D’emblée, Marx et Engels menèrent une lutte acharnée pour une clarification idéologique au sein de l’Internationale. Mais ils comprenaient très bien que pour conquérir les masses aux idées du socialisme scientifique, il était nécessaire de conduire un travail patient dans les organisations historiquement constituées des travailleurs. Pour la première fois, l’AIT leur donnait l’occasion d’éprouver leurs idées et d’en débattre à une échelle plus vaste que les petits cercles révolutionnaires.
Au début, ils durent faire face à d’énormes difficultés. Dans la plupart des pays, le mouvement ouvrier était naissant et, souvent, influencé par les idées bourgeoises libérales ou démocratiques. Dans bien des pays, le mouvement ouvrier n’avait pas encore rompu avec les partis bourgeois.
A l’époque, la majorité de la population active était composée de paysans ou de petits artisans, pas de salariés. La Grande-Bretagne faisait exception : les ouvriers y étaient majoritaires, mais les dirigeants syndicaux étaient influencés par les libéraux. En France, les proudhoniens s’opposaient aux grèves, au nom des idées utopistes du « mutualisme ». Ils étaient aussi opposés à la participation des travailleurs à la lutte politique.
En combinant la fermeté des principes et une grande flexibilité tactique, Marx et Engels ont fini par gagner la majorité. Sous leur direction, l’Internationale a posé les bases du développement du mouvement ouvrier en Europe, en Grande-Bretagne et aux États-Unis. Elle avait de profondes racines dans les principaux pays européens.
Socialisme et internationalisme
Le socialisme est internationaliste – ou il n’est rien. Dès le Manifeste du Parti Communiste, Marx et Engels écrivirent les mots, célèbres : « les travailleurs n’ont pas de patrie ». Leur internationalisme n’était pas le fruit de considérations sentimentales. Ils prédisaient que le capitalisme se développerait comme un système mondial, que des différentes économies nationales émergerait un tout, indivisible et interdépendant : le marché mondial.
Cette prédiction a été brillamment validée par l’Histoire. L’écrasante domination du marché mondial est le fait le plus décisif de notre époque. Aucun pays, aussi grand soit-il – même les États-Unis, la Chine et la Russie – ne peut se tenir à l’écart du marché mondial.
Il n’y a pas de livre plus moderne que le Manifeste communiste. Il explique la division de la société en classes, le phénomène de la mondialisation, les crises de surproduction, la nature de l’État, etc. Cela dit, même les idées les plus correctes ne mènent à rien tant qu’elles ne trouvent pas une expression organisationnelle. C’est pourquoi Marx et Engels ont toujours lutté pour la création d’une organisation internationale de la classe ouvrière.
La direction de l’AIT – son Conseil Général – siégeait à Londres. Plusieurs syndicats s’y affilièrent. Elle était constamment engagée dans un travail de terrain au sein du mouvement ouvrier. Elle intervenait dans de nombreux conflits sociaux et grèves. Elle luttait contre l’importation de briseurs de grève étrangers et collectait de l’argent pour aider les grévistes et leurs familles. Elle luttait pour l’égalité, pour l’amélioration des conditions de vie des femmes et des jeunes, qui payaient le plus lourd tribut à l’oppression capitaliste. Tout cela rendait l’Internationale très populaire parmi les travailleurs.
L’influence croissante de l’AIT en Grande-Bretagne inquiétait les syndicalistes réformistes. Ils acceptaient son aide, mais n’avaient aucune sympathie pour ses idées socialistes et révolutionnaires. Cependant, l’Internationale était populaire dans le mouvement ouvrier. A Sheffield, la Trade Union Conference (TUC) a voté une résolution remerciant l’Internationale pour ses efforts visant à unir les travailleurs de tous les pays dans une organisation fraternelle. Elle invita tous les syndicats représentés à la Conférence à rejoindre l’Internationale.
La lutte contre le sectarisme
Marx et Engels étaient obligés de lutter sur deux fronts. D’un côté, ils devaient combattre les idées réformistes des dirigeants syndicaux opportunistes, qui penchaient vers la collaboration de classe et la conciliation avec les bourgeois libéraux. Mais d’un autre côté, ils devaient mener une lutte constante contre les tendances sectaires et ultra-gauchistes. La situation n’a pas beaucoup changé depuis. Aujourd’hui, la tendance marxiste fait face aux mêmes problèmes et doit combattre les mêmes ennemis. Les noms ont peut-être changé, mais le contenu est exactement le même.
L’histoire de la Première Internationale est caractérisée, au fond, par la lutte entre deux tendances incompatibles : d’une part les systèmes utopiques et sectaires qui dominaient les premiers temps du mouvement ouvrier ; d’autre part le socialisme scientifique, dont Karl Marx était le représentant le plus éminent.
Outre des syndicalistes et des partisans d’Owen en Grande-Bretagne, il y avait dans l’AIT des proudhoniens et des blanquistes français, des partisans italiens du nationaliste modéré Mazzini, des anarchistes russes – et d’autres tendances. Dans une lettre à Engels, Marx écrivait : « Il était donc très difficile d’arriver à présenter notre point de vue sous une forme qui le rendit acceptable dans la phase où se trouve actuellement le mouvement ouvrier. […] Il faudra du temps avant que le réveil du mouvement permette l’ancienne franchise de langage. Pour le moment il faut agir fortiter in re, suaviter in modo [1] »
Les anarchistes – proudhoniens comme bakouninistes – s’opposaient à la participation des travailleurs à la lutte politique, quoique de deux points de vue différents. Les proudhoniens conseillaient aux travailleurs de s’émanciper à travers des petites mesures économiques, en particulier le « libre crédit » et l’« échange équitable » entre producteurs. A l’autre extrémité, les bakouninistes défendaient la « propagande par l’action », autrement dit le terrorisme individuel et les petites insurrections, censés préparer le terrain à un soulèvement général qui accomplirait la révolution sociale d’un seul coup. Proudhon exprimait le point de vue des petits propriétaires et artisans ; Bakounine celui des éléments déclassés (le « lumpenprolétariat ») et des paysans révolutionnaires.
Ces idées fausses étaient un problème sérieux, dans le contexte du réveil des masses ouvrières. Se relevant de la terrible défaite de 1848, la classe ouvrière française exprimait instinctivement sa révolte sous la forme de grèves. Politiquement, elle se préparait à renverser le régime bonapartiste. Or les proudhoniens étaient contre les grèves et proposaient de petits palliatifs utopistes.
Au lieu de se baser sur le véritable mouvement de la classe ouvrière et d’élever son niveau de conscience, les sectaires s’efforçaient de leur imposer leurs doctrines. Il fallait mener une lutte acharnée pour purger l’Internationale de ces idées fausses et lui fournir une base idéologique ferme. Marx a consacré énormément de temps et d’efforts dans la lutte contre les différentes formes de sectarisme.
La Commune de Paris
A l’époque, la bourgeoisie redoutait la menace du communisme, qu’elle identifiait à l’Internationale. Mais de grands événements se préparaient qui allaient couper court à son développement.
En 1870, la guerre éclata entre la France de Napoléon III et l’Allemagne de Bismarck. L’AIT adopta une position internationaliste. Le Conseil Général publia un manifeste contre la guerre qui en faisait porter la responsabilité à Napoléon III et au gouvernement prussien. Tout en soulignant qu’en Allemagne la guerre avait un caractère défensif, le manifeste prévenait les travailleurs allemands que si elle se transformait en une guerre de conquête, cela aurait des conséquences désastreuses pour la classe ouvrière – quelle qu’en soit l’issue.
La débâcle de l’armée française, le 4 septembre 1870, a déclenché une chaîne d’événements qui a mené à l’insurrection des travailleurs parisiens et à l’établissement du premier État ouvrier de l’Histoire : la Commune de Paris. Les travailleurs sont « montés à l’assaut du ciel », comme l’écrivait Marx. La Commune n’était pas un parlement de type bourgeois, mais un organe à la fois législatif et exécutif. Les officiels étaient élus au suffrage universel direct et étaient révocables à tout moment.
Ce n’est pas le lieu d’entrer dans le détail de l’histoire de la Commune. Il suffit de souligner que le point faible de la Commune était sa direction. Elle n’avait ni programme défini, ni tactique élaborée. Dans la Commune elle-même, les internationalistes étaient minoritaires : 17 sur 92 membres. En conséquence, la Commune fut incapable de présenter de larges perspectives aux travailleurs et paysans du pays, de façon à briser l’isolement des ouvriers parisiens.
Malgré ses immenses accomplissements, la Commune commit des erreurs. Marx en souligne deux sérieuses : la Banque de France n’a pas été nationalisée ; les communards n’ont pas marché sur Versailles, où la contre-révolution s’était repliée. La classe ouvrière l’a payé très cher. À Versailles, la réaction a organisé une armée contre-révolutionnaire qui a marché sur Paris et noyé la Commune dans le sang. Une fois cette tâche accomplie, la bourgeoisie a organisé une vaste campagne de calomnies contre la Commune. Marx la défendit avec passion. Au nom du Conseil Général, il écrivit un manifeste – aujourd’hui connu sous le titre : La guerre civile en France – où il expliquait la véritable signification historique de cette grande révolution prolétarienne. La Commune était une forme de pouvoir politique de la classe ouvrière, une dictature des opprimés sur les oppresseurs. C’était un régime transitoire qui luttait pour la complète transformation de la société. C’est ce que Marx entendait par « dictature du prolétariat ».
L’effondrement de l’Internationale
La défaite de la Commune porta un coup fatal à l’AIT. L’orgie réactionnaire qui s’en suivit l’empêcha de travailler en France. Partout, elle était persécutée. Mais les causes profondes de ses difficultés résidaient plutôt dans la phase de croissance du capitalisme à l’échelle mondiale, après 1871. Cela eut un impact négatif sur l’Internationale.
Les pressions d’un capitalisme florissant furent la source de querelles et de dissensions internes. Les intrigues de Bakounine et de ses partisans s’intensifièrent, se nourrissant de l’atmosphère générale de désillusion et de désespoir. Dans ce contexte, Marx et Engels proposèrent d’abord de déménager la direction de l’Internationale à New York, puis de la dissoudre, au moins temporairement. Elle le fut, formellement, en 1876.
L’AIT parvint à poser les bases théoriques d’une véritable Internationale révolutionnaire. Mais elle ne fut jamais une organisation de masse C’était une anticipation. Fondée en 1889, l’Internationale Socialiste – la IIe Internationale – commença là où la Première s’était arrêtée. A la différence de celle-ci, la Deuxième Internationale fut d’emblée une Internationale de masse organisant des millions de travailleurs. Elle comptait de grands partis et syndicats en Allemagne, en France, en Angleterre, en Belgique, etc. De plus, elle reposait – au moins sur le papier – sur les bases théoriques du marxisme révolutionnaire. L’avenir du socialisme mondial semblait garanti.
Cependant, la IIe Internationale se développa au cours d’une longue phase de croissance du capitalisme. Ceci marqua de son empreinte la mentalité des couches dirigeantes des partis et syndicats sociaux-démocrates. La période de 1871 à 1914 fut la période classique de la social-démocratie. La croissance économique permettait aux capitalistes de faire des concessions à la classe ouvrière – ou, plus précisément, à sa couche supérieure. Telle était la base matérielle de la dégénérescence nationale-réformiste de la IIe Internationale. Elle se révéla cruellement en 1914, lorsque les dirigeants de l’Internationale votèrent les crédits de guerre et soutinrent « leurs » bourgeoisies dans la boucherie impérialiste de 14-18.
La IIIe Internationale
Les catastrophes de la Première Guerre mondiale donnèrent une impulsion à la Révolution russe qui, en 1917, porta les travailleurs au pouvoir sous la direction du Parti bolchevik de Lénine et Trotsky. Les bolcheviks, cependant, n’ont jamais considéré la Révolution russe comme un événement purement national ; ils y voyaient le premier acte de la révolution socialiste mondiale. Aussi fondèrent-ils une nouvelle Internationale révolutionnaire en 1919.
La Troisième Internationale (Communiste), ou Komintern, se tenait à un niveau qualitativement supérieur aux deux précédentes. A son apogée, la IIIe Internationale – comme l’AIT – défendait un programme révolutionnaire et internationaliste. Et comme la Deuxième Internationale, elle avait des millions de membres. Une fois de plus, l’avenir de la révolution mondiale semblait être en de bonnes mains.
Tant qu’elle fut dirigée par Lénine et Trotsky, l’Internationale Communiste maintint une ligne révolutionnaire correcte. Mais l’isolement de la Révolution russe, dans les conditions d’une effroyable arriération matérielle et culturelle, provoqua la dégénérescence bureaucratique de la Révolution. La fraction bureaucratique dirigée par Staline prit le dessus, en particulier après la mort de Lénine en 1924.
Léon Trotsky et l’Opposition de Gauche s’efforcèrent de défendre les authentiques traditions d’Octobre 1917 – celles de la démocratie ouvrière et de l’internationalisme prolétarien – contre la réaction stalinienne. Mais ils luttaient à contre-courant. Les travailleurs russes étaient épuisés par des années de guerre, de révolution et de guerre civile. De son côté, la bureaucratie gagnait en confiance, écartait les travailleurs et prenait le contrôle du Parti.
L’énorme potentiel de la IIIe Internationale fut gâché par l’émergence du stalinisme en Russie, qui fit des ravages dans les directions encore immatures des partis communistes. Alors que Lénine et Trotsky considéraient la révolution mondiale comme le seul moyen de consolider la Révolution russe, Staline et ses partisans ont abandonné l’internationalisme prolétarien. La « théorie » du socialisme dans un seul pays reflétait l’étroitesse nationaliste de la bureaucratie, qui transforma l’Internationale Communiste en un simple instrument de la politique étrangère de Moscou. Après avoir cyniquement utilisé le Komintern à ses propres fins, Staline le dissout en 1943, sans même convoquer un congrès.
La IVe Internationale
Exclu et exilé, Trotsky s’efforça de regrouper les maigres forces encore fidèles aux traditions du bolchevisme et de la révolution d’Octobre. Il le fit d’abord dans l’Opposition de Gauche à la IIIe Internationale. Dans des conditions très difficiles, calomnié par les staliniens et persécuté par le GPU, il a maintenu déployé le drapeau d’Octobre, du léninisme, de la démocratie ouvrière et de l’internationalisme ouvrier.
Malheureusement, non seulement l’Opposition de Gauche était numériquement faible, mais nombre de ses membres étaient confus et désorientés. De nombreuses erreurs furent commises, en particulier des erreurs sectaires. Cela reflétait l’isolement des trotskistes du mouvement de masse. Ce sectarisme existe encore aujourd’hui dans la plupart des groupes qui se réclament du trotskisme, mais qui n’ont pas compris les idées les plus élémentaires de Trotsky.
Trotsky fonda la IVe Internationale en 1938, sur la base d’une perspective bien définie. Mais l’Histoire réfuta cette perspective. L’assassinat de Trotsky par un agent de Staline, en 1940, porta un coup mortel au mouvement. Les autres dirigeants de la IVe Internationale n’étaient pas à la hauteur de leurs tâches historiques. Ils répétaient les mots de Trotsky sans comprendre sa méthode. En conséquence, ils commirent de graves erreurs qui aboutirent au naufrage de l’Internationale. Sa direction était incapable de comprendre la nouvelle situation d’après 1945. La dislocation et le fractionnement du mouvement trotskiste plongent leurs racines dans cette période. Après la mort de Trotsky, la IVe Internationale dégénéra en une secte organiquement petite-bourgeoise.
Le reflux du mouvement
La IIe et la IIIe Internationale se transformèrent en organisations réformistes, mais au moins avaient-elles une base de masse. Exilé, Trotsky n’avait pas d’organisation de masse, mais il avait un programme et une politique corrects, ainsi qu’un drapeau sans tâche. Il était respecté par des travailleurs du monde entier ; ses idées étaient écoutées. Aujourd’hui, la IVe internationale n’existe plus comme organisation. Les différents groupes qui parlent en son nom n’ont ni masses, ni idées correctes, ni même un drapeau sans tâche. Ils incarnent le sectarisme stérile que Marx combattait dans l’AIT. Il est totalement exclu de relancer la IVe Internationale sur cette base.
Il faut regarder la réalité en face. Aujourd’hui, 150 ans après la fondation de la Ire Internationale, une combinaison de circonstances objectives et subjectives a abouti à un profond reflux du mouvement révolutionnaire. Les forces du marxisme authentique sont réduites à une petite minorité. Le nier serait se tromper soi-même et tromper les autres. Les erreurs des dirigeants de la IVe Internationale n’expliquent qu’en partie cet état de fait. C’est dans la situation objective qu’il faut chercher les causes fondamentales de l’isolement et de la faiblesse des forces du marxisme révolutionnaire.
Dans les pays capitalistes avancés, des décennies de croissance économique ont provoqué une dégénérescence sans précédent des organisations de masse de la classe ouvrière. Le courant révolutionnaire s’est trouvé isolé, réduit partout à une petite minorité. L’effondrement de l’URSS a semé la confusion et la désorientation dans le mouvement ouvrier – et parachevé la dérive des anciens dirigeants staliniens, dont bon nombre ont directement rallié le camp de la réaction capitaliste.
Beaucoup de gens en ont tiré des conclusions pessimistes. Nous leur répondons : ce n’est pas la première fois que nous devons faire face à des difficultés ; elles ne nous effrayent pas le moins du monde. Nous gardons une confiance inébranlable dans la validité du marxisme, dans le potentiel révolutionnaire de la classe ouvrière et dans la victoire finale du socialisme. La crise actuelle souligne le caractère réactionnaire du capitalisme. Elle met à l’ordre du jour la renaissance du socialisme international. Il y a les prémisses d’un regroupement des forces à l’échelle internationale. Il faut donner à ce regroupement une expression organisée – ainsi que des perspectives, une politique et un programme clairs.
La seule issue
La tâche à laquelle nous sommes confrontés est globalement analogue à celle à laquelle Marx et Engels durent faire face en fondant la Première Internationale. Comme nous l’avons expliqué plus haut, cette organisation n’était pas homogène. Elle était composée de différentes tendances. Cependant, cela ne découragea pas Marx et Engels. Ils rallièrent le mouvement général pour une Internationale ouvrière et travaillèrent patiemment à lui donner une idéologie et un programme scientifiques. Ils firent face à de nombreuses difficultés. A la fin de sa vie, Engels écrivait : « Marx et moi avons été minoritaires toute notre vie, et nous étions fiers d’être minoritaires ».
Comme Marx et Engels, nous avons dû lutter à contre-courant pendant des décennies. Mais le courant de l’Histoire commence à s’inverser. La crise économique mondiale de 2008 a marqué un tournant de la situation mondiale. Les stratèges du Capital nous prédisent 10 à 20 ans de coupes budgétaires et d’austérité. Depuis 2008, on assiste à la plus faible « reprise » de toute l’histoire du capitalisme. Et quand « reprise » il y a, la majorité de la population n’en profite absolument pas.
La mécanique élémentaire nous enseigne qu’à chaque action correspond une réaction égale et opposée. La crise du capitalisme provoque une réaction chez les travailleurs et la jeunesse. Partout, sous un vernis superficiel de calme et de tranquillité, il y a un bouillonnement de colère, d’indignation et, surtout, de frustration par rapport à l’état de la société et de la politique. En Tunisie, en Égypte, en Turquie, au Brésil, en Grèce, en Espagne et au Portugal, les masses ont fait irruptions. Aux États-Unis même, on observe un mécontentement général et une remise en cause du système.
Après six années de crise, il y a un chômage de masse, une chute des niveaux de vie et des attaques constantes contre l’État-providence et les droits démocratiques. Les banquiers ont détruit le système financier mondial par leurs spéculations et leurs escroqueries, mais ils s’attribuent toujours d’énormes bonus. Les 66 personnes les plus riches du monde sont plus riches que les 3,5 milliards les plus pauvres, soit la moitié de l’humanité. Marx avait anticipé ce phénomène dans les pages du Capital et du Manifeste du Parti Communiste.
Les économistes et les politiciens bourgeois n’ont pas de solution à la crise. Ils parlent d’une crise de « surcapacité » parce qu’ils ont peur d’appeler les choses par leurs vrais noms. Il s’agit en réalité d’une crise de surproduction, dont Marx décrivait les mécanismes dès 1848. C’est la contradiction fondamentale du capitalisme. La seule façon d’éliminer cette contradiction, c’est de libérer les forces productives des deux camisoles de force que sont la propriété privée et l’État-nation.
Pendant que la pauvreté et la précarité s’accroissent à un pôle de la société, la richesse s’accumule à l’autre pôle. Dans la plupart des pays occidentaux, la productivité du travail a augmenté de plus de 50 % depuis les années 1970. Et pourtant, sur la même période, le pouvoir d’achat a stagné. La plus-value colossale produite par la classe ouvrière est accaparée par les personnes les plus riches de la société, ces « 1 % » que dénonçait le mouvement Occupy.
Il n’y a qu’une façon de mettre fin à l’anarchie capitaliste : la classe ouvrière doit prendre le pouvoir, exproprier les banques et les grandes entreprises – et commencer à planifier l’économie sur des bases démocratiques et socialistes. Quand la majorité de la société – celle qui crée les richesses – pourra définir les priorités, elle fera en sorte que les ressources de la société soient utilisées pour la satisfaction des besoins humains, et non plus pour le gain privé. Il sera alors possible de fournir à tous des logements décents, une santé et une éducation publiques, gratuites et de qualité, tout en augmentant énormément la productivité du travail.
Cette nouvelle société socialiste jettera les bases de la disparition des classes sociales. Comme l’écrivait Marx : « A la place de l’ancienne société bourgeoise, avec ses classes et ses antagonismes de classes, surgit une association où le libre développement de chacun est la condition du libre développement de tous. »
La Tendance Marxiste Internationale
Pour les raisons évoquées plus haut, il n’existe pas aujourd’hui d’Internationale de masse. La IVe Internationale a été détruite par les erreurs de ses dirigeants après l’assassinat de Trotsky. Dans les faits, la IVe Internationale ne vit que dans les idées, les méthodes et le programme de la Tendance Marxiste Internationale (TMI).
Partout, les gens sont fatigués par la situation actuelle. Il y a un brûlant désir de changement. Les mouvements massifs de contestation tels qu’Occupy en furent l’expression. Mais en même temps, on a vu les limites de ces mouvements purement spontanés. Les banquiers et les capitalistes ont fermement gardé le contrôle de l’État, les manifestations ont reflué et tout est resté comme avant.
Le problème central peut s’énoncer facilement : c’est un problème de direction. En 1938, Léon Trotsky expliquait que la crise de l’humanité se réduisait à la crise de la direction de la classe ouvrière. Cela résume parfaitement la situation actuelle. Par une ironie de l’Histoire, les dirigeants des grands partis de la classe ouvrière s’accrochent au capitalisme et au marché au moment où ils s’effondrent sous nos yeux.
Ce qui distingue la Tendance Marxiste Internationale de toutes les autres tendances qui se réclament du trotskisme, c’est, d’une part, notre attitude rigoureuse envers la théorie et, d’autre part, notre approche à l’égard des organisations de masse. Contrairement à tous les autres groupes, nous avons compris que lorsque les travailleurs entreront en action, ils ne se tourneront pas vers de petits groupes en marge du mouvement ouvrier. Dans le Manifeste, Marx et Engels expliquaient : « Les communistes ne forment pas un parti distinct opposé aux autres partis ouvriers. » Ils ajoutaient : « Les communistes ne se distinguent des autres partis ouvriers que sur deux points : 1) dans les différentes luttes nationales des prolétaires, ils mettent en avant et font valoir les intérêts indépendants de la nationalité et communs à tout le prolétariat ; 2) Dans les différentes phases que traverse la lutte entre prolétaires et bourgeois, ils représentent toujours les intérêts du mouvement dans sa totalité. »
C’est aussi vrai aujourd’hui qu’à l’époque. La tâche des marxistes n’est pas de proclamer le parti et l’Internationale révolutionnaires en paroles, mais de les construire en pratique. Pour cela, deux choses sont nécessaires : 1) la lutte pour la théorie révolutionnaire et l’éducation de cadres marxistes ; 2) une ferme orientation vers la classe ouvrière et ses organisations de masse.
L’Internationale ne sera pas construite en la proclamant. Elle sera construite sur la base des événements, comme l’Internationale Communiste fut bâtie sur la base de l’expérience des masses entre 1914 et 1920. De grands événements sont nécessaires pour convaincre les travailleurs de la nécessité d’une transformation révolutionnaire de la société. Mais outre des événements, nous avons besoin de créer une organisation dotée d’idées claires et d’un solide enracinement dans la classe ouvrière.
Notre tâche est de participer à la lutte des classes avec l’ensemble du salariat, de passer par toutes ses expériences et d’expliquer, chaque fois, la nécessité d’une transformation socialiste de la société. Il faut d’abord gagner les éléments les plus conscients de l’avant-garde ouvrière et de la jeunesse, pour, ensuite, atteindre les masses qui restent sous l’influence de la bureaucratie réformiste du mouvement ouvrier. En 1917, lorsqu’ils étaient en minorité dans les soviets, Lénine disait aux bolcheviks : « Expliquez patiemment ! » C’est un très bon conseil.
La Tendance Marxiste Internationale (TMI) travaille dans plus de trente pays. Du Brésil aux États-Unis, de la Grèce au Vénézuéla, du Mexique à la Grande-Bretagne, la TMI construit les forces du marxisme. Au Pakistan, dans des conditions extrêmement difficiles, nous avons construit une organisation de plusieurs milliers de cadres. C’est un grand accomplissement, mais ce n’est qu’un début.
Contre le capitalisme et l’impérialisme !
Pour la transformation socialiste de la société !
Rejoignez la TMI dans son combat pour le socialisme international !
Travailleurs et Travailleuses de tous les pays, unissez-vous !
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