La lutte dans la fonction publique genevoise qui persiste depuis mi-octobre semble d’essoufler. Une partie des attaques contre les salarié.e.s était ripostée, la plupart reste en vigueur. Il nous faut tirer des conclusions pour les luttes à venir.
Image de Olivier Vogelsang
Au coeur de la deuxième vague, la longue lutte des salariés du public semble s’essouffler, comme en témoigne la dernière mobilisation du 3 décembre qui peine à réunir un millier de personnes : Le rapport de force engagé il y a deux mois a brutalement penché en faveur du Conseil d’État, suite à un compromis traître du PS et des autres partis dirigeants, sur lequel nous reviendrons plus bas. Mais, comme nous le savons, rien n’est figé. Tout development, fut-il en apparence retombé au poids mort connaît une évolution constante. Cet essoufflement ne peut durer, étant donné qu’aucun problème n’a été résolu, que les conditions de vie vont être aggravées avec la crise, comme nous le montrent les nouvelles attaques du Conseil prévues pour janvier . La colère des fonctionnaires persiste, et elle se manifestera à nouveau tôt ou tard. En attendant, il s’agit de se préparer à ces (potentiels) mouvements futurs en proposant une perspective de lutte, tirée des leçons des dernières mobilisations.
La crise profonde actuelle est gérée par la classe capitaliste de la même manière que les précédentes: en la répercutant sur le dos des travailleurs, sur leur santé, sur leur vie. Car pour eux, au-delà de toute considération morale, il y a l’impératif de sauvegarder leurs profits, et cela n’est possible en période de récession économique qu’à travers des attaques violentes contre la classe des travailleurs( licenciements, délocalisation, baisse de salaires, etc.). Evidemment, cette tactique a été appliquée à la fonction publique genevoise, où l’État, garant des intérêts de la classe dirigeante, s’est empressé d’une main d’accorder des cadeaux fiscaux aux grandes fortunes (ces paquets de sauvetages offerts aux banques et grandes entreprises), et de l’autre de faire des coupes énormes dans la fonction publique. Ainsi, le Conseil d’État a décidé de puissantes coupes budgétaires, réunies sous la forme de baisses de salaires et d’un blocage des annuités pour tous les fonctionnaires publics, dont les conditions de travail n’ont fait que se détériorer pendant ces dernières années, surtout dans le secteur des soins. Les plus simples revendications vitales pour de bons salaires et des conditions de vie sûres se heurtent à la résistance acharnée des capitalistes: c’est la lutte des classes à l’œuvre. Certains fonctionnaires ont compris cela et se sont mobilisé.es en nombre lors d’imposantes manifestations (le 15.10,29.10,18.11.)
Cependant, un regard lucide sur ces baisses suffit à comprendre à quel point elles sont dérisoires face au gouffre du déficit à remplir (les 44 millions épargnés sur les travailleurs ne suffisent en rien, la dette Genevoise de 2021 étant prévue à 846 millions de francs). Cela nous laisse entrevoir la perspective selon laquelle ces mesures ne seraient en réalité que les premières d’une longue série, écrasant toujours un peu plus les travailleurs. Comme mentionné plus haut, selon la logique capitaliste, c’est sur les travailleurs que devra peser le poids de la crise. Pour l’heure, malgré la relative défaite du mouvement, il est plus que crucial de tirer des leçons, de comprendre les raisons pour lesquelles cette lutte des fonctionnaires a échoué, de réfléchir à la meilleure manière d’anticiper les luttes à venir, afin de se préparer en conséquence. Comme nous le verrons, toutes ces revendications ne sont possibles qu’avec un véritable programme révolutionnaire.
L’une des raisons de l’échec de cette lutte peut se trouver dans la récente décision du PS. Le parti historique des travailleurs, ou plutôt ses représentants dans le conseil d’état, a décidé de négocier avec les autres partis bourgeois un remaniement des mesures d’austérité et de se mettre d’accord sur un budget 2021, le tout au nom d’une soi-disant « unité cantonale » et du «moindre mal». Le tout fut emballé avec le retrait de la coupe des salaires (alors que les coupes des annuités restent en vigueur, ce qui équivaut toujours à une perte de revenue réelle de 5-8%) et la fausse promesse des 350 nouveaux postes(Il faut rappeler que ces postes sont en partie ceux stabilisés et non obtenus en 2020. Ils sont insuffisants pour le personnel sur le terrain). Comment voir dans cette démarche du PS autre chose qu’une trahison du mouvement en lutte, qu’une trahison envers les travailleurs ? Déjà, cet accord n’enlève qu’une partie des mesures initialement prévues, les autres perdurent. Mais surtout, comme nous le montre la perspective d’une longue série de mesures à venir, s’allier avec les partis représentants des capitalistes équivaut à abandonner tout espoir de vaincre, la négociation n’étant pas possible dans la mesure où les capitalistes ne peuvent qu’au mieux remettre à plus tard ces attaques qui doivent retomber sur la tête des travailleurs durant les années à venir. C’est ce que nous montre l’invitation pressante du Conseil d’État à entamer des négociations en janvier avec les syndicats pour une « restructuration de la fonction publique au moyen terme » : même avec cette attaque sur les salaires, le déficit devra toujours être comblé par de nouvelles attaques. Dans l’immédiat, cette trahison nous montre surtout le caractère désastreux de la participation du PS dans le gouvernement bourgeois. Pour la direction du PS, le fait d’être impliqué dans ce gouvernement les conduit à administrer le capitalisme en temps de crise. Il leur est plus important de mettre en place un budget 2021 que d’encourager et de pousser plus loin un mouvement des travailleurs qui se battent. Le réformisme a révélé ses limites et provoque au sein de la base du parti des dissensions légitimes. C’est maintenant la tâche des autres acteurs de la gauche genevoise, en particulier la JS, de lutter contre ce compromis, contre la décision du PS et contre sa direction, avec comme outil un programme radical, un programme de classe.
En parallèle de cette trahison de la part des dirigeants du PS et de ce rapport de force rendu aux mains du Conseil d’État, les syndicats décident de maintenir la mobilisation. Ils comprennent parfaitement la nécessité de continuer à se battre en refusant les compromis avec l’État, idée que l’on retrouve bien représentée dans leur slogan : « ce n’est pas à nous de payer pour la crise ». L’arrêt de travail est la seule tactique efficace pour renverser le rapport de force et provoquer le retrait des mesures. Cette stratégie avait déjà montré ses preuves lorsque la baisse de 1% des salaires fut retirée par le Conseil d’État en novembre. Toutefois, les directions syndicales veulent reléguer une partie de la lutte au niveau politique sous forme d’initiative populaire( impôt solidaire qui vise à taxer les grosses fortunes). La revendication pointe dans la bonne direction, elle propose de faire payer les capitalistes pour la crise dont ils sont eux-mêmes la cause. C’est vrai que nous sortirons pas de la crise en augmentant simplement la dette publique et préparer ainsi juste des futures coupes budgétaires : or l’argent est là, concentré entre les mains d’une minorité privilégiée, les 300 plus grands capitalistes en Suisse possèdent 700 milliards, soit autant que le PIB du pays tout entier ! Il faut encore ajouter que ces mêmes capitalistes ont réussi à devenir encore plus riches au cours de cette année de crise mondiale. Tout cela montre que la revendication présente dans l’initiative est correcte. Mais ceci dit, une initiative doit être impérativement utilisée dans le but de mener une campagne d’ancrage des syndicats dans les entreprises. Si elle ne tend pas à cette fin, elle déplace la lutte au niveau parlementaire et l’éloigne d’un vrai terrain politiquement efficace : la grève sur le lieu de travail. Il faut que cette revendication soit inscrite dans une suite de revendications, un programme qui regroupe et organise les travailleurs.
Pour cela, la stratégie est claire : les syndicats devraient profiter du potentiel qu’ont offert ces grandes mobilisations, ce mécontentement accumulé par les travailleurs de la fonction publique, pour organiser les couches les plus conscientes et combatives de ces derniers sur leurs lieux de travail. Ainsi, la force de frappe serait suffisante pour exercer une pression, d’abord sur le PS afin qu’il se retire de ce compromis, puis sur le Conseil d’État, afin que les prochaines vagues d’attaques frontales soient contestées avec combativité. En somme, il s’agit là de se préparer efficacement aux luttes à venir. Voilà vers quoi devraient tendre les efforts du Cartel intersyndical, plutôt que de consacrer temps et ressources à l’élaboration d’une initiative .
Ce que nous a montré l’essoufflement du mouvement des travailleurs du secteur public, c’est qu’une analyse claire menant à des décisions de classe est obligatoire si l’on veut vaincre, si l’on veut faire reculer efficacement ces attaques. D’abord, il faut mener une opposition conséquente contre la politique bourgeoise de la crise. Le mauvais compromis entre les partis bourgeois et le PS au sein du gouvernement démontre l’échec total de la stratégie du réformisme. Seulement la lutte conséquente contre l’état bourgeois peut amener des améliorations pour les salarié.e.s. Si nous n’exposons clairement ni des revendications à même d’empêcher les mesures d’austérité qui se profilent, ni la stratégie de lutte à mettre en place pour les réaliser, la perspective d’une mobilisation victorieuse restera grandement incertaine. C’est par la suite leur ancrage dans les prochains mouvements de la classe ouvrière qui détermineront l’efficacité de notre programme et à le degré d’organisation et de préparation des travailleurs face aux prochaines attaques. Ce qu’il nous faut tout d’abord est un programme basé sur des revendications autours desquelles nous pouvons construire et organiser les prochaines luttes. Si l’on veut posséder cette force de frappe suffisante, il faut que le mouvement ouvrier se dote de ce programme révolutionnaire. Il en a besoin pour aller au bout de ses revendications ! Les salariés les plus conscients, ceux déjà militants dans des organisations ouvrières, que ce soit la JS, les fractions à gauche du PS, les syndicalistes, devraient se rassembler et faire front uni autour d’un tel programme. Aussi, en tant que courant marxiste, nous soutenons sans conditions les luttes de la fonction publique. Mais la lutte a besoin d’un programme révolutionnaire pour vaincre, et c’est ce que nous proposons ici.
Si tu es d’accord avec ces revendications, nous t’invitons sincèrement à nous aider à diffuser ce programme nécessaire au sein du mouvement ouvrier et ainsi préparer les luttes futures. Rejoins-nous!
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