le succès de la liste commune des socialistes et des républicains aux élections municipales. Un tel succès donnerait aujourd’hui à la classe travailleuse la confiance en elle dont elle a besoin pour passer à l’action contre ce système détesté.
Caspar Oertli
Unia Genève
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