En vue du référendum sur la sortie de la Grande-Bretagne de l’Union européenne (“Brexit”), les gouvernements des Etats-membres, suivant une logique d’unité de la classe dominante, se sont accordés mi-février sur un compromis donnant à David Cameron la possibilité de recommander le maintien de son pays dans l’Union. Cet accord, conclu en pleine crise du capitalisme européen engendrant des conséquences tant politiques d’économiques, nous permet d’analyser certains aspects de la situation actuelle.

 Immage © Jeff Djevdet, flickr

Il y a un an, le Premier ministre britannique David Cameron se voyait obligé, lors des élections législatives, à cause de la menace nationaliste de l’UK Independence Party, de promettre un vote populaire sur le “Brexit”. L’UKIP est un parti bourgeois réactionnaire et agressif qui s’est renforcé grâce à la crise en détournant les peurs matérielles des masses sur les travailleur-e-s immigré-e-s et qui doit ainsi être compris comme la version britannique d’un développement général en Europe. Dans une première phase, les partis libéraux s’étaient éloignés de ces courants en se référant au concept de libre circulation des personnes (à l’intérieur de l’Union) qui lui permet de profiter d’une main d’œuvre bon marché. La politique des réfugiés applique le même raisonnement, ce qui est admis sans fioritures par la directrice du FMI, Christine Lagarde, qui explique que « l’afflux actuel de réfugiés est un défi avec un potentiel croissant. Cette source riche de capital humain peut être, avec des mesures politiques appropriées, bénéficiaire pour tout le monde ».

Cependant, la crise de surproduction sur l’ensemble du continent rend les investissements dans l’économie réelle peu rentables, fait croître les taux de chômage et conduit finalement à une surabondance de main d’œuvre. Ainsi, on peut observer une tendance à ce que les avantages de l’exploitation de la main d’œuvre étrangère deviennent de plus en plus petits par rapport aux coûts des dépenses publiques nécessaires pour attirer celle-ci. En conséquence, étant de moins en moins profitable, l’aspiration légitime de la classe ouvrière à vouloir circuler librement n’est plus seulement remise en question par les capitalistes protectionnistes uniquement, mais également par le reste de la classe dominante.

Le deal
Le nouvel accord vise à « renouveler le pacte entre l’UE et la Grande-Bretagne » et contient quatre domaines d’application. Le refus du « Brexit » par l’électorat britannique en est une condition préliminaire pour que les mesures décidées soient mises en place.

Le premier point, affirme pour la première fois que l’Union a plusieurs monnaies . L’importance financière de Londres en général et celle du LIBOR (taux d’intérêt de référence mondial publié par les grandes banques internationales de la city) en particulier ont sans doute simplifié la prise de cette décision.

Le deuxième domaine particulièrement important pour la bourgeoisie a comme objectif le renforcement de la compétitivité de l’UE

Le troisième point concerne la « souveraineté » et les compétences communautaires du parlement européen. L’impact pratique de cette disposition est que la décision d’un grand Etat puissant engendre quasi automatiquement la même décision de plusieurs autres petits pays alliés, limité au renforcement de ce dernier.

Finalement, la dernière section du traité confirme nos présomptions sur les préoccupations des capitalistes européens susmentionnées. Désormais, les Etats membres seront, en dérogation au droit actuellement en vigueur, autorisés à réduire les prestations liées à l’emploi des travailleurs migrants pour une durée de quatre ans. De plus, les allocations familiales exportées pourront être baissées aux conditions de vie de l’Etat d’origine. Malgré le fait que toute formulation soit juridiquement bien fondée, il s’agit bien entendu logiquement d’une discrimination claire des pays les moins compétitifs, car ce seront uniquement leurs ressortissant-e-s qui seront concerné-e-s.

En conclusion, la seule mesure de l’accord ayant une incidence effective poursuit deux buts précis : D’un coté il s’agit d’augmenter la plus value absolue afin de pouvoir continuer à exploiter la main d’œuvre étrangère. Cela équivaut à dire que les travailleurs étrangers seront moins rémunéré-e-s pour le même temps de travail, ce qui va accentuer la  division et la concurrence entre les travailleurs de toute l’Europe.

De l’autre coté, Cameron cherche à unifier les capitalistes protectionnistes et libéraux au moyen d’un instrument préservant leur intérêt commun, notamment la sécurisation du taux de profit. D’ailleurs, la chancelière allemande Angela Merkel se félicitait elle-même pour ce « compromis » (comme s’il y avait eu des positions opposées) et déclarait une application similaire en Allemagne comme envisageable.

Les perspectives
Toutefois, les réactions au deal nous donnent certaines indications sur la période à venir. En Suisse, l’UDC, parti bourgeois qui rafle les votes contestataires de la crise grâce à une rhétorique agressive et xénophobe similaire à celle de l’UKIP ainsi qu’à une gauche très faible, doit définitivement constater que les quotas exigés par l’initiative contre l’immigration de masse ne sont pas dans l’intérêt des capitalistes européens. Ils seraient adoptés de manière unilatérale par la Suisse et ne remplissent ainsi pas la fonction principale de la libre circulation européenne, notamment l’équilibrage des taux de chômage en cas de récession. Autrement dit, la diminution des coûts de l’immigration est la manière la plus efficace de répondre aux sentiments anti-migratoires créés par la droite réactionnaire.

Au Royaume Uni, le parti conservateur britannique semble être divisé en deux, car 150 des 330 délégués des Tories soutiennent – notamment en opposition ouverte à leur chef Cameron – le Brexit. D’un point de vue de gauche, l’éventuelle création d’un nouveau parti rassemblant les libéraux autour de Cameron et l’aile droite du Labour Party serait souhaitable. Ainsi, Jeremy Corbyn, le nouveau leader socialiste du Labour Party qu’incarne le virage vers la gauche, se verrait renforcé dans sa position au sein du parti.

Par rapport à l’UE, la prédiction de la Tendance Marxiste Internationale des années 2000 – que les contradictions entre les Etats membres restent uniquement secondaires jusqu’à ce que l’économie s’arrête de croître – semble s’avérer. La suspension unilatérale de l’espace Schengen par certains pays, l’accroissement des solutions basées sur des exceptions, les immenses différences de l’ampleur de la crise entre les Etats ainsi que la division de la classe dominante en sont des signes clairs. Indépendamment de l’évolution de ce développement, il semble être évident que la sortie (ou l’adhésion dans le cas suisse) sur une base capitaliste de l’Union n’apporterait aucune solution aux problèmes des salarié-e-s. Les dirigeants réformistes des partis socio-démocrates sont mis à l’épreuve face à cette polarisation politique. Dans une situation de crise si avancée et de conditions matérielles fortement dégradées, la poursuite de la radicalisation des masses sera la suite logique. En tant que marxistes, cette tendance générale ne peut nous rendre que confiant-e-s.

 

Dersu Heri Bezençon
Comité JS Genève