Une vague de manifestations étudiantes a commencé début janvier à Istanbul. Les étudiants de l’université de Boğaziçi – l’une des plus prestigieuses de Turquie – se sont opposés à la nomination par décret, le 2 janvier, de leur nouveau recteur, Melih Bulu. Dès le 4 janvier, quelques dizaines d’étudiants se rassemblaient. Ils étaient des centaines le lendemain, de Boğaziçi et d’ailleurs. Retrouvez cet article sur le site de nos camarades français.
La répression n’a pas tardé. La police est intervenue avec des gaz lacrymogènes, des canons à eau et autres munitions « non-létales ». Le rassemblement a été violemment dispersé et plusieurs étudiants ont été arrêtés. Pour empêcher les étudiants d’occuper l’université, les portes en ont été fermées avec des menottes – une image qui est immédiatement devenue le symbole des attaques contre la liberté d’expression en Turquie.
Cette répression brutale, typique de l’Etat capitaliste turc, vise à effrayer les manifestants et à empêcher l’extension de la contestation. Sous prétexte de lutter contre la pandémie, les manifestations ont été interdites dans certains quartiers d’Istanbul. L’université a été barricadée pour empêcher un second rassemblement, prévu le mercredi 6 janvier. Dans le même temps, les grands médias présentaient les étudiants soit comme des « terroristes », soit comme des « enfants gâtés et privilégiés ». Au choix !
En réaction, les étudiants ont simplement changé le lieu de la manifestation. Ils ont réussi à attirer une foule d’environ un millier de personnes, cependant que des centaines d’autres étudiants réussissaient à se regrouper sur le campus de Boğaziçi, malgré la répression. Depuis, la mobilisation s’est poursuivie et même étendue à d’autres universités du pays.
Cette contestation étudiante ne vise pas tellement le recteur Bulu lui-même, mais plutôt les intérêts qu’il sert. Depuis des années, le président Erdogan purge systématiquement les écoles, les universités, les organes de sécurité, les médias – et même son propre parti, l’AKP. Les personnes jugées « douteuses » sont remplacées par des laquais du gouvernement. La nomination de Bulu n’était qu’un pas de plus dans cette direction.
Depuis le coup d’Etat de 1980, c’est la première fois qu’un directeur d’université est nommé par le président – et non pas élu par les étudiants et les salariés de l’université elle-même. Erdogan s’est arrogé ce droit dans la foulée du coup d’Etat de l’été 2016, dans le cadre d’un vaste mouvement de concentration et de renforcement de son pouvoir personnel.
En arrière-plan de la lutte contre l’autoritarisme croissant du régime, il y a la crise qui frappe l’économie turque depuis de nombreuses années. Les conditions de vie des masses régressent, surtout depuis le début de la pandémie mondiale. Le chômage ne cesse d’augmenter, en particulier dans la jeunesse. L’inflation s’approche des 15 %, et même ce chiffre officiel sous-estime la réalité du problème. Le prix de nombreux biens alimentaires essentiels – et notamment du pain – a augmenté de plus de 50 % en 2020. Aujourd’hui, 38 % des ménages turcs ont des difficultés à se ne nourrir correctement. Entre novembre 2019 et novembre 2020, la consommation de viande rouge a baissé de 30 % ; celle de pâtes a augmenté de 25 %.
L’impact de cette situation sur la base électorale du parti d’Erdogan, l’AKP, se fait sentir à chaque élection. Le président s’efforce de regonfler sa popularité en flattant les milieux nationalistes et en multipliant les aventures militaires ou diplomatiques : tensions avec l’Union européenne et la Grèce, guerres en Syrie et en Libye, soutien militaire à l’Azerbaïdjan contre l’Arménie… Et bien sûr, Erdogan s’appuie sur une répression policière féroce, qui frappe toute forme d’opposition.
Cependant, ni les guerres impérialistes, ni les coups de matraque ne peuvent retarder indéfiniment l’éruption, à la surface de la société, de toutes les contradictions qui se développent dans ses profondeurs. La Turquie s’oriente fatalement vers une intensification de la lutte des classes. La mobilisation de la jeunesse étudiante en est le signal. Elle annonce de grands mouvements – non seulement de la jeunesse, mais aussi, à un certain stade, de la puissante classe ouvrière turque. Erdogan a donc de bonnes raisons d’être inquiet.
Dans les années 60 et 70, la Turquie a connu un mouvement de masse d’une ampleur telle qu’il aurait pu renverser le régime capitaliste. Malheureusement, cette mobilisation a été ruinée par les erreurs de sa direction, qui oscillait entre le réformisme et le terrorisme individuel. Cela a permis au capitalisme turc d’écraser le mouvement et de se ressaisir. Pour se préparer aux mobilisations qui l’attendent, le mouvement ouvrier et la jeunesse révolutionnaire turque devront étudier les erreurs du passé et en tirer des leçons.
Aujourd’hui, comme hier, les jeunes et les travailleurs turcs ont besoin d’une organisation fermement basée sur les idées et les méthodes du marxisme, et prête à lutter jusqu’au bout contre le capitalisme et l’impérialisme. Lorsqu’elle disposera d’une telle arme, la classe ouvrière turque sera invincible.
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