Les pourcentages et la répartition des sièges n’ont pas fondamentalement changé depuis les élections de décembre 2015. Unidos Podemos garde le même nombre de députés, et perd plus d’un million de voix. La participation globale baisse de 3,3 %, soit 1,2 million de votants en moins.
Résultats détaillés | ||
Partis | Juin 2016 | Décembre 2015 |
PP | 33.03% – 137 sièges | 28.71 % – 123 sièges |
PSOE | 22.66% – 86 sièges | 22% – 90 sièges |
Unidos Podemos | 21.1% – 71 sièges | 24.49% – 71 sièges |
Ciudadanos | 13.05% – 32 sièges | 13.94% – 40 sièges |
ERC (centre-gauche catalan) | 2.63% – 9 sièges | |
CDC (droite catalane) | 2.01% – 8 sièges | |
PNV (droite basque) | 1.22% – 5 sièges | |
Bildu (gauche basque) | 0.78% – 2 sièges |
Stagnation de Unidos Podemos
La stagnation de UP a été source de déception et de démoralisation auprès des militants, mais l’important est de comprendre les causes de ce résultat en demi-teinte. Il faut noter en premier lieu que la campagne a été assez mal menée. Toute l’activité de UP ces derniers mois s’est focalisée sur le terrain électoral et parlementaire et peu de meetings se sont tenus. La dernière mobilisation remonte à janvier 2015, lors d’une énorme manifestation appelée par Podemos à Madrid.
D’autre part, la campagne n’était pas assez radicale et peu attrayante. Le programme électoral a été édulcoré depuis décembre. En début de campagne, UP a cherché le soutien des électeurs du PSOE en jouant sur leur propre terrain, Pablo Iglesias affirmant notamment vouloir une « nouvelle démocratie sociale ». En se positionnant comme le parti de « la patrie, la loi et le travail » UP a délibérément cherché à convaincre les électeurs les plus modérés, mais ce genre de langage a eu pour conséquence de démobiliser une partie de son électorat de gauche.
À la différence de celle de décembre, la campagne fut complètement déconnectée des luttes qui ont été à l’origine de Podemos (Mouvement 15M, campagnes anti-austérité, mouvement contre les expulsions locatives). Ces questions n’ont figuré dans aucune des vidéos électorales, et n’ont été que rarement mentionnées lors des débats.
La fin de la campagne a cependant témoigné d’une radicalisation du message et d’un certain enthousiasme, particulièrement lors du tout dernier meeting, à Madrid, où Pablo Iglesias a tenu un discours offensif et clairement marqué à gauche, faisant appel aux traditions de la lutte des classes. Le problème est que cet enthousiasme n’a pas dépassé le cadre des personnes assistants aux meetings et n’a pas touché le grand public.
D’autres facteurs, plus circonstanciels ont également joué. Ces élections se sont tenues fin juin, durant un week-end qui est férié dans plusieurs régions espagnoles, ce qui a démobilisé une partie de l’électorat, en particulier chez les jeunes et les citadins, qui constituent la base de l’électorat de UP. De nombreuses personnes parmi les couches les moins politisées étaient par ailleurs fatiguées après des mois d’impasse politique, une campagne électorale paresseuse et le triomphalisme des dirigeants d’UP qui étaient rendus exagérément confiants dans leurs résultats par les sondages. Ces multiples facteurs n’aidèrent pas les électeurs les moins convaincus à se déplacer.
Si les attaques politiques à l’encontre de Unidos Podemos ont eu un certain impact parmi une couche d’électeurs, c’est à cause du contexte général d’une campagne plate et modérée (Monedero, ancien dirigeant de Podemos, expliquait que les débats manquaient de « mordant »). Les dirigeants de Podemos (mais pas tellement ceux de Izquierda Unida) se montrèrent réticents à expliquer leurs positions sur le Venezuela, et évitèrent toutes les questions concernant la Grèce et le sort du gouvernement Syriza. Aidée par une offensive massive des médias, la droite a utilisé la question du Venezuela comme un écran de fumée. Il aurait fallu être en mesure d’expliquer les aspects positifs de la révolution bolivarienne, les raisons pour lesquelles il faut la défendre et le caractère putschiste de l’opposition. Concernant la Grèce, le problème principal est que les dirigeants de Podemos ont exactement le même programme que celui défendu par Tsipras en janvier 2015. Contre l’idée selon laquelle ce programme mène inévitablement à la capitulation et à l’austérité, leur unique — et faible — argument est d’affirmer que « l’Espagne est plus forte que la Grèce, et a donc davantage d’influence vis-à-vis de la Troïka, ce qui lui permettrait de renégocier ses engagements à réduire ses déficits ».
Si les résultats de Unidos Podemos peuvent paraître décevants, ceux-ci doivent toutefois être remis dans un contexte plus général, où depuis 40 ans, aucun autre parti à la gauche du PSOE n’avait recueilli un tel résultat : 5 millions de votes et 71 sièges. Le meilleur résultat précédent était à l’actif du parti communiste en 1979, quand il obtint 10 % des suffrages et 21 sièges.
Le PSOE se maintient, Ciudadanos s’effrite et le PP se renforce
Tous les sondages annonçaient le rapide déclin du PSOE, à l’image des autres partis sociaux-démocrates européens. Mais en perdant 120 000 votes et 5 sièges, le PSOE a réussi à se maintenir à la deuxième place et à garder le même pourcentage qu’en décembre, ce qui était son objectif. Il conserve ses électeurs dans les petites villes et les régions rurales, et parmi les personnes âgées. D’autre part, ses allégations que la formation d’un gouvernement de gauche après décembre a été entravé par Podemos, même si elles sont fausses, semblent avoir eu un impact parmi ses soutiens traditionnels.
Il faut prendre en compte les spécificités de la situation politique espagnole. Malgré une crise économique et sociale importante, la classe dirigeante a su maintenir un gouvernement stable entre 2011 et 2015, le PP jouissant d’une majorité absolue. Ce qui signifie que les autres partis, notamment le PSOE, n’ont pas eu l’occasion d’être mis à l’épreuve, tandis que le mécontentement se concentrait majoritairement contre le PP. Le PSOE n’a eu à mettre en place une politique d’austérité qu’une seule année, sous le gouvernement Zapatero (2010-2011). Ceci contraste avec le PASOK qui a été seul maître d’œuvre de l’austérité sur une plus longue période en Grèce, avant de continuer en s’alliant avec les conservateurs.
Les cinq années de gouvernement PP majoritaire ont créé les conditions d’un développement inégal et combiné des consciences. Une large part de la jeunesse citadine et des travailleurs entrés dans les luttes massives de 2011-2014 en sont arrivés à la conclusion que seul un changement radical était en mesure de régler les problèmes de la société, et se sont ralliés derrière UP. Il existe cependant une couche plus conservatrice parmi les travailleurs qui croit encore que le problème fondamental vient du PP, et que le PSOE peut incarner une alternative modérée à la situation actuelle. La panique générée par le Brexit n’a fait que renforcer les attitudes conservatrices de ces derniers. Comme nous l’avons déjà souligné, le Brexit aura des conséquences réactionnaires (du moins à court terme) pas uniquement au Royaume-Uni, mais à travers toute l’Europe.
Le succès du PP, qui gagne 5 % soit 1,3 million de votants par rapport à décembre, et le déclin relatif de Cuidadanos, qui perd 400 000 votes et 8 sièges, n’est pas difficile à analyser. La progression de UP, amplifiée par les sondages, a poussé une grande partie des électeurs de droite et du centre dans les bras du PP, principale force de la réaction en Espagne. Malgré la corruption avérée du PP, touché chaque semaine par de nouveaux scandales, il a été capable de rallier dernière lui toutes les couches conservatrices de la société. Ciudadanos ne propose rien de fondamentalement différent du PP et n’est pas perçu comme une force de droite fiable. Il a perdu son attrait auprès des électeurs conservateurs dont la principale préoccupation était de faire barrage à UP.
Négociations pour un nouveau gouvernement
Un gouvernement PP-Cuidadanos semble probable. Aucun parti ne souhaite de nouvelles élections, pas plus que les masses. Et, quoique compliquées, les négociations aboutiront certainement à un gouvernement bourgeois. Le PP et Cuidadanos ont 169 sièges, avec le soutien de PNV et de la Coalition des îles Canaries, il leur suffira d’une abstention pour obtenir une courte majorité et former un gouvernement. Celui-ci devra immédiatement mettre en place une politique de coupe budgétaire drastique pour répondre aux exigences de l’UE (8 milliards d’euros de coupe pour cette année et les suivantes), et s’attirera rapidement la haine des masses. Cette victoire est un cadeau empoisonné pour la bourgeoisie, qui préparera le terrain pour une radicalisation dans la prochaine période. Il faut s’attendre à voir de nouvelles mobilisations de masse dans les rues et des luttes se multiplier dans les entreprises. Dans ce contexte, UP pourra poursuivre son ascension s’il arrive à jouer son rôle oppositionnel de façon intelligente.
Rajoy a immédiatement annoncé qu’il appelait une alliance avec le PSOE pour former un gouvernement de coalition particulièrement stable, qui compterait 254 sièges s’il comprend Cuidadanos (176 sièges constituant une majorité absolue). Cette option permettrait au PP de partager la responsabilité de la mise en place de la politique d’austérité, mais serait le début de la fin pour le PSOE. Ce dernier préférerait s’abstenir sur le vote du gouvernement, autorisant ainsi la création d’un gouvernement PP-Cuidadanos tout en restant extérieur. Une grande coalition serait dangereuse pour les partis bourgeois, car elle laisserait UP seul parti d’opposition, préparant son essor dans la période à venir.
Un gouvernement de gauche semble improbable, UP aura des conditions que le PSOE jugera intenables. Un tel gouvernement aura en outre besoin du soutien des partis régionalistes pour obtenir une majorité, et ceux-ci sont particulièrement hostiles à l’idée d’une alliance avec UP. De plus, ils réclament la tenue d’un référendum pour l’indépendance de la Catalogne, ce qui est complètement exclu pour le PSOE.
Les conséquences pour la gauche
Ces résultats auront des conséquences internes pour UP. Ces derniers mois ont été source de tensions entre Íñigo Errejón (secrétaire politique) et Pablo Iglesias (secrétaire général) concernant l’alliance avec Izquierda Unida. Pendant longtemps, l’idée qui a dominé les rangs de Podemos, défendue par Errejón, est que le parti n’était « ni de droite ni de gauche », et qu’il fallait édulcorer son discours pour être plus rassembleur. Errejón a résisté aux alliances avec IU. Cette tendance au sein de Podemos a été battue après l’accord passé au printemps avec IU. Le soir des élections, dans une conférence de presse, Iglesias a affirmé catégoriquement qu’il ne regrettait pas l’alliance avec IU et qu’il continuerait à la défendre.
Mais le lendemain, la tendance d’Errejón avait déjà publié une déclaration virulente pour s’opposer à Pablo Iglesias, remettant ouvertement en cause l’alliance avec IU et s’attaquant à Monedero pour avoir décrit dans un article que la campagne manquait de « mordant », qu’elle proposait des « discours creux » et que Podemos souffrait d’un manque de mobilisation populaire et avait besoin de retourner dans les rues. Du coté de IU, ceux qui s’opposent à l’alliance au sein de l’UP vont eux aussi repasser à l’offensive et renforcer leurs critiques.
Les marxistes doivent défendre l’alliance entre Podemos et Izquierda Unida, qui n’est pas la cause de ces mauvais résultats. Les divisions parmi la gauche et le sectarisme parmi les militants des différents partis doivent être évités à tout prix. Ces mauvais résultats seront analysés par certains comme une preuve que le programme de UP était « trop radical », et qu’il faut à présent le modérer. Mais cela ne ferait que décevoir les soutiens les plus fervents de UP et accentuer les hésitations parmi ceux oscillant entre le PSOE et UP. Unidos Podemos doit au contraire retourner à ses racines en terme de participation de masse (ce qui n’est possible qu’avec des structures démocratiques) et renouer avec un programme radical d’opposition au régime.
En période de crise et sous un nouveau gouvernement PP, UP peut continuer sa progression en expliquant patiemment que les partis de la bourgeoisie n’ont pas de solution aux problèmes actuels, et que la seule voie à suivre est une transformation profonde de la société sous un gouvernement de la gauche radicale. En tant que marxistes, nous insistons sur le fait qu’un tel programme ne peut être mis en œuvre dans les limites du capitalisme. Pour mettre fin aux mesures d’austérité à travers toute l’Europe, il est urgent d’exproprier les ressources de la classe capitaliste afin de les placer sous le contrôle démocratique de l’ensemble de la société, non d’une infime partie de privilégiés.
Europe — de Emanuel Tomaselli, ICR Autriche — 16. 11. 2024
Amérique du nord — de la rédaction — 13. 11. 2024
Europe — de Jack Halinski-Fitzpatrick, marxist.com — 11. 11. 2024