Hier encore, le pays semblait calme et la clique au pouvoir solidement installée. Un jour plus tard, les masses révolutionnaires se rassemblent devant le Parlement en flammes. La police a disparu, les députés ont fui, y compris le Premier ministre. Les photos et les vidéos qui nous sont parvenues récemment du Népal sont étonnantes. Elles sont étonnamment similaires aux scènes que nous avons déjà vues au Sri Lanka, au Bangladesh, au Kenya et en Indonésie.

Certains militants de gauche, impressionnés, se laissent emporter sans prendre le temps de s’arrêter et de se demander où cela mène. Ils ne sont que de simples cheerleaders pour les masses, ce qui est la dernière chose dont elles ont besoin dans une révolution.

D’autres, en revanche, considèrent le tout avec cynisme. Ils regardent le Népal, le Sri Lanka, etc. et les comparent au schéma qu’ils se font dans la tête de ce à quoi devrait ressembler une révolution. Ils ne trouvent pas de conseils ouvriers, de soviets. Au contraire, les masses sont organisées autour de directions apparues par hasard, voire simplement autour de hashtags sur les réseaux sociaux, pour autant qu’elles soient organisées. Au lieu de drapeaux rouges, ils voient des drapeaux sri-lankais, kényans, bangladais, népalais et One Piece.

Les quelques revendications de ces mouvements sont, à leur goût, trop vagues et limitées, surtout si on les compare au programme fini d’une révolution socialiste, et ils soulignent le fait indéniable que ces révolutions n’ont jusqu’à présent guère entraîné de changements fondamentaux. Ils déclarent avec moquerie qu’il ne s’agit pas du tout de révolutions et qu’il faudra les rappeler lorsque la véritable révolution aura lieu.

En tant que communistes sérieux, nous ne nous laissons pas impressionner par des apparences superficielles, et nous ne nous attendons pas à ce que les révolutions se déroulent selon des schémas préétablis. Nous devons analyser la nature des événements et en tirer des leçons concrètes.

Du Sri Lanka au Népal, toutes ces révolutions sont différentes. Mais entre-temps, des motifs clairs se dessinent qui, pris ensemble, en disent beaucoup sur le caractère de l’époque dans laquelle nous sommes entrés. 

Le pouvoir des masses

Tout d’abord, les événements montrent l’énorme puissance et l’héroïsme qui sommeillent dans les travailleurs. Il y a trois ans, lorsque le peuple sri-lankais a pris d’assaut le palais présidentiel, la police a été balayée comme un jouet et la clique Rajapaksa s’est enfuie. Le pouvoir était entre les mains des masses. Aucune autre force dans la société ne pouvait rivaliser avec elles, même de loin. Il ne leur restait plus qu’à déclarer la destitution du régime.

Mais les masses n’étaient pas conscientes de leur pouvoir. Le soir même de leur victoire époustouflante, elles ont évacué le palais présidentiel et sont rentrées chez elles. C’est pourquoi la majorité Rajapaksa a pu élire sans encombre un nouveau président dans l’ancien parlement tant détesté.

Le 5 août 2024, le régime bangladais s’est retrouvé paralysé. La police, qui venait de mener une campagne de terreur, s’enfuit par peur des représailles des masses. 450 des 600 commissariats policiers du pays étaient réduits en ruines fumantes et la Première ministre détestée, Sheikh Hasina, était embarquée dans un hélicoptère par les chefs militaires et expulsée du pays.

Les masses révolutionnaires avaient le pouvoir et auraient pu établir leur propre gouvernement révolutionnaire. Les anciens généraux et juges auraient pu être écartés. Au lieu de cela, les dirigeants du mouvement étudiant ont approché les généraux vaincus pour négocier avec eux. Ils se sont mis d’accord sur un gouvernement de transition dirigé par un ancien banquier, dans lequel ils ont pris des postes ministériels symboliques.

Au Kenya, malgré tous les sacrifices et le sang versé, les résultats ont été encore plus maigres. Le président Ruto reste au pouvoir.

Ce qui est frappant dans ces mouvements, c’est le contraste entre le pouvoir écrasant des masses et le manque de changements réels. C’est le résultat de l’absence d’une direction révolutionnaire. Sans une telle direction, la confusion règne quant au programme et à l’objectif final de la révolution. Les révolutions se sont donc arrêtées à mi-chemin.

À ceux qui prétendent aujourd’hui qu’il ne s’agissait pas de révolutions, nous répondons : aucune autre forme de révolution n’était possible dans ces circonstances. Lénine répond à cette objection dans sa réponse à ceux qui niaient l’importance révolutionnaire du soulèvement irlandais de Pâques 1916 :

« Croire que la révolution sociale soit concevable sans insurrections des petites nations dans les colonies et en Europe, sans explosions révolutionnaires d’une partie de la petite bourgeoisie avec tous ses préjugés, sans mouvement des masses prolétariennes et semi-prolétariennes politiquement inconscientes contre le joug seigneurial, clérical, monarchique, national, etc., c’est répudier la révolution sociale. C’est s’imaginer qu’une armée prendra position en un lieu donné et dira « Nous sommes pour le socialisme », et qu’une autre, en un autre lieu, dira « Nous sommes pour l’impérialisme », et que ce sera alors la révolution sociale ! C’est seulement en procédant de ce point de vue pédantesque et ridicule qu’on pouvait qualifier injurieusement de « putsch » l’insurrection irlandaise. Quiconque attend une révolution sociale « pure » ne vivra jamais assez longtemps pour la voir. Il n’est qu’un révolutionnaire en paroles qui ne comprend rien à ce qu’est une véritable révolution. »

Le problème du leadership

Il n’y a pas de leadership révolutionnaire, mais les conditions de vie des masses sont trop précaires pour attendre. Les jeunes ne sont certainement pas prêts à attendre patiemment les « conditions parfaites ».

On a volé l’avenir aux jeunes. Ils ont le moins à perdre et le plus à gagner. Libres du poids des défaites passées, ils ont été partout en première ligne. Au Népal et au Kenya, le mouvement a même été baptisé « Révolution de la génération Z ». En Serbie et au Bangladesh, d’énormes mouvements étudiants ont canalisé la colère de millions de travailleurs ordinaires et de personnes pauvres, comme un paratonnerre.

Dans la plupart des cas, ce sont ces jeunes qui ont assuré le peu de direction organisée qui existait. Cela entraîne-t-il de la confusion ? Bien sûr. À qui la faute ? La faute incombe clairement aux dirigeants des organisations ouvrières. Leur lâche absence contraste de manière honteuse avec le courage de la jeunesse. Tout comme les généraux au Kenya et au Bangladesh ont enfermé les soldats dans leurs casernes pour les empêcher d’être contaminés par la révolution, les dirigeants ouvriers ont imposé un « couvre-feu » aux bataillons de la classe ouvrière.

Dans de nombreux cas, les jeunes ont tenté de se lier avec les travailleurs. Les étudiants serbes ont appelé les syndicats à organiser une grève générale contre le régime de Vučić et à former des zborovi (assemblées de masse) dans les entreprises. Mais les bureaucrates bornés des bureaux syndicaux s’y sont opposés, car ils considéraient ces revendications comme une ingérence dans leurs petits fiefs.

Et en 2022, au plus fort de l’aragalaya (« lutte ») au Sri Lanka, l’idée d’organiser un hartal (grève générale révolutionnaire) s’est largement répandue. Mais les syndicats ont refusé d’appeler à autre chose qu’une grève d’une journée.

Au Kenya, le misérable secrétaire général de la confédération syndicale COTU-K a défendu la loi financière régressive de 2024 de Ruto, qui avait déclenché tout le mouvement !

C’est criminel. En fin de compte, seule la classe ouvrière a le pouvoir de déraciner le capitalisme, véritable source de toute la misère et de toutes les souffrances des masses.

Contre la corruption

Au cours de ces mouvements, les masses en colère ont pris pour cible les cliques corrompues qui dominent ces pays : la clique Rajapaksa au Sri Lanka ; la clique Hasina au Bangladesh ; la clique Ruto au Kenya ; les dirigeants et leurs « Nepo Babies » au Népal ; les politiciens qui se sont octroyés des augmentations salariales fabuleuses en Indonésie ; et Vučić et ses sbires en Serbie. Mais avant tout, les masses au Sri Lanka, au Kenya, au Bangladesh, au Népal, en Indonésie et ailleurs s’attaquent “seulement” à la corruption.

Les sceptiques raillent donc en disant qu’il ne s’agit pas de révolutions, car les véritables révolutions seraient celles qui s’opposent au capitalisme. Mais la corruption n’est que le symptôme le plus extrême de toute la putréfaction du système capitaliste.

Les commentateurs occidentaux expliquent que la corruption est une caractéristique regrettable du soi-disant « tiers monde » et la cause de son sous-développement. Ils disent cela pour dissimuler le fait que l’impérialisme est la cause principale de la pauvreté et du sous-développement.

Une corruption similaire sévit dans tous les pays capitalistes, notamment en Europe. L’effondrement du toit de la gare de Novi Sad en Serbie et la catastrophe ferroviaire de Tempi en Grèce en sont la preuve. Dans les deux cas, les masses sont descendues dans la rue pour manifester contre les politiciens corrompus responsables. Ceux-ci comptent leurs sales pots-de-vin, pendant que les pauvres comptent leurs morts, victimes des catastrophes.

Les masses sont indignées par l’injustice. Elles détestent voir les richesses incroyables détournées par une élite corrompue. Elles ont fait preuve d’un instinct juste en s’attaquant à ces gangsters corrompus. Cependant, même si ces personnes ont été jetées par la porte, d’autres sont prêtes à prendre leur place.

Pour mettre fin à la corruption, il faut mettre fin à la domination du capital. Cela signifie abolir la propriété privée et l’État capitaliste, qui constituent la base du pouvoir de la classe dominante. 

Haine envers tous les partis

Les mouvements sont marqués par le sentiment que non seulement la clique actuellement au pouvoir, mais aussi tous les politiciens et tous les partis sont mauvais. La soi-disant « opposition » est généralement tout aussi pourrie que le gouvernement.

Ils ne sont pas seulement détestés pour leur corruption. Le simple fait qu’ils jouent les mêmes jeux parlementaires détestés et tiennent le même discours politique hypocrite discrédite l’opposition aux yeux des masses.

C’est pourquoi le slogan des masses au Sri Lanka n’était pas seulement « Go home Gota » (Gota, rentre chez toi), qui ciblait le président corrompu Gotabaya Rajapaksa, mais aussi « Go home 225 », qui visait tous les 225 députés du Parlement.

Au Kenya, les jeunes qualifient les parlementaires de « MPigs » (« porcs députés »). À juste titre ! Alors qu’ils adoptent des lois qui appauvrissent les pauvres, ces « porcs députés » ont tous, sans exception, le museau bien enfoncé dans la mangeoire des dépenses et des privilèges parlementaires. La jeunesse kenyane ne veut rien avoir à faire avec Ruto, mais pas plus qu’avec les dirigeants de l’opposition tels qu’Odinga, qui, par crainte de la jeunesse révolutionnaire, s’est réfugié derrière les bottes de Ruto. Leur slogan « Pas de tribu, pas de dirigeant, pas de parti » traduisait un rejet instinctif très sain de toutes ces bandes tribales capitalistes qui passent pour des « partis politiques » au Kenya.

Mais si tous les partis existants sont les instruments de telle ou telle faction corrompue de la classe dirigeante, cela signifie-t-il que les travailleurs et les jeunes peuvent se passer de parti ? Non. La situation hurle pour un parti et une direction qui leur sont propres et représentent leurs intérêts.

Malheureusement, dans la plupart des cas, les partis dits « de gauche » sont tout aussi corrompus que les partis de droite. Ce n’est pas le résultat d’un défaut moral de la gauche, mais cela trouve son origine dans des principes théoriques erronés. 

L’“étapisme” stalinien : une théorie réactionnaire

Le stalinisme porte une responsabilité particulière. À cause de sa « théorie des étapes » désastreuse, de nombreux partis « de gauche » se sont alliés aux éléments les plus corrompus de la classe dirigeante.

Selon cette « théorie », les tâches les plus urgentes dans les pays sous-développés ne sont pas socialistes, mais démocratiques-bourgeoises. Il y a une petite part de vérité dans cela. Le désir le plus urgent des masses dans les pays sous-développés est de briser la domination brutale et arbitraire des régimes actuels. Elles veulent respirer librement. Elles veulent des droits démocratiques.

Mais la « théorie des étapes » stalinienne en tire la conclusion qu’il faut trouver une aile « progressiste » de la bourgeoisie pour mener une révolution capitaliste. Ce n’est qu’après des années de développement capitaliste (la première « étape ») que le pays serait mûr pour le socialisme (la deuxième « étape »).

Il y a cependant un petit hic : il n’existe aujourd’hui dans aucun pays arriéré une telle aile « progressiste » de la classe capitaliste. C’est une classe parasitaire, entièrement dépendante de l’impérialisme. Elle est terrifiée par les masses révolutionnaires et surtout par la classe ouvrière. Dans leur quête d’une aile « progressiste » de la classe capitaliste, les staliniens se sont toujours accrochés aux basques de telle ou telle clique corrompue.

Pendant des décennies, le Parti communiste (PC) du Bangladesh a soutenu la Ligue Awami de Hasina et de son père Mujib. Ils ont déclaré que la Ligue Awami était la défenseuse « progressiste » de la libération nationale du Bangladesh. La Ligue Awami « laïque » serait un moindre mal par rapport aux fondamentalistes religieux du Jamaat-e-Islami.

Aujourd’hui, aux yeux des masses, le PC est tout aussi discrédité que Hasina, tandis que les réactionnaires du Jamaat-e-Islami ont pu se profiler comme la seule opposition. En l’absence d’un parti révolutionnaire qui établisse un lien entre la corruption et le capitalisme, les islamistes se sont placés à la tête du mouvement et ont commencé à parler eux-mêmes de « lutte contre la corruption ». Ils ont attribué la corruption à un manque de moralité ou de piété.

Le jugement probablement le plus accablant contre la « théorie des étapes » stalinienne se trouve au Népal. Après des décennies de guérilla, les staliniens de tendance maoïste ont pris le pouvoir en 2006, portés par une vague révolutionnaire. Qu’ont-ils fait ? Ils ont signé un accord commun en 12 points avec des partis ouvertement bourgeois comme le Parti du Congrès népalais. Depuis lors, le pays est gouverné par des coalitions de « communistes » et d’éléments bourgeois.

Leur justification était que toutes les forces « progressistes » et « antiféodales » devaient s’unir pour renverser la monarchie et établir une république. Cela conduirait au développement du capitalisme népalais, qui finirait à un jour ou l’autre par jeter les bases d’une révolution socialiste au Népal.

Cependant, aucun progrès n’a été enregistré entre 2008 et 2025. Le Népal est passé de la 140e à la 145e place sur 193 pays dans l’indice de développement humain. Chaque année, des milliers de jeunes fuient la pauvreté du pays en allant travailler à l’étranger. Un tiers du PIB provient des transferts de fonds depuis l’étranger.

Après avoir administré l’État pendant une quinzaine d’années dans l’intérêt des capitalistes, les politiciens maoïstes sont eux-mêmes devenus l’objet de la haine des masses. Ils sont tout aussi corrompus que les partis ouvertement bourgeois.

Parmi les « Nepo Babies » dont la richesse ostentatoire a déclenché les événements récents au Népal, on trouve également Smita Dahal. Smita pose avec des sacs à main qui coûtent plusieurs fois le salaire mensuel moyen d’un travailleur népalais. Son grand-père Prachanda est l’ancien leader de la guérilla maoïste. 

Des révolutions de couleur ?

De nombreux partisans du nouveau monde « multipolaire » affirment qu’il ne s’agit pas du tout de révolutions. Au contraire, il s’agirait de contre-révolutions ou de « révolutions de couleur », c’est-à-dire de complots des services secrets occidentaux visant à manipuler les masses.

La vague révolutionnaire actuelle a son centre en Asie du Sud et certains des régimes concernés ont tendance à être proches de la Chine. D’où l’idée qu’il pourrait s’agir de changements de régime orchestrés par l’Occident.

Mais cette idée est fausse. Aucune conspiration ne peut expliquer ce que nous voyons : un véritable mouvement de masse de la classe ouvrière et de la majorité pauvre, qui entre sur scène pour améliorer ses conditions de vie et prendre son destin en main.

Sans direction révolutionnaire, la contre-révolution peut effectivement reprendre le dessus. Mais cela n’est possible que parce que la « gauche » est tellement discréditée qu’elle laisse un vide au pouvoir. Les impérialistes peuvent alors trouver des moyens d’intervenir et les choses peuvent dégénérer dans une direction très réactionnaire.

C’est ce qui s’est passé après le printemps arabe héroïque de 2011. La classe ouvrière égyptienne n’a pas été en mesure de prendre le pouvoir. Résultat ? Moubarak a été remplacé par Al-Sissi et aujourd’hui, la situation en Égypte est cent fois pire. L’incapacité de la révolution syrienne à formuler un programme prolétarien a permis aux impérialistes de détourner le mouvement et de le transformer en une insurrection islamiste. De même, le soulèvement de la jeunesse iranienne en 2018, qui n’a pas développé d’approche de classe claire, a dérivé vers l’opposition libérale soutenue par l’Occident.

Mais la dégénérescence réactionnaire de ce mouvement n’était pas prédéterminée. Elle était le prix à payer pour l’absence d’une direction révolutionnaire claire. 

Processus inachevés

Au Sri Lanka, au Népal et au Bangladesh, les anciens régimes détestés ont été renversés. Les premières victoires remportées par les masses ont été écrasantes. Mais à y regarder de plus près, il s’avère que ces victoires ont davantage touché l’apparence que la substance du régime.

La politique d’austérité du FMI continue de dominer dans ces pays. Le taux de pauvreté au Sri Lanka a doublé depuis le début de l’année 2022. Au Bangladesh, 2,1 millions d’emplois ont été perdus depuis le mouvement. Les leaders étudiants ont remplacé le système de quotas honni qui réservait les emplois aux amis du régime par de nouveaux quotas pour les membres de leur propre famille !

Dans le cadre du capitalisme, il ne peut y avoir qu’une redistribution du butin, mais le pillage continue. La crise du capitalisme, qui n’a pas été touchée par les révolutions, est à l’origine de la souffrance et du mécontentement des masses. Les dirigeants des régimes ont été remplacés, mais l’ancien État, l’ancienne classe dirigeante, détient toujours le pouvoir.

Il existe des similitudes entre ce que nous avons vécu ici et les événements qui se sont déroulés en Russie en février 1917. Les travailleurs russes ont pris d’assaut la scène de l’histoire avec une grève générale révolutionnaire. En quelques jours, le tsar a dû abdiquer et un gouvernement provisoire a été formé. Mais lorsque l’enthousiasme s’est estompé, il s’est avéré que les anciens généraux et bureaucrates monarchistes étaient toujours en place. Les capitalistes continuaient à posséder les usines, les propriétaires fonciers tout le pays. Le tsarisme subsistait, mais sans le tsar.

La victoire n’était complète que lorsque l’ancien État était démantelé et que les travailleurs prenaient eux-mêmes le pouvoir. Cela s’est produit lors de la révolution d’Octobre 1917. Et cela n’était possible que grâce au Parti bolchevique, qui a clarifié les objectifs de la révolution et réussi à rassembler sous sa bannière la classe ouvrière et les autres masses opprimées de Russie.

Sans les bolcheviks, l’ancienne classe dirigeante aurait probablement plongé la Russie dans la barbarie. La guerre civile, accompagnée de pogroms, aurait été à l’ordre du jour. La Russie aurait été divisée entre les puissances impérialistes et des millions de personnes seraient morts.

En d’autres termes, la Russie aurait subi un sort similaire à celui du Soudan aujourd’hui. En 2019, les masses révolutionnaires y ont eu l’occasion parfaite de prendre le pouvoir. Les dirigeants l’ont laissée passer et aujourd’hui, le pays est déchiré par une guerre civile barbare entre deux bandes armées réactionnaires et les différentes puissances impérialistes qui les soutiennent.

Des conséquences aussi dévastatrices que celles que connaît aujourd’hui le Soudan ne sont en aucun cas inévitables. La force de la classe ouvrière et de ses dirigeants joue un rôle dans l’issue des événements. Néanmoins, ce qui se passe au Soudan est un avertissement brutal. 

Qui sera le prochain ?

Les révolutions ne sont pas des drames en un seul acte et l’histoire n’est pas encore terminée. Les événements vont parfois s’apaiser, parfois s’intensifier et donner lieu à de nouveaux soulèvements.

Si l’histoire du bolchevisme de 1903 à 1917 nous enseigne quelque chose, c’est qu’un parti doit être construit avant la révolution pour pouvoir jouer un rôle décisif. La tâche de construire le parti révolutionnaire doit être entreprise en toute urgence. Les conditions qui ont donné naissance aux révolutions dans tous les pays mentionnés mûrissent rapidement partout : chômage et pauvreté, dette insurmontable, inégalités flagrantes, corruption, etc.

En 2023, 21 pays, représentant au total 700 millions d’habitants, sont en faillite ou au bord de la faillite. Trois milliards de personnes dans le monde vivent dans des pays qui dépensent plus pour rembourser les intérêts de la dette que pour la santé ou l’éducation.

Le chômage élevé des jeunes et l’absence d’avenir décent sont les menaces les plus graves pour la classe dirigeante. Comme l’a dit un jeune Kenyan : « Nous n’avons ni emploi ni avenir. Nous avons donc tout le temps du monde pour vous renverser et rien à perdre à vous combattre. »

Un sentiment similaire se développe partout. Cette vague révolutionnaire a commencé dans les pays les plus pauvres et les moins développés, mais elle ne s’y limitera pas. Comme l’a expliqué Trotsky : « La goutte commence au petit doigt de la main ou dans le gros orteil, mais une fois installée, elle se fraye la voie directement au cœur. »

Les flammes de la révolution lèchent déjà les confins de l’Europe : du puissant mouvement Bloquons tout en France à la grève générale italienne contre le génocide à Gaza : Le monde est en feu et les explosions révolutionnaires sont à l’ordre du jour. Nous devons intérioriser ce fait et, ce faisant, assumer la responsabilité qui nous incombe en tant que révolutionnaires et construire de toute urgence la direction nécessaire.

Original: https://marxist.com/sri-lanka-to-nepal-lessons-from-the-revolutionary-wave.htm