Les PME dans la crise du covid : L’Union Suisse des Arts et Métiers, l’UDC et Economiesuisse déploient ensemble une intense propagande contre toute mesure anti-covid. Mais cela n’aide en rien les nombreuses petites et microentreprises qui sont menacées de faillite. Que faire sans tomber dans une simple politique de subventionnement bourgeoise ?
Michael Wepf SSP Bâle
Le journal des Arts et Métiers a récemment présenté une feuille de route pour mettre fin aux mesures covid dans les huit jours. Il faudrait fermer les frontières, chacun devrait être testé deux fois, et ceux qui auraient un résultat négatif pourraient alors à nouveau se déplacer librement. Le gouverneur du Texas qui a récemment levé l’obligation de porter un masque s’il avait eu connaissance de ces revendications, aurait envoyé ses salutations. Avec ces demandes irresponsables, L’Union suisse des Arts et Métiers (USAM) tente de rallier les petites et moyennes entreprises (PME) qui risquent de craquer sous l’effet des mesures Covid.
L’USAM s’accroche à Economiesuisse
Il est clair que les PME, dont la majorité sont des indépendants avec peu d’employés, subissent des coups durs à chaque conférence de presse du Conseil fédéral. Le Conseil fédéral agit effectivement dans l’intérêt du grand capital et résiste aux mesures de soutien aux PME. La célèbre déclaration austère d’Ueli Maurer d’octobre dernier : « Nous n’avons pas 30 milliards de plus », en est la preuve. Lorsque de l’argent coule, c’est relativement peu. La Suisse est le pays où les aides aux PME sont les plus faibles en termes de PIB : 4.8% en Suisse, suivie de l’Allemagne avec 8.3%. Et cela dans le « pays des PME » que serait la Suisse !
Sans surprise, le sort des PME est alors probablement la question économique la plus discutée dans cette crise du covid. Tout le monde en parle, et même le PS accorde aux PME un rôle de tout premier plan. Cependant, la discussion continue autour des PME détourne l’attention de deux aspects : Premièrement, la Suisse n’a jamais connu de véritable confinement, surtout pas dans la deuxième vague. Le Conseil fédéral a même forcé les travailleurs de la construction en Suisse romande à reprendre le travail au printemps dernier. Et aujourd’hui on ne remarque quasiment pas de restrictions dans les centres-villes. En laissant ouverts de nombreux secteurs, le Conseil fédéral protège les profits, y inclus ceux des PME. Deuxièmement,alors que les PME se plaignent de perspectives moroses, de nombreux salariés à faibles revenus doivent se tourner vers leurs épargnes. C’est leur seul moyen pour couvrir les dépenses nécessaires. Les revenus amputés avec une indemnisation du chômage partiel à 80 % ne suffisent pas (certains revenus à 100% ne suffisent pas non plus). Les travailleurs rémunérés à l’heure affrontent souvent des difficultés à obtenir une méthode de calcul correcte pour leur indemnisation. Puisqu’il y avait peu de travail au cours des 12 derniers mois, ils étaient souvent encore moins bien lotis dans la deuxième vague. En particulier dans le secteur à bas salaires, de nombreux emplois ont simplement été supprimés. La baisse du chiffre d’affaires de la société d’intérim Adecco en est un indicateur. En 2020, le chiffre d’affaires dans son activité principale s’est réduit de 14%. La crise est alors reportée en premier lieu sur la classe ouvrière. C’est aussi elle qui subit l’essentiel des dégâts sanitaires, car des services de santé insuffisants et des conditions de logements précaires favorisent la propagation du virus.
La crise n’est pas finie pour de nombreuses PME
La crise n’est pas finie pour de nombreuses PME
Cette crise dévoile une politique de lutte contre la pandémie complètement inconsistante et inégalitaire, et appauvrit considérablement les salariés et provoque une importante polarisation politique. L’expression la plus visible de cette intensification de contradictions est la colère de la petite bourgeoisie. Personne ne lui tient tête. Aussi peu dangereuses que soient des manifestations comme #nous ouvrons ou celles des coronasceptiques, elles sont signe d’une crise profonde. Le véritable conflit qui traverse la société capitaliste n’est pas entre les petits bourgeois et l’État, mais entre la classe ouvrière et la bourgeoisie. Cependant, aucune des organisations traditionnelles du mouvement ouvrier n’aborde la question de la crise du point de vue de la classe ouvrière. Voilà le vrai problème. Le PS tente de résoudre la crise en proposant des recettes bourgeoises pour toutes les PME. Mais les PME ne sont pas homogènes. Certaines appartiennent à des capitalistes normaux, d’autres sont des sections de la petite bourgeoisie qui se paupérisent tout en s’auto-exploitant. Ce qui pourrait cependant convaincre ces derniers, c’est un parti ouvrier qui entre en lutte déterminée contre le grand capital.
Les entreprises concernées par les restrictions sont souvent gravement menacées de faillites. Alors que le secteur manufacturier connaît déjà une certaine reprise et alors que les grands distributeurs ont enregistré de fortes hausses des ventes en 2020, l’hôtellerie-restauration, le commerce de gros et d’autres services subissent des pertes importantes. Lors de la seconde vague, la liste des entreprises fermées était encore plus arbitraire que lors de la première. Mais les entreprises fermées ne sont pas les seules à subir les effets de la crise. Bon nombre de celles qui sont restées ouvertes ont également vu leurs chiffres d’affaires chuter en raison de la baisse du niveau de fréquentation ou d’autres contraintes.
Le Credit Suisse a constaté avec satisfaction que de nombreuses PME touchées par la crise souhaitent quand même réaliser des investissements. L’association suisse des banquiers soutenait que « Ces crédits ne permettront pas de résoudre tous les problèmes de l’économie et des PME – il s’agit aujourd’hui de mettre des liquidités à la disposition des PME dans les meilleurs délais. » Cela suggère des difficultés financières. Il n’existe pas de chiffres officiels sur la situation des entreprises en Suisse. Mais dans les sondages du KOF, de nombreuses entreprises expriment leurs doutes quant à une reprise économique en 2021. En outre, 20% des entreprises manquent d’argent pour procéder à des investissements urgents. Pour un grand nombre d’entre elles, la crise n’est de loin pas terminée.
Le chef de Gastrosuisse, C. Platzer, fournit des chiffres plus tangibles : « En janvier 2021, le nombre annoncé d’objets immobiliers dans le domaine de la restauration est en hausse de près de 70% par rapport au même mois de l’année précédente. » Dans presque tous les communiqués de presse, Platzer brandit la menace d’une vague de faillites énorme si on ne rouvre pas immédiatement les bistrots. Jusqu’à présent, une grande vague de faillites ne s’est pas matérialisée. Mais parce que l’argent promis pour les cas de rigueur n’est versé que lentement, de nombreux établissements et leurs propriétaires doivent vivre de leurs réserves propres. L’édition germanophone du Journal des Arts et Métiers a décrit l’approche du Conseil fédéral comme suit : « Discuter des cas de rigueur, faire miroiter une compensation, remettre à la Saint-Glinglin, alors que les comptes des entreprises se vident rapidement. »
On voit ici une scission au sein de la classe dirigeante. Les banques redoutent de perdre l’argent qu’ils ont prêté et sont satisfaites des garanties fournies par l’État avec les crédits covid. En plus, ces prêts et les aides servent en grande partie à payer les loyers, les intérêts et les primes d’assurance et retournent alors dans les poches des banques et assurances. Mais comme bémol, une vague de faillites pourrait entraîner une augmentation de la dette publique, ce qui réduirait l’attrait de la place financière et donc la stabilité de l’économie en général. Le think tank bourgeois Avenir Suisse s’attend donc clairement à une reprise en K (le cycle économique va en même temps vers le haut et vers le bas, au sein d’une même économie). Dans une étude, ils soulignent que la plupart des entreprises ont de toute façon une durée de vie courte : « La plupart des entreprises sont très jeunes. Parmi les nouvelles entreprises, la moitié ne survit pas plus de cinq ans. Dans certains secteurs, ce chiffre est encore plus bas, comme dans le domaine de l’hébergement et de la restauration, où la moitié des entreprises cessent d’exister trois ans seulement après leur création. » Comme il n’y a eu jusqu’à présent, grâce aux aides d’État, que peu de faillites, la NZZ n’hésite pas à prédire un effet de rattrapage une fois les mesures de soutien levées : « D’un point de vue économique, les béquilles publiques pour des entreprises non-viables sont du gaspillage ».
Aussi tordu que cela puisse paraître, l’USAM, ce porte-parole des petits entrepreneurs en colère, est de fait d’accord avec cela. Ses mêmes revendications viennent juste d’une autre perspective. L’USAM affirme que les entreprises saines survivraient, si seulement les mesures covid étaient levées. Tant que celles-ci sont en vigueur, les entreprises sont confrontées à une interdiction d’activité pour laquelle elles méritent de recevoir une compensation. Au fond, l’USAM appelle exclusivement à une fin des restrictions économiques. De cette manière, sa direction prétend que la crise est fabriquée par le Conseil fédéral et pourrait être affrontée facilement par les PME. Ainsi, l’USAM, fidèle à son histoire, remplit parfaitement sa fonction de fer de lance contre le mouvement ouvrier. Il s’aplatit face aux bourgeois et donne des coups là où il peut, vers le bas. L’USAM ne fait rien pour ses membres, mais cherche perfidement à tirer du crédit politique de la détresse des PME.
Deux raisons importantes peuvent expliquer pourquoi les PME sont touchées de manière disproportionnée par la crise : 1. leur position dans le processus de production et 2. le surnombre des petites entreprises. Dans le processus de production, la grande majorité des PME sont dépendantes, en amont ou en aval, d’une grande entreprise. Elles sont chacune un maillon d’une chaîne de production. Cela signifie que les petites entreprises n’effectuent généralement qu’une seule tâche, une étape de la production, et ne sont guère capables de se reconvertir. Ainsi, lorsque la crise arrive, elles se retrouvent rapidement sans commande.
Des PME sont des entreprises comptant moins de 250 employés. Il y en a environ 600’000 en Suisse. De l’autre côté, 1’600 grandes entreprises représentent à eux le tiers de la main-d’œuvre. Le critère de classification PME est bien sûr absurde si l’on assimile un petit garage familial à un fournisseur industriel avec 249 employés. Dans le premier cas, toute l’entreprise est basée sur l’auto-exploitation, dans le second, nous avons à faire avec une entreprise capitaliste normale où le patron ne donne jamais un coup de main et empoche simplement les profits. La grande majorité (plus de 530’000) sont des microentreprises comptant moins de dix employés. 98 % de toutes les PME comptent moins de 50 employé-e-s, ce qui les classe parmi les petites entreprises. Jusqu’à cette limite environ, on peut supposer que les propriétaires participent réellement au travail de la boîte et ne font pas qu’empocher le profit.
En Suisse, les PME sont complètement mythifiées comme une sorte de masse homogène. Malheureusement la direction du mouvement ouvrier y contribue. Non seulement la plateforme réformiste des sociaux-libéraux, mais aussi les syndicalistes et la direction du PS le font. C’est étonnant, car le modèle économique des petites entreprises est largement fondé sur l’auto-exploitation des entrepreneurs et de leur famille, ainsi que sur une exploitation accrue des employés.
Le droit des sociétés en Suisse ne connaît pratiquement pas d’obstacle à la création d’une société. En conséquence, des dizaines de milliers de nouvelles entreprises sont fondées chaque année et disparaissent à nouveau. C’est alors que des économies sont dilapidées, les moyens de subsistance sont ruinés et, dans le même temps, les grandes entreprises en profitent. Ce processus est loin d’être nouveau. Comme Rosa Luxemburg l’a déjà décrit correctement en 1899, c’est « comme si des petits capitaux étaient périodiquement fauchés ». Cette classe qui perd, qui s’appelle la petite bourgeoisie, qui est-elle ?
Dans son texte des années 1930, « Ou va la France », Léon Trotsky fournit une caractérisation très utile des classes moyennes, ou justement de la petite bourgeoisie. C’est la troisième classe de la société moderne entre les deux classes principales, la grande bourgeoisie et la classe ouvrière. Le rapport entre ces trois classes détermine la situation politique d’un pays. Comme mentionné, la petite bourgeoisie est économiquement dépendante et n’a pas d’ homogénéité sociale : « Sa couche supérieure touche directement la grande bourgeoisie. Sa couche inférieure se fond avec le prolétariat et tombe même dans le lumpen-prolétariat. Conformément à sa situation économique, la petite bourgeoisie ne peut avoir de politique indépendante. Elle oscille constamment entre les capitalistes et les ouvriers. Sa propre couche supérieure la pousse à droite ; ses couches inférieures, opprimées et exploitées sont capables, dans certaines conditions, de tourner brusquement à gauche. »
Les plus grandes PME appartiennent aux couches inférieures de la bourgeoisie. Mais la majorité des PME appartiennent à la petite bourgeoisie. Elles sont touchées par la crise de manière similaire à la classe ouvrière. Elles sont menacées dans leur existence même. En outre, en 2018, près de la moitié de la main-d’œuvre (environ 2.1 millions d’emplois) se trouvait dans les 580’000 petites et microentreprises.
La petite bourgeoisie est divisée en son sein. Elle « s’exploite comme un salarié et se paie le tribut que le travail doit au capital en plus-value. » De cette discorde intérieure découle une situation d’intérêts hétérogène et peu claire. Cela l’empêche de se doter d’une ligne politique propre: soit elle va avec la bourgeoisie, soit avec la classe ouvrière.
La petite bourgeoisie n’est alors en soi ni amie ni ennemie de la classe ouvrière. Ce serait alors une énorme erreur pour le mouvement ouvrier de lutter principalement contre la petite bourgeoisie. Le véritable ennemi qui profite de l’exploitation et de l’oppression est le grand capital. Si le mouvement ouvrier s’engage dans la lutte contre celui-là, il peut gagner le soutien de la petite bourgeoisie dans la lutte.
La grande bourgeoisie cherche à éviter qu’une alliance se forge entre les deux autres classes, la classe ouvrière et la petite bourgeoisie. En dernière analyse, la seule fonction de l’USAM est de veiller à ce que toutes les idées socialistes soient chassées de la petite bourgeoisie. L’USAM s’accroche à Economiesuisse. Tous les partis bourgeois prétendent défendre les PME. Depuis le début du siècle, l’UDC a toutefois clairement pris la tête dans ce domaine. C’est le parti le plus important à la fois du grand capital, comme de la petite bourgeoisie.
Le rapprochement entre ces deux classes est possible lorsque leurs intérêts matériels ne s’opposent pas – mais cela demande régulièrement des efforts conséquents. Lors de crises, il est facile de construire une unité à travers l’hostilité envers l’État, la liberté économique, etc. En période normale, la petite bourgeoisie croit qu’elle est indépendante, capable de surmonter les crises et de faire des bonnes affaires sans l’intervention de l’État. Cela se combine aisément avec une haine profonde des syndicats. Ces derniers représentent une régulation de l’extérieur, pendant que les petits bourgeois se croient bons patrons et prétendent offrir de bonnes conditions de travail. C’est évidemment le contraire qui est le cas, bien que souvent cela soit sans mauvaise foi. La proximité personnelle entre la main-d’œuvre peu nombreuse et le patron dissimule les violations de la loi de travail ou d’autres règlements tels que les CCT. Un chiffre révélateur: en 2016, les salaires pour un même emploi dans une PME étaient inférieurs de 15% à ceux dans une grande entreprise. Cela exerce une pression sur le niveau général des salaires. Un « bon » patron, ça n’existe pas. Le capitalisme ne le permet pas, car sinon l’entreprise fait rapidement faillite.
L’objectif de la politique de l’USAM et de l’UDC est le cloisonnement, l’atomisation des petites entreprises : pas d’organisation, pas de régulation. Ils propagent la responsabilité individuelle des PME. Les entrepreneurs sont laissés seuls et ils ne peuvent qu’espérer recevoir des concessions du grand capital et répercuter la pression économique sur la classe ouvrière. Dans la plupart des cas, cette tactique fonctionne si bien que les PME apparaissent comme la partie la plus agressive du camp bourgeois. En réalité, ce sont des signes de faiblesse et de crise. Trotsky écrit à ce sujet : «Naturellement, le petit propriétaire tient à l’ordre tant que ses affaires vont bien et aussi longtemps qu’il espère qu’elles iront encore mieux le lendemain. Mais quand cet espoir est perdu, il se met facilement en rage, prêt à se livrer aux moyens les plus extrêmes. » La politique de crise du Conseil fédéral prive les PME de leur dernier espoir pendant qu’elles ne trouvent actuellement pas de relais dans le mouvement ouvrier.
Le Conseil fédéral est du côté du grand capital. Avec son trésorier Ueli Maurer, il défend une ligne d’austérité dure, même dans la pandémie. Bien sûr, il y a eu des plans de sauvetage historiques. Mais celles-ci n’ont jamais été comparables aux aides fournies aux entreprises dans d’autres pays comme par exemple l’Autriche. Le Conseil fédéral transmet les coûts de la crise aux PME et surtout à la classe ouvrière. Le credo dominant est d’éviter à tout prix d’augmenter la dette publique. Cela entraîne des hésitations en ce qui concerne le soutien aux PME, hésitations qui entre-temps assèchent les entreprises. Lorsque les compensations pour les cas de rigueur sont toutefois versées, elles reviennent au grand capital sous forme de loyers, d’intérêts et de primes d’assurance.C’est complètement irrationnel en termes de politique de santé, car cela rend un véritable confinement complètement irréalisable. Les entreprises sont au bord de la faillite et résistent à la fermeture. Il n’y a donc pas de véritable lutte contre la pandémie, et comme la seule opposition à la politique de pandémie de la Confédération vient de l’UDC et de l’USAM, les PME croient y trouver du soutien.
En janvier, on pouvait lire une tentative pathétique de contrecarrer ce phénomène dans le journal germanophone d’Unia, le Work. Les auteurs de l’article souhaitaient une assurance chiffre d’affaires analogue à celle en Autriche pour la Suisse. Ils défendaient le Conseil fédéral en remettant la faute sur les responsables de l’USAM et de Gastrosuisse, Bigler et Platzer, ainsi que sur les cantons. Ceux-ci auraient saboté les efforts du Conseil fédéral. Mais cette analyse est politiquement incorrecte. D’une part, la compensation des chiffres d’affaires signifie que la classe ouvrière paie avec des impôts pour subventionner les entreprises. D’autre part, ils attribuent beaucoup trop de pouvoir aux responsables des associations patronales. Mais surtout, ils n’accordent aucune importance à la défense des intérêts de la classe ouvrière. Le Conseil fédéral ne se soucie que du grand capital. Ce qui est pourtant pire est que le PS ne s’y oppose pas, mais tente d’améliorer de manière pragmatique cette stratégie.
Le PS soutient le Conseil fédéral et soutient alors aussi une gestion de crise scandaleuse car politiquement et épidémiologiquement erronée. Avec la nouvelle présidence, le PS est certainement devenu plus actif et plus présent, mais il n’y a pas de lignes de démarcation claire qui émergent au sein du parti. Personne ne propose une orientation politique indépendante adoptant le point de vue indépendant de la classe ouvrière. En février 2021, la coprésidente Mattea Meyer a même déclaré : « Dans une crise, il est central de ne pas chercher à se diviser, mais de la maîtriser ensemble en tant que société et surtout d’assumer cette responsabilité avant tout aussi en politique. » Dans ses papiers de position, le PS exige des choses correctes, comme la protection efficace de la santé, l’amélioration des conditions de travail des soins ou la compensation intégrale du salaire par le chômage partiel. De ces revendications ils n’ont rien pu réaliser sans l’accord de la bourgeoisie. Si les revenus les plus faibles sont compensés à 100% depuis décembre, c’est uniquement parce que l’UDC a voté pour.
Le PS n’intervient pas avec une position unifiée. Les figures de proue du parti, comme les conseillers fédéraux, la direction du parti, les conseillers d’Etats ou parlementaires, se contredisent régulièrement. Lors de la session de février, Levrat défendait la nécessité d’un budget équilibré. Il s’est alors opposé à l’augmentation des paiements pour les cas de rigueur, qui est la revendication centrale de la présidence du parti. La Weltwoche de Köppel a jubilé.
Le manque de rigueur et de cohérence dans ses revendications affaiblit le PS dans son ensemble. Dans un papier de position sur le covid de novembre 2020, par exemple, le parti propose : « Oui à la réduction partielle des loyers pour les entreprises et à son extension à la situation actuelle ». Leur revendication va plus loin en proposant que le propriétaire, le locataire et l’État partagent les coûts de location de manière paritaire. La tentative d’ancrer ce modèle dans la loi sur les loyers commerciaux a échoué. Le PS s’est fait duper et n’a pas su obtenir de soutien en dehors du parlement pour ses revendications et n’a donc pas pu faire pression.Maintenant il ne reste pour le PS, avec son orientation actuelle, qu’à soutenir le régime des cas de rigueur.
Dès le début, le PS a tenté de séduire les PME en se faisant l’écho de leurs vœux. Cela est allé si loin que la NZZ a même donné à la social-démocratie le titre de « nouveau parti des artisans et indépendants ».Mais la petite bourgeoisie est une classe intermédiaire. Elle se trouve entre la classe ouvrière et la bourgeoisie. Si elle suit cette dernière, la classe ouvrière est perdante. Mais si la petite bourgeoisie va avec la classe ouvrière, alors la bourgeoisie perd. C’est soit l’un, soit l’autre, mais ces choix impliquent tous les deux d’attaquer une des classes principales. Si le PS tente d’utiliser la dette publique pour sauver les PME, il tente d’éviter le conflit. Mais il élude le fait que c’est la recherche de profit des grandes entreprises, des banques, des sociétés immobilières et des assurances qui fait obstacle à une résolution de la crise.
On ne peut pas éviter le conflit. Il est fondé sur des relations objectives entre classes. Quelqu’un va devoir payer pour les dépenses publiques et sous les conditions actuelles, ce sera la classe ouvrière. Avec cette position on trace une ligne entre la classe ouvrière et la petite bourgeoisie. Mais il faudrait au contraire creuser un fossé entre la petite bourgeoisie et la bourgeoisie.
En soutenant des solutions « pragmatiques » et en forgeant des compromis bourgeois, on dilue ses propres revendications. Le soutien à la politique covid du Conseil fédéral équivaut à une capitulation devant la bourgeoisie. La crise ne peut être résolue que par des mesures socialistes, par une lutte de la classe ouvrière contre le grand capital. Et c’est précisément comme cela qu’on peut gagner la petite bourgeoisie.
Si le PS veut sérieusement lutter contre la crise, et non pas seulement contre ses pires excès, il aura besoin d’une orientation claire et une ligne unie. La classe ouvrière et tous ceux qui sont, ont été (retraités) et seront (étudiants) dépendants d’un salaire, doivent former son point de départ. Les revendications d’un parti socialiste doivent par principe s’articuler autour des intérêts des salariés. Dans la situation actuelle, cela doit viser la garantie et l’augmentation du niveau de vie, la santé, ainsi que la défense et l’extension des droits démocratiques. Si le PS s’engage par principe à faire respecter la législation du travail et les CCT, à veiller à ce que les salaires ne soient pas réduits, à ce que les horaires de travail ne soient pas rallongés et à ce que les règles d’hygiène soient respectées, il ne s’agit pas de revendications purement économiques. Le programme du PS doit être clair : Nous ne paierons pas votre crise, ni avec nos salaires ou nos pensions, ni avec notre santé. Les revenus disponibles doivent être défendus, et également pour les travailleurs au chômage partiel. Et ceux qui perdent leur emploi doivent recevoir une compensation salariale complète.
Une politique pour gagner la petite bourgeoisie ne peut se faire que sur cette base, et alors comme une sorte de deuxième étape. Pour cela, il est essentiel de désigner clairement et sans réserve les coupables et les profiteurs. Pas seulement par leur nom, mais par leur appartenance de classe. Le responsable de la gestion de la crise est le même que celui qui en tire profit : le grand capital. Nous devons lui déclarer la guerre ! Ainsi nous pouvons également gagner une grande partie de la petite bourgeoisie à notre cause.
Notre programme ne peut jamais être de réorganiser les entreprises avec l’argent des contribuables qui proviennent au final des salaires de la classe ouvrière. Nous devons nous battre pour l’expropriation des banques et des compagnies d’assurance, que nous fusionnerons en une banque centrale contrôlée démocratiquement et en une compagnie d’assurance générale. Nous pouvons ainsi proposer des prêts bon marché et aisément reporter les paiements pour des entreprises en difficulté. Nous socialiserons également tous les biens immobiliers qui ne sont pas utilisés comme résidence familiale. Les locaux peuvent alors être proposés à un loyer à prix coûtant (sans profit, ni rente). Avec un tel programme, nous pouvons convaincre. Nous défendons les moyens de subsistance des personnes, mais nous ne cherchons certainement pas à sauver les entreprises non productives. Si une entreprise connaît des difficultés financières, le personnel et le syndicat doivent exiger que les comptes soient divulgués. Il deviendra sûrement évident qu’il est possible de faire des économies sur les loyers, les assurances et les paiements d’intérêts. Si le petit patron est prêt à lutter contre le grand capital au lieu de baisser les salaires, il peut compter sur le soutien de la main-d’œuvre. Mais s’il se couche face à la classe dominante et donne des coups vers le bas, alors il faut le combattre de manière déterminée. C’est le seul moyen de convaincre la petite bourgeoisie. Tout dépend du sérieux et de la détermination avec lequel le mouvement ouvrier se présente. Trotsky l’a exprimé ainsi :
« Mais, encore une fois, le centre de gravité ne se trouve pas actuellement dans tel ou tel programme particulier. Les classes moyennes ont vu et entendu bien des programmes. Ce qu’il leur faut, c’est la confiance que ce programme sera bien réalisé. Quand le paysan se dira : « Cette fois, il semble bien que le parti ouvrier ne reculera pas », la cause du socialisme sera gagnée. Mais, pour y arriver, il faut d’abord démontrer par des actes que nous sommes fermement prêts à briser sur notre route tous les obstacles. »
Pour résoudre la crise, il faut un véritable parti des travailleurs. Le PS a le devoir de le devenir. Un parti ouvrier se bat contre la grande bourgeoisie. C’est seulement ainsi qu’il peut gagner la frange petite-bourgeoise des PME !
Image : CC BY 2.0 de Phillip Pessar
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