Samedi matin la chaîne de fast food McDonalds a annoncé la fermeture temporaire de ses filiales. Non pas par bienveillance envers ses employé-e-s et ses clients mais grâce à la pression montante des salarié-e-s ayant abouti à une première lutte à Crissier (Vaud). Quelles sont les leçons à en tirer?
Pour les gens qui doivent continuer à aller bosser il est impossible de respecter les mesures décidées par le Conseil Fédéral. Ils sont contraints de risquer leurs vies et celles de leurs proches chaque jour. Face à cette contradiction, on voit apparaître des premières formes de résistance – avant tout dans les milieux professionnel romand, comme sur les chantiers, dans l’aéroport de Genève, ou dans le McDo de Crissier.
Dans le secteur du take-away et des fast-foods, l’impossibilité de respecter les mesures de sécurités est particulièrement évidente. Les cuisines sont un espace très étroit, où les corps se croisent à un rythme effréné. De 5-6 personnes rentrent en contact avec une commande, avant de la remettre aux clients. Et là-dessus viennent s’ajouter les circonstances exceptionnelles liées à l’épidémie ; le McDo de Crissier a été pendant longtemps à court de solution hydro-alcoolique, dont il réservait l’usage aux employé-e-s de service, pendant que les cuisinier-ère-s n’avait que le lavage de main au savon.
Il est donc naturel que les employés prennent conscience de cette contradiction, ainsi que de la brutalité de cette logique de profit à tout prix, au prix de leur santé et de la santé des gens qui les entourent.
Mais qu’est-ce qui s’est passé à Crissier exactement? Quels événements ont mené à l’exacerbation des relations entre les managers et les travailleurs? Nous en avons parlé avec un employé.
Depuis le début des directives cantonales puis fédérales, les conditions de travail n’ont jamais été à même de permettre le respect des directives de l’OFSP. Dans les journées qui suivirent les annonces du 13 mars, face à l’obligation de réduire le nombre d’employé-e-s dans les locaux, les managers demandaient aux employés de se présenter le matin à l’horaire habituel, pour qu’une décision soit prise quant à la nécessité de leur présence. Si l’employé se présentait à l’heure, et qu’il était renvoyé chez lui car le nombre de collaborateurs présents suffisant, il serait payé.
Mais s’il appelait le matin pour savoir si sa présence était requise, et qu’on lui répondait que non, la journée ne serait pas payée. Ainsi les employés furent forcés, pendant plusieurs jours, à risquer la contamination dans les transports en commun, uniquement pour faire acte de présence auprès de ses managers.
Dans les premiers jours après le 13, malgré les injonctions du conseil fédéral, la cuisine et l’espace de service du Drive étaient bondés, avec plus de 20 employé-e-s s’activant vigoureusement dans des espaces réduits. Les employés s’inquiètent, des fois ce sont même des personnes à risque. Ils sont frustrés,se sentent impuissants face à leurs employeurs et se trouvent souvent dans une situation de précarité financière.
Face à ces dangers, une forme de résistance s’organise. Des employé-e-s utilisent leur compte Instagram anonyme pour aller dénoncer en commentaire, sur la page de McDonalds suisse, les dangers de leurs conditions de travails. L’entreprise répond en purgeant les commentaires négatifs de ses postes, et contacte les employés en message privé pour leur demander leurs coordonnées. Face à la possibilité d’un licenciement, les employés refusent de coopérer et envoient des captures d’écrans des commentaires effacés au 20 Minutes.
Des employés mécontents contactent ensuite Unia, syndicat responsable de la restauration. Dans un temps très court, Unia organise une action « escargot » au Drive de Crissier et dépose un ultimatum auprès des patron-e-s en demandant le scrupuleux respect des normes de santé.
Les managers alertent la police, qui sera dirigée vers les cuisines par les syndicalistes. Devant l’évidence de l’irrespect des normes de l’OFSP, les agents de police demandent à 8 employé-e-s de quitter les lieux.
Mais parmi les travailleurs et travailleuses cette action ne fait pas l’unanimité. Beaucoup sont insatisfaits, car ils sont maintenant obligés de faire face à la cadence démentielle d’un drive-through qui tourne à plein régime avec seulement 8 employé-e-s. L’action doit donc être qualifiée d’échec: Elle n’a pas réussi à regrouper les salarié-e-s pour faire plier McDonalds avec son attitude criminelle envers ses employé-e-s.
Néanmoins, la lutte à Crissier montre le mécontentement croissant parmi les salarié-e-s toujours contraints d’aller travailler. McDonald suisse (et le patronat en général) a eu un avant-goût des luttes à venir. L’action à Crissier laissait craindre que des situations similaires continuent à se manifester dans les autres filiales suisses, notamment à cause de leur haut niveau de standardisation. Suite aux événements qui se sont déroulés à Crissier dans ces derniers jours, la direction a pris la décision anticipée de fermer ces filiales, pour éviter une mobilisation de masse de ses employé-e-s et des questions que cela aurait pu soulever.
C’est donc une stratégie de ralentissement que McDonald suisse a mise en place. En fermant préventivement leurs établissements, ils peuvent se positionner favorablement vis-à-vis des médias et des syndicats, ce qui leur permettra de pousser pour une réouverture précoce plus tard.
La fermeture des établissements n’est donc pas entièrement une bonne nouvelle. Parmi les employés règne une certaine confusion générale ainsi que la peur de ne plus être payé.Tous les employés temporaires ont simplement été déprogrammés, ce qui ne signifie qu’aucun d’eux ne sera payé tant que la fermeture continuera. On craint également une réouverture trop précoce par la direction.
Unia a dit accueillir la nouvelle de la fermeture des filiales MacDonald avec « plaisir et surprise ». Une surprise compréhensive, car la fermeture complète ne faisait pas partie de leurs revendications, et n’a pas été atteinte grâce à leur action.
On voit donc clairement ici le potentiel inexploité de la part d’Unia. Bien que louable, leurs revendications et leur action n’étaient pas à la hauteur des attentes et des besoins des employé-e-s. L’ultimatum demandant le scrupuleux respect des normes de santé était certe correct. Mais il aurait dû être intégré dans un programme d’action cohérent:
Les lieux de travail qui restent ouverts doivent être fermés grâce à la lutte des salarié-e-s. Pour cela, les syndicats doivent élaborer un programme de lutte cohérent avec les salarié-e-s qui sont de plus en plus ouverts à des revendications radicales. Ainsi ces fermetures ne pourront pas être récupérées par des patrons hypocrites qui s’érigent en héros de l’épidémie.
Les syndicats ainsi ancrés pourront ensuite demander que la décision de réouverture soit prise collectivement par les employé-e-s, afin de garantir leur sécurité plutôt que l’impératif de profit de leurs employeurs.
Europe — de Emanuel Tomaselli, ICR Autriche — 16. 11. 2024
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Europe — de Jack Halinski-Fitzpatrick, marxist.com — 11. 11. 2024