[dropcap]I[/dropcap]négalités salariales, travail domestique non rémunéré, sexisme – l’oppression et la discrimination des femmes font intégralement partie de la société bourgeoise moderne. Pourtant, le patriarcat et le sexisme ne sont pas des sujets à traiter indépendamment de la lutte des classes. Car le combat contre l’oppression des femmes implique directement le combat contre le capitalisme, et vice-versa.
Pourquoi y a-t-il du sexisme dans le capitalisme ?
« Le sexisme est une idéologie se fondant sur l’adhésion à des croyances discriminatoires basées sur le critère du sexe. Il s’appuie en partie sur des stéréotypes de genre, c’est-à-dire des croyances concernant les caractéristiques généralement associées aux femmes et aux hommes. »
(https://fr.wikipedia.org/wiki/Sexisme, consulté le 05.04.2017)
Ceci est toutefois une simplification. Le sexisme est surtout défini par le fait que les hommes et les femmes se voient attribués des rôles genrés par la société. Les individus, aussi bien hommes que femmes, sont mis sous pression dès leur plus jeune âge pour correspondre au plus à ces idéaux.
L’homme est censé être fort, viril, imposant, bruyant, drôle, sportif et penseur logique ; la femme quant à elle devrait être tendre, bienveillante, empathique, douce, soignée, discrète et obéissante. L’homme devrait être un tombeur téméraire ou briseur de coeurs romantique alors que la femme est censée faire preuve d’un instinct protecteur.
L’homme devrait faire une carrière brillante alors que la femme devrait s’efforcer de devenir une bonne mère. Ces rôles genrées valent aujourd’hui encore dans la société, malgré ce que l’on pouvait croire, leur forme en est simplement un peu différente et adaptée. Ces rôles sont à considérer comme le genre, sachant qu’ils n’ont absolument rien à voir avec les différences propres au sexe biologique mais qu’ils sont issus de relations issues de la société. Le genre n’est pas l’expression de la nature humaine, comme voudraient nous le faire croire les réactionnair-e-s, mais au contraire un frein considérable au développement des la personnalité et du caractère des individus.
Hommes et femmes sont confinés dans leur développement, aucun des deux ne pouvait pleinement devenir ce qu’il est ou souhaite réellement être. L’homme timide, rêveur, qui n’aime pas prendre de décisions ou la femme bruyante, sûre de soi et déterminée ne sont pas retenus par la grille sociale. La femme plus intéressée par le domaine de la technique qu’à son apparence et aux enfants et désirant faire passer sa carrière avec une vie de famille brise tout autant la norme que l’homme qui prend soin de lui, apprécie grandement les magasins de mode et souhaite avoir des enfants très jeune plutôt que d’avoir des ambitions de carrière professionnelle.
Beaucoup de monde pense que les rôles de genre sont en train de se dissoudre, due au fait que nous vivions dans l’ère de l’émancipation. Le nombre de femmes actives en politique et occupant des places à responsabilité augmente, les homosexuels deviennent maires et sont présents dans les médias. Les apparences sont cependant trompeuses : la pression sociale autour des identités genrées s’est accrue durant les vingt dernières années malgré une impression d’émancipation.
Nous voyons d’un côté l’explosion des troubles alimentaires chez les jeunes femmes et les filles, de l’autre une addiction croissante des jeunes hommes à la musculation : la pression monte, il faut ressembler le plus possible à l’idéal genré. Un congrès de sexologues à Vienne a récemment constaté une « asexualisation » croissante chez les jeunes personnes, ceci étant selon eux lié à des difficultés de s’identifier à un idéal de genre.
Le genre ne confine pas seulement le développement de la personnalité. Ils créent des troubles qui mènent à de véritables pathologies sociétales. La distribution genrée des rôles ne trouve pourtant pas son origine dans la nature humaine mais est définie par la société. C’est bien pour cette raison qu’il n’y avait pas de genre au sein des sociétés primitives qui ne disposaient ni de société de classe ou du modèle patriarcal. Hommes et femmes occupaient le même rôle social. Elles allaient à la chasse, faisaient la guerre, étaient tout comme les hommes tour à tour conquérante ou conquérie dans leurs relations amoureuses. Cette absence du genre était alors possible pour la seule et unique raison que la division du travail n’existait pas. C’est notamment ce qu’ont montré les recherches ethnographiques de Richard Lee.
Prenons l’exemple du clan africain Kung San qui ont vécue à l’état de société primitive jusque dans les années 1960. Toutes les tâches liées à la maternité étaient effectuées collectivement par la « famille de la tribu ». La fonction biologique de la femme, la maternité, incapacitait la femme que très brièvement dans sa fonction sociale.
La première division du travail de l’histoire a été la division entre hommes et femmes. C’est par cette division qu’est né le rôle genré. Cette division du travail représentait une avancée technique. La manière dont le genre s’est petit à petit lié à l’apparition de la propriété privée, de la société de classes et du modèle patriarcal ne peut être traité plus en détail ici. Cette thématique est déjà longuement abordée dans d’autres publications.
Cette division du travail entre hommes et femmes n’est aujourd’hui absolument plus nécessaire d’un point de vue technique. Des moyens techniques permettant de gérer efficacement un ménage de manière commune existent depuis bien longtemps. Nous avons vu des cuisines communes, des stations de lavage et lave-vaisselle communs permettant de réduire considérablement la corvée ménagère. L’aspirateur automatique est un avant-goût de ces infinies possibilités techniques.
Beaucoup des ressources sociétales actuelles pourraient être investies dans l’éducation des enfants et la prise en charge des aînés et des malades : non de manière bénévole et exploitante comme actuellement, mais bel et bien de manière professionnelle et rémunérée. Le gros des ressources humaines (non en termes de « RH » comme l’entend le monde professionnel actuellement) ne devrait-il pas être investi dans les relations entre êtes humains, tout particulièrement pour les enfants ?
C’est précisément cette organisation solidaire et de camaraderie du ménage, des soins et de l’éducation qui permettrait à chaque être humain de se développer pleinement et de construire sa personnalité en dehors du schéma réducteur des identités de genre et de sa fonction biologique.
Le genre n’est aujourd’hui plus une nécessité mais bien un obstacle qui empêche hommes et femmes de dévoiler la totalité de leur potentiel, également dans leur vie professionnelle. Les femmes qui sont astreintes à être femme au foyer, à prodiguer des soins ou se consacrer à la mode feraient peut-être de brillantes astrophysiciennes ou chercheuses médicales. Un homme accro au bodybuilding ou n’ont que leur carrière professionnelle en tête préféreraient peut-être développer leur sens artistique, approfondir leur potentiel social ou littéraire.
Mais les identités de genre existent cependant toujours. Et rappelons qu’elles n’existent plus par nécessité technique, mais uniquement à cause des rapports de propriété de la société capitaliste. C’est devenu un paturon du développement humain, personnel et technologique de la société.
Pourquoi le capitalisme ne peut-il socialiser le travail domestique ?
Le capitalisme repose sur la propriété privée des moyens de production. Le seul motif de la production est la recherche du profit. Donc, le travail commun pour l’accomplissement des besoins de la société contredit le capitalisme. L’Etat capitaliste n’intervient que dans les domaines qui touchent à ses intérêts clés (infrastructure, approvisionnement en matières premières, industrie des armes, etc.) ou ceux qui ont été imposés par le mouvement ouvrier (santé, logement, écoles, maisons de retraite, etc.). En aucun cas, il ne réorienterait les ressources sociales telles que le travail domestique ou l’éducation des enfants vers une nouvelle base collective : jamais le capital ne permettrait une telle ingérence de l’Etat. Pour organiser le travail de reproduction d’une façon capitaliste, il faudrait payer des salaires beaucoup plus élevés, ce qui est complètement irréaliste.
Durant les années d’après-guerre, sous les conditions de l’essor économique, certaines parties du travail de reproduction ont été organisées par l’Etat. (Selon le marxisme, le travail de reproduction est le travail nécessaire pour reproduire la classe ouvrière en tant que classe ouvrière, notamment l’éducation des enfants, le travail domestique, les soins, etc.), afin de permettre l’activité professionnelle des femmes, devenue économiquement nécessaire. Pourtant, ces mesures étaient insuffisantes pour libérer les femmes du travail domestique. Même dans les pays les plus avancés, comme la Suède, elles n’ont touché qu’une petite partie de ces activités. De plus, la qualité des institutions étatiques dans le capitalisme étant souvent mauvaise, on a peur – à juste titre–de leur confier ses proches.
Aujourd’hui, en temps de réémergence du chômage de masse, on observe un revirement vers le « retour au fourneau ! ». On cherche à charger les femmes avec l’ensemble du travail des soins à travers des concepts tels que la « déshospitalisation » ou le démantèlement des dépenses publiques.
La société capitaliste prône la liberté de l’individu. Cette liberté, cependant, n’est pas réelle, puisque l’écrasante majorité des gens restent dans le besoin de vendre leur force de travail. La liberté capitaliste n’est pas seulement superficielle, mais elle est souvent violente, puisqu’elle n’assume aucune responsabilité pour l’individu. Ainsi, le capitalisme définit le travail de reproduction, le travail domestique, l’éducation des enfants et les soins comme des affaires privées. La société n’assume aucune responsabilité envers ses enfants et dit aux gens privés de leur indépendance économique : « Vous êtes libres ! Débrouillez-vous ! »
Concernant l’éducation des enfants et le travail domestique, la société capitaliste ne peut assumer aucune responsabilité. En fait, le capitalisme est incapable d’organiser le travail de reproduction de manière collective ou de le transformer en travail salarié.
Dans les sociétés primitives ou dans les communautés villageoises du moyen-âge, la communauté soutenait les individus dans leurs travaux domestiques. Dans des sociétés non-capitalistes, des travaux tels que manger, cuisiner, nettoyer, soigner les vieux, garder les enfants, etc. étaient effectués communément, faisant partie de la cohésion sociale et de la culture commune. Sous le capitalisme, ces activités pourtant essentielles sont la tâche de la famille. Et là, elles sont effectuées par la femme.
Pourquoi le capitalisme a-t-il besoin que le travail domestique et l’éducation des enfants soient des travaux non rémunérés ?
Dans le capitalisme, comme Marx l’a dévoilé, le salaire est principalement déterminé par les coûts de reproduction. Comme mentionné plus haut, les coûts de reproductions sont les coûts que le travailleur et la travailleuse assument afin de se maintenir en vie et d’élever des enfants capables de les remplacer un jour. Cela semble violent – c’est effectivement le cas, car le capitalisme est un système violent. Vu que les coûts de reproduction sont déjà intégrés dans le salaire – et le déterminent principalement – il ne reste plus de salaire supplémentaire pour le travail domestique et l’éducation des enfants. Voilà également la raison pour laquelle le salaire des femmes est moins élevé. Selon la logique du système capitaliste, tant que le salaire de l’homme couvre les coûts de reproduction, la femme n’a pas besoin d’être rémunérée.
L’homme et la femme ne pourraient-ils pas se relayer pour le travail domestique ?
Concernant l’égalité homme-femme, le capitalisme est contraint par d’étroites limites économiques et idéologiques. L’égalité de la femme nécessiterait l’égalité salariale entre l’homme et la femme. Pour ce faire, cependant, la masse salariale réelle de la classe ouvrière dans son ensemble devrait massivement augmenter. Pourquoi les capitalistes devraient-ils/elles permettre cela ? Depuis les années 80, le développement des salaires dans les pays industrialisés de l’Occident va dans le sens opposé.
Dans un deuxième temps, l’égalité de genre demanderait que les femmes et les hommes se répartissent le travail de reproduction non rémunéré. Cela n’est possible qu’après l’obtention de l’égalité salaire, car avant ce serait évidemment la personne ayant le salaire moins élevé qui arrêterait de travailler. Afin que l’on atteigne l’égalité de genre, la répartition du travail domestique nécessiterait une diminution massive du temps de travail, avec en même temps l’augmentation massive des salaires réels. Pourtant, il s’agit ici d’une revendication qui dépasse clairement les limites du capitalisme.
Néanmoins, même si nous arrivions à imposer tant la réduction du temps de travail que l’augmentation des salaires dans le capitalisme, nous n’aurions pas encore atteint notre objectif. Dans ce cas, un combat devrait avoir lieu entre les hommes et les femmes autour de la question du travail domestique. Ce faisant, les femmes ne feraient pas seulement face à la résistance de la morale bourgeoise, mais également à celle de la grande majorité des hommes.
Pour nous marxistes, il ne s’agit justement pas de la question de savoir qui s’occuperait du travail domestique dans la famille nucléaire. Il est beaucoup plus important d’organiser communément – et avec le soutien de la science et de la technique modernes – le travail domestique, qui aujourd’hui est effectué de manière individuelle et dilettante. Il faut faire sauter les chaînes étroites du ménage de petite taille. Nous devons attribuer aux travaux probablement les plus importants de l’espèce humaine, notamment les soins des proches, l’éducation et l’encouragement général du développement des enfants, la nutrition des personnes, etc., les plus grandes ressources disponibles à toute la communauté. Cependant, ceci ne peut être garanti que par une société qui oriente ses actions selon les besoins des gens et non pas selon le profit.
Jusqu’à maintenant, nous nous sommes concentré-e-s sur les origines économiques de l’oppression de la femme dans le capitalisme. Les origines idéologiques jouent pourtant un rôle au moins aussi important. Même si le capitalisme n’était pas obligé d’opprimer la femme économiquement, il ne romprait quand même pas avec l’idéologie de l’oppression des femmes. Car le capitalisme – en tant que système d’exploitation et d’oppression – adopte toute forme d’idéologie d’oppression existante dans la société ou, ce qui revient au même, ne s’engage pas à combattre cette idéologie et à la remplacer par une nouvelle. À l’exception d’un petit épisode de la révolution française de 1793 et dans la période de formation de certains états américains, les forces politiques de la bourgeoisie se sont toujours appuyées sur l’idéologie de l’oppression des femmes.
Sexisme et capitalisme
Ainsi, le capitalisme profite tellement de l’oppression de la femme qu’il ne pourrait plus s’en sortir aujourd’hui sans elle. Mais l’oppression des femmes ne découle pas du capitalisme. Au moment de son émergence, le capitalisme a déjà trouvé tout faite l’oppression de la femme sous la forme de la famille patriarcale. Celle-ci est une survivance de la barbarie et a émergé lorsque l’humanité s’est transformée d’une société tribale en une société de classe. Le capitalisme a donné à la famille patriarcale la forme spécifiquement bourgeoise de la famille restreinte, voire nucléaire, dans laquelle l’individu atomisé peut être tout à fait soumis à une exploitation optimale par le capital. Donc, le capitalisme n’est pas une forme du patriarcat, mais c’est la famille patriarcale en tant que survivance de la barbarie qui est instrumentalisée par le capitalisme dans la forme spécifiquement capitaliste de la famille de petite taille.
Et cette relique nécessite une justification idéologique. La condamnation de la femme au travail gratuit et la discrimination générale de la femme sont dans la logique capitaliste légitimées par le sexisme. Le sexisme est un phénomène complexe. Il s’exprime dans tous les domaines de la société : La femme est marginalisée et discriminée dans les domaines de la profession, de la science, du loisir, de la culture, du sport, de l’humour, etc.
D’un côté, il y a le sexisme ouvert, qui s’exprime dans le dénigrement immédiat de la femme : blagues, remarques, harcèlement sexuel par la parole et les actes. Néanmoins, le sexisme a également une face cachée, puisque nous sommes confronté-e-s dès notre plus jeune âge avec des conceptions pré-faites quant aux différents rôles dans la famille nucléaire capitaliste. Ce n’est pas tout : ces différents rôles, de même que le comportement de la mère et du père sont les toutes premières impressions de la société que nous recevons comme enfants. La distinction entre le rôle du père et de la mère est probablement le premier pas dans la formation sociale de la connaissance du côté de l’enfant.
Le sexisme capitaliste remonte donc à des millénaires de vieille socialisation patriarcale et peut déjà s’incruster dans les cerveaux des gens avant que tout autre raisonnement social prenne forme. C’est pour cette raison que le capitalisme n’a aucun problème à arborer de temps en temps un visage plus libéral. Autrement dit : le capitalisme se permet parfois de dénoncer le sexisme en le mettant en lumière – tout en faisant confiance au sexisme bétonné caché dans nos cerveaux.
Non seulement les hommes, mais aussi les femmes sont emprisonnées dans les stéréotypes de genre capitalistico-patriarcaux. Certaines femmes sont elles-mêmes convaincues de l’infériorité de leur sexe. De même que beaucoup d’hommes se mettent en avant au détriment des femmes, de même quelques femmes préfèrent rester en retrait. Ce sont deux faces du même phénomène.
Sexisme et lutte de classes
Nous avons donc analysé les intérêts économiques du capital à opprimer les femmes. A cela s’ajoute encore le volet politique. Le sexisme ainsi que la division de la classe ouvrière en d’un côté les hommes mieux lotis et de l’autre côté les femmes inférieures aux hommes affaiblit le mouvement ouvrier dans la lutte de classe. D’une part, les femmes subissant des charges multiples (éducation des enfants, ménage et travail salarié), une grande partie de la classe ouvrière est exclue de la vie politique. D’autre part, les salarié-e-s masculins et féminines peuvent être mis en concurrence. Par exemple, les femmes mal organisées et mal rémunérées peuvent être instrumentalisées en vue de baisser les salaires. Simultanément, le sexisme d’une partie des hommes peut être utilisé pour maintenir le personnel féminin dans sa position sous-privilégiée.
« Diviser pour mieux régner » – voilà le mot d’ordre de tout-e exploiteur-euse. Ainsi, la classe ouvrière est divisée en catégories professionnelles, en citoyen-ne-s, étrangers et étrangères, en différentes races, et ainsi de suite. C’est similaire au sexisme : En permettant à un travailleur masculin de « faire le chef » face à une collègue féminine, on l’intègre au moins temporairement dans le système. De manière comparable au racisme, une personne est discriminée à cause d’un trait biologique. Selon Lénine, le racisme est un poison idéologique. Cela s’applique sans doute encore plus au sexisme. Comme dans le cas du racisme, le sexisme ouvert en mot et en actes constitue un crime contre la classe ouvrière car, comme le racisme, il divise et affaiblit la classe ouvrière dans l’intérêt de la classe dominante. Dans l’objectif de leur faire perdre de vue leur but commun, les travailleurs et travailleuses sont donc séparé-e-s en deux groupes.
Vu que les femmes ne constituent pas une minorité, mais la moitié de leur classe, la division de classe à travers le sexisme a des conséquences encore plus importantes que le racisme. Tant que les femmes sont exclues du mouvement ouvrier, il ne peut pas avoir de véritable action de classe.
A cause de la charge multiple, il ne reste souvent que peu ou pas du tout de temps aux femmes pour participer aux évènements sociaux. Elles sont souvent obligées d’abandonner leur travail. Cela est promu par le capitalisme en ce que, par exemple, on n’offre pas suffisamment de places de garde d’enfants. L’idéologie sexiste amène à dénoncer des femmes comme de « mauvaises mères » lorsqu’elles vaquent à des activités professionnelles. A cela s’ajoute la dépendance de la femme envers l’homme.
Cependant, elles ne sont pas seulement exclues de la vie publique, mais en particulier également du mouvement ouvrier organisé. À ce domaine appartiennent notamment les réunions des partis politiques ou d’organisations auxquelles les femmes ne peuvent souvent pas participer pour des raisons de temps.
Ainsi, le mouvement ouvrier est affaibli d’une manière décisive, car les femmes font partie des couches les plus opprimées parmi la population salariée. Dans ces conditions, les femmes ne peuvent participer à la lutte de classe que difficilement et à un degré moindre par rapport à leur force numérique. Potentiellement, les femmes sont le groupe le plus radical et le plus fort de la classe ouvrière, puisqu’elles sont les plus opprimées. Et cela s’applique à toute société de par le monde – que ce soit dans des pays agraires arriérés comme la Turquie et l’Iraq, ou dans d’autres pays de tradition musulmane, ou dans les pays industrialisés de l’Occident.
C’est pourquoi les hommes salariés auraient en fait un grand intérêt économique à intégrer pleinement les femmes dans la lutte de classe. Car c’est seulement ainsi nous pouvons atteindre nos objectifs communs dans la lutte de classe ainsi que, finalement, la révolution socialiste.
Uniquement là où les femmes faisaient partie de la lutte de classe, des réformes sociales ont pu être conquises. Par exemple, après la Première et la Seconde Guerre mondiale, lorsque les grandes réformes sociales ont été imposées en Autriche, la plupart des travailleurs-euses étaient – en raison de la guerre – des femmes. Et partout où les femmes étaient intégrées dans la lutte de classe, les premières conquêtes pour l’égalité de genre ont pu être atteintes. Ainsi, ce sont surtout les révolutions en Russie (1917) ainsi qu’en Allemagne et en Autriche (1918) qui ont contribué à l’apparition du suffrage féminin.
Il résulte clairement de tout cela que ceux et celles qui militent pour l’émancipation des personnes ouvrières ont la tâche de s’engager pour l’union des hommes et des femmes dans la lutte de classe.
Sans libération de la femme, pas de socialisme. Sans socialisme, pas de libération de la femme
La lutte de classe ne peut aboutir que lorsqu’on est solidaires. Ainsi, il n’est pas possible de parler de socialisme tant que certaines personnes oppressées ne se seront pas libérés. La classe ouvrière ne peut se libérer si elle est divisée, elle ne peut pas non plus régner séparément et encore moins mettre en place une société libre qui abolit dès sa création toute forme d’oppression.
Ainsi, même si une révolution éclate, celle-ci ne pourrait pas aboutir. A court ou à long terme, elle échouerait et les progrès en cours finiraient par disparaître dans leur totalité. C’est précisément ce qui s’est passé dans l’Union soviétique. A partir du moment où les bolcheviques avangardistes étaient réprimés par la bureaucratie Stalinienne, le sexisme et le racisme ont atteint un pic sans précédent. La division politique interne créé par la présence de différentes nationalités, c’est-à-dire : russes, polonais, ukrainiens, allemands de Tchécoslovaquie etc. ont autant contribué à la chute de l’Union soviétique que la dominance patriarcale au sein de la société.
Le meneur de la révolution de la classe ouvrière a pour responsabilité de rassembler les intérêts communs et de les reformuler. S’il ne le fait pas, il risque de perdre sa crédibilité et de renforcer les forces réformistes et pro-capitalistes au sein de la classe ouvrière.
L’évolution contradictoire de la conscience de classe de la femme ouvrière
En « temps normal », les femmes ouvrières ont tendance à être moins politiquement actives que leurs collègues masculins. Cependant, s’agissant de la lutte de la classe ouvrière, elles s’avèrent plus agressives et révolutionnaires. Ce phénomène d’évolution paradoxal de la conscience de classe des femmes ouvrières découle du caractère général de leur oppression.
Les hommes souffrent moins de l’oppression dans le monde du travail et dans le système capitaliste en général. Ainsi, le mouvement des femmes ouvrières reflète la situation politique actuelle, c’est-à-dire l’injustice qui leur est imposée par le système capitaliste. La misère concerne l’ensemble de la classe ouvrière mais elle touche particulièrement les femmes. Faute de moyens de s’exprimer et ainsi exclues de la vie politique, il en résulte un manque d’implication dans le mouvement ouvrier. A première vue, donc, la situation ouvrière des hommes semble plus favorable.
A travers les multiples charges qui leur incombent « en temps normal », les femmes ont moins de temps à dédier aux activités syndicales ou politiques. Ce phénomène est d’autant plus renforcé lorsque la lutte a peu de chance d’aboutir, lorsqu’elle ne porte pas sur une amélioration de leurs problèmes spécifiques ou encore lorsque les hommes se saisissent de la « question de la femme » afin d’améliorer leur profil politique.
Le véritable problème des femmes ouvrières est donc leur exclusion de la société à travers les multiples charges. Malheureusement, ni la lutte politique ni la lutte ouvrière à petite échelle ne pourront y changer quelque chose. Par conséquent, le peu d’intérêt que les femmes y portent paraît justifié, ou du moins compréhensible.
S’agissant de véritables luttes de classe ou de mouvements syndicaux, le comportement des femmes ouvrières est différent. La détermination et l’esprit combatif y ressortent plus fort que jamais. Ces femmes ressentent une lueur d’espoir de libération de leur double oppression, soit la marginalisation de la société par le travail et la charge supplémentaire liée à l’éducation des enfants et au ménage. Cette double oppression ne peut être combattue que par un renversement de la société. C’est précisément ce qu’une femme ressent pendant des moments de lutte de classe intense et ce, de manière plus ou moins consciente. En effet, pour beaucoup de femmes ouvrières, parfois même des mères célibataires, s’investir dans la lutte ouvrière leur permet de participer à la vie sociale et de combattre leur mise à l’écart. Pendant la lutte ces femmes, parfois encore des collègues de travail, développent de toutes nouvelles relations et, par ce fait, un sentiment d’appartenance : une vie sociale se développe dans un monde du travail généralement si asocial. Les femmes ouvrières ressentent pendant la lutte ouvrière leur potentiel communautaire et révolutionnaire de manière beaucoup plus intense que les hommes.
C’est pour cette raison qu’à la tête de chaque grand mouvement révolutionnaire se trouvait une femme. La révolution française débuta avec la marche des femmes sur la Bastille. La révolution russe a éclaté après une grève des ouvrières travaillant dans le secteur du textile en l’honneur de la journée de la femme, le 8 mars. Lors de la commune de Paris les femmes combattaient, armées, la contre-révolution capitaliste. Ces exemples et beaucoup d’autres prouvent que la femme ouvrière est une flamme qui permet à la révolution de prendre feu. Sans elle, aucune société équilibrée ne pourra aboutir.
Réformisme et sexisme
La priorité des réformistes est toujours de créer une aristocratie ouvrière. Celle-ci construit les bases de la société afin de ne pas se laisser corrompre par le capital. En procédant ainsi, une partie de la classe ouvrière satisfait largement à ses besoins. De l’autre côté, une autre partie de la classe ouvrière est désavantagée car exploitée et ce sont le plus souvent les femmes. L’écart de traitement entre hommes et femmes se creuse. Ce n’est pas par hasard que les réformistes jouissent d’une haute conjoncture dans les pays où les richesses du monde entier se concentrent, comme l’Europe par exemple. Il est clair qu’en Amérique du sud leurs politiques échoueraient lamentablement.
Le sexisme est ainsi une arme du capital. Si le mouvement ouvrier ne veut pas rompre avec le capital, il devra recourir aux mêmes méthodes que les capitalistes. En le comparant au racisme, on remarque que la différence de traitement entre hommes et femmes est utilisée comme la ségrégation raciale afin de favoriser “sa” partie de la société aux dépens des autres. Les mouvements ouvriers qui sont le mieux organisés sont ceux des hommes, tels que celui des fonctionnaires ou des employés. Dans le milieu des emplois typiquement féminins, tels qu’on les trouve dans le milieu social, de la santé ou du commerce, l’organisation ouvrière s’est montrée extrêmement faible. Aussi, les collègues étrangères, la main-d’œuvre “de leasing” (d’emprunt, n.d.t.) et les apprenties inexpérimentées ou faiblement occupées sont mal organisées. Souvent, il ne s’agit pas d’une difficulté organisationnelle liée à ces couches de la société, mais plutôt du manque de volonté de la bureaucratie ouvrière de s’en occuper. Les hôpitaux, par exemple, vu le grand nombre d’employées, seraient facilement “organisables”.
Le mouvement ouvrier actuel recherche consciemment des demandeurs de travail de “qualité”, dans une optique illusoire de réforme du capitalisme. Ils ne veulent pas d’ouvriers faiblement occupés qui risqueraient de mélanger organisation ouvrière et lutte ouvrière. Ceci explique pourquoi des organisations ouvrières, par exemple dans le milieu de la santé ou dans le social, où les employés sont majoritairement des femmes, n’existent que de manière très limitée. Dans ce genre de situation, l’organisation ouvrière réformiste joue le rôle du serviteur qui effectue le travail en faveur du capitalisme.
C’est ainsi que la misogynie et le sexisme enveniment les mouvements ouvriers et syndicalistes avec leurs discours superficiels. Cela ne changera pas tant que l’essentiel ne sera pas organisé : la lutte de classe solidaire entre femmes et hommes ouvriers/ères.
Quels objectifs poursuivent les marxistes quant aux relations des sexes et à la lutte de classe ?
Dans un mouvement ouvrier révolutionnaire, basé sur les piliers du socialisme, la solidarité et l’égalité des droits, tout homme et toute femme a sa place. A partir du moment où ils s’unissent dans la lutte de classe révolutionnaire, ils luttent ensemble pour leurs intérêts communs. Ce qui les sépare – comme le sexisme ou le racisme – perd toute importance, la confiance en soi et surtout la conscience des classes sont consolidés.
Opposé à ceci se positionne le capitalisme qui domine notre présent. Chaque travailleur et chaque travailleuse est marqué par le système prédominant ; dans un sens positif, par rapport à la conscience de classe, mais aussi dans un sens négatif par le racisme et le sexisme. Chaque personne en est affectée et son dépassement représente la vraie lutte. On peut comprendre tous les mécanismes du capitalisme ; mais les impressions humaines qu’on subit dès qu’on est jeune (d’où par exemple se développe le sexisme caché) sont difficiles à dépasser.
Pour cette raison, il est crucial pour les marxistes de combattre le sexisme vigoureusement, car il affaiblit le mouvement ouvrier et empêche la mise en place d’une organisation révolutionnaire, composée de la classe ouvrière entière. Il renforce le pouvoir du capital et les tendances réformistes dans le mouvement ouvrier. Contrairement au racisme, qui souvent a poussé bien des camarades à s’engager dans le mouvement révolutionnaire, le sexisme est largement répandu dans le mouvement ouvrier, surtout parmi les hommes. Il présente un problème très grave. Ainsi souvent n’est pas attribuée assez d’importance à la mauvaise situation de la femme dans le monde du travail.
Les marxistes ont pour objectif d’unir les femmes et les hommes dans la lutte de classe et de combattre toutes les obstacles qui y sont opposés, ce qui implique une lutte intransigeante contre le sexisme. Sans la libération de la femme, il n’aura pas de libération de la classe ouvrière et sans la lutte de classe commune, il n’aura pas de libération de la femme ouvrière.
Quel rôle joue le féminisme ?
Voyons d’abord ce que le psychanalyste et sexologue autrichien Ernst Bornemann dit de ce sujet dans son œuvre principale, « Le patriarcat » :
« Ce qu’empêche la femme dans son épanouissement est précisément ce que limite l’homme dans le sien. Ce n’est qu’en balayant ce qui frustre les deux qu’on balaye la frustration en tant que telle et ainsi aussi ses raisons plus profondes : le patriarcat avec ses principes inhérents de hiérarchie biologique [et] du caractère présupposé immuable des différences de genre. [L’égalité des droits] dans la société patriarcale ne signifie rien d’autre que l’adaptation aux échelles de valeur du patriarcat. Ces dernières ne détruisent pas uniquement la femme, mais aussi l’homme lui-même, parce que le patriarcat n’est pas uniquement la dictature de l’homme sur la femme et l’enfant, mais également l’idéologie d’un système de production d’exploitation qui corrompt tous les participants : Pas uniquement les oppressés, mais aussi les oppresseurs, pas seulement les exploités, mais également les exploiteurs. » (Traduction par la rédaction de : Ernst Bornemann, Das Patriarchat, Fischer, Frankfurt/Main 1983, pp. 540)
Bornemann le ramène à l’essentiel (tout en développant sa propre notion de patriarcat) : le patriarcat n’est pas la seule oppression de la femme par l’homme ; il est un rapport idéologique qui les muselle tous deux dans l’intérêt du capitalisme et dont les deux, femme et homme, ont intérêt à ce qu’il soit dépassé. Le féminisme – et cela dans toutes ses tendances, des féministes radicales aux « féministes marxistes » – se caractérise par contre par une contradiction d’intérêt irréconciliable entre les genres. On y attribue alors un caractère indépendant de la lutte des genres, séparée de la lutte de classe.
Pour les marxistes, la libération de la femme travailleuse est par contre inséparable et organiquement liée à la lutte de classe et à une perspective révolutionnaire. Nous nous opposons à une séparation non-dialectique et mécanique en « contradiction principale » (lutte de classe) et « contradiction secondaire » (rapport de genres). Bien plus encore : nous refusons tout simplement la séparation artificielle en deux contradictions distinctes. Les deux contradictions sont inséparables et organiquement liées. C’est ainsi qu’il n’est pas nécessaire des construire une idéologie autonome de l’émancipation de la femme, indépendante du marxisme. Au contraire : le lutte contre le sexisme et pour la libération de la femme travailleuse peut être menée entièrement avec les outils offerts par le marxisme. Il est bien-sûr évident que la littérature marxiste précédente présente des nombreuses lacunes en ce qui concerne la question des rapports des genres. Il n’est par contre pas nécessaire de combler ces lacunes par une autre théorie. Nous voulons plutôt la remplir par le marxisme lui-même – étant donné que sa logique interne nous pousse de toute manière dans ce sens.
Il y a beaucoup d’honnêtes combattant-e-s parmi les personnes qui se désignent féministes. Les représentant-e-s du féminisme essaient par contre de présenter les rapports de genre comme indépendants des contradictions de classe. Elles/ils brouillent ainsi les contradictions de classe. La tentative de poser la féminité au-dessus, au même plan, voire même en opposition à la lutte de classe représentent à l’échelle politique souvent une tentative des forces réformistes ou bourgeoises, de se construire une base parmi les jeunes femmes ou les femmes travailleuses sans véritablement vouloir représenter les intérêts sociaux de ces dernières.
Nous connaissons par maints exemples que l’ascension de femmes à la tête de partis ou de syndicats n’ont amené aucune amélioration des conditions pour les travailleuses. Bien au contraire, des telles ascensions ont souvent été accompagnées par des aggravations. Pour démontrer cela il n’est même pas nécessaire de se référer à Angela Merkel ou Maggie Thatcher. Il en est suffisamment d’exemples similaires au sein du mouvement ouvrier. Le féminisme bourgeois est une réaction bourgeoise à l’oppression sociale de la femme. Il conçoit « les femmes » de façon générale – il ne les distingue pas par classe avec des intérêts distincts. D’une manière un peu caricaturale l’on pourrait considérer le féminisme bourgeois comme une sorte de nationalisme d’un peuple opprimé et humilié. Ces formes de nationalismes ne permettront jamais à libérer la travailleuse, mais elles consolident bien les hiérarchies de classes et le mouvement ouvrier demeure divisé.
Les réformistes aiment particulièrement sauter sur le rail du féminisme. Ceci leur permet de faire montre d’une prétendue radicalité sans aborder le problème de la lutte de classe. Les organisations réformistes cèdent très volontairement une petite sphère de pouvoir, (la « politique de femmes »), au féminisme en tant que terrain de jeux. Les véritables problèmes de la travailleuse ne sont par contre pas abordés.
Les rapports de genre et l’organisation révolutionnaire
Jusque-là, nous avons traité du sexisme dans le contexte du mouvement ouvrier de façon générale et en particulier dans celui du réformisme. Malheureusement, le sexisme se manifeste également au sein d’organisations révolutionnaires.
Comme nous l’avons déjà mentionné, les comportements sexistes sont largement répandus dans un contexte de conditions inhérentes à la société capitaliste. Une organisation révolutionnaire n’existe pas dans un vacuum et ne peut pas se soustraire entièrement de ces influences.
Toute forme de sexisme ouvert, d’insultes et d’atteintes physiques doivent être punies par l’exclusion de l’organisation. Cette lutte contre le sexisme ouvert est encore relativement simple. Il est cependant beaucoup plus difficile de bien affronter le sexisme « caché ». Certains hommes ne sont peut-être pas ouvertement sexistes mais présentent fréquemment malgré tout des comportements visant à s’imposer face à d’autres camarades au sein de l’organisation révolutionnaire – comme par exemple lors de discussions politiques. Dans la plupart des cas, la frontière entre l’exercice conscient et inconscient du sexisme « caché » n’est pas claire. Ceci provient justement du fait que le sexisme est si largement répandu et profondément ancré au sein de notre société. Le fait qu’un camarade masculin ne voit pas de prime abord – consciemment ou inconsciemment – sont vis-à-vis de l’autre sexe comme combattante égale dans la lutte de classe exprime justement le sexisme « caché ». Cela se montre à maints égards : des prises des paroles de femmes ne sont pas vraiment prises au sérieux ; on les écoute moins bien ; elles sont ignorées ; des personnes qui pourraient être recrutées dans l’optique d’un engagement au sein de l’organisation révolutionnaire sont moins bien encadrées ; on discute plus de questions personnelles que politiques avec des camarades femmes, etc. Des cas extrêmes peuvent survenir où des camarades de sexe féminin sont uniquement vues en tant que femmes et où les camarades masculins essaient de les impressionner au lieu de discuter de politique avec elles. Ceci peut avoir comme conséquence qu’une femme ne considère pas une organisation dominée par des hommes comme une organisation de lutte de classe, à laquelle les femmes peuvent contribuer à titre égal mais qu’elles se sentent davantage comme un « accoutrement féminin » du groupe.
C’est pour cela qu’il est important de combattre le sexisme « caché » au sein de l’organisation. Chacun est convié à s’interroger au sujet de ses comportements de manière permanente dans l’optique d’une lutte de classe commune. Bien que le sexisme « caché » ne puisse probablement pas disparaître entièrement dans une société socialiste, chacun doit travailler sur soi-même en vue de le minimiser au plus.
Des études scientifiques avec des enseignant-e-s montrent à quel point il est difficile de reconnaître le sexisme « caché ». Elles montrent que des élèves filles sont souvent négligées même lorsque les participant-e-s pensaient avoir consciemment privilégié les filles. Cela concerne non seulement les enseignants, mais également les enseignantes.
Lorsqu’elles ne sortent pas du rôle qui leur est socialement prescrit, les femmes agissent également de manière à favoriser « sexiste caché ». Cela s’exprime de manière tendancielle dans le fait qu’elles se considèrent souvent elles-mêmes comme non- égales aux hommes : elles n’ont pas assez confiance en elles-mêmes ; elles se sentent plus souvent surchargées par leur responsabilité politique ; elles demandent moins de précisions lors de réunions ; en cas de doute, elles prennent moins souvent la parole ; elles protestent moins lorsque la présidence de réunion les oubliées ; elles n’osent, dans de nombreux cas, pas faire un exposé, etc. Souvent, les femmes n’osent pas interpeller ouvertement l’organisation lors de problèmes ou erreurs. Ce comportement, qui n’est pas inexistant auprès des camarades masculins, peut avoir comme conséquence que certains problèmes sont uniquement discutés dans des petits groupes de camarades amis, ce qui peut engendrer une atmosphère de méfiance réciproque au sein de l’organisation. Le sexisme « caché » des deux genres doit être combattu dans l’organisation révolutionnaire. Une amélioration des rapports de genres doit être atteint par un travail de conscience permanent. Le comportement des camarades dans de leur temps libre y joue aussi un rôle important. C’est dans ce cadre que l’on est perçu par le reste de la société et c’est là que les camarades jouent un rôle de modèle pour la lutte de classe au sein de leur environnement.
La solidarité des genres au sein de l’organisation ne peut que fonctionner si elle n’est pas contrecarrée par le sexisme dans le temps libre. Pour ne laisser aucune chance au sexisme, chacun/chacune doit vivre le socialisme de manière permanente – avec la même sérosité par laquelle on mène, par exemple, la lutte antifasciste. Chaque tâche assumée par une ou un camarade au sein de l’organisation devient inutile si le mouvement révolutionnaire perd sa crédibilité. Dans ce cas, l’effet négatif ne concerne pas uniquement les questions féminines au sein de la lutte de classe, mais l’ensemble des enjeux du mouvement ouvrier.
Dans d’anciennes organisations de travailleurs-euses, les membres se désignaient mutuellement comme « frères ». Ceci avait pour but d’exprimer leurs rapports solidaires, la fraternité étant une des valeurs fondamentales de la révolution française. [En allemand, il existe une expression pour la fraternité qui englobe à la fois les frères et les sœurs, la Geschwisterlichkeit. Les camardes disent que celle-ci n’a rien perdu d’actualité, note du traducteur.] Le climat social à l’intérieur comme à l’extérieur d’une organisation révolutionnaire doit être marqué par un comportement solidaire (ce qui ne signifie évidemment pas qu’il ne peut pas avoir de rapports amoureux au sein d’une organisation révolutionnaire).
Comment des marxistes peuvent-ils combattre le sexisme dans leurs propres rangs ?
Le but des marxistes doit être de combattre le sexisme sans compromis dans leurs propres rangs. Chaque insulte ouvertement sexiste, physique ou verbale doit être sanctionnée en tant que comportement gravement nuisible pour l’organisation. Cependant, le travail organisationnel interne des marxistes concernant le rapport des sexes va plus loin que les interventions disciplinaires. L’objectif est une participation maximale des femmes dans tous les champs de travail et à tous les niveaux de l’organisation, une mobilisation politique des femmes pour tous les champs de travail et pour tous les niveaux de l’organisation. Ces niveaux vont des branches locales aux organes dirigeants de l’organisation. Tous les obstacles à la participation des femmes doivent être éliminés. Il s’agit de mettre l’accent sur les femmes lors du recrutement de nouveaux/ nouvelles activistes, que ce soit pour l’assistance qui doit leur être apportée et pour leur formation, pour la division interne du travail etc.
Cela ne peut cependant pas être fait uniquement à travers des moyens politiques. Concernant l’occupation des postes de cadres, les femmes doivent être poussées de telle sorte qu’elles comptent parmi les meilleures candidat(e)s possibles pour la prise en charge d’un domaine de responsabilité. Des solutions techniques comme la règle de quotas, l’application d’un « système de fermeture éclair » lors des discussions etc. sont hors de question pour des marxistes : « Qui revendique des droits spéciaux pour la femme, les traite avec condescendance et les dégrade ainsi. » (Bornemann) La solution concernant la question du rapport des sexes ne se situe pas aux mesures organisationnelles-techniques. La lutte pour une amélioration du rapport des sexes ne doit jamais entrer en contradiction avec le but de la meilleure occupation possible des organes directifs.
Les marxistes ne peuvent pourtant bien entendu pas refuser des solutions techniques, sans offrir de solution alternative de nature politique. Dans une organisation révolutionnaire, il doit y avoir des responsables spéciaux qui réfléchissent aux obstacles empêchant une plus forte participation des femmes dans les différents domaines de travail et à différents niveaux de l’organisation ainsi qu’aux mesures qui doivent être prises afin d’éliminer ces obstacles.
Il est important que ces responsables ne constituent pas une structure séparée de l’organisation mais qu’ils fassent partie des organes élus par l’organisation. Il s’agit justement d’intégrer les femmes dans la politique de l’organisation – la structure responsable pour l’intégration renforcée ne peut donc pas être séparée de la structure dirigeant la politique de l’organisation. La question du rapport des sexes et de la lutte de classe sont organiquement liées pour les marxistes. Cette unité organique doit aussi se refléter au niveau organisationnel.
Il est inconcevable qu’une organisation révolutionnaire abaisse le rapport des sexes à une pure question féminine structurellement séparée. Cela signifierait que les organes politiquement responsables s’extirpent de leurs responsabilités et imputent le problème aux femmes. Des commissions d’égalité des sexes devraient donc être constituées de femmes et d’hommes car le sexisme concerne les femmes tout autant que les hommes. Enfin, le sexisme nuit non seulement aux femmes mais à toute l’organisation.
Le concept d’une organisation marxiste en ce qui concerne l’amélioration du rapport des sexes s’oppose diamétralement au concept des organisations réformistes. Les organisations réformistes considèrent, dans la plupart des cas, la « question des femmes » comme étant séparée de la lutte de classe, même si elles se positionnent en faveur de la lutte de classes. Ceci se reflète aussi dans le fait qu’elles créent leurs propres « structures politiques féminines ». Au lieu d’intégrer les femmes dans les champs de travail et les niveaux existants de l’organisation, un nouveau champ de travail et un nouveau niveau sont créés. Ces structures de politiques de femmes doivent constituer une sorte de lobby pour les femmes dans l’organisation et être composées de femmes uniquement. Par exemple ces organisations élisent leur propre présidente et organisent leurs propres conférences de femmes. En bref elles constituent une structure parallèle.
En réalité, la direction de l’organisation se retire ainsi de toute responsabilité dans l’amélioration du rapport des sexes et déplace cette responsabilité sur le « lobby des femmes ». Ils font comme si ce problème était le problème des femmes – et non un problème central de toute l’organisation. De plus, et ceci est sans doute le pire, les camarades cadres dirigeantes ont souvent été dégagées dans ces « structures politiques des femmes » et ainsi davantage tenues à l’écart de la direction politique générale de l’organisation. Les « structures de femmes » autonomes servent alors de réservoirs organisationnels internes.
Ces structures de femmes témoignent en vrai d’une pensée paternaliste. Elle assume que les femmes doivent être protégées et tenues dans des structures indépendantes à l’écart de l’homme fort, représenté par l’organisation, car les femmes ne pourraient même pas se mesurer aux hommes sur le quasi même niveau. Une véritable égalité des droits au sein de l’organisation peut uniquement être atteinte si les femmes sont intégrées dans les champs de travail existants et dans la direction politique générale de l’organisation. L’expulsion des femmes dans des structures parallèles rate du coup la cible et n’affronte en aucun sens la suprématie de camarades masculins dans les structures générales ; au contraire, elle la solidifie encore davantage.
Il se peut aussi que, dans certaines conditions, ce soit avantageux que les femmes organisent leurs propres rencontres. Par exemple, ceci peut être nécessaire pour rendre compte de l’ambiance et pour découvrir les problèmes et obstacles à leur développement politique que perçoivent les camarades. Des mesures éducatives spéciales pour les femmes peuvent également être prises. Dans ces cas il s’agit bien de mesures de soutien afin d’accélérer le processus d’intégration des femmes dans les champs de travail et les organes de l’organisations existants. Néanmoins, il s’agit en aucun cas de créer des structures autonomes permanentes.
L’internationale communiste sur la « question des femmes » et le rapport des sexes
Lors du troisième congrès de l’internationale communiste les questions du rapport des sexes et de la libération de la femme ont été rendues prioritaires. Tout au début du congrès une résolution et deux documents à ce sujet ont été adoptés le 8 juillet 1921 :
La troisième partie est particulièrement intéressante en ce qui concerne l’amélioration du rapport des sexes au sein de l’organisation. En voici quelques extraits :
« Seul le communisme crée des conditions dans lesquelles, d’une part, le conflit entre la fonction biologique de la femme – la maternité – et ses obligations sociales, qui l’entravent dans son travail créatif pour le collectif, disparaitra et, d’autre part, le développement harmonieux et diversifié d’une personnalité seine et équilibrée sera complété de manière claire et étroite en concordance avec la vie et les objectifs du collectif de travailleurs. Toutes les femmes qui luttent pour l’émancipation de la femme et la reconnaissance de ses droits doivent poursuivre comme objectif la création d’une société communiste.
Mais le communisme est également l’objectif du prolétariat dans son ensemble et donc, dans l’intérêt des deux côtés, les deux luttes doivent être menées comme « une lutte unique et indivisible. »
« Le IIIe congrès de l’internationale communiste s’oppose clairement à toute forme d’organisation de femmes séparée du parti et des syndicats ou aux organisations spéciales de femmes. Il accepte toutefois que des méthodes spéciales du travail parmi les femmes sont nécessaires et que chaque parti communiste doit mettre en place un appareil spécial pour ce travail. »
« Cet appareil doit se constituer de départements ou de commissions pour le travail parmi les femmes qui sont ajoutées à chaque comité du parti à tous les niveaux de l’organisation, du CC du parti jusqu’au comité de la ville, du district et aux comités locaux. »
« Le IIIe congrès de l’internationale communiste communique que les tâches des partis communistes devant être exécutées par ce département sont les suivantes :
« Les comités des partis dirigent directement le travail des départements des femmes et des commissions des femmes et en sont directement responsables. Les responsables pour le département ou la commission doivent être membres du comité du parti. »
« Le travail parmi les femmes doit être porté par l’ensemble du mouvement et de l’organisation du parti mais doit en même temps être porté par des initiatives indépendantes et viser une libération rapide et complète de la femme en procédant indépendamment d’autres commissions et sections du parti. Le but ne doit pas être de doubler le travail mais de donner la possibilité aux femmes travailleuses de soutenir le parti et ses activités. »
Europe — de Emanuel Tomaselli, ICR Autriche — 16. 11. 2024
Amérique du nord — de la rédaction — 13. 11. 2024
Europe — de Jack Halinski-Fitzpatrick, marxist.com — 11. 11. 2024