Il y a 100 ans, les masses russes – menées par les bolchéviques – prenaient le pouvoir. Pour les marxistes, il s’agit sans aucun doute du plus grand événement de l’histoire de l’humanité ; la première fois – à la brève exception de la Commune de Paris – où les opprimés et les exploités se sont soulevés et ont renversé l’ordre ancien.

Malgré ce que disent les historiens bourgeois calomnieux et les défenseurs du statu quo en qualifiant la révolution d’octobre 1917 de « coup d’État », la véritable force motrice de ces événements titanesques n’était autre que les masses elles-mêmes : les ouvriers, les paysans et les soldats organisés dans les soviets.

Néanmoins, si la révolution a été « faite » par les masses, son succès n’aurait ultimement pas été possible sans le rôle vital de deux individus : Lénine et Trotski. Et encore, Trotski était suffisamment humble pour admettre que son rôle fut auxiliaire en comparaison de celui de Lénine, dont les années de travail patient pour construire et éduquer les bolchéviques avaient été essentielles pour fournir aux masses révolutionnaires l’organisation, la direction et les dirigeants nécessaires.

« Si je n’avais pas été là en 1917, à Pétersbourg, la Révolution d’Octobre se serait produite – conditionnée par la présence et la direction de Lénine », remarque Trotski dans son Journal d’exil.

« S’il n’y avait eu à Pétersbourg ni Lénine ni moi, il n’y aurait pas eu non plus de Révolution d’Octobre : la direction du parti bolchévique l’aurait empêchée de s’accomplir (cela, pour moi, ne fait pas le moindre doute !). S’il n’y avait pas eu à Pétersbourg Lénine, il n’y a guère de chances que je fusse venu à bout de la résistance des hautes sphères bolchéviques. (…) Mais, je le répète, Lénine présent, la Révolution d’Octobre aurait de toute façon abouti à la victoire ».

Capacité humaine à agir et libre arbitre

Ce qui est vrai pour la révolution russe l’est aussi pour tous les changements fondamentaux de la société. La plupart des manuels et des documentaires voudraient nous faire croire que tout progrès historique est l’œuvre de « grands hommes et grandes femmes » porteurs de « grandes idées », où les masses ne sont que les relais passifs de la volonté d’individus charismatiques, déterminés et résolus.

Au contraire, la vision marxiste de l’histoire, selon les termes de Marx et Engels dans le Manifeste communiste, souligne qu’en fin de compte, « l’histoire de toute société existante jusqu’à présent est l’histoire des luttes de classes ».

De nombreux critiques universitaires tentent de dépeindre le marxisme comme étant rigide et mécanique, accusant les théories du socialisme scientifique (comme Marx et Engels désignaient leurs idées) de « déterminisme économique ». Pourtant, Marx n’a jamais nié l’importance de l’action humaine dans la détermination du cours de l’histoire. En effet, « l’histoire », comme le soulignait Marx, n’est pas une force mystique. Il n’y a pas de « destin » ou de « fatalité ».

« L’Histoire ne fait rien, elle « ne possède pas de richesse énorme », elle « ne livre pas de combats ». C’est au contraire l’homme, l’homme réel et vivant qui fait tout cela, possède tout cela et livre tous ces combats ; ce n’est pas, soyez-en certains, «l’histoire » qui se sert de l’homme comme moyen pour réaliser — comme si elle était une personne à part — ses fins à elle; elle n’est que l’activité de l’homme qui poursuit ses fins à lui. » (Marx et Engels, La Sainte Famille, italique dans l’original)

Comme l’écrivait Engels dans une lettre à Bloch, l’un de ses pairs socialistes allemands :

« l’Histoire se fait de telle façon que le résultat final se dégage toujours des conflits d’un grand nombre de volontés individuelles, dont chacune à son tour est faite telle qu’elle est par une foule de conditions particulières d’existence; il y a donc là d’innombrables forces qui se contrecarrent mutuellement, un groupe infini de parallélogrammes de forces, d’où ressort une résultante – l’événement historique. »

L’histoire est donc faite d’individus qui suivent leurs propres objectifs et intérêts. Mais, ce faisant, comme l’explique Marx, les individus « entrent en des rapports déterminés, nécessaires, indépendants de leur volonté, [c’est-à-dire les] rapports de production qui correspondent à un degré de développement déterminé de leurs forces productives matérielles. »

En d’autres termes, bien que nous disposons tous d’un degré relatif de liberté dans nos choix de vie, nous sommes néanmoins contraints par notre position économique dans la société de prendre des décisions très précises qui échappent à notre contrôle. Par exemple, si à défaut de vivre d’un patrimoine d’actions et d’investissements à votre nom, vous faites  – comme la grande majorité des gens dans la société – partie de la classe ouvrière,alors vous n’avez pas vraiment d’autre choix que de travailler pour gagner de l’argent. Vous pouvez avoir une certaine liberté quant au choix de votre employeur, en fonction de votre situation, mais en fin de compte, vous devez vendre votre force de travail (votre capacité à travailler) à un capitaliste si vous voulez survivre.

Le paysage historique

Ce qui est vrai pour les individus en général, vaut de même pour les « grands » individus dans l’histoire.

Le marxisme ne nie pas le rôle que l’individu joue dans l’histoire. En effet, dans certains cas, ce rôle peut être vital et central. Mais même les « grands » individus de l’histoire ne peuvent agir que dans les limites fixées par les conditions de leur époque, elles-mêmes créées par ceux qui les ont précédés. Comme Marx l’a fait remarquer dans ses écrits sur le 18 Brumaire de Louis Bonaparte,

« Les hommes font leur propre histoire, mais ils ne la font pas arbitrairement, dans les conditions choisies par eux, mais dans des conditions directement données et héritées du passé. La tradition de toutes les générations mortes pèse d’un poids très lourd sur le cerveau des vivants. »

En d’autres termes, même les individus les plus résolus, les plus intelligents et les plus charismatiques ne sont pas des agents totalement libres, mais sont contraints par les conditions matérielles, les relations sociales et les lois économiques de leur époque.

Comme des gouttes de pluie sur un terrain accidenté, nous laissons chacun notre marque sur le milieu environnant, le façonnant au fur et à mesure que nous le traversons. L’accumulation de tous ces impacts individuels façonne à son tour un paysage historique, dont les contours définissent les possibilités pour le chemin parcouru par l’eau qui coulera à l’avenir.

Et si un déluge de pluie ou de grands tremblements de terre politiques peuvent inexorablement changer le terrain pour toujours, en fin de compte, en temps « normal », le chemin que nous suivons est contraint par cette topographie sociale que nous nous retrouvons à parcourir. En d’autres termes, les activités passées de la société et les événements historiques antérieurs contraignent et limitent les décisions et les possibilités offertes aux individus qui suivent – y compris les « grands » individus de l’histoire.

L’accident et la nécessité

Comme l’a fait remarquer le grand philosophe dialecticien allemand Hegel, l’accident – en fin de compte – est le reflet de la nécessité. À cet égard, l’émergence d’un « grand » individu en particulier est largement « accidentelle » en termes historiques ; « accidentelle » dans le sens où un rôle historique similaire aurait pu être joué par un autre individu.

Malgré cela, notait cependant Engels dans ses propres écrits philosophiques, la relation entre ce que l’on appelle « accident » et « nécessité » est une relation dialectique. « Le bon sens », écrit Engels dans sa Dialectique de la nature, « (…) [considère] nécessité et contingence[=accident] comme des déterminations s’excluant une fois pour toutes. Une chose, un rapport, un phénomène sont ou contingents[=accidentels] ou nécessaires, mais non l’un et l’autre à la fois. »

« Ce que l’on peut ramener à des lois générales passe pour nécessaire », poursuit Engels, et « ce que l’on ne peut pas ramener à ces lois pour contingent[=accidentel]. »

Appliqué à l’étude de l’histoire, on peut donc dire que si l’émergence d’un « grand » individu en particulier est « accidentelle », l’émergence d’un « grand » leader ou d’un visionnaire en général est (à des moments clés) « nécessaire ».

En d’autres termes, à certaines périodes et dans certaines conditions historiques, les exigences et les besoins de la société tendront à créer et à appeler des individus dotés de certaines qualités et caractéristiques. Par exemple, lorsque la lutte des classes est à son paroxysme, il y a besoin de leader ferme et inébranlable dans sa détermination.

Engels résume merveilleusement bien dans une de ses lettres cette question de l’accident et de la nécessité en relation avec les « grands » individus de l’histoire :

« Les hommes font eux-mêmes leur histoire, mais jusqu’ici pas avec une volonté générale suivant un plan d’ensemble, même lorsqu’il s’agit d’une société donnée et tout à fait isolée. Leurs efforts s’entrecroisent et, justement à cause de cela, dans toutes ces sociétés domine la nécessité, dont le hasard est le complément et la manifestation. La nécessité qui se fait jour à travers tous les hasards, c’est de nouveau finalement la nécessité économique. »

« Ici il nous faut parler des soi-disant grands hommes. Que tel grand homme et précisément celui-ci apparaît à tel moment, dans tel pays, cela n’est évidemment que pur hasard. Mais supprimons-le, il y a demande pour son remplacement et ce remplacement se fait tant bien que mal, mais il se fait à la longue. Que le Corse Napoléon ait été précisément le dictateur militaire dont la République française épuisée par ses guerres avait besoin, ce fut un hasard ; mais qu’en cas de manque d’un Napoléon un autre eût pris la place, cela est prouvé par ce fait que chaque fois l’homme s’est trouvé, dès qu’il était nécessaire: César, Auguste, Cromwell, etc. »

(Engels, Lettre à Borgius, Londres, 25 Janvier 1894)

Pour prolonger l’argument d’Engels, il est clair que certaines conditions historiques produiront plus « d’accidents » que d’autres.

Dans la nature, toute mare d’eau se compose d’un ensemble de molécules, toutes dotées de leur propre énergie cinétique « aléatoire ». Certaines de ces molécules contiendront suffisamment d’énergie pour s’évaporer « accidentellement », même si la température collective de l’eau n’est pas au point d’ébullition. Cependant, si l’on réchauffe l’environnement, le taux d’évaporation augmentera rapidement, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus d’eau du tout, mais seulement de la vapeur.

De même, dans les périodes de lutte des classes intense, les masses seront radicalisées et les couches ordinairement inertes seront poussées à l’action politique. Et de cette phase d’agitation accrue émergeront davantage de leaders révolutionnaires potentiels.

« Un grand homme est grand non pas parce que ses qualités personnelles donnent des traits individuels aux grands événements historiques », remarquait Plekhanov, le père du marxisme russe, « mais parce qu’il possède des qualités qui le rendent le plus apte à servir les grands besoins sociaux de son époque, besoins qui ont surgi à la suite de causes générales et particulières. » (G.V. Plekhanov, Le rôle de l’individu dans l’histoire, notre traduction)

Les “Hommes providentiels » sont donc ceux qui expriment une idée qui s’était déjà imposée comme nécessaire dans des processus se déroulant à l’insu des hommes et des femmes. Bien qu’ils voient les résultats historiques comme le fruit de leurs efforts et de leurs idées, en vérité le champ d’action individuel est sévèrement limité par la réalité objective, qui favorise un résultat au détriment de tous les autres.

L’histoire est pleine d’événements apparemment « accidentels » – en économie, en politique, etc. : tel ou tel résultat électoral, tel ou tel soubresaut du marché, par exemple. Mais dans une situation de crise généralisée, ces accidents se multiplient. Le système devient de plus en plus sensible à chaque accident supplémentaire, et l’accumulation des accidents précédents fait peser la balance dans une direction.

Les événements historiques ne sont donc pas complètement prédéterminés. Mais ils ne sont pas non plus totalement laissés au hasard et à la chance. Lorsque l’histoire joue avec les destins des hommes et des femmes, elle joue toujours avec des dés pipés.

En d’autres termes, la « nécessité » historique – de la société ou d’une classe sociale particulière – crée « l’accident » du « Grand » individu. Ce ne sont pas les « grands » hommes et femmes qui font l’histoire, mais l’histoire qui rend certains hommes et femmes « grands ».

Ceux que les dieux veulent perdre…

Lorsque l’histoire va dans votre sens, on dirait souvent que vous ne pouvez pas vous tromper. En revanche, lorsque l’histoire est contre vous, il semble que vous ne puissiez que vous tromper.

C’est sans doute ce que doit ressentir Theresa May en ce moment. L’avenir de la Première ministre est en suspens après une série de chocs, de scandales et de revers pour son gouvernement. Il y a eu, par exemple, le terrible – et en grande partie malheureux – discours de clôture de la dirigeante conservatrice lors de la conférence du Parti conservateur en octobre, qui a été entravé du début à la fin par des événements indépendants de sa volonté : une toux passagère, une interruption par un plaisantin et un décor qui s’est effondré. Aujourd’hui, May va devoir payer les pots cassés, et nombreux sont ceux qui prédisent qu’elle ne va pas rester longtemps au 10 Downing Street[=résidence officielle du 1er ministre britannique].

Mais comme le dit le proverbe de la Grèce antique, « les dieux rendent fous ceux qu’ils veulent perdre. »

Léon Trotski paraphrase cette phrase dans son Histoire de la révolution russe lorsqu’il évoque « L’agonie de la monarchie ». Il décrit également avec justesse la situation de Theresa May à l’heure actuelle. Après le résultat humiliant des élections générales de cette année, il semble (à l’heure où j’écris ces lignes) que tout aille de travers pour la présidente du parti conservateur.

Au fond, l’infortune et l’incompétence apparente de May reflètent l’impasse du système qu’elle – et son parti – défend et l’absence d’avenir qu’il a à offrir. « Le Jupiter impersonnel de la dialectique historique », poursuit Trotski, « prive de raison les institutions périmées et condamne leurs défenseurs à toutes les malchances. »

Dans les citations ci-dessus, Trotski décrivait les échecs personnels du tsar Nicolas II et de la famille royale russe, dont le désespoir dans les dernières heures précédant la révolte de Février – note l’auteur – reflétait celle des monarchies précédemment renversées, comme celle de Charles Ier en Angleterre et de Louis XVI en France.

Dans tous ces cas, les limites et la chute de ces figures autrefois omnipotentes étaient le produit de l’institution anachronique des monarchies féodales qu’elles représentaient. Pour paraphraser Joseph de Maistre, philosophe du XIXe siècle (et, ironiquement, monarchiste convaincu) : toute classe dirigeante a les dirigeants qu’elle mérite.

« Les textes des rôles de Romanov et de Capet étaient fixés d’avance par le développement du drame historique », affirme Trotski, « Il ne restait guère aux acteurs qu’à nuancer l’interprétation. »

« La malchance de Nicolas, comme celle de Louis, avait ses racines non pas dans son horoscope personnel, mais dans l’horoscope historique de la monarchie de la caste bureaucratique. »

« Les déboires de Nicolas comme ceux de Louis provenaient non de leur horoscope personnel, mais de l’horoscope historique d’une monarchie de caste bureaucratique. »

Individualité

L’un des principes de base de la philosophie matérialiste est que des conditions similaires produisent des résultats similaires. Nous le constatons dans la nature avec la question de l’évolution en comparant différentes espèces qui ont des apparences similaires.

Par exemple, le dauphin est un mammifère, le requin un poisson et l’ichtyosaure un reptile marin aujourd’hui disparu. Chacune de ces créatures provient d’une branche complètement différente de l’arbre de l’évolution, et pourtant elles ont toutes été façonnées par leur environnement commun pour avoir des apparences presque identiques.

De même, comme nous l’avons mentionné plus haut, Engels et Trotski ont tous deux remarqué que des personnalités et des caractères individuels similaires naissent de conditions historiques similaires – par exemple, les « hommes forts » que sont César, Napoléon et Staline dans les périodes où la lutte des classes aboutit à une impasse intense.

Il ne fait aucun doute que chaque individu a sa propre personnalité, qui est le produit complexe et dynamique de toute une histoire d’expériences et d’événements. Néanmoins, comme l’explique Trotski à propos de la monarchie russe (fournissant au passage une incroyable analyse matérialiste des traits psychologiques et des caractéristiques personnelles), plus les contradictions de la société sont intenses et plus les forces globales de l’histoire sont puissantes, plus les réponses individuelles convergent et plus les caractéristiques personnelles finissent par s’adapter à la forme requise.

« Des excitations de même nature (bien entendu, non identiques, loin de là), dans des conditions similaires, appellent les mêmes réflexes. Plus l’excitant a de puissance, plus rapidement il l’emporte sur les particularités individuelles. Au chatouillement les gens réagissent diversement ; à l’épreuve du fer rouge tous de la même façon. De même que le marteau-pilon transforme indifféremment en lamelle une boule ou un cube, ainsi, sous les coups de trop grands et inéluctables événements, ceux qui résistent sont écrasés, perdant les arêtes de leur ‘individualité’. »

À Thatcher qui déclarait que « la société n’existe pas », nous pourrions donc rétorquer que l’individu n’existe pas. Nous sommes tous des produits de notre environnement, tout en façonnant le monde qui nous entoure. Et dans certaines périodes historiques, les besoins et les objectifs de nombreux individus se combinent pour créer les conditions d’un changement révolutionnaire – et, en conséquence, pour propulser au premier plan des leaders révolutionnaires capables de faire avancer la société.

Hitler et la montée du Fascisme

Les historiens bourgeois utilisent trop souvent des caractéristiques personnelles pour expliquer les abominations de l’histoire qu’ils ne comprennent pas et ne peuvent pas comprendre. Ainsi, la montée du fascisme, la Seconde Guerre mondiale et les atrocités de l’Holocauste sont attribuées à la monstruosité individuelle d’Adolf Hitler.

Les marxistes, en revanche, expliquent ces personnages non pas en termes de personnalité, mais en termes de conditions et de processus historiques.

Les actions d’Hitler, par exemple, ont certainement influencé le cours de l’histoire. Mais il était lui-même un produit de la période qu’il a vécue : une période qui a vu l’émasculation et l’humiliation de l’Allemagne après la Première Guerre mondiale, incarnée par l’imposition du traité de Versailles. Avant tout, Hitler et le mouvement fasciste de masse qu’il représentait sont nés d’une époque de révolution et de contre-révolution – une période chaotique et turbulente qui a vu les masses allemandes (et, en particulier, les classes moyennes) écrasées par l’impact de l’hyperinflation de l’ère de Weimar et de la Grande Dépression.

Le résultat fut la création d’une large couche de petits bourgeois appauvris, pris entre le capitalisme monopoliste d’un côté et la classe ouvrière radicalisée – qui se tournait vers le communisme – de l’autre. C’est cette classe moyenne ruinée et frénétique qui a servi de base sociale à la montée du fascisme et, à son tour, à Hitler, qui promettait de redonner à cette couche sa gloire économique d’antan. Le soutien de la bourgeoisie allemande, et la criminelle division de la classe ouvrière causée par les actions des dirigeants sociaux-démocrates et des staliniens, ont préparé le terrain pour sa victoire.

Il est donc clair que l’ascension d’un arriviste tel qu’Hitler n’est pas le fruit du hasard, mais le résultat de toute une période historique. La preuve en est que des personnages et des mouvements similaires – tels que Mussolini en Italie et Franco en Espagne – sont apparus à la même époque en raison de conditions similaires dans toute l’Europe.

Cela ne signifie pas pour autant que la conquête du pouvoir par l’un ou l’autre de ces mouvements ou dirigeants fascistes était inévitable. Les conditions objectives de la crise et la formation d’une classe moyenne démunie et désespérée ont très certainement constitué la base matérielle de la montée du fascisme en Italie, en Allemagne et en Espagne. Mais, en dernière analyse, leur victoire n’a été rendue possible que grâce au facteur subjectif manquant – c’est-à-dire une véritable direction révolutionnaire – du côté de la classe ouvrière.

Cette période de l’histoire allemande, par exemple, a été un long processus tumultueux au cours duquel de nombreux partis, idées et dirigeants ont été mis à l’épreuve et se sont révélés inefficaces : de l’échec du parti communiste allemand à lancer l’appel au pouvoir ouvrier en 1923 au sectarisme d’ultra-gauche des staliniens de la troisième période, qui ont refusé de former un front uni avec les sociaux-démocrates qui aurait pu arrêter Hitler et le mouvement fasciste naissant dans son élan. (Sans parler des chanceliers bourgeois Brüning, Papen et Schleicher pendant le déclin de la République de Weimar, dont l’impuissance a ouvert la voie à l’ascension d’Hitler au pouvoir).

En prenant le pouvoir, Hitler s’est vanté de l’avoir fait « sans briser la moindre vitre ». La triste réalité est que cela n’a été possible que grâce aux crimes des dirigeants de la classe ouvrière. En ce sens, nous voyons à nouveau le rôle vital de l’individu dans l’histoire, mais cette fois en négatif : la barbarie qui peut se produire en l’absence de facteur subjectif révolutionnaire.

‘Hommes forts’ et ‘Culte de la personnalité’

De même que les horreurs de la Seconde Guerre mondiale sont souvent présentées comme le simple résultat de la malveillance personnelle d’Hitler, les crimes du stalinisme et du maoïsme sont fréquemment réduits au « culte de la personnalité » entourant les dirigeants respectifs de l’Union soviétique et de la Chine.

Là encore, l’attrait d’une telle analyse superficielle pour les historiens bourgeois n’est que trop clair. Il est facile de réduire des processus historiques complexes à des attributs personnels semi-mystiques tels que le charisme et le charme. Il est beaucoup plus difficile d’examiner ces processus d’une manière rigoureuse et scientifique – c’est-à-dire matérialiste – afin de comprendre les forces sous-jacentes en jeu.

Les « hommes forts » tels que Staline et Mao étaient en fin de compte les représentants d’une caste bureaucratique qui, à son tour, est née des tentatives de construire une économie socialiste planifiée dans des conditions de retard économique et d’isolement.

Le « culte de la personnalité » qui entoure Staline découle de cette réalité et reflète le besoin de la bureaucratie soviétique de disposer d’un chef suprême capable de personnifier et de défendre ses intérêts, comme l’explique Trotski dans son chef-d’œuvre marxiste, La révolution trahie, qui analyse la dégénérescence de la révolution russe en un totalitarisme bureaucratique :

« La divinisation de plus en plus impudente de Staline est, malgré ce qu’elle a de caricatural, nécessaire au régime. La bureaucratie a besoin d’un arbitre suprême inviolable, premier consul à défaut d’empereur, et elle élève sur ses épaules l’homme qui répond le mieux à ses prétentions à la domination. La « fermeté » du chef, tant admirée des dilettantes littéraires de l’occident, n’est que la résultante de la pression collective d’une caste prête à tout pour se défendre. Chaque fonctionnaire professe que « l’Etat c’est lui ». Chacun se retrouve sans peine en Staline. Staline découvre en chacun le souffle de son esprit. Staline personnifie la bureaucratie et c’est ce qui fait sa personnalité politique. » (Léon Trotski, La révolution trahie, chapitre 11 – Où va l’U.R.S.S. ?)

Comme l’explique Trotski dans sa biographie inachevée de Staline, la fadeur de cette brute – cette « non-entité » – reflétait la mentalité abrutissante et bornée de la bureaucratie soviétique, dont il représentait en fin de compte les intérêts.

« [Pour que le mythe de Staline émerge,] des conditions historiques particulières ont été nécessaires, dans lesquelles il n’était pas requis de montrer de la créativité. Son intelligence [déficiente] lui servait simplement à compiler le travail de l’intelligence collective de la caste bureaucratique dans son ensemble. Le combat de la bureaucratie pour sa propre protection, le retranchement sur sa position privilégiée, appelaient la personnification d’une intense volonté de pouvoir. Une telle configuration exceptionnelle de conditions historiques était nécessaire avant que ses qualités intellectuelles, malgré leur médiocrité, ne reçoivent une large reconnaissance générale, démultipliée par le coefficient de sa volonté. »

Léon Trotski, Staline, chapitre XIII – «Kinto» au pouvoir, p. 725-726

Marx, dans son 18 Brumaire, a fait des remarques similaires à propos de Louis Bonaparte, inventant même le terme de « bonapartisme » pour décrire ces dirigeants qui apparaissent régulièrement dans l’histoire : ceux qui gouvernent par l’épée, en s’appuyant sur les différentes classes de la société pour se soulever et maintenir l’ordre (c’est-à-dire pour maintenir le statu quo des relations de propriété existantes) dans une situation où la lutte des classes a atteint une impasse.

En ce sens, il existe également une similitude entre le Bonaparte originel (Napoléon Ier) et Jules César, qui a également agi comme un « homme fort », émergeant lors du déclin de la République romaine afin d’assurer une stabilité et un ordre relatifs au sein de la société – et, en fin de compte, de défendre les intérêts de la classe dirigeante existante des propriétaires d’esclaves. Pour ces raisons, le terme « césarisme » est parfois utilisé pour décrire les mêmes types de régimes que ceux que l’on pourrait qualifier de « bonapartistes ».

Trotski, à son tour, a décrit le stalinisme comme une forme de « bonapartisme soviétique » : une dictature politique, assise sur une économie planifiée et un État ouvrier, résultant d’une situation dans laquelle les masses révolutionnaires et les conditions objectives pour le socialisme étaient trop faibles au sein de la seule Russie, mais où l’ancienne classe capitaliste avait été balayée dans les poubelles de l’histoire.

Décrivant les similitudes entre les phénomènes historiques du césarisme, du bonapartisme et du stalinisme (et en conséquence, entre les figures historiques de César, Bonaparte et Staline), Trotski a écrit ce qui suit :

« Le césarisme ou sa forme bourgeoise, le bonapartisme, entre en scène, dans l’histoire, quand l’âpre lutte de deux adversaires paraît hausser le pouvoir au-dessus de la nation et assure aux gouvernants une indépendance apparente à l’égard des classes, tout en ne leur laissant en réalité que la liberté dont ils ont besoin pour défendre les privilégiés. S’élevant au-dessus d’une société politiquement atomisée, s’appuyant sur la police et le corps des officiers sans tolérer aucun contrôle, le régime stalinien constitue une variété manifeste du bonapartisme, d’un type nouveau, sans analogue jusqu’ici. »

« Le césarisme naquit dans une société fondée sur l’esclavage et bouleversée par les luttes intestines. Le bonapartisme fut un des instruments du régime capitaliste dans ses périodes critiques. Le stalinisme en est une variété, mais sur les bases de l’Etat ouvrier déchiré par l’antagonisme entre la bureaucratie soviétique organisée et armée et les masses laborieuses désarmées. »

Léon Trotski, la Révolution trahie, chapitre XI

Les « hommes forts » tels que Staline (et César, Napoléon, etc.) apparaissent donc historiquement, non pas simplement en raison de leur détermination sans faille ou de leur ambition implacable, mais – comme l’explique Trotski ci-dessus – parce que les contradictions sociales de certaines périodes exigent un tel leadership autoritaire.

En effet, l’ironie veut que Staline ait accédé au pouvoir non pas en raison d’un quelconque « culte de la personnalité », mais précisément en raison de son manque de charisme et de personnalité. Loin d’être un penseur large et confiant, le dictateur soviétique se distinguait par sa médiocrité, comme le note Trotski dans sa biographie de Staline, en citant les mots d’Engels à propos du duc de Wellington : « Il est grand à sa manière, aussi grand qu’on puisse être sans cesser d’être médiocre. » (Léon Trotski, Staline, chapitre XIII)

Marx a fait un commentaire similaire sur Louis Bonaparte (Napoléon III) dans le 18 Brumaire, notant que le manque de personnalité ou de charisme de Bonaparte (comme pour Staline) a également agi comme une page blanche, sur laquelle divers groupes ont pu projeter leurs aspirations et leurs intérêts. Ces qualités ternes, peu inspirantes et sans éclat ont donc permis à Bonaparte et à Staline de maintenir un vernis de « toutes choses pour tout le monde », bien qu’ils défendaient en fait les privilèges de la classe dirigeante existante.

Trotski vs Staline

On peut comparer les vies de Trotski et de Staline pour voir clairement comment des époques différentes exigent des individus différents.

Trotski, d’une part, était bien connu pour sa présence charismatique et sa grande intelligence. Il avait été président du Soviet de Saint-Pétersbourg en 1905, à l’âge de 26 ans seulement ; il était le chef du Comité militaire révolutionnaire qui a organisé l’insurrection d’octobre 1917 ; et il a, à lui seul, forgé l’Armée rouge à partir de rien en tant que commissaire du peuple aux affaires militaires et navales pendant la guerre civile russe.

Staline, en revanche, n’a joué qu’un rôle mineur dans la révolution de 1917. Comment en est-il donc venu à être le « Grand Leader » de l’Union soviétique ? Cette question simple, mais apparemment paradoxale, met en lumière la relation entre l’individu et l’histoire.

Les personnalités fades et ennuyeuses de Staline (ou de Louis Bonaparte) contrastent fortement avec l’audace, la témérité et le génie des individus poussés par la vague de la révolution, qui exige et récompense les talents authentiques.

Dans son ascension, le mouvement révolutionnaire produit des figures de courage et de conviction : les Cromwell, Robespierre et Lénine de ce monde. La période de dégénérescence et de recul, cependant, favorise ceux qui n’ont ni théorie ni vision. Lorsque la révolution s’essouffle et que les masses se retirent de l’activité, “l’homme fort”, terne et gris, émerge sur le fond de cette démoralisation pour maintenir l’ordre.

Trotski et Lénine – dirigeants et théoriciens audacieux et clairvoyants – représentaient la ferveur révolutionnaire de 1917. Mais à la mort de Lénine en 1924, après des années de guerre civile, de famine et de dévastation, les masses étaient fatiguées et ne voulaient plus entendre les appels à la « révolution permanente ». Au contraire, la mentalité (en particulier au sein de la vaste paysannerie) était celle d’un désir de stabilité, d’une fin du chaos, tout en conservant les acquis de la révolution d’octobre.

En même temps, dans des conditions intenses d’isolement et de retard économique, les masses s’étaient retirées de l’activité politique. Et en l’absence d’une industrie avancée, d’une alphabétisation de masse, d’un niveau d’éducation élevé, de compétences techniques abondantes, etc., les conditions matérielles pour le développement du contrôle et de la gestion des travailleurs n’existaient tout simplement pas.

Comme Trotski l’a expliqué dans La révolution trahie, ce sont finalement ces conditions de pénurie et de privation qui ont constitué la base matérielle du régime stalinien :

« L’autorité bureaucratique a pour base la pauvreté en articles de consommation et la lutte contre tout qui en résulte. Quand il y a assez de marchandises au magasin, les chalands peuvent venir à tout moment. Quand il y a peu de marchandises, les acheteurs sont obligés de faire la queue à la porte. Sitôt que la queue devient très longue, la présence d’un agent de police s’impose pour le maintien de l’ordre. Tel est le point de départ de la bureaucratie soviétique. Elle « sait » à qui donner et qui doit patienter. »

Léon Trotski, La Révolution trahie, Chapitre 5 – Le Thermidor soviétique

À son tour, cette caste bureaucratique, comme nous l’avons expliqué plus haut, exigeait une figure de proue représentant ses intérêts étroits. Trotski lui-même a même fait remarquer que s’il avait pris le pouvoir après la mort de Lénine – par exemple en dirigeant l’Armée rouge – il aurait fini par devenir prisonnier de la bureaucratie militaire. L’épouse de Lénine, Kroupskaïa, notait quant à elle en 1926 que si Lénine avait survécu, il aurait lui aussi fini dans l’une des prisons de Staline.

Trotski a donc compris ce que tant d’historiens superficiels et empiriques n’ont pas su reconnaître depuis : la cause de la dégénérescence de l’Union soviétique en dictature totalitaire ne réside pas dans les idées du marxisme, du léninisme et du bolchevisme, ni dans la personnalité mégalomane de Staline, mais dans l’impossibilité de construire le « socialisme dans un seul pays » – et en particulier dans un pays économiquement sous-développé et essentiellement paysan comme la Russie -, c’est-à-dire dans le fait que la révolution n’a pas réussi à s’étendre à l’échelle internationale.

La montée en puissance de la machine bureaucratique soviétique et, à son tour, de Staline, découle de ce fait. « Staline n’a pas atteint le pouvoir grâce à ses qualités personnelles, mais grâce à un appareil impersonnel », explique Trotsky dans sa biographie du dictateur tyrannique. « Et ce n’était pas lui qui a créé l’appareil, mais l’appareil qui l’a créé. » (Léon Trotsky, Staline, chapitre XIV)

Le Bon, la Brute et le Truand

Tout comme la montée d’Hitler et de Staline dans le passé, l’émergence aujourd’hui de figures réactionnaires comme Donald Trump et Marine Le Pen – de « moins grands » individus dans l’histoire – peut également sembler à beaucoup comme un horrible accident. En effet, de nombreux commentateurs bourgeois superficiels attribuent fréquemment le succès de Trump et de Le Pen à leur démagogie, à leurs talents rhétoriques et à leur personnalité énergique.

Mais lorsque des événements accidentels similaires se produisent dans un pays après l’autre, il s’agit clairement d’un reflet d’un processus plus large de polarisation et de fragmentation politique au sein de la société : un effondrement du centre libéral et une rupture de l’ancien statu quo.

En revanche, deux des figures politiques les plus populaires dans le monde à l’heure actuelle sont celles qui représentent les nouveaux mouvements de masse de la gauche : Jeremy Corbyn au Royaume-Uni et Bernie Sanders aux États-Unis. À cet égard, l’ascension rapide – et totalement inattendue – de Corbyn et de Sanders représente le revers de la médaille du vote en faveur du Brexit ou de l’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis.

Et pourtant, ironiquement, aucun de ces leaders de gauche ne peut en aucune façon être considéré comme nouveau ou frais. Ni l’un ni l’autre ne sont particulièrement « charismatiques ». Alors pourquoi est-ce seulement maintenant – après des décennies de campagne inlassable à gauche – qu’ils sont tous deux soudainement un point de référence pour des millions de travailleurs et de jeunes en Grande-Bretagne et en Amérique, respectivement ?

Dans les deux cas, ils surfent clairement sur la vague de l’histoire – une vague de colère de masse contre l’establishment véreux et son système pourri. Ce fait démontre une fois de plus l’affirmation précédente d’Engels, qui mérite d’être répétée ici :

« Que tel grand homme et précisément celui-ci apparaît à tel moment, dans tel pays, cela n’est évidemment que pur hasard. Mais supprimons-le, il y a demande pour son remplacement et ce remplacement se fait tant bien que mal, mais il se fait à la longue. »

Cette affirmation ne nie cependant pas le rôle vital que Corbyn, par exemple, joue aujourd’hui au sein de la gauche britannique. À certains moments de l’histoire, les espoirs et les rêves d’un mouvement peuvent s’incarner et se personnifier en une seule personne. La relation entre Corbyn et le mouvement qui l’entoure est un exemple de ce phénomène.

Les attributs personnels de Corbyn – « homme de principes » et « honnête » sont parmi les qualités positives les plus fréquemment attribuées au leader travailliste – elles reflètent le désir des gens ordinaires d’avoir un leader qui (et un parti qui) rompt avec le moule blairiste de superficialité et d’inconstance si communément associé aux politiciens traditionnels. À cet égard, pour beaucoup, l’idée d’un mouvement Corbyn sans Corbyn semble impossible à imaginer.

Il en a été de même – et plus encore – dans le cas d’Hugo Chavez au Venezuela, qui en est venu à incarner et à représenter tous les désirs et toutes les aspirations des masses. Il en est résulté une relation dialectique entre lui et le mouvement révolutionnaire bolivarien : plus les masses poussaient Chavez vers l’avant, plus il avait confiance dans la force du mouvement, et plus cela, en retour, inspirait et radicalisait les masses.

Lénine et les Bolchéviques

Les relations entre Lénine, les bolcheviks et les ouvriers et paysans russes étaient similaires. « La faculté de penser et de sentir pour la masse et avec la masse », explique Trotski dans son Journal d’exil, « lui était propre [à Lénine] au plus haut point, surtout dans les grands tournants politiques… »

John Reed, journaliste et socialiste américain, a noté dans son brillant témoignage de la révolution russe – Dix jours qui ébranlèrent le monde – que Lénine était un leader remarquable : quelqu’un qui était énormément admiré et respecté non pas en raison de son charisme, mais étonnamment en dépit de son manque total de charisme, et finalement en raison de la clarté et de la justesse des idées qu’il avançait.

Lénine, écrit Reed, était :

« Peu impressionnant pour une idole des foules, aimé et vénéré comme peu de chefs l’ont été au cours de l’histoire. Un singulier chef populaire, chef par la seule puissance de l’esprit, sans éclat, sans humour, intransigeant, distant, sans aucune particularité pittoresque, mais possédant le pouvoir d’expliquer des idées profondes en termes simples, d’analyser une situation concrète, et doué, en même temps que de sagacité, de la plus grande audace intellectuelle. »

Sans le retour de Lénine en Russie en avril 1917, les bolchéviques n’auraient pas été armés des idées, perspectives et revendications politiques nécessaires pour conquérir l’esprit des masses. Mais la « grandeur » de Lénine était elle-même l’incarnation de toutes les leçons historiques tirées par les bolchéviques au cours de décennies de construction d’une organisation révolutionnaire. Lénine n’est pas né Lénine, il s’est construit lui-même.

De même que Lénine a contribué à faire du parti bolchévique l’arme révolutionnaire dont les ouvriers et les paysans russes avaient besoin, le parti a contribué à faire de Lénine le dirigeant dont il avait un besoin vital dans les moments décisifs de 1917.

Trotski souligne ce point dans un passage brillant de sa biographie de Staline, où il évoque le retour de Lénine en Russie en 1917 et la question de ses « thèses d’avril », qui ont contribué à réorienter politiquement et à réarmer les bolchéviques pour les tâches révolutionnaires qui les attendaient. Ce faisant, Trotski explique la relation dialectique qui existait entre Lénine et le parti bolchévique, comparant l’orientation et la direction révolutionnaires fournies par Lénine aux réalisations scientifiques de « génies » individuels tels que Charles Darwin et Isaac Newton:

« Laissée à elle-même, sans Lénine, la direction bolchéviste fait chaque fois des erreurs, la plupart du temps à droite. Lénine apparaît, comme un deus ex machina, pour montrer la voie juste. Est-ce à dire que dans le parti bolchéviste, Lénine est tout, les autres rien ? Ce point de vue, assez largement répandu dans les milieux démocratiques, est extrêmement unilatéral, donc faux. »

« On pourrait en dire autant de la science : la mécanique sans Newton, la biologie sans Darwin n’étaient rien pendant de nombreuses années. C’est vrai et c’est faux. Il fallut le travail de milliers de savants du rang pour rassembler les faits, les grouper, poser les problèmes et préparer le terrain à la réponse synthétique de Newton ou de Darwin. Cette réponse à son tour, imprima sa marque indélébile sur de nouveaux milliers d’investigateurs du rang. Les génies ne créent pas la science d’eux-mêmes; ils ne font qu’accélérer le mouvement de la pensée collective. »

« Le parti bolchéviste avait un chef génial. Ce n’était pas par hasard. Un révolutionnaire de la trempe et de l’envergure de Lénine ne pouvait être le chef que du parti le plus intrépide, d’un parti qui poussât ses pensées et ses actions jusqu’au bout. Cependant, le génie lui-même est une exception des plus rares. Le chef génial s’oriente plus rapidement, pénètre la situation plus profondément, voit plus loin. »

« Entre le chef génial et ses proches collaborateurs existait inévitablement une grande brèche. On peut même admettre que par la puissance de sa pensée Lénine freinait jusqu’à un certain point le développement indépendant de ses collaborateurs. »

« Cela ne signifie pourtant pas que Lénine fût « tout » et que sans Lénine le parti ne fût rien. Sans le parti, Lénine aurait été impuissant, tout comme Newton et Darwin sans activité scientifique collective. Par conséquent, il ne s’agit pas de vices propres au bolchévisme, produits prétend-on, par la centralisation, la discipline, etc., mais du problème du génie dans le procès historique. Les écrivains qui essaient de dénigrer le bolchévisme parce que le parti bolchéviste eut la chance d’avoir un chef génial ne font que révéler leur vulgarité intellectuelle. »

« Sans Lénine, la direction bolchéviste n’aurait trouvé la voie juste que peu à peu, au prix de dissensions et de luttes internes. Les conflits entre les classes auraient poursuivi leur œuvre, discréditant et écartant les mots d’ordre inconsistants des « vieux bolchéviques »… »

« Cela ne signifie pourtant pas que la voie juste eût été trouvée de toute façon. Le facteur temps joue en politique, surtout pendant une révolution, un rôle décisif. Le déroulement de la lutte des classes n’offre nullement à une direction politique un délai illimité pour trouver l’orientation juste. L’importance d’un chef génial est précisément qu’en abrégeant les leçons données par l’expérience elle-même il offre au parti la possibilité d’intervenir dans les événements au moment voulu. »

« Si Lénine n’avait pu arriver au début d’avril, le parti aurait certainement trouvé en tâtonnant la voie que Lénine indiqua dans ses « thèses ». D’autres chefs auraient-ils su, pourtant, remplacer Lénine au point de pouvoir préparer à temps le parti au dénouement d’Octobre ? À cette question il est impossible de donner une réponse catégorique. »

« Il est une chose qu’on peut dire avec certitude : dans ce travail, qui réclamait la hardiesse d’opposer les idées et les masses vivantes à l’appareil ossifié, Staline n’aurait pu manifester d’initiative créatrice et aurait été plutôt un frein qu’un moteur. Sa force commence au moment où l’on peut maîtriser les masses à l’aide de l’appareil. »

Léon Trotski, Staline, chapitre VII – L’année 1917

Le programme et les traditions des bolchéviques, en retour, étaient eux-mêmes le produit non seulement de décennies mais de siècles de leçons – des leçons obtenues à partir de l’ensemble des expériences généralisées de la lutte des classes, telles qu’elles sont contenues dans les pages de l’abondant matériel théorique écrit par Marx, Engels, Plekhanov et d’autres partisans et défenseurs de premier plan des idées du socialisme scientifique.

Cela montre pourquoi, pour les marxistes, la question de la théorie et de l’éducation est si vitale dans la construction d’une organisation révolutionnaire. Sans cette éducation, les leçons des générations précédentes se perdent à jamais dans l’éther.

Ce n’est qu’en nous appuyant sur les idées du marxisme que nous pourrons faire en sorte que chaque mouvement n’ait pas à réapprendre les leçons de l’histoire par lui-même. Au contraire, nous pouvons transmettre les conclusions nécessaires d’une génération à l’autre, en appliquant ces leçons importantes aux conditions concrètes d’aujourd’hui et en fournissant un « fil ininterrompu » à la lutte pour le socialisme.

La force motrice de l’histoire

Les marxistes ne sont pas des fatalistes qui nient le rôle de l’action humaine dans les événements. En effet, nous essayons activement de construire l’organisation révolutionnaire nécessaire pour transformer la société. Cependant, nous ne sommes pas non plus d’accord avec les postmodernes qui rejettent toute loi générale et toute dynamique au sein de la société. L’histoire n’est pas « juste une foutue chose après l’autre ».

Les processus historiques sont bien sûr complexes. Mais cela ne veut pas dire qu’ils sont totalement imprévisibles ou incontrôlables. Au milieu de l’incertitude apparemment chaotique des événements, il existe un certain degré d’ordre. L’histoire a ses propres lois et dynamiques, même si elles ne s’observent qu’à un niveau très général.

En effet, comme nous l’avons vu plus haut, Trotski note dans son Histoire de la révolution russe que des personnages similaires apparaissent dans des situations similaires à travers l’histoire, comparant les monarchies décrépites renversées par les révolutions anglaise, française et russe.

En conséquence, Trotski explique que ces révolutions elles-mêmes contiennent des événements et des processus similaires, qui découlent de la manière dont la conscience des masses évolue et dont la lutte des classes s’exprime. Par exemple, il fait ailleurs l’analogie entre la dégénérescence de la Révolution française en bonapartisme et la dégénérescence de la Révolution russe en stalinisme,où dans les deux cas la force des masses s’était retirée de la scène de l’histoire.

La loi la plus générale affirmée par la vision matérialiste de l’histoire est celle du développement des forces productives : le fait que l’humanité a tendance – à long terme – à accroître sa maîtrise de la nature et son niveau de vie, ce qui s’exprime en terme le niveau de la société en matière de science, d’industrie, de technologie et de technique. Dit simplement: aujourd’hui est généralement meilleur qu’hier et demain sera meilleur qu’aujourd’hui.

Lorsque le système économique et les relations de propriété d’une société deviennent un obstacle à ce développement, expliquait Marx, « alors s’ouvre une époque de révolution sociale. »

Mais l’histoire n’attend pas – les gens ordinaires ne peuvent pas attendre – l’arrivée d’un parti ou d’un leader révolutionnaire pour mener à bien la transformation sociale nécessaire. À certains moments, les conditions objectives de pauvreté et de dénuement ressenties par les masses exigent un changement radical ici et maintenant, quel que soit le parti ou le dirigeant actuellement disponible.

Cependant, en l’absence du « facteur subjectif » nécessaire qu’est le parti révolutionnaire, ce processus peut se produire avec toutes sortes de distorsions. La preuve en est l’émergence des divers « États ouvriers déformés » observés au cours de l’histoire : les régimes de type stalinien – avec une caste bureaucratique présidant une économie nationalisée et planifiée – qui ont pris le pouvoir dans de nombreux pays ex-coloniaux dans la période d’après-guerre, à la suite de mouvements révolutionnaires contre l’impérialisme et les propriétaires terriens.

Qu’il s’agisse des révolutions chinoise de 1949 et cubaine de 1959, du régime baathiste en Syrie ou celui de Mengistu en Éthiopie, tous ces exemples, et bien d’autres encore, expliquait Ted Grant dans un article fondamental sur les Révolutions coloniales et les États ouvriers déformés, résultent de la nécessité objective d’une révolution dans ces pays – une rébellion des masses contre les relations sociales existantes et les contradictions laissées par des décennies et des siècles d’impérialisme et de colonialisme.

« Dans les conditions de la décomposition du capitalisme-latifundiaire dans les pays coloniaux, toutes les contradictions sociales sont aggravées à l’extrême. Les tensions sociales atteignent un niveau insupportable. C’est pourquoi, dans un pays après l’autre en Asie, en Afrique et en Amérique latine, la démocratie bourgeoise est remplacée par des dictatures bonapartistes bourgeoises ou des dictatures bonapartistes prolétariennes. Dans les pays ex-coloniaux susmentionnés, aucun n’a procédé sur le modèle de la norme de la révolution socialiste. »

Ted Grant,The Colonial Revolution and the Deformed Workers’ States, notre traduction

Ailleurs, en Égypte, dans les années 1950, le militaire devenu président Gamal Abdel Nasser a fini par nationaliser d’importants secteurs clés de l’économie, tels que le canal de Suez.

De même, dans tous les cas, les dirigeants petits-bourgeois et les nationalistes de gauche comme Mao et Castro ont été poussés beaucoup plus loin dans leur programme économique qu’ils ne l’avaient prévu à l’origine, en raison des conditions objectives auxquelles ils ont dû faire face. Tentant au départ de mener des réformes économiques basiques et de revendiquer la souveraineté, ces dirigeants ont été contraints de s’orienter vers la gauche sous la pression des masses d’en bas et les contre-pressions de l’impérialisme et des capitalistes compradores locaux.

En fin de compte, comme l’a souligné Ted Grant, le rôle de ces dirigeants dans les révolutions coloniales n’avait pas grand-chose à voir avec leurs croyances personnelles ou leurs attributs individuels, mais tout à voir avec la force motrice de la nécessité historique et du changement sociétal qu’ils en sont venus à incarner et à représenter :

« Il est important de voir que ce que toutes ces forces bigarrées ont en commun, ce ne sont pas des différences personnelles secondaires, mais les forces sociales et les forces de classe qu’elles représentent. »

« Mengistu, Castro, [etc.]… ont rompu avec leur appartenance de classe et avec les avantages ou les inconvénients de leur éducation et de leur vision bourgeoise et universitaire. Il est vrai qu’ils ne se sont pas placés du point de vue du prolétariat – comme l’ont fait Marx et Lénine – mais ils ont accepté un « socialisme » beaucoup plus facile, qui impliquait leur domination individuelle et celle de leur élite sur le dos de la classe ouvrière et des paysans. »

« Toutes les différences individuelles sont éliminées par les changements décisifs de classe et d’économie qu’ils ont présidés dans leurs pays et leurs sociétés. »

notre traduction

Liberté et Nécessité

Le marxisme ne considère donc pas l’importance des conditions historiques et de l’individu de manière mutuellement exclusive. Au contraire, ces facteurs – de l’ « objectif » et du « subjectif », de la « nécessité » et de l' »accident » – existent en tant qu’unité d’opposés.

Il est clair que nous ne possédons pas de « libre arbitre », au sens d’une capacité illimitée à déterminer notre propre avenir, et que nous ne sommes pas non plus soumis aux forces fatalistes du « destin ».

En fin de compte, comme l’a fait remarquer Engels en se référant à Hegel, la véritable liberté « n’est pas dans une indépendance rêvée à l’égard des lois de la nature, mais dans la connaissance de ces lois et dans la possibilité donnée par là même de les mettre en oeuvre méthodiquement pour des fins déterminées. »

« Cela est vrai aussi bien des lois de la nature extérieure que de celles qui régissent l’existence physique et psychique de l’homme lui-même, – deux classes de lois que nous pouvons séparer tout au plus dans la représentation, mais non dans la réalité. »

Engels, Anti-Dühring, chapitre XI

Même le plus grand des individus, par exemple, ne peut pas conjurer des pouvoirs magiques pour défier la gravité et voler. Mais grâce au développement de la science, nous pouvons, au fil du temps, apprendre à comprendre les lois de la gravité et du mouvement afin d’inventer des machines – comme les avions – capables de surmonter les forces de la nature et de nous permettre de voler.

Il en va de même pour la relation entre l’individu et l’histoire. Aucun personnage historique ne peut s’imposer face à des forces sociales puissantes qui agissent contre lui. Sans les conditions matérielles nécessaires, même le leader le plus intelligent, le plus charismatique et le plus déterminé ne peut aller bien loin.

Engels a fait cette remarque à propos des socialistes utopiques, ses prédécesseurs politiques à lui-même et Marx, qui croyaient de manière idéaliste qu’il suffisait d’un « individu génial qui est venu maintenant et qui a reconnu la vérité » pour que le socialisme voie le jour.

Marx et Engels, au contraire, ont défendu le point de vue du socialisme scientifique – matérialiste – en soulignant qu’aucune quantité ou qualité de grands hommes dans les époques précédentes n’aurait pu conduire la société vers un véritable socialisme. Par conséquent, les tendances communistes qui ont existé au sein des révolutions bourgeoises précédentes, telles que les Diggers de Winstanley dans la révolution anglaise et l’extrême gauche des Jacobins autour d’Hébert dans la révolution française, étaient vouées à l’échec dès le départ.

En fin de compte, ces mouvements et ces dirigeants représentaient les revendications d’une classe – la classe ouvrière – qui n’en était qu’à ses débuts ; des revendications qui ne pouvaient être satisfaites sur la base des forces productives relativement élémentaires qui existaient à l’époque, avec peu d’industrie, pas de marché mondial et une classe ouvrière numériquement faible.

Comme expliqué plus haut, la victoire du stalinisme et de la bureaucratie sur le trotskisme et l’opposition de gauche dans les années qui ont suivi la révolution russe de 1917 fut similaire. Le socialisme, comme l’a expliqué Trotski dans La révolution trahie, ne pouvait pas être construit dans un seul pays – et surtout pas dans un pays aussi peu développé économiquement et culturellement que la Russie.

« Qui fait l’histoire ? », demande Plekhanov dans son pamphlet sur le rôle de l’individu dans l’histoire. « C’est l’homme social qui la fait », répond le mentor marxiste russe.

« Mais si, à une époque donnée, il crée certaines relations et pas d’autres, il doit y avoir une cause à cela, bien sûr ; c’est déterminé par l’état de ses forces productives. »

« Aucun grand homme ne peut imposer à la société des rapports qui ne sont plus conformes à l’état de ces forces, ou qui ne le sont pas encore. En ce sens, il ne peut pas faire l’histoire. » (Notre emphase et traduction)

Ainsi, explique Plekhanov, même les grands hommes et les grandes femmes ne sont pas libres de faire l’histoire à leur guise. Mais, une fois de plus, la question de la relation entre liberté et nécessité se pose. Plekhanov poursuit :

« Les relations sociales ont leur logique inhérente : tant que les gens vivent dans des relations mutuelles données, ils sentiront, penseront et agiront d’une manière donnée, et pas d’une autre. Les tentatives des hommes publics pour lutter contre cette logique seraient également vaines ; le cours naturel des choses (c’est-à-dire cette logique des relations sociales) réduirait tous leurs efforts à néant. »

« Mais si je sais dans quelle direction les relations sociales changent en raison de changements donnés dans le processus socio-économique de production, je sais aussi dans quelle direction la mentalité sociale change ; par conséquent, je suis en mesure de l’influencer. Influencer la mentalité sociale, c’est influencer les événements historiques. Par conséquent, dans un certain sens, je peux faire l’histoire, et il n’est pas nécessaire que j’attende qu’elle se fasse. »

Notre emphase et traduction

En d’autres termes, en comprenant les lois générales du mouvement dans la société – de l’économie, de la conscience et de la révolution – nous pouvons nous-mêmes devenir un facteur du processus objectif et contribuer à déterminer le cours de l’histoire.

C’est ce que l’on entend par besoin de théorie : la compréhension de ces lois générales, fondée sur une analyse matérialiste et dialectique de la nature, de l’histoire et du capitalisme ; une compréhension qui fournit un guide pour l’organisation et l’action révolutionnaires, nous permettant de changer radicalement le monde qui nous entoure. « La théorie », comme l’écrivait Marx, « se change en force matérielle dès qu’elle pénètre les masses. »

Une question de direction

En fin de compte, comme nous l’avons mentionné au début, ce sont les conditions objectives de la crise et la conscience radicalisée qui amènent les masses sur la scène de l’histoire, rendant la révolution possible. Sans ces conditions nécessaires, il ne peut être question de révolution.

Dans son célèbre pamphlet, cité plus haut, Plekhanov polémiquait contre les Narodniki de classe moyenne qui exagéraient le rôle de l’individu, substituant à la nécessité d’une action et d’une organisation de masse celle de la terreur individuelle et de la « propagande par le fait ». Ces tactiques futiles se poursuivent encore aujourd’hui sous la forme de l’anarchisme et de son obsession pour « l’action directe », qui se résume le plus souvent à des acrobaties politiques.

Plekhanov, en revanche, tentait d’inculquer aux premiers marxistes russes un sens de l’importance du rôle des masses dans l’histoire. Et pas seulement « les masses » dans l’abstrait, mais le rôle vital de la classe ouvrière organisée autour des idées révolutionnaires du marxisme.

Aujourd’hui, il est clair que toutes les conditions objectives nécessaires à une révolution mondiale sont réunies. En effet, comme l’affirmait Trotski dans les premiers passages de son Programme de transition,

« Les prémisses objectives de la révolution prolétarienne ne sont pas seulement mûres ; elles ont même commencé à pourrir. »

« Sans révolution socialiste, et cela dans la prochaine période historique, la civilisation humaine tout entière est menacée d’être emportée dans une catastrophe. »

Le problème auquel l’humanité est confrontée à l’époque actuelle, souligne Trotski, ne réside pas dans des conditions objectives incorrectes, mais dans l’absence du facteur subjectif : le parti révolutionnaire. « La crise historique de l’humanité se réduit à la crise de la direction révolutionnaire. »

Partout où nous regardons, l’ancien ordre s’effondre. Il y a une profonde remise en question de toutes les certitudes existantes dans la société, auparavant considérées comme sacro-saintes et inviolables ; une radicalisation et un mécontentement, qui se traduisent par de soudaines oscillations entre gauche et droite.

Mais comme Trotski l’a expliqué avec éloquence à propos de la révolution d’octobre et du rôle crucial de Lénine et des bolchéviques il y a 100 ans, sans la présence d’une direction révolutionnaire la perspective de changement ne reste que potentielle:

« C’est seulement par l’étude des processus politiques dans les masses que l’on peut comprendre le rôle des partis et des leaders que nous ne sommes pas le moins du monde enclin à ignorer. Ils constituent un élément non autonome, mais très important du processus. Sans organisation dirigeante, l’énergie des masses se volatiliserait comme de la vapeur non enfermée dans un cylindre à piston. Cependant le mouvement ne vient ni du cylindre ni du piston, mais de la vapeur. »

Léon Trotski, Histoire de la révolution russe, Préface

Tel est le rôle d’une organisation révolutionnaire : canaliser et diriger l’énergie radicale des travailleurs, des jeunes et des masses opprimées – qui existe aujourd’hui dans le monde entier – vers la transformation révolutionnaire de la société.

Construire une telle organisation est la tâche que nous nous sommes fixée au sein de la Tendance Marxiste Internationale. En ce centenaire de la révolution russe de 1917, rejoignez-nous dans cette tâche vitale.