Propos recueillis par Ivan Lampert et Charles Tolis

Suite à une attaque visant à augmenter le temps de travail des enseignants du cycle d’orientation genevois, une série de luttes a éclaté, menant à une grève au printemps 2024. Le mois dernier, les négociations se sont terminées dans l’impasse. Nous sommes revenus avec Morgane (nom d’emprunt), enseignante de longue date au CO, sur le contexte dans lequel prennent place ces attaques et les luttes des enseignants.

Quelle est l’évolution des conditions d’enseignements ces dernières années?

C’est clair que les difficultés sont de plus en plus grandes au fil des années. Les élèves sont à mon sens abîmés, ils sont empêchés d’apprendre. L’école est impuissante devant la péjoration du climat psychique et social. On doit éponger toutes sortes de situations dramatiques, liées aux conditions des élèves. C’est une tendance générale, le social est en crise, la fonction publique est en crise mais parce que la société est en crise.

En 15 ans, nos conditions de travail se sont vraiment péjorées par rapport à la prise en charge émotionnelle, affective et psychologique. On a des cas tellement difficiles, lourds, des enfants tellement abîmés, en colère. Tout ça demande une implication très grande et rend le travail administratif beaucoup plus lourd. L’idée de faire des économies dans un tel contexte, c’est complètement aberrant. Tu es démuni, et par dessus ça on coupe encore les moyens, c’est ce paradoxe. Là, il faudrait des millions pour pallier cette crise. Il y a des solutions pour aider les élèves, mais il faut de l’argent.

Dans ce cadre, pour quoi les profs luttent-ils ?

Tout ce qu’on veut c’est pouvoir faire correctement notre travail. Mais, le conseil d’Etat veut que les profs enseignent 2 heures supplémentaires face élève par semaine. Pour certains, ça veut dire une classe, donc 24 élèves supplémentaires. Ça veut dire énormément de travail en plus. Les profs ne se battent pas pour de l’argent. Certes, nous voulons préserver les acquis sociaux, mais les profs se battent avant tout pour les élèves et la qualité de l’éducation.

C’était la raison de la grève que l’an dernier. Aujourd’hui, quelle est l’ambiance parmi les enseignants?

C’est un mélange de colère et de découragement. On espère avoir les forces vives pour continuer de se battre, mais les profs sont extrêmement fatigués, parfois résignés. La vieille garde est très en colère, les jeunes non-nommés ont peur donc ne manifestent pas leur désapprobation et entre les deux il y a de tout. Moi, je suis très inquiète. Il n’y a pas un enseignant qui pense qu’il pourrait enseigner davantage en gardant la qualité de son travail, mais beaucoup sont déjà résignés.

Les profs ont peur, et effectivement, si t’es un va-t’en guerre et que t’y vas tout seul, tu te fais virer. Donc ils n’osent pas entrer en lutte, mais la magistrate ne peut pas virer 500 profs. Si on est 1000, qu’est ce qu’elle va faire?

Ils se sentent isolés, pourtant, d’autres secteurs se mobilisent parallèlement à la lutte des profs.

Oui et nous sommes extrêmement solidaires de toute la fonction publique. Clairement, on doit être ensemble pour gagner. On essaie de mener une lutte large contre l’austérité en unissant toutes les luttes parce que c’est une politique globale qui affecte tous les services publics.

Dans ce contexte, quelle est la stratégie des syndicats qui dirigent la lutte?

Ce syndicalisme s’essouffle, récolter des signatures, lancer des référendums : c’est une formule qui ne marche plus. Il faut un syndicalisme politique. Il faudrait l’union la plus large, parce que c’est toute la société qui est impactée, il faut impliquer les parents, même les élèves. L’employeur s’appuie sur la logique de “diviser pour mieux régner”, notamment entre les différentes associations professionnelles.

Nous devons nous préparer à des luttes, parce que les conditions vont continuer à se dégrader.

C’est pour ça que vous êtes un parti révolutionnaire. C’est le seul moyen. C’est certain qu’à travers le jeu politique ce n’est pas possible, et le réformisme, on sait ce que ça donne. Rien ne va s’améliorer et même des petites victoires ne permettent que de souffler un peu avant les prochaines attaques. J’espère que nous allons les repousser, mais si elles passent, ça ira au clash tôt ou tard.

Comme l’explique Morgane, les attaques et les luttes vont s’amplifier parce que ce système n’a plus rien à offrir pour l’éducation. Les communistes du PCR se battent aux côtés des enseignants pour la fin de l’austérité et un programme ambitieux d’investissements massifs dans les services publics. L’école a besoin de plus d’enseignants, de dispositifs et de temps de travail reconnu pour faire face au climat social. L’argent nécessaire existe, dans les coffres des parasites capitalistes, qui s’engraissent pendant que la société périclite. La fin de l’austérité et une éducation de qualité sont possibles. Mais pour cela, nous devons exproprier les banques, les milliardaires et les grands groupes industriels. Ce ne seront pas les gouvernements capitalistes qui le feront pour nous. Il va falloir un mouvement de masses de la classe ouvrière pour former un gouvernement des travailleurs. Notre première tâche, c’est de nous organiser autour de ce programme et cette stratégie.


Courrier des lecteurs

L’Office zurichois de l’enseignement en primaire parle de « détente » en ce qui concerne la pénurie d’enseignants. Il ne restera « plus que » 600 postes vacants dans les écoles pour l’année scolaire prochaine, contre 700 à 800 ces dernières années. Conséquence : les enseignants non diplômés, dont dépendent de plus en plus d’écoles, ne pourront plus être engagés pour l’année scolaire 26/27. Comme si un seul des problèmes qui dissuadent les gens de devenir enseignants était résolu ! En effet, le nombre d’étudiants dans les hautes écoles pédagogiques est en constante augmentation, mais le taux d’abandon de la profession augmente pareillement. Les raisons de cet échec sont nombreuses : des classes numériquement ingérables, trop peu de ressources allouées aux élèves exigeant un cadre particulier et, surtout, les innombrables heures non payées que les enseignants effectuent chaque année. Par exemple, les enseignants reçoivent 150 heures par an pour leur responsabilité supplémentaire envers la classe, la communication avec les parents, les sorties et les rendez-vous, etc. Quelle blague ! Avec l’organisation d’un seul camp de classe, on a déjà facilement épuisé ces heures. Quelle arrogance lorsque Myriam Ziegler, de l’Office de l’enseignement obligatoire, affirme qu’une meilleure rémunération des enseignants ne peut que les inciter à réduire leur temps de travail ! L’argent pour un personnel enseignant suffisant, reposé et en bonne santé est là, il suffirait d’aller le chercher chez les patrons et les capitalistes.

Julian Scherler, enseignant à Zurich