Ce texte, écrit en octobre 2014, est la préface à la nouvelle édition mexicaine de L’impérialisme, stade suprême du capitalisme (Lénine).
La publication de l’édition mexicaine de L’impérialisme, stade suprême du capitalisme de Lénine ne pouvait pas arriver à un meilleur moment. Aucun autre livre n’a mieux expliqué les phénomènes du capitalisme moderne. Toutes les prédictions de Lénine concernant la concentration du capital, la suprématie des banques et le capital financier, les rivalités croissantes entre les États-nation et l’inévitabilité de la guerre engendrée par les contradictions de l’impérialisme, ont été confirmées par l’histoire de ces cent dernières années.
Il existait déjà une certaine forme d’impérialisme dans la période précapitaliste et notamment dans l’Antiquité, comme dans l’Empire Romain. Celui-ci reposait sur la conquête, l’esclavage et le pillage de colonies étrangères. Cette forme primitive d’impérialisme peut également se retrouver à l’époque moderne (l’empire tsariste en était un exemple). Néanmoins, ce phénomène a connu une transformation profonde sous le capitalisme. Lénine donne une définition scientifique de l’impérialisme à l’époque moderne. Il écrit :
« Si l’on devait définir l’impérialisme aussi brièvement que possible, il faudrait dire qu’il est le stade monopoliste du capitalisme. Cette définition embrasserait l’essentiel, car, d’une part, le capital financier est le résultat de la fusion du capital de quelques grandes banques monopolistes avec le capital de groupements monopolistes d’industriels ; et, d’autre part, le partage du monde est la transition de la politique coloniale, s’étendant sans obstacle aux régions que ne s’est encore appropriées aucune puissance capitaliste, à la politique coloniale de la possession monopolisée de territoires d’un globe entièrement partagé. »
Lénine caractérise les principales étapes de l’histoire des monopoles de la façon suivante :
« 1) Années 1860-1880 : point culminant du développement de la libre concurrence. Les monopoles ne sont que des embryons à peine perceptibles. 2) Après la crise de 1873, période de large développement des cartels ; cependant, ils ne sont encore que l’exception. Ils manquent encore de stabilité. Ils ont encore un caractère passager. 3) Essor de la fin du XIXe siècle et crise de 1900-1903 : les cartels deviennent une des bases de la vie économique tout entière. Le capitalisme s’est transformé en impérialisme. »
Finalement, il parvient à la définition suivante des caractères fondamentaux de l’impérialisme à l’époque moderne :
« 1) Concentration de la production et du capital parvenue à un degré de développement si élevé qu’elle a créé les monopoles, dont le rôle est décisif dans la vie économique ; 2) L’exportation des capitaux, à la différence de l’exportation des marchandises, prend une importance toute particulière ; 4) Formation d’unions internationales monopolistes de capitalistes se partageant le monde ; et 5) Fin du partage territorial du globe entre les plus grandes puissances capitalistes. L’impérialisme est le capitalisme arrivé à un stade de développement où s’est affirmée la domination des monopoles et du capital financier, où l’exportation des capitaux a acquis une importance de premier plan, où le partage du monde a commencé entre les trusts internationaux et où s’est achevé le partage de tout le territoire du globe entre les plus grands pays capitalistes. »
Dans les pages du Manifeste Communiste déjà, Marx et Engels avaient expliqué que la libre concurrence mène inévitablement au monopole et à la concentration du capital entre les mains d’un petit nombre de grandes entreprises. Cette prévision brillante a été énoncée à un moment où le capitalisme s’était développé de manière importante en Angleterre seulement, où il n’y avait pas encore de grandes entreprises. En France, jusqu’au début du 20e siècle, la grande majorité des usines étaient des petites entreprises qui employaient un petit nombre de travailleurs.
Aucun autre aspect de la théorie de Marx n’a subi d’attaques plus dures de la part des économistes bourgeois que sa prévision du fait que la libre entreprise aboutisse inévitablement au capitalisme monopoliste. Pendant des décennies, les économistes ont nié cette affirmation, expliquant que la tendance principale du capitalisme moderne était de promouvoir le développement des petites et moyennes entreprises (« Smart is beautiful », ce qui est petit est mignon). Mais l’évolution économique de ces 150 dernières années a montré précisément le contraire.
Bien que ce processus n’ait pas abouti du vivant de Marx, Lénine a pu l’analyser très en détail, en utilisant les nombreuses statistiques à sa disposition. DansL’impérialisme, il décrit le processus à travers lequel le capitalisme devient un capitalisme monopoliste. Dans son livre, Lénine fournit une liste exhaustive de statistiques qui montrent le contrôle de l’économie mondiale par un petit nombre de grandes banques et de trusts. Durant les dernières décennies, ce processus de concentration du capital a atteint des niveaux encore bien supérieurs.
La liste Forbes Global 2000 est un classement des plus grandes entreprises mondiales cotées en bourse. A elles seules, ces 2000 entreprises emploient 87 millions de personnes, possèdent 159 milliards de dollars d’actifs et génèrent 238 milliards de dollars de revenus annuels – soit environ 51 % du PIB mondial. Reflet de la globalisation et de l’influence croissante des marchés émergents, la taille des entreprises du Forbes Global 2000 s’est accrue. En 2004, ces entreprises provenaient de 51 marchés nationaux, mais en 2013, de 63.
Le Japon, avec 251 entreprises classées, est le second pays le plus présent sur la liste, et la Chine continentale (qui en compte 136) est dorénavant le troisième pays ayant le plus de membres. Il est significatif de voir que, pour la première fois de l’histoire, deux entreprises chinoises figurent en haut de la liste Forbes Global 2000. La banque industrielle et commerciale (ICBC), contrôlée par le gouvernement chinois, a ravi à Exxon Mobil la place de plus grande entreprise du monde, en 2013, alors qu’une autre banque chinoise, la China Construction Bank, a gravi 11 places pour s’installer en seconde position.
L’Asie-Pacifique (715 membres au total) compte le plus grand nombre d’entreprises sur la liste, suivie de l’ensemble Europe, Moyen-Orient et Afrique (606), des États-Unis (543) et du reste de l’Amérique (143). L’Asie-Pacifique, région la plus grande, devance les autres régions en ce qui concerne la croissance des ventes (jusqu’à 8 %) ainsi que pour la croissance des actifs (15 %). Par ailleurs, les États-Unis sont en tête pour la croissance des profits (jusqu’à 4 %), accumulant un total de 876 milliards de dollars de bénéfices et une croissance des valeurs sur le marché (11 %), pour une valeur totale de 14,8 milliards de dollars ; la région Europe, Moyen-Orient et Afrique a quant à elle généré le plus de ventes en quantité, pour un total de 13,3 milliards de dollars, et compte la plus grande quantité d’actifs avec 64 milliards de dollars.
Si le classement d’entreprises d’autres pays est en augmentation (surtout chinoises), les entreprises états-uniennes dominent toujours la liste. Alors qu’elles étaient 208 en 2004, lors de la première publication de la liste Forbes Global 2000, le total des 543 entreprises états-uniennes de la liste de 2013 est le plus élevé depuis 2009. L’impérialisme des États-Unis reste la puissance dominante de la planète.
Lénine explique également que, dans la phase du capitalisme monopoliste impérialiste, toute l’économie est dominée par les banques et le capital financier. En citant l’économiste Jeidels, il écrit :
« Les relations des entreprises industrielles avec leur nouvel objet, leurs nouvelles formes, leurs nouveaux organismes, c’est-à-dire avec les grandes banques présentant une organisation à la fois centralisée et décentralisée, ne sont guère antérieures, en tant que phénomène caractéristique de l’économie nationale, aux années 1890 ; on peut même, en un sens, faire remonter ce point de départ à l’année 1897, avec ses grandes “fusions” d’entreprises qui introduisent pour la première fois la nouvelle forme d’organisation décentralisée, pour des raisons de politique industrielle des banques. Et l’on peut même le faire remonter à une date encore plus récente, car c’est seulement la crise de 1900 qui a énormément accéléré le processus de concentration tant dans l’industrie que dans la banque et en a assuré le triomphe définitif, qui a fait pour la première fois de cette liaison avec l’industrie le véritable monopole des grandes banques et qui a rendu ces rapports notablement plus étroits et plus intensifs.
« Ainsi, le XXe siècle marque le tournant où l’ancien capitalisme fait place au nouveau, où la domination du capital financier se substitue à la domination du capital en général. »
Comme ces mots semblent pertinents au regard de la situation actuelle ! Aujourd’hui, un siècle après que Lénine ait écrit L’impérialisme, la domination des banques et du capital financier est cent fois ce qu’elle était quand il a écrit ces lignes. La domination des grandes banques et leur caractère de parasite et d’exploiteur se sont révélés au monde avec la crise de 2008 et les scandaleux « sauvetages », où des milliards de dollars d’argents publics ont été distribués aux banques par leurs gouvernements respectifs. Cette scandaleuse subvention accordée aux riches sur le dos des pauvres est l’exemple le plus symptomatique de la fusion des grands groupes et des banques avec l’État, phénomène qui se trouve au cœur de la définition que Lénine donne de l’impérialisme.
« Le propre du capitalisme est, en règle générale, de séparer la propriété du capital de son application à la production ; de séparer le capital-argent du capital industriel ou productif ; de séparer le rentier, qui ne vit que du revenu qu’il tire du capital-argent, de l’industriel, ainsi que de tous ceux qui participent directement à la gestion des capitaux. L’impérialisme, ou la domination du capital financier, est ce stade suprême du capitalisme où cette séparation atteint de vastes proportions. La suprématie du capital financier sur toutes les autres formes du capital signifie l’hégémonie du rentier et de l’oligarchie financière ; elle signifie une situation privilégiée pour un petit nombre d’États financièrement “puissants”, par rapport à tous les autres. »
C’est ce qu’écrivait Lénine dans L’impérialisme. Quelle est la situation aujourd’hui ? Dans la liste Forbes Global 2000 des plus grandes entreprises, les banques et les autres institutions financières représentaient le plus grand nombre d’entreprises (469) ; venaient ensuite les trois domaines suivant : pétrole et gaz (124), matériaux (122) et assurance (109).
On dit que l’économie mondiale se contracte, mais les banques, qui sont les véritables maîtres de l’économie mondiale, ne sont pas concernées. La crise financière de 2008, qui a commencé dans le secteur bancaire, a au départ mis un frein à l’enrichissement croissant et au pouvoir des plus grandes banques du monde, qui possèdent aujourd’hui des actifs cumulés d’environ 25,5 milliards de dollars. Mais cinq ans après avoir été secourue par le gouvernement fédéral, le système bancaire des États-Unis génère des profits records. L’année dernière, J.P. Morgan, la plus grande banque du pays, a gagné 24,4 millions de dollars de revenus nets. Toutefois, 77 % de ces revenus (tout comme pour d’autres banques) proviennent des aides gouvernementales.
Ces faits mettent à bas le mythe de la « libre concurrence » et de « l’économie de libre marché ». Les grandes banques sont étroitement liées à l’État et ne survivraient pas un jour de plus sans les injections massives d’argent public. Les banquiers se sont vu distribuer de grandes quantités d’argent volées dans la poche des contribuables, argent qui n’a pas été utilisé pour augmenter la production ou créer des emplois, mais pour les enrichir et spéculer en bourse au détriment des dépenses publiques.
Dans ce monde étrange, tel celui d’Alice au pays des merveilles, les pauvres financent les riches. Il s’agit d’une sorte de Robin des bois à l’envers. Rien n’illustre mieux la nature décadente et parasitaire du capitalisme moderne que la domination totale du capital financier. C’est un argument irréfutable en faveur de l’expropriation des grandes banques et monopoles et de la réorganisation de la société sur la base d’une économie socialiste planifiée.
Tout comme les économistes bourgeois réfutent obstinément la concentration du capital, les sociologues bourgeois, pour la même raison, ont tenté de nier le processus parallèle de polarisation des classes dans la société, que Marx avait prédit. Dans un fameux passage du premier volume du Capital, il écrit :
« L’accumulation de richesse à un pôle, c’est égale accumulation de pauvreté, de souffrance, d’ignorance, d’abrutissement, de dégradation morale, d’esclavage, au pôle opposé, du côté de la classe qui produit le capital même. »
Les sociologues bourgeois ont protesté avec force indignations contre ces affirmations ! Ils se sont moqués et ont ridiculisé l’idée selon laquelle le capitalisme conduit à une polarisation chaque fois plus grande entre riches et pauvres ! Ils ont écrit des livres remplis de statistiques qui tentaient de démontrer, de fait, que la classe ouvrière avait disparu et que nous faisions tous partie maintenant d’une « classe moyenne », que l’économie de libre échange ne favorisait pas la pauvreté, mais au contraire enrichissait les masses et que la société avait besoin que les riches deviennent encore plus riches, parce qu’arriverait un moment où leur richesse rejaillirait sur les pauvres, reléguant ainsi la pauvreté dans les poubelles de l’histoire. Selon eux, tout le monde devrait vivre mieux dans le meilleur des mondes capitalistes.
Telles sont les théories que soutiennent les économistes et les sociologues bourgeois ! Mais les faits disent autre chose et ils sont têtus. Le récent livre, Le Capital au XXIe siècle, de l’économiste français Thomas Piketty a provoqué une forte polémique. Bien que l’auteur ne soit pas marxiste (il a déclaré n’avoir jamais lu Le Capital) et que ses « solutions » aux problèmes des inégalités n’aillent pas au-delà des recettes keynésiennes les plus timides, Piketty a été la cible de violentes attaques. Son crime fut de signaler que le taux de rendement du capital dans les économies capitalistes tend à être plus élevé que le taux de croissance, ce qui donne lieu à une concentration de la richesse et à des inégalités toujours plus grandes, ce que personne ne peut nier.
La concentration du capital signifie une immense accumulation de richesses et de pouvoir entre les mains d’un petit nombre d’individus indécemment riches et conséquemment un nombre de plus en plus grand de personnes qui voient leurs conditions d’existence se dégrader, plongeant dans la faim ou la malnutrition. Parmi une population mondiale de 7 milliards d’habitants, seule une insignifiante poignée (2170 personnes) entre dans la catégorie de la richesse extrême. Parmi eux, on retrouve un citoyen mexicain, Carlos Slim. Avec un patrimoine net de 1790 millions de Livres Sterling, son patrimoine brut avoisine les 6,55 billions de Livres – plus élevé que le PIB de la Grande-Bretagne. 2/3 des multimillionnaires détiennent une fortune « produite par leurs propres efforts », et 1/5 en ont hérité.
L’ONG Oxfam a récemment révélé que les 85 personnes les plus riches détiennent une richesse équivalente à celle des 3,5 milliards de personnes les plus pauvres – un fait particulièrement scandaleux qui insulte l’intelligence de toute personne sensée. Cependant, les prédictions de Marx au sujet de la concentration du capital — « l’accumulation de richesse à un pôle, c’est égale accumulation de pauvreté, de souffrance, d’ignorance, d’abrutissement, de dégradation morale, d’esclavage, au pôle opposé » — se sont vues corroborer avec une précision chirurgicale.
La richesse matérielle engendre le pouvoir. Jamais dans l’histoire autant de pouvoir ne s’est concentré entre si peu de mains. Les formes démocratiques deviennent des coquilles vides, alors que le véritable pouvoir est possédé par une petite élite de banquiers et de capitalistes qui contrôlent et manipulent les gouvernements en fonction de leurs intérêts. Les gouvernements et les grandes entreprises fusionnent de plus en plus, formant une domination oligarchique déguisée sous les oripeaux d’une démocratie parlementaire. Aux États-Unis, plus de 80 % des congressistes sont millionnaires, et pour devenir président il faut l’être également, ou du moins avoir l’appui financier de nombreux multimillionnaires.
Dans les pays démocratiques, comme la Grande-Bretagne, le pouvoir est passé du parlement au conseil des ministres et du conseil des ministres à une petite caste de bureaucrates non élus, des conseillers et des experts en relations publiques qui gravitent autour du premier ministre. La « presse libre » est possédée et contrôlée par un petit nombre de grands patrons comme Murdoch. La démocratie devient toujours plus un mot vide de sens. Dans des pays comme le Mexique, où les politiques se vendent et s’achètent comme un sac de farine et où la fraude électorale est devenue tout un art, la nature fallacieuse de la démocratie bourgeoise est, bien entendu, évidente pour tout le monde. Partout dans le monde, les riches dirigent et les pauvres sont condamnés à se soumettre au joug du capital.
A l’époque de Lénine, l’impérialisme se manifestait par la domination directe sur les colonies appartenant aux puissances impérialistes. L’impérialisme britannique possédait quasiment la moitié du globe. Il pilla les richesses d’Afrique, du Moyen-Orient et du sous-continent indien, de plus il avait une présence importante dans de nombreux pays d’Amérique latine.
Les impérialistes allemands provoquèrent la Première Guerre mondiale dans le but de rompre le monopole mondial de l’impérialisme britannique et d’assurer un nouveau partage du pouvoir global sur le monde. Toutes les puissances participèrent avec enthousiasme à cette lutte pour se répartir le monde et pouvoir s’approprier les possessions coloniales.
La Russie tsariste participa elle aussi au conflit, bien qu’elle fût à l’époque un pays semi-féodal, économiquement arriéré. Elle n’avait jamais exporté un seul kopeck de capital. Son impérialisme était plutôt du style traditionnel : il se basait sur la conquête de territoires étrangers (le cas de la Pologne en est un exemple évident) et l’expansion territoriale (la conquête du Caucase et de l’Asie centrale). La Russie tsariste, pour utiliser la phrase de Lénine, était une véritable prison de nations qui avaient été conquises, réduites en esclavage, saccagées. Cependant, la Russie dépendait économiquement de la France et des autres pays impérialistes. Son retard économique et sa dépendance au capital étranger n’empêchèrent pas Lénine de la placer dans les cinq principales puissances impérialistes mondiales.
Cette situation changea radicalement à partir de 1945. La Révolution d’Octobre renversa le tsarisme et donna une forte impulsion aux mouvements de libération nationale des peuples colonisés et opprimés. La Seconde Guerre mondiale secoua le pouvoir des vieux pays impérialistes. La Grande-Bretagne et la France sortirent affaiblies de la guerre, alors que les États-Unis et l’URSS devinrent les puissances dominantes. La multiplication des révolutions coloniales fut un des événements les plus importants de l’histoire humaine.
Des centaines de millions d’êtres humains en Afrique, Asie et au Moyen-Orient, qui avaient été condamnés pour longtemps à jouer le rôle d’esclaves coloniaux, se soulevèrent contre leurs maîtres. La magnifique révolution chinoise et la libération de l’Inde, de l’Indonésie et d’autres pays marquèrent un changement historique. Néanmoins, la victoire des luttes de libération nationale – bien qu’elle fut un grand pas en avant – ne put résoudre les problèmes des masses exploitées. Au contraire, sur de nombreux points, ils s’aggravèrent.
Aujourd’hui, presque 70 ans après la Seconde Guerre mondiale, la domination de l’impérialisme sur les pays ex-coloniaux est encore plus grande que par le passé. La seule différence est qu’au lieu d’un contrôle bureaucratico-militaire direct, l’impérialisme exerce sa domination indirectement par l’intermédiaire des mécanismes du marché du commerce mondial, l’inégalité des échanges, l’« aide » étrangère, les intérêts des prêts, etc. Les pays ex-coloniaux sont toujours esclaves de l’impérialisme, même si leurs chaînes sont à présent invisibles.
La globalisation est un terme qui cache la réalité d’une dépossession systématique des pays ex-coloniaux. Ces derniers se voient obligés d’ouvrir leurs marchés à une avalanche de produits étrangers qui ruinent leurs industries locales, paralysent leurs économies et étouffent leurs richesses. Des entreprises transnationales géantes ouvrent des usines au Bangladesh, en Indonésie ou au Vietnam (où les travailleurs sont soumis à une exploitation des plus brutales, dans des conditions dignes de l’esclavage, avec des salaires de misère, pour fabriquer des jeans et des tennis Nike) pour augmenter encore la plus-value extraite par ces sangsues. Des désastres comme Bhopal – ou, plus récemment dans le secteur du textile, l’incendie d’une usine de Karachi au Pakistan ou encore l’effondrement d’un bâtiment au Bangladesh — ont dévasté des communautés entières. Les patrons des compagnies occidentales versent des larmes de crocodile alors qu’ils continuent de remplir leurs poches du fruit du sang, des larmes et de la sueur de millions d’esclaves coloniaux.
Les pays en voie de développement sont écrasés par les politiques commerciales et l’endettement promus par le FMI, la Banque Mondiale et l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Les pays en voie de développement dépensent actuellement 1,3 dollar en paiement de la dette pour chaque dollar qu’ils reçoivent en prêt. Le Nigeria a demandé un prêt d’environ 5 milliards de dollars, a payé près de 16 milliards dans le même temps et en doit encore 28.
Le poids de la dette est tel qu’il laisse les pays les plus pauvres sans rien à dépenser pour les nécessités les plus basiques comme la santé, l’éducation, les infrastructures. Pour prendre un seul exemple, en 1997 la Zambie a dépensé 40 % de son prêt pour payer la dette extérieure et seulement 7 % pour des services de base comme les vaccins pour les enfants. La situation au Pakistan est encore pire, tous les pays sous-développés sont exploités, dépossédés, opprimés par l’impérialisme.
L’histoire a connu de nombreuses formes d’esclavage et l’esclavage économique en est la plus récente. Elle n’est pas aussi évidente que la captivité, mais reste cependant de l’esclavage, à travers lequel des nations entières sont opprimées et saccagées. Chaque jour de l’année 1999, 128 millions de Dollars étaient transférés des pays les plus pauvres aux pays les plus riches pour le paiement de leurs dettes. 53 millions provenaient d’Asie orientale et du Pacifique, 38 millions du sud de l’Asie et 23 millions d’Afrique. Les vies de millions de personnes se voient écraser par l’esclavagisme de la dette collective. La Bible nous dit que les Cananéens avaient pour habitude de sacrifier des enfants à Moloch. Mais comme conséquence de l’esclavage à la dette, sept millions d’enfants sont sacrifiés chaque année sur l’autel du capital, ce qui réduit le vieux Moloch à l’insignifiance.
Si en 1997 la dette avait été annulée pour les vingt pays les plus pauvres, l’argent ainsi libéré pour les soins de santé aurait sauvé la vie de près de 21 millions d’enfants pour l’année 2000, soit 19 000 enfants par jour. Selon la campagneJubileo 2000, 52 pays d’Afrique subsaharienne, d’Amérique latine et d’Asie, pour un total d’un milliard d’habitants, étouffent sous le poids d’une dette de 371 milliards de dollars, chiffre qui représente moins que la valeur nette de la fortune des 21 personnes les plus riches du monde. Ainsi, l’impérialisme suce plus que jamais le sang de milliards de pauvres dans l’ancien monde colonial.
Dès les premiers temps de son histoire, le Mexique sut ce que c’est que de vivre à côté d’un grand prédateur impérialiste affamé. On se souvient des célèbres mots de Porfirio Díaz : « Pauvre Mexique : Si loin de Dieu et si près des États-Unis ». Bien que le Mexique soit formellement indépendant depuis près de deux siècles, la nature fictive de cette indépendance s’est clairement révélée durant ces dernières décennies : la signature du Traité de libre-échange avec son grand frère, de l’autre côté du Rio Grande, en est le meilleur exemple. Cela a eu pour effet de dévaster l’industrie et l’agriculture mexicaine, tandis que l’ouverture des maquiladoras, propriétés états-uniennes dans les zones frontalières, offre une énorme quantité de main-d’œuvre bon marché aux chefs yanquis.
Situées au départ dans les villes frontalières de Tijuana, Ciudad Juárez, Matamoros, Mexicali et Nogales, ces usines d’assemblages qui travaillaient pour le marché des États-Unis, se sont étendues à tout le territoire mexicain. Ici, nous pouvons voir exactement comment fonctionne l’impérialisme moderne. Pourquoi s’embêter et payer pour le maintien d’une domination bureaucratico-militaire directe, quand on peut efficacement dominer un pays par des moyens économiques, laissant le sujet désagréable de la répression aux soins d’un gouvernement « ami » (c’est à dire subordonné) ?
Cette méthode néo-colonialiste d’exploitation n’est pas moins prédatrice que le saccage pur et simple des colonies menées à bien, par le passé, sur la base d’un régime militaire direct. En général, les anciennes colonies d’Afrique, d’Asie et des Caraïbes continuent d’être vidées de leur sang par les mêmes anciennes sangsues. La seule différence est que ce vol est maintenant mené à bien en toute légalité, via les mécanismes du commerce mondial au moyen desquels les pays capitalistes avancés, notamment européens, exercent ensemble leur domination sur les ex-colonies, s’évitant ainsi le prix d’une gouvernance directe, sans pour autant cesser d’extraire d’énormes excédents tout en se facilitant la tâche.
La division du monde entre grandes puissances impérialistes rivales, dont parlait Lénine, fut totale à la fin du XIXe siècle. A la suite de quoi se posa la question de la redivision du monde, une question qui ne pouvait se résoudre que par un moyen : la guerre.
Au cours du dernier siècle, il y a eu deux guerres mondiales, la seconde d’entre elles causa la mort de 55 millions de personnes et démontra la possibilité non négligeable de l’autodestruction de la civilisation humaine. Elle mit en évidence, de manière éloquente, que le système capitaliste avait cessé de jouer un rôle progressiste et s’était converti en un monstrueux obstacle au progrès humain. L’énorme développement des forces productives se trouva bloqué face à deux barrières fondamentales : la propriété privée des moyens de production et l’État national. Ce sont les principales causes des guerres dans la période historique actuelle.
Le déclenchement périodique des guerres, qui en général semble une vague de folie collective inexpliquée, est en réalité l’expression des tensions qui naissent de la société de classes et qui peuvent atteindre des points critiques — quand les contradictions ne peuvent être résolues que par des moyens violents. Bien avant Lénine, Clausewitz expliqua que la guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens.
Dans Le Manifeste du parti communiste, Marx et Engels démontrèrent que le capitalisme, qui surgit pour la première fois sous la forme de l’État-nation, crée inévitablement un marché mondial. La domination écrasante du marché mondial, est de fait, la caractéristique la plus marquante de l’époque dans laquelle nous vivons. Aucun pays, aussi important, grand et puissant soit-il, ne peut échapper à l’attraction du marché mondial. L’échec total du « socialisme dans un seul pays », en Russie et en Chine, est une preuve suffisante de cette affirmation, tout comme le fait que les grandes guerres du XXe siècle furent des guerres de domination mondiale.
Le capitalisme et l’État-nation qui, durant un temps, furent une source de progrès énorme se sont transformés en un obstacle colossal et un frein au développement harmonieux de la production. Cette contradiction s’est exprimée à travers les guerres mondiales de 1914-1918 et de 1939-1945, ainsi que dans la crise de la période de l’entre-deux-guerres.
Au cours de la Première Guerre mondiale, les impérialistes britanniques luttaient dans le cadre d’une « guerre défensive », c’est-à-dire d’une guerre pour défendre leur position privilégiée de voleurs impérialistes les plus importants du monde, maintenant des millions d’Indiens et d’Africains sous le régime de l’esclavage colonial. Les mêmes calculs cyniques peuvent se retrouver dans le cas de chacune des nations belligérantes, de la plus grande à la plus petite.
Une des principales raisons de l’essor économique qui s’en suivit fut le développement du commerce mondial et l’intensification de la division internationale du travail. Phénomène qui culmina dans ce qu’on appela la globalisation. Les ex-marxistes, comme Eric Hobsbawm, croyaient que la globalisation mettrait fin au conflit national. Le révisionniste Karl Kautsky disait la même chose un siècle plus tôt.
La Première Guerre mondiale avait démontré en quoi cette théorie était fausse. L’état actuel de notre monde, en 2014, montre la stupidité du néo-révisionnisme d’Hobsbawm. Loin d’avoir disparues, les contradictions nationales s’aggravent de jour en jour. Malgré tous les beaux discours sur le libre-échange et la libéralisation, il y a toujours une lutte féroce pour les marchés entre les principales nations capitalistes.
Il y a une tendance nette à la division du monde en blocs commerciaux, dominés respectivement par les États-Unis, l’Allemagne et le Japon. Chacun tente jalousement de protéger ses propres marchés et sphères d’influence, tout en exigeant un plus grand accès à ceux de ses rivaux. Les tensions entre les États-Unis et la Chine, dans le Pacifique, ne cessent de s’accroître. Durant les premières années du XXIe siècle, des milliers de personnes continuent d’être sacrifiées chaque jour sur l’autel des guerres. Au moins cinq millions de personnes sont mortes au Congo. L’analyse de Lénine, qu’on retrouve notamment dans le classique l’Impérialisme, phase suprême du capitalisme, fait preuve d’une profondeur telle qu’elle est aujourd’hui tout aussi moderne et remarquable que le jour où elle fut écrite.
L’Union européenne doit sa création à la volonté de dépasser cette limite. Les différents marchés nationaux de Grande-Bretagne, de France, d’Allemagne et d’autres pays étaient trop petits pour les monopoles géants. Les grands monopoles étaient pressés de pouvoir s’approprier sans restrictions un marché régional représentant des centaines de millions, afin d’avoir une place de choix dans le marché mondial. Dans un contexte de reprise économique, les capitalistes européens eurent un grand succès dans la mise en place de cette union douanière idéalisée, où les tarifs douaniers entre les pays du marché commun furent abolis et où s’établirent des tarifs identiques pour les échanges avec le reste du monde, pour développer et stimuler le commerce mondial. Mais à présent, tous les aspects positifs de ces avancées sont devenus des handicaps.
La formation de blocs commerciaux au niveau régional et les accords commerciaux bilatéraux, loin d’être des exemples de libre échange, sont une menace potentielle pour la globalisation. Loin d’être une avancée en direction du libre-échange, l’Union européenne est, d’une part, un bloc commercial régional dirigé contre les États-Unis et le Japon et, d’autre part, une alliance de puissances impérialistes dédiée à l’exploitation collective du tiers monde.
L’Union européenne a toujours été une union en faveur des intérêts des banques et des capitalistes. Les marxistes sont internationalistes. Nous sommes pour une Europe unifiée, mais l’on ne peut y parvenir sur les bases du capitalisme. Avons-nous dépassé la division nationale en Europe ? Non ! L’euro n’a fait qu’empirer les choses, le peuple grec en sait quelque chose. L’idée d’une monnaie commune n’aurait de sens que dans le cadre d’une Europe socialiste. Le socialisme impliquerait un plan commun de production, mais cette fois sur la base d’une union démocratique volontaire, sur la base de l’égalité, et non sur la base d’une union dominée par les banquiers et un pays en particulier, l’Allemagne.
Aujourd’hui, les contradictions du capitalisme ont resurgi de manière aiguë à l’échelle mondiale. Une longue période d’expansion du capitalisme – qui partage quelques similitudes significatives avec la période qui a précédé la Première Guerre mondiale – s’est terminée de manière dramatique en 2008. Nous sommes maintenant au cœur de la crise économique la plus grave des 200 ans d’histoire du capitalisme.
Contrairement aux théories des économistes bourgeois, la mondialisation n’a pas aboli les contradictions fondamentales du capitalisme. Elle les reproduit simplement à une échelle encore plus grande qu’avant : la mondialisation se manifeste aujourd’hui comme une crise globale du capitalisme. La cause fondamentale de la crise est la contradiction entre les forces productives et les deux obstacles fondamentaux qui sont maintenant un frein au progrès humain : la propriété privée des moyens de production et l’État nation.
Durant une autre période, les tensions qui existent actuellement entre les États-Unis, le Japon et l’Europe auraient mené à la guerre. Cependant, l’existence d’armes de destructions massives – nucléaires, chimiques et bactériologiques – fait qu’une guerre entre les grandes puissances signifierait l’annihilation mutuelle, ou tout au moins un si prix terrible à payer pour les dégâts occasionnés, que la guerre en devient une alternative peu souhaitable, exceptée pour un quelconque général ignorant et assoiffé de « justice ».
Il existe des différences importantes entre la période actuelle et celle de l’époque de Lénine. A deux occasions, les impérialistes tentèrent de résoudre leurs contradictions par les moyens de la guerre : en 1914 et 1939. Pourquoi cela ne pourrait-il pas arriver de nouveau ? Les contradictions entre les impérialistes sont à présent tellement fortes que dans le passé elles les auraient déjà menées à la guerre. La question que nous devons nous poser est la suivante : pourquoi le monde n’est-il pas en guerre une fois de plus ? La réponse se trouve dans le changement du rapport des forces à échelle mondiale.
Cela fait un moment déjà que les petits états vieillissants d’Europe ont cessé de jouer individuellement un rôle dominant dans le monde. C’est pour cela que la bourgeoisie européenne s’est vue contrainte de former l’Union européenne, afin d’égaler les États-Unis, la Russie et maintenant la Chine, à échelle mondiale. Mais une guerre entre l’Europe et n’importe lequel des États mentionnés auparavant est totalement improbable. La principale raison en est que l’Europe n’a pas d’armée (terrestre, marine ou aérienne) qui lui soit propre. Les armées existantes sont jalousement maintenues sous le contrôle des différentes classes dominantes qui, derrière la façade de l’unité européenne, luttent pour défendre leurs « intérêts nationaux ».
Dans le contexte actuel, la perspective la plus vraisemblable n’est pas celle d’une guerre entre les États européens, mais plutôt celle d’une guerre de classes au sein de tous les pays du continent. L’introduction de l’euro a exacerbé les contradictions nationales. Par le passé, quand les pays du sud de l’Europe avaient des problèmes économiques, ils avaient la possibilité de dévaluer leur monnaie. Aujourd’hui, ils n’ont plus cette option. A la place, ils se voient obligés de recourir à une « dévaluation interne », ce qui équivaut à une attaque sur le niveau de vie de la population. Cela n’arrive pas seulement en Grèce, mais également dans toute l’Europe et même dans le monde entier.
Le désir de l’impérialisme allemand de s’établir comme la force dominante, en Europe, fut la principale cause de la Première Guerre mondiale. Aujourd’hui, l’Allemagne n’a plus à recourir à ce genre de méthodes, car elle a déjà conquis cet avantage au niveau économique. Cela n’aurait aucun sens que l’Allemagne envahisse la Belgique ou qu’elle s’empare de nouveau de l’Alsace-Lorraine, pour la simple raison que l’Allemagne contrôle déjà l’Europe dans son ensemble grâce à son pouvoir économique. Toutes les décisions importantes sont prises par Angela Merkel et la Bundesbank, sans qu’on entende une seule détonation. Mais peut-être la France pourrait-elle initier une guerre d’indépendance nationale face à l’Allemagne ? Il suffit de poser la question pour en voir immédiatement l’absurdité.
Actuellement, la bourgeoisie attaque toutes les conquêtes que la classe ouvrière avait gagnées ces cinquante dernières années. Elle veut nous ramener au moyen-âge. En observant ce qu’il se passe dans le monde, de l’Europe au Brésil et de l’Afrique à la Thaïlande, on ne voit qu’instabilité. La crise n’est pas qu’européenne, il s’agit bien d’une crise du capitalisme au niveau mondial. Pour la période dans laquelle nous sommes entrés, la perspective offerte n’est pas une guerre mondiale, mais un durcissement de la lutte des classes.
D’un point de vue militaire, aucun pays ne fait le poids face à la force militaire colossale des États-Unis. Mais ce pouvoir a aussi des limites. Il existe d’évidentes contradictions entre les États-Unis, la Chine et le Japon dans le Pacifique. Par le passé, ceci aurait mené tout droit à une guerre. Mais la Chine n’est plus une nation colonisée faible et arriérée, qui pourrait être facilement envahie et réduite à la servitude. C’est un pouvoir économique et militaire de plus en plus puissant, qui fait valoir ses intérêts et qui sait montrer sa force. L’hypothèse d’une invasion et de l’oppression de la Chine par les États-Unis est donc à écarter.
Il y a presque 25 ans, George Bush (père), alors président des États-Unis, faisait son fameux discours sur le « Nouvel Ordre Mondial ». Le président de l’État le plus puissant du monde promettait un monde sans guerres, ni dictatures et, bien sûr, un monde sous le contrôle ferme d’un seul et omnipotent gendarme : les États-Unis. En cette année 1991, se préparait le lancement de la première guerre du Golfe.
Après la chute du stalinisme, l’impérialisme états-unien pensait réellement que le monde serait fermement sous son contrôle et qu’il pourrait dicter le destin de tous les pays. Tous les conflits de la planète seraient résolus via le dialogue dans une sorte de « Pax Americana ». A présent, tous ces rêves ne sont plus que cendres. Les guerres se succèdent les unes après les autres. Rappelons-nous les mots de l’historien romain Tacite : « Leurs ravages ont fait un désert et ils appellent ça la paix ».
La période historique que nous vivons est particulière. Auparavant, il y avait toujours trois ou quatre grandes puissances impérialistes, mais à présent il n’y a qu’un seul et véritable géant : les États-Unis. Le pouvoir de la Rome impériale n’était rien comparé à celui des États-Unis à l’heure actuelle. Trente-huit pour cent des dépenses militaires mondiales proviennent des États-Unis, incluant les plus terribles des armes de destruction massive. Leur impérialisme est réellement la plus grande puissance contre-révolutionnaire de toute l’histoire de la terre.
Cependant, avec un pouvoir colossal vient une arrogance colossale. Georges W. Bush rompit avec toutes les normes internationales et la diplomatie patiemment construite depuis le 17e siècle. La « doctrine Bush » signifiait, pour les États-Unis, réclamer pour eux seuls le droit d’intervenir dans toutes les parties du monde. Les guerres qui affligent la planète sont une expression et un symptôme de la décadence d’un système. Chaque année aux États-Unis, plus de 750 milliards de dollars US sont dépensés en armement. Cette somme serait suffisante pour construire suffisamment d’hôpitaux, d’écoles et de maisons pour les 7 milliards d’êtres humains et en finir avec la faim dans le monde.
C’est un fait que les États-Unis sont très puissants, mais cette puissance a aussi ses limites, comme cela a été démontré en Irak. Les impérialistes envahirent l’Irak en 2003 et, peu de temps après, proclamèrent que la mission avait été « accomplie ». En réalité, l’Irak se trouve dans une situation désastreuse, sans armée nationale opérationnelle. 150 000 soldats états-uniens n’ont pas pu soumettre le peuple irakien, bien qu’au moins 100 000 Irakiens aient trouvé la mort lors de ces opérations. L’objectif des États-Unis était de saccager l’Irak, mais la seule chose à laquelle ils parvinrent fut une terrible hémorragie de sang et d’or, que même le pays le plus puissant du monde ne put juguler. Au final, les forces états-uniennes se virent obligées de se retirer, laissant derrière elles un Irak réduit à un état lamentable, mélange de barbarie, de misère, de division et de désespoir.
Les États-Unis se sont déjà brûlé les doigts en Irak et en Afghanistan. Ils furent incapables d’intervenir en Syrie et n’ont actuellement pas assez de ressources pour lutter contre la Russie au sujet de l’Ukraine. Comment pourraient-ils ne serait-ce qu’envisager une guerre contre un pays comme la Chine, quand ils ne peuvent même pas répondre aux provocations continuelles de la Corée du Nord ? La réponse est évidente.
Pour toutes ces raisons, une guerre mondiale du type de celles de 1914-18 ou 1939-45 est à écarter dans un futur immédiat. Pour autant, cela ne signifie pas que le monde soit un lieu plus pacifique et harmonieux. Au contraire, les guerres se succéderont les unes après les autres, mais ce seront de « petites » guerres, comme celles d’Irak et d’Afghanistan. Telle est la terrible perspective d’avenir pour l’espèce humaine.
Lénine, répondant à un pacifiste qui lui disait que la guerre était terrible, déclara : « Oui, terriblement rentable ». De grandes entreprises multinationales commeHalliburton perçurent des milliards de dollars du contribuable américains pour les soi-disant opérations de reconstruction de l’Irak, et ce n’est en rien une coïncidence si le vice-président Dick Cheney fut pendant longtemps un exécutif de cette entreprise, qui par ailleurs verse beaucoup d’argent au Parti Républicain. C’est un exemple de la relation organique qui existe entre les grands monopoles et l’État dont parle Lénine dans l’Impérialisme.
Deux guerres mondiales sont une preuve suffisante du fait que le potentiel progressiste du système capitaliste est complètement épuisé. Mais Lénine affirmait qu’à moins qu’il soit vaincu par la classe ouvrière, le capitalisme trouverait toujours une manière de se perpétuer, même après la crise économique la plus grave. Ce que Lénine concevait comme une possibilité théorique en 1920 est réellement arrivé après 1945. Conséquence d’un enchaînement particulier de circonstances historiques, le système capitaliste est entré dans une nouvelle période de développement. La perspective de la révolution socialiste, au moins dans les pays capitalistes développés, a été reportée.
Tout comme dans les deux dernières décennies précédant 1914, la bourgeoisie et ses apologistes étaient pleins d’illusions, lesquelles avaient contaminé les leaders du mouvement ouvrier. Aujourd’hui, encore plus qu’hier, ces derniers ont abandonné la lutte pour le socialisme et ont embrassé avec enthousiasme la « loi du marché ». Mais aujourd’hui, après 2008, la roue de l’histoire a bel et bien tourné, leurs succès ne sont plus que cendres. Comme en 1914, l’histoire s’est brusquement réveillée.
Avant 1914, les dirigeants sociaux-démocrates continuaient de défendre, au moins dans leurs discours, les idées du socialisme et la lutte des classes. Le 1er mai résonnait des consignes radicales accompagnées de discours révolutionnaires. Même si, dans la pratique, ils avaient abandonné la perspective de la révolution socialiste en faveur du réformisme : ils pensaient que pacifiquement, petit à petit, sans douleur, le capitalisme pourrait, sur le long terme, se transformer en socialisme.
D’un congrès international à l’autre, les sociaux-démocrates – qui, à cette période, incluaient Lénine, Trotsky, Rosa Luxembourg et Karl Liebknecht – votèrent des résolutions affirmant que l’Internationale s’opposerait à n’importe quelle tentative des impérialistes de mener une guerre, et même profiterait de la situation et organiserait une lutte révolutionnaire contre le capitalisme et l’impérialisme.
Pour leur plus grande honte, tous les dirigeants de la Seconde Internationale (à l’exception des Russes et des Serbes) ont trahi la classe ouvrière en apportant leur soutien à « leur » classe dominante, sur un mode « patriotique ». Pour résultat, des millions de travailleurs en uniforme furent condamnés à mourir au milieu de la boue, du sang et des gaz moutarde.
Au départ, Lénine fut tellement choqué d’apprendre que les sociaux-démocrates allemands avaient voté pour les crédits de guerre au Reichstag qu’il ne put y croire. Mais une fois que cela se confirma, il n’y avait plus à hésiter, il fallut rompre avec la Seconde Internationale et lever le drapeau de la Troisième Internationale (Communiste). Durant la guerre, Lénine fut totalement isolé, en Suisse. La situation était parfaitement désolante. La consigne de solidarité « travailleurs du monde entier, unissez-vous » semblait être une triste ironie alors que les travailleurs allemands, français, russes et britanniques se tuaient les uns les autres à coups de balles et de baïonnettes, en défendant les intérêts de leurs maîtres. Lors de la première conférence des socialistes contre la guerre, célébrée dans la petite localité suisse de Zimmerwald, en 1915, Lénine plaisanta en déclarant que l’on pouvait mettre tous les internationalistes du monde dans deux voitures.
Cependant, la guerre impérialiste termina en révolution. La Révolution russe offrit à l’humanité une issue au cauchemar de la guerre, de la pauvreté et de la souffrance. Mais, l’absence d’une direction révolutionnaire à échelle mondiale fit que cette possibilité fut avortée dans un pays après l’autre. Le résultat en fut une nouvelle crise et une nouvelle et plus encore terrible guerre impérialiste.
Lénine a dit : « Le capitalisme est une horreur sans fin ». Les convulsions sanglantes qui se produisent partout dans le monde montrent qu’il avait raison. Les moralisateurs de la classe moyenne peuvent bien pleurer et se lamenter sur ces horreurs, mais ils n’ont aucune idée de leurs causes, et encore moins de leur remède. Les pacifistes, les « verts », les féministes et d’autres alertent sur des symptômes, mais pas sur leur cause sous-jacente, qui réside dans un système social malade qui a survécu au-delà de la période où il avait un rôle positif.
Les horreurs qui se déroulent sous nos yeux sont non seulement les symptômes visibles de l’agonie du capitalisme, mais aussi les douleurs de l’enfantement d’une nouvelle société qui lutte pour voir le jour. Notre tâche est de mettre fin à ces douleurs et d’accélérer la naissance d’une nouvelle société authentiquement humaine.
Grâce au progrès technique et à la science, l’humanité a le potentiel pour éliminer tous les vieux maux que sont la faim, la guerre et l’analphabétisme. Mais qu’en est-il en réalité ? 1,2 milliard de personnes vivent sous le seuil de pauvreté, ce qui provoque le décès de 8 millions d’hommes, de femmes et d’enfants chaque année. Ce n’est ni plus ni moins qu’un holocauste silencieux, à l’échelle mondiale, dont personne ne parle. C’est là tout ce que le capitalisme peut offrir aujourd’hui.
Actuellement, la lutte contre l’impérialisme est indissociable de la lutte contre le capitalisme.
Existe-t-il une puissance dans le monde qui puisse vaincre la puissance de l’impérialisme états-unien ? Oui, il en existe bien une. Elle s’appelle la classe ouvrière ! Il n’y a pas une seule ampoule qui brille, pas une simple roue qui tourne, pas un téléphone qui puisse sonner sans son consentement ! Le problème est que les travailleurs détiennent cette puissance, mais ils ne le savent pas.
Pendant les jours obscurs de la Première Guerre mondiale, Lénine s’est trouvé, une fois de plus, isolé et en contact avec seulement un très petit groupe. Mais il ne craignait pas de lutter à contre-courant. Il a consacré tous ses efforts à éduquer et former des cadres sur la base des idées authentiques du marxisme. Son œuvre maîtresse, L’impérialisme, stade suprême du capitalisme est, sur le terrain de la théorie, un monument immortel, témoin de la qualité de son travail.
Lénine n’a montré aucun signe de pessimisme quand la situation aurait pu paraître désespérante. Et il n’y a toujours pas de place pour le pessimisme, aujourd’hui. Dans la période de convulsions qui vient, la classe ouvrière aura de nombreuses opportunités de transformer la société. Le pouvoir de la classe ouvrière n’a jamais été aussi grand. Mais ce pouvoir doit être organisé, mobilisé et doté d’une direction adéquate. C’est notre tâche principale, l’ordre du jour pour les marxistes d’aujourd’hui. Nous défendons et continuerons de défendre fermement les idées de Lénine, qui ont si magistralement résisté à l’épreuve du temps. Avec celles de Marx, Engels et Trotsky, ce sont les seules idées à même de garantir la victoire à venir de notre classe.
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