Dans la crise du Corona, l’État acquiert un nouveau pouvoir. Mais la solution à la crise pour la classe ouvrière ne réside pas dans le renforcement de l’État existant. Les travailleurs doivent prendre leur avenir en main.
La crise engendrée par la pandémie du coronavirus a propulsé la centralité de l’État et des gouvernements dans la société vers une toute nouvelle dimension en très peu de temps. Les États gouvernent par des lois d’urgence, l’exécutif assume le contrôle. La démocratie, là où elle existe, est de facto minée. Nos droits fondamentaux sont fortement limités.
D’autre part, les États sont intervenus dans l’économie avec un radicalisme qui a fait éclater d’un seul coup le mantra libéral selon lequel l’État doit rester en dehors de « l’économie de marché ». La quantité d’argent injectée dans l’économie mondiale dépasse déjà de loin tous les plans de sauvetage de 2008. Aux États-Unis, le chiffre est de 2,8 billions de dollars, soit environ 13 % du PIB. En Suisse, 62 milliards de francs suisses, soit environ 9 % du PIB. Cela ne s’arrêtera pas à ces montants énormes. Les États signalent qu’ils feront tout ce qu’ils peuvent pour sauver « l’économie », quels qu’en soient les moyens et les montants.
L’intervention des États dans l’économie ne se limite pas à des dépenses massives. Même si c’est à contrecœur, ils ont dû imposer des restrictions considérables et même des fermetures aux capitalistes pour contenir la pandémie.
Non moins important, les États de divers pays sont intervenus avec des éléments de contrôle et de planification de l’économie. Le capitalisme est basé sur la propriété privée des moyens de production. Les entreprises sont en mains privées et c’est à elles seules qu’il revient de décider de leur manière d’opérer. Or, aux États-Unis, le gouvernement a demandé au constructeur automobile General Motors de s’associer à une entreprise de technologie médicale et de passer à la production de ventilateurs. En Espagne, le gouvernement a temporairement pris le contrôle de tous les hôpitaux privés et du stock de matériel médical et de produits d’hygiène, et a confisqué les établissements de santé et les hôtels.
De telles mesures sont un aveu que le capitalisme est incapable de répondre aux besoins de la société dans cette crise. C’est la faillite de l’anarchie aveugle de l’économie de marché et la preuve de la nécessité d’une planification et d’une coordination conscientes.
Le rédacteur en chef de la NZZ, Eric Gujer, crie au vu de cet État, qui « prend le commandement » dans la crise, qu’on ne vaincra pas la crise du covid-19 avec un tel « socialisme d’épidémie ». Mais les interventions actuelles de l’État n’ont rien à voir avec le socialisme.
Les États sous le capitalisme ne sont pas des institutions qui cherchent à réaliser le bien commun. Ce sont des organes de la classe capitaliste dominante pour maintenir son ordre capitaliste.
Là où les interventions actuelles ne visent pas directement à sauver les profits des entreprises, elles ont pour but de maintenir le système capitaliste dans son ensemble. Cependant, en ce moment, ces deux objectifs se trouvent en contradiction flagrante. D’une part, les capitalistes ont toujours été réticents à accepter le confinement et font pression pour l’ouverture. Les profits ne connaissent aucun égard pour la vie humaine – surtout pas si ce ne sont « que » les personnes âgées qui sont en danger, qui, d’un point de vue capitaliste, sont de toute façon improductives. Certains des idéologues bourgeois les plus froids ont ouvertement exprimé cette logique capitaliste nue.
D’autre part, nous avons vu dans un certain nombre de pays quelle était la réaction de la classe ouvrière qu’un tel manque d’égard aussi évident provoque. Le chômage de masse et la misère sociale que la crise économique menace de susciter ne font que renforcer le potentiel d’un mouvement insurrectionnel qui menace la survie de l’ensemble du système capitaliste. Ainsi, une autre faction de la classe dirigeante ne sait que trop bien que cette crise ne consiste pas seulement à ne pas perdre ses profits actuels. Pour eux, il s’agit de ne pas perdre tout. C’est le spectre de la révolution qui pousse les États à mettre un masque humain chèrement acheté. Paniqués, ils jettent de l’argent par les fenêtres afin de retarder le chômage de masse ou du moins d’amortir un peu les conséquences sociales de la crise.
Mais en essayant de se frayer un chemin à travers la crise au moyen d’un État fort et de dépenses massives, ils ne font que repousser leur problème dans l’avenir. Les faillites et le chômage de masse ne seront pas évités de cette manière. Et en même temps, des dettes gigantesques s’accumuleront. Ils vont devoir le faire payer à la classe ouvrière afin de ne pas torpiller encore plus les taux de profit des capitalistes dans la crise. Mais cela, en revanche, ne fera que saper davantage la stabilité politique et exacerber la lutte des classes.
Quoi que fasse la bourgeoisie, elle ne peut faire autrement que de scier la branche sur laquelle est assis son propre pouvoir. Mais cela est le dilemme des capitalistes, pas le nôtre. Nous avons besoin de notre propre chemin pour sortir de la crise, un chemin qui se fiche des profits des capitalistes.
La gauche réformiste se trompe gravement si elle prend maintenant ce « masque » pour le vrai visage de l’État (voir par exemple le document du PS « Solidarité contre la crise du coronavirus »). Elle se trompe gravement si elle croit que c’est le moment où il est possible de se détourner du « néo-libéralisme » en revenant à un État qui intervient davantage dans le marché et à un État-providence plus fort, similaire à la période après la Seconde Guerre mondiale. Il n’y a aucune base pour cela aujourd’hui. Nous ne sommes qu’au début de la crise probablement la plus profonde de l’histoire du capitalisme. Un essor dont des parties plus larges de la population peuvent profiter est aujourd’hui, dans le capitalisme, simplement un scénario utopique. L’ « État fort » n’est pas l’issue sociale à la crise, c’est le moyen pour la classe dominante de sauver un capitalisme qui se trouve abattu sur le sol en train de mourir.
Ce n’est pas à nous de trouver des moyens de réparer leur système en faillite. Ces moyens n’existent pas – pas pour la grande majorité de la population qui ne possède pas de capital. La classe ouvrière ne peut résoudre cette crise que par elle-même : la crise sanitaire, mais surtout la crise économique et sociale, dont nous ne sommes pas encore conscient de la profondeur.
Ce n’est pas à nous de trouver des moyens de réparer leur système en faillite. Ces moyens n’existent pas – pas pour la grande majorité de la population qui ne possède pas de capital. La classe ouvrière ne peut résoudre cette crise que par elle-même : la crise sanitaire, mais surtout la crise économique et sociale, dont toute la profondeur ne se fera qu’à voir. C’est la force qui, par son travail, permet à ce système à fonctionner. C’est pour cette raison également la seule force capable de réorganiser la société de telle manière que les humains puissent décider consciemment de leur propre vie sociale : Dans une économie socialiste planifiée, où nous ne sommes pas soumis aux diktats du profit, mais où nous pouvons nos préoccuper uniquement de la satisfaction des besoins de tous.
Ce n’est pas une utopie abstraite. C’est le seul moyen réaliste pour la classe ouvrière de sortir de la crise aujourd’hui. Les conditions technologiques et culturelles pour cela sont plus que jamais présentes. Et nous voyons déjà, dans les actions d’auto-organisation des travailleurs, les germes d’une société dans laquelle la population travailleuse se gouverne elle-même.
D’une part, nous avons vu dans un certain nombre de pays comment les travailleurs ont lutté pour l’arrêt de la production non essentielle. C’est extrêmement important : les travailleurs n’acceptent pas le régime des patrons. Ils commencent à prendre le contrôle et à déterminer eux-mêmes les règles du jeu – indépendamment des patrons et de leurs intérêts de profit et, si nécessaire, contre eux. Ce sont précisément ces germes de contrôle ouvrier qui doivent être développés. Les travailleurs de toutes les entreprises doivent élire des comités pour contrôler le respect des mesures de sécurité et décider si le travail peut continuer. Ces comités auraient également le pouvoir d’imposer une interdiction de licenciement.
D’autre part, nous avons vu en divers endroits la volonté des travailleurs de transformer la production afin de résoudre la crise de l’approvisionnement. À Barcelone, par exemple, les travailleurs du constructeur automobile SEAT, un hôpital et une entreprise technologique ont uni leurs forces et ont converti les machines de production automobile et les imprimantes 3D pour produire 300 ventilateurs par jour ! Les camarades espagnols commentent à juste titre : « Ce que le système capitaliste n’arrive pas à faire, les ingénieurs et les ouvriers le résolvent en quelques jours ».
Si notre système de santé est en crise, ce n’est pas parce que nous n’avons pas les connaissances et les moyens de produire tout ce qui est nécessaire dans les plus brefs délais. Le problème, c’est le capitalisme, où chaque entreprise travaille pour elle-même et son propre profit et où la production ne suit aucun objectif social. Il est absurde qu’en 2020, la Suisse soit incapable de fournir des masques de protection à tout le monde – et que les capitalistes individuels gagnent encore grâce à ce manque ! Le potentiel pour mettre fin à cette irrationalité réside dans la classe ouvrière elle-même.
Lorsque les travailleurs des usines se regroupent en comités pour défendre leurs intérêts, ces comités doivent se réunir au niveau national. Cela permet de fusionner la comptabilité, les plans de production et les stocks des entreprises. Cela donne aux travailleurs un aperçu des possibilités de production disponibles et leur montre comment les biens nécessaires peuvent être produits et distribués efficacement. Les travailleurs de l’industrie, des soins de santé, des transports, les ingénieurs et les statisticiens, etc. etc. pourraient tous commencer à travailler ensemble pour la société plutôt que pour les seuls profits de leurs entreprises individuelles. Ainsi, pour planifier réellement la production et la faire correspondre aux besoins, ce contrôle doit s’étendre à l’ensemble de l’économie. Cela soulève la question de la nationalisation, et donc la question politique du pouvoir de l’État.
Les principales entreprises doivent être nationalisées et réunies afin d’élaborer un plan de production et de distribution pour l’ensemble de la société. La nationalisation des banques a une importance particulière, de même que celle de l’industrie pharmaceutique. Tous les fils d’une économie capitaliste se réunissent dans les banques. Aujourd’hui, les banques veillent à ce que les capitaux soient canalisés vers les secteurs où on fait du profit. Ce n’est que si nous nationalisons les banques et les regroupons en une seule que nous pourrons contrôler les flux d’argent et les diriger là où ils sont nécessaires du point de vue de la coexistence sociale. Cette mesure est d’autant plus urgente aujourd’hui que les mesures de sauvetage du gouvernement fédéral passent par les banques et font peser tout le poids de la crise sur la population, sans que celle-ci n’ait aucune forme de contrôle sur ces mesures.
Bien entendu, le contrôle des entreprises nationalisées ne doit pas être confié à une bureaucratie d’État. Une économie planifiée ne peut fonctionner que si les travailleurs eux-mêmes participent activement à la planification par le biais des comités décrits ci-dessus. Un comité élu composé de représentants des travailleurs des principales usines, des syndicats et d’une autorité de planification de l’État peut tout réunir et élaborer un plan basé sur les besoins réels – à l’heure actuelle, bien sûr, surtout pour assurer la santé et les services les plus élémentaires.
Ce n’est pas seulement ici et maintenant le moyen le plus efficace et le plus social de combattre le virus (il suffit de penser aux avantages pour le développement d’un vaccin). Ce sera également le seul moyen de sortir de la longue et profonde crise économique à laquelle nous sommes confrontés. Et cela sans licenciements, sans perte de niveau de vie : parce que les possibilités technologiques sont là depuis longtemps. Il suffit que l’économie passe des mains privées aux mains de la société pour libérer l’humanité de la honteuse contrainte du profit, qui menace de plonger les masses de la population dans le chômage et la misère.
De telles demandes peuvent sembler radicales et inhabituelles, voire impossibles. Mais d’une part, l’initiative et la créativité des travailleurs se manifestent clairement aujourd’hui. Il faut juste l’encourager consciemment. D’autre part, les nationalisations seraient possibles partout ici et maintenant. Un gouvernement n’a qu’à les décréter.
C’est ce que font les gouvernements d’aujourd’hui, c’est ce que fait le Conseil fédéral ? Bien sûr que non – et lorsqu’ils le feront, ils le feront uniquement pour sauver des entreprises de la faillite et pour les gérer de manière capitaliste. Ce sont des gouvernements bourgeois qui doivent défendre les intérêts des capitalistes. Mais cela nous montre seulement que nous avons besoin d’un autre gouvernement : Un gouvernement des travailleurs qui représente de manière consistante les intérêts des travailleurs et de tous les opprimés. En tant que tel, il pourrait non seulement simplement décréter la nationalisation des banques et des industries centrales, mais aussi appeler tous les travailleurs à prendre le contrôle de leurs propres usines et les motiver à participer à la planification !
Au long de son histoire, la classe ouvrière a créé ses propres organisations pour représenter ses propres intérêts. Ils ont créé des syndicats et des partis socialistes. Il reviendrait aux syndicats de lutter pour le contrôle des travailleurs dans les usines. Il reviendrait au PS de se battre pour un gouvernement purement ouvrier. Mais les deux sont aujourd’hui à des kilomètres de là. Les dirigeants de ces organisations sont plongés dans le bourbier du compromis de classe et, avec Berset et Sommaruga, ils gèrent même la crise du capitalisme. Mais cela nous montre seulement que la classe ouvrière d’aujourd’hui a besoin d’une autre direction avec des idées différentes – une direction marxiste qui a pleinement confiance dans le pouvoir de la classe ouvrière, qui l’accompagne et la pousse dans ses luttes.
Le fait que les idées marxistes soient encore aujourd’hui minoritaires dans le mouvement syndical ne change rien au fait qu’elles seules montrent une voie viable pour sortir de la crise. Le fossé entre ces deux faits ne nous laisse qu’ un choix : soit nous faisons l’autruche, en pensant que nous ne pourrons jamais rien changer. Or, dans ce cas, c’est garanti que nous, les salariés et les opprimés devrons payer très cher ! Ou bien nous travaillons de toutes nos forces pour construire une organisation marxiste révolutionnaire qui porte ces idées dans les mouvements.
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