[dropcap]L[/dropcap]e jeudi 17 mars, le mouvement contre la loi Travail a franchi une étape importante. Sur les manifestations, les lycéens et étudiants étaient nettement plus nombreux que le 9 mars. En amont, les AG et blocages se sont multipliés dans les lycées. Dans les universités, les AG étaient plus grandes qu’avant le 9 mars. Certes, la mobilisation de la jeunesse est encore dans sa phase initiale. Mais elle accélère. C’est très significatif et prometteur.

Présentée le 14 mars, la deuxième mouture de la loi – aussi inacceptable que la première – n’était pas de nature à démobiliser les lycéens et les étudiants. Quant aux dirigeants syndicaux qui prennent leurs ordres au MEDEF, comme Laurent Berger (CFDT), ils n’ont aucune espèce d’autorité sur la jeunesse. Rien ne lui est plus étranger que les logiques du « moindre mal » ou, en l’occurrence, du « légèrement moins pire ». La jeunesse a compris que la loi Travail aggraverait le chômage, l’exploitation et la précarité qu’elle subit déjà à une échelle massive. Beaucoup rejettent non seulement cette loi, mais l’ensemble du système qu’elle sert, même s’ils ne conçoivent pas encore clairement ce qu’il faut mettre à la place.

Si le gouvernement a très peur de la mobilisation des jeunes, c’est précisément parce qu’elle a un caractère « incontrôlable » – et parce qu’elle peut jouer un rôle important dans la radicalisation de l’ensemble des travailleurs. Toute l’histoire du mouvement ouvrier international en atteste. En France, Mai 68 et la lutte de 2006 contre le CPE (Contrat Première Embauche) en sont deux exemples évidents.

Violences policières
Cela explique la violence policière qui a marqué la mobilisation du 17 mars. Dans de nombreuses villes, la police a provoqué les étudiants et les lycéens. Elle a intimidé les cortèges et les AG. Il y a eu des blessés et des arrestations. A Paris, par exemple, des policiers exhibaient leurs matraques et leurs flash-balls à quelques pas des cortèges, à l’affut du moindre prétexte pour intervenir. Des universités ont été fermées par leurs directions. Tout ceci répond évidemment à une directive du gouvernement, qui espère briser l’élan de la jeunesse sous la matraque des CRS et des agents provocateurs. En quoi il se trompe lourdement. Ces violences contribueront sans doute à massifier et radicaliser la mobilisation – non seulement de la jeunesse, mais de l’ensemble de la classe ouvrière. Mai 68 n’a pas commencé autrement !

Il est probable que les manifestations du 24 mars seront la cible de provocations policières encore plus nombreuses. Cela souligne la nécessité d’une mobilisation massive des organisations syndicales des travailleurs, jeudi prochain. Face aux provocations policières, l’unité des lycéens, des étudiants et des travailleurs change le rapport de force. Lors de la lutte contre le CPE, en 2006, les camarades de la CGT – entre autres – avaient joué un rôle décisif dans le renforcement des cortèges lycéens et étudiants, lors des grandes manifestations.

Le bâton… et la carotte
Le gouvernement a compris que la mobilisation du 31 mars sera puissante. Mais il espère que le lendemain, les directions syndicales renverront à une nouvelle journée d’action, quelque part en avril, et ainsi de suite jusqu’à ce que le mouvement s’épuise et reflue, comme lors de la lutte de l’automne 2010 contre la casse des retraites. Pour faciliter ce processus, le gouvernement ne compte pas seulement sur le bâton policier ; il agite aussi quelques carottes à l’attention des dirigeants syndicaux. Il a annoncé un dégel (dérisoire) du point d’indice des fonctionnaires, c’est-à-dire de leur rémunération. Et tout en gazant les étudiants et lycéens qui se mobilisent, il promet d’étendre le dispositif de « garantie jeunes », qui consiste à verser une allocation de 461 euros à quelques dizaines de milliers de jeunes, faute de leur garantir ce qu’ils demandent : un emploi stable et des conditions de vie décentes.

Les dirigeants syndicaux ne doivent pas tomber dans le piège. Ils doivent expliquer la signification de ces manœuvres – tout en soulignant que le développement du mouvement a déjà permis d’obtenir en quelques jours ce que des années de « négociations » n’avaient pas obtenu (le dégel du point d’indice, aussi faible soit-il). Raison de plus pour accroître la mobilisation contre la loi Travail, mais aussi contre l’état d’urgence et l’ensemble des contre-réformes qui frappent de nombreuses catégories de la population : cheminots, postiers, enseignants, gaziers, personnels soignants, retraités, et tant d’autres. La convergence des luttes, dont beaucoup de jeunes et de salariés comprennent la nécessité, doit reposer sur une plate-forme revendicative plus large – et plus offensive – que le seul retrait la loi Travail. Par exemple, la levée de l’état d’urgence doit être au cœur des revendications, car cet état d’exception n’a rien à voir avec la menace terroriste – et tout à voir avec la répression des luttes.

Les leçons de 2010
Il faut aussi tirer les leçons des grandes luttes de ces vingt dernières années, et notamment celle de l’automne 2010 contre la casse des retraites. A elles seules, de grandes journées d’action – comme celle du 31 mars – ne feront sans doute pas reculer le gouvernement. Sa grande hantise, ce qui le forcerait à reculer, c’est le développement d’un mouvement de grève reconductible embrassant un nombre croissant de secteurs économiques. A l’automne 2010, différentes catégories de salariés avaient engagé un mouvement de grève reconductible : cheminots, travailleurs des raffineries, éboueurs et transporteurs routiers, entre autres. Mais les dirigeants syndicaux ne faisaient rien pour soutenir et développer ce mouvement ; ils se contentaient d’organiser des « journées d’action » à intervalle régulier, qui, fatalement, ont fini par moins mobiliser. Isolés, les travailleurs en grève reconductible ont alors cessé leur mouvement. Le gouvernement a tenu bon, malgré plus de 3 millions de personnes dans les rues les 12, 16 et 19 octobre. Il nous faut tirer les leçons de cette défaite, car le gouvernement actuel n’est pas moins déterminé à faire passer sa réforme scélérate que ne l’était le gouvernement Fillon en 2010.

Au lendemain du 31 mars, on ne pourra se contenter d’appeler à une nouvelle journée d’action. Et si les dirigeants syndicaux ne mettent pas la grève reconductible à l’ordre du jour, les bases syndicales doivent en prendre l’initiative. Elles peuvent s’appuyer sur l’expérience de l’automne 2010, qui avait vu l’émergence de nombreuses Assemblées Générales interprofessionnelles et l’embryon d’une coordination nationale de ces AG. Cette organisation démocratique de la lutte de 2010 pourrait être réactivée et développée.

Passer à l’offensive
Même s’il n’en est qu’à ses débuts, le mouvement actuel frappe par sa maturité politique, son haut niveau de conscience. La nécessité d’unir les jeunes et les travailleurs a été immédiatement acquise. Alors que la direction de la CGT n’appelait pas clairement à participer à la manifestation du 17 mars, beaucoup de travailleurs et militants CGT (entre autres) s’y sont ralliés. La nécessité d’une convergence des luttes des salariés est, elle aussi, largement comprise. La dynamique unitaire est, d’emblée, à des niveaux supérieurs à 2006 et 2010. En 2006, le mouvement syndical avait mis plus de temps à rallier la mobilisation des jeunes. En 2010, la mobilisation des étudiants et lycéens était assez limitée, très loin de 2006. Aujourd’hui, le mouvement s’engage sur une dynamique qui semble réunir le meilleur de 2006 et de 2010.

Ce n’est pas étonnant. Depuis 2010, la crise du capitalisme et la politique d’austérité du gouvernement « socialiste » ont préparé les conditions d’une explosion de la lutte des classes. Il ne manquait plus à celle-ci qu’une occasion, un détonateur. Or la loi Travail est une attaque majeure, à bien des égards plus violente que le CPE. Même la droite, au pouvoir entre 2002 et 2012, n’avait pas osé engager pareille offensive. Si elle n’est pas bloquée, elle aura de très graves répercussions sur les salaires et les conditions de travail de millions de personnes.

En même temps – et c’est un autre fait marquant du mouvement –, beaucoup de jeunes et de travailleurs comprennent que la loi Travail n’est qu’une offensive parmi d’autres à venir, car la crise du capitalisme pousse la classe dirigeante à détruire systématiquement toutes les conquêtes sociales du passé. Les capitalistes veulent nous ramener au XIXe siècle. Lorsqu’on discute avec les jeunes, sur les manifestations, ils en viennent souvent à l’idée qu’un système capable de proposer une loi pareille doit être remis en cause dans son ensemble. Et c’est, au fond, contre ce système qu’ils se soulèvent. Ils ont raison. Il faut envoyer la loi Travail dans la poubelle de l’histoire, mais il faut aussi passer à l’offensive – et remettre à l’ordre du jour la lutte contre le capitalisme lui-même, contre la domination de l’économie par une poignée de milliardaires.

  • Jeunes et travailleurs, unis contre la loi Travail !
  • Halte à la répression policière ! Levée de l’état d’urgence !
  • Préparer un mouvement de grève reconductible !
  • Lutter contre le capitalisme et toutes ses contre-réformes !

Révolution
Section française de la TMI