Les salariés des journaux 24 heures, la Tribune de Genève et Le Matin ont décidé jeudi de suspendre leur grève contre les licenciements prononcés par Tamedia liés à la disparition du Matin papier. La médiation mise en place va-t-elle régler le conflit ? L’étincelle a parlé avec un rédacteur en lutte qui perçoit une « grande envie de révolte » ainsi qu’un « effet domino » avec un fort potentiel.
Photo: facebook « Je soutiens 24 heures »
« Chers lecteurs, le journal que vous avez dans les mains paraît aujourd’hui en pagination réduite. La grève annoncée par les rédactions en est la cause. » Pendant deux jours les publications lémaniques arborent en première page cet encadré signé de la main de la direction de Tamedia. Mardi, 88% des salariés des trois rédactions appartenant au grand éditeur zurichois votent en faveur d’une grève reconductible. Le lendemain ils ne cèdent pas aux menaces de licenciement immédiat en cas de non-reprise du travail et poussent ainsi la direction d’entrer en négociations jeudi. Celles-ci terminent le mouvement après quelques heures seulement : Les deux parties acceptent « aux conditions qui leur ont été indiquées » la médiation proposée conjointement par les gouvernements vaudois et genevois. Les grévistes suspendent donc, le temps de cette médiation, leur grève avec effet immédiat. Le mouvement prend alors fin plus tôt que beaucoup l’auraient pensé et espéré – comme par exemple Rocco (47), rédacteur de culture à la Tribune de Genève. Nous l’avons interrogé mercredi au piquet de grève.
L’étincelle : Rocco, il s’agit de 36 journalistes du Matin qui vont se faire virer. Pourquoi les employés des autres rédactions se sont-ils joints si massivement à cette lutte (TdG à l’unanimité) ?
Rocco : La raison est très simple. On est dans le même groupe éditorial, on a le même Patron. De plus, depuis quelque mois, une grande partie de la rédaction de la Tribune de Genève, de 24 heures et du Matin est regroupée dans une entité de production unique. Elle produit souvent du contenu pour les trois titres en même temps et sont dispatchés selon les besoins de l’étage supérieur. Donc du moment qu’on touche Le Matin on touche aussi les autres rédactions. Il n’y a pas que les journalistes, il y a aussi les autres corps qui contribuent à produire un quotidien, comme l’édition, la rédaction photo, etc.
Des licenciements à une part augmentent donc davantage la pression sur tous les journalistes de différentes rédactions ?
Exactement, il y a un effet domino : S’il manque par exemple du personnel dans la photographie du Matin ceci affectera aussi la Tribune de Genève et 24 heures. Ou bien des spécialistes de la Genève internationale travaillant sur Lausanne ne peuvent pas se rendre sur le terrain pour bien couvrir une conférence. La disparition de ces postes pèsera donc encore plus lourd sur nous tous ayant déjà beaucoup de stresse et de moins en moins de liberté de travail. Cela fait des mois que les tensions entre nous et la direction s’accumulent à cause de ses plans de restructuration. On voulait déjà faire grève au mois de février, le terrain était propice en vue de la grève de l’ats mais ça ne suffisait pas pour convaincre la majorité chez nous.
Quels étaient les obstacles de vous joindre à la grève de l’ats en février qui a duré quatre jours avant de se dissoudre en des négociations aboutissant à rien du tout au final ?
Une partie importante du capital de l’ats est détenu par Tamedia. C’est elle qui résilie des abonnements avec l’agence de presse et met ainsi la pression financière sur celle-ci. Pour nous, soutenir la grève de l’ats signifiait nous battre contre notre propre employeur qui contribue à tuer cette dernière. Ça nous mettait dans une grande contradiction dont le dépassement (grève contre Tamedia) constituait à l’époque un pas de trop pour la plupart.
Et aujourd’hui ?
Avec l’annonce de la fermeture du Matin papier et la rupture des négociations il y a eu la goutte de trop qui est tombée. Il y a des collègues présents au piquet aujourd’hui qu’encore en février je n’aurais jamais vu s’engager. Il y a autre chose qui se joue aujourd’hui, une grande envie de révolte a mûri. Même les plus réticents ont pris le train et sont venus à Lausanne ce matin. On est plus seulement admiratif des grévistes, on en est nous-mêmes.
En vue de cet effet domino il semble assez évident que la branche journalistique doit s’organiser ? Comment faire cela ?
C’est très compliqué. En ce qui concerne les différents syndicats je me demande quels intérêts ils défendent au fond. Impressum c’est probablement le seul syndicat au monde qui, lors d’une volonté de faire grève, va dire qu’il ne faut pas fâcher les patrons. Mais aussi syndicom a des attitudes plutôt corporatistes et non combatives. Ceci complique le passage à l’acte et l’organisation des journalistes partout en Suisse – ce qui serait tout à fait possible. Déjà en février il y avait plusieurs à la Tribune qui parlaient de la nécessité de s’organiser de manière horizontale. Nous serions très puissants: Tamedia a des locaux à Berne, à Zurich et en Suisse romande. Il faut un syndicat qui tisse les liens – aussi avec les employés de l’ats. J’en suis optimiste.
Pourquoi ?
J’ai participé à d’autres mouvements et je sais qu’ils s’essoufflent rapidement. Mais là c’est profondément tendu – on va arriver à un point de grave rupture avec les employeurs. Il ne faut néanmoins pas oublier qu’avec Tamedia on fait face à un gros groupe capitaliste pour lequel la presse prend une place de moins en moins importante dans le portefeuille d’investissements. Si nous – les journalistes – ne résistons pas, nos boulots vont disparaître.
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