Nous publions ce texte initialement paru sur le site de « Révolution », la section française de la Tendance Marxiste Internationale (TMI). 

La crise mondiale qui a éclaté en 2008 est un tournant de l’histoire, comme le fut la crise de 1929. Elle a et aura de conséquences colossales de différentes natures : sociales, politiques, diplomatiques, militaires – mais aussi idéologiques. A gauche, les eaux stagnantes des vieux programmes réformistes seront balayées par une radicalité nouvelle. Face au chaos du « libre marché », l’objectif de socialiser et planifier l’économie au profit du plus grand nombre occupera une place de plus en plus importante dans les débats du mouvement ouvrier. Ce processus idéologique adoptera différents rythmes et formes, suivant les pays. Mais partout il trouvera sa voie. Comme l’écrivait Victor Hugo : « Rien n’est plus puissant qu’une idée dont l’heure est venue ».

Ou plutôt revenue, en l’occurrence. La planification de l’économie était au cœur du programme du « socialisme scientifique » élaboré par Marx et Engels au milieu du XIXe siècle. Puis cette idée a pris corps dans une expérience historique grâce à la révolution d’Octobre 1917, en Russie. Certes, le nouveau régime a rapidement dégénéré en dictature stalinienne, ce qui a eu un impact très négatif sur le caractère et les méthodes de la planification en URSS. Mais la révolution russe elle-même et les indéniables succès de l’économie planifiée, malgré le stalinisme, ont eu une influence colossale sur l’ensemble du mouvement ouvrier international. Même des dirigeants réformistes étaient obligés de défendre, les jours de fête et du bout des lèvres, l’objectif général de planifier la production.

La chute de l’URSS et du bloc de l’Est, au début des années 90, fut un tournant majeur. Les bourgeoisies du monde entier proclamèrent la fin du communisme, du socialisme, du marxisme – et même la « fin de l’histoire », selon la formule de Francis Fukuyama. L’« économie de marché » était présentée comme l’horizon de l’humanité, la forme ultime et définitive de son organisation économique et sociale. Cette vague de propagande réactionnaire affecta les sommets du mouvement ouvrier, y compris des partis communistes, dont les dirigeants renoncèrent à l’objectif officiel de renverser le système capitaliste. La base militante était profondément désorientée ; elle accepta ces renoncements sans enthousiasme, sur fond de relative croissance de l’économie.

La roue de l’histoire, cependant, ne s’arrête pas devant les murs de la propagande. La crise mondiale du capitalisme et les politiques d’austérité préparent une polarisation politique et une explosion de la lutte des classes dans tous les pays, sans exception. Cela a déjà commencé, notamment en Europe avec l’émergence de Syriza en Grèce, de Podemos en Espagne et de Jeremy Corbyn en Grande-Bretagne. Certes, leurs programmes portent encore la marque de la période précédente. Ils ne remettent pas en cause les fondements du système capitaliste. C’est d’ailleurs la raison fondamentale de la capitulation de Tsipras en Grèce. Mais il s’agit précisément des premières étapes d’un processus qui se développera sur toute une période. Il finira par remettre à l’ordre du jour la transformation socialiste de la société – et donc une planification rationnelle des ressources productives.

En France, cette idée a été popularisée lors de la campagne électorale du Front de Gauche, en 2011-12, à travers le projet de « planification écologique ». Ce n’est pas surprenant. Le capitalisme et les merveilles du « libre marché » détruisent l’environnement et les équilibres écologiques de notre planète ; à terme, ils ne menacent rien moins que la survie de l’espèce humaine. Un constat aussi grave devait bien finir par trouver une nouvelle expression politique à gauche, hors des impasses du « capitalisme à visage humain », de la « régulation des marchés » et de la « responsabilisation des capitalistes ». Or la planification écologique n’a de sens et de substance que si elle repose sur une planification économique, qui implique la nationalisation des banques, de la grande industrie, des moyens de transport et de tous les principaux leviers de l’économie. Sans cela, la planification écologique est suspendue en l’air et n’a aucune chance d’être réalisée. On ne peut planifier ce qu’on ne contrôle pas, et on ne peut contrôler ce qu’on ne possède pas.

Capitalisme et planification

Les capitalistes s’indignent chaque fois qu’ils entendent parler de planification. Mais en réalité, ils ne sont pas opposés à toute forme de planification. Ils se livrent eux-mêmes à une planification extrêmement poussée, jusque dans les moindres détails, au sein des entreprises individuelles qu’ils possèdent. Ils n’y laissent rien au hasard. La masse salariale, l’organisation du travail, le transport des marchandises, les dépenses énergétiques, les commandes de fournitures, jusqu’à la plus petite boite de trombones : tout est calculé, rationné, millimétré – bref, planifié, dans le but de réaliser un maximum de profits. L’exploitation de la force de travail, en particulier, y est élevée au rang d’une science, avec ses méthodes de harcèlement moral, d’atomisation des travailleurs et autres techniques de management plus ou moins barbares.

Cependant, cette planification à l’échelle des entreprises individuelles n’empêche pas l’anarchie de régner au niveau de l’économie dans son ensemble (nationale et internationale), où les lois aveugles du « libre marché » continuent d’opérer. Les entreprises capitalistes sont hyper-planifiées en vue de détruire leurs concurrentes, de leur prendre des parts de marché, etc. En outre, la planification au sein des entreprises capitalistes est anti-démocratique : les salariés, qui produisent tout, n’y ont pas leur mot à dire – sauf à la marge, par le biais des syndicats. La « démocratie » capitaliste s’arrête au seuil des entreprises, où la dictature patronale règne ouvertement.

Le socialisme signifie précisément l’extension de la planification à l’échelle de toute l’économie, bien au-delà des quatre murs des entreprises individuelles, dans le but d’éliminer l’anarchie dans la production et de satisfaire les besoins du plus grand nombre. Et cela suppose non seulement l’expropriation des grands capitalistes, mais aussi la gestion démocratique de la production – d’abord de l’entreprise individuelle, puis de l’économie dans son ensemble. Le socialisme suppose donc à la fois l’extension et la démocratisation massives des éléments de planification existant sous le capitalisme.

Révolution socialiste et révolution bourgeoise

Il y a de nombreux parallèles entre la révolution socialiste et les grandes révolutions bourgeoises du passé. Mais il y a aussi d’importantes disparités. A la différence du socialisme, le capitalisme émerge spontanément du développement des forces productives. Comme système de production, il n’a pas besoin de l’intervention consciente des hommes et des femmes. Le marché fonctionne à la façon d’une fourmilière ou de tout autre système auto-organisé du monde animal : aveuglément, automatiquement. On pourrait nous répondre : « et chaotiquement, en infligeant beaucoup de souffrances ». Oui. Mais il n’empêche : il fonctionne, et ce depuis plus de deux siècles. Au début, il a même joué un rôle très progressiste, développant les forces productives à un rythme inédit dans l’histoire de l’humanité.

De ce fait, l’avènement du capitalisme n’a pas nécessité de compréhension scientifique du monde et de l’histoire. De grands idéaux en tenaient lieu. La Révolution française de 1789-95 (révolution bourgeoise par excellence) fut un événement grandiose ; elle est une source inépuisable d’enthousiasme et de leçons. Mais malgré leur héroïsme et leur intelligence, même les plus glorieuses figures de la Révolution – Robespierre, Marat, Saint-Just – ne comprenaient paset ne pouvaient pas comprendre qu’elle allait déboucher non sur le règne de la Raison et de la Justice, comme ils l’espéraient, mais sur le règne du profit et de l’esclavage salarié. Les conditions objectives d’une conception scientifique de l’histoire n’étaient pas encore réunies ; l’expérience des révolutions bourgeoises et de leurs résultats faisait partie de ces conditions. Réciproquement, le développement des rapports de production capitaliste n’avait pas besoin d’une authentique conception scientifique de l’histoire.

Qu’en est-il de la révolution socialiste ? Dans le Manifeste du Parti Communiste, Marx la distingue en ces termes de toutes les révolutions antérieures : « Toutes les classes qui, dans le passé, se sont emparées du pouvoir, essayaient de consolider leur situation acquise en soumettant la société aux conditions qui leur assuraient leurs revenus propres. Les prolétaires ne peuvent se rendre maîtres des forces productives sociales qu’en abolissant leur propre mode d’appropriation d’aujourd’hui et, par suite, tout le mode d’appropriation en vigueur jusqu’à nos jours. Les prolétaires n’ont rien à sauvegarder qui leur appartienne, ils ont à détruire toute garantie privée, toute sécurité privée antérieure.

« Tous les mouvements historiques ont été, jusqu’ici, accomplis par des minorités ou au profit des minorités. Le mouvement prolétarien est le mouvement spontané de l’immense majorité au profit de l’immense majorité. Le prolétariat, couche inférieure de la société actuelle, ne peut se soulever, se redresser, sans faire sauter toute la superstructure des couches qui constituent la société officielle. »

Ainsi, la révolution socialiste ne « consolide » aucune « situation acquise » de la classe ouvrière, laquelle doit bouleverser l’ensemble des rapports de production au moment de s’en rendre maître. Or ce bouleversement consiste à substituer une planification consciente et rationnelle de l’économie aux mécanismes aveugles du marché capitaliste. En conséquence, la transition entre capitalisme et socialisme a besoin du développement massif du contrôle démocratique des masses sur la production et sur l’Etat – les deux étant étroitement liés, car la nationalisation des grands moyens de production se réalise sous la houlette de l’Etat, dans un premier temps. La démocratie n’est pas une option, un supplément d’âme ; c’est un élément indispensable à la construction du socialisme. Dans la foulée d’octobre 1917, Lénine a insisté des centaines de fois sur ce point, dans ses articles et ses discours. Il exhortait sans cesse les travailleurs à « prendre les choses en main ». De son côté, Trotsky résumait la question ainsi : « l’économie planifiée a besoin de démocratie comme le corps humain a besoin d’oxygène ».

Pour la même raison, une authentique révolution socialiste n’est possible que sur la base d’une compréhension scientifique, par ses acteurs, du monde et du processus historique. C’est d’abord le parti révolutionnaire qui développe au plus haut point cette conception scientifique de la lutte des classes et de ses fins. Mais comme mouvement de masse, la révolution socialiste a besoin d’enraciner ces idées dans de larges couches du peuple révolutionnaire. Seul un mouvement conscient de la classe ouvrière peut aboutir à la victoire du socialisme. C’est ce qui fait à la fois la grandeur de la révolution socialiste et sa difficulté propre, car elle ne peut compter, pour vaincre, sur aucun « automatisme » des rapports de production. Le « facteur subjectif » – le parti révolutionnaire – y joue un rôle déterminant.

Il est vrai qu’une économie planifiée peut exister – du moins temporairement – sans contrôle démocratique des masses. C’était le cas en URSS sous Staline et ses successeurs, dont les « conceptions scientifiques » n’en méritaient même pas le nom. Par ailleurs, l’exemple de la Chine et des pays soi-disant « socialistes » d’Europe de l’Est (entre autres) prouve que le capitalisme peut être renversé – et remplacé par une économie planifiée – sans authentique parti marxiste et sans large participation des masses.

Dans tous ces pays, l’économie était administrée et planifiée « d’en haut », par la bureaucratie dirigeante, sans le moindre contrôle des travailleurs. Mais comme nous le verrons plus loin, une telle distorsion se paye très cher. Elle engendre de profondes contradictions économiques et sociales qui minent l’économie planifiée. Et l’histoire a montré que si ces contradictions ne sont pas levées, si le cancer bureaucratique n’est pas éradiqué par une nouvelle révolution politiquedes travailleurs, la destruction de l’économie planifiée et la restauration du capitalisme en découlent inévitablement.

Le contrôle ouvrier et l’expérience russe

Dans le Manifeste, Marx expliquait qu’en développant le grand capital, la « bourgeoisie produit ses propres fossoyeurs » : les salariés. Non seulement leur nombre et leur poids social ont sans cesse augmenté au détriment des couches intermédiaires de la société, mais le capitalisme les a préparés techniquement et psychologiquement à assurer la direction de la société. Concentrés dans de grandes unités de production, les travailleurs sont obligés d’apprendre à collaborer entre eux, à tenir compte de la division du travail au sein de l’entreprise, voire d’une branche de l’économie. Ils y acquièrent une discipline collective et une expérience de la solidarité entre producteurs. C’est cette situation sociale des travailleurs dans le processus de production – ajoutée à leur statut de classe sans propriété – qui détermine leurs tendances naturellement socialistes. C’est elle, aussi, qui les prépare à la gestion directe et collective des entreprises, une fois celles-ci arrachées des mains des capitalistes.

Cette préparation, cependant, ne peut pas se substituer à l’expérience réelle de la gestion ouvrière de l’industrie. Elle est indispensable aux travailleurs pour apprendre à administrer eux-mêmes une entreprise, puis une branche donnée de l’économie, puis enfin l’économie planifiée dans son ensemble. Ici, de nombreux facteurs entrent en ligne de compte, dont le niveau de la technique et le niveau culturel de la classe ouvrière.

A cet égard, la situation de la classe ouvrière européenne est infiniment meilleure que celle des travailleurs russes de 1917, dont bon nombre étaient illettrés, par exemple. Après la conquête du pouvoir par les bolcheviks, ceux-ci n’ont pas immédiatement transféré les entreprises entre les mains des travailleurs. Leur idée était d’y développer un régime de contrôle ouvrier : les capitalistes demeuraient formellement propriétaires des entreprises, continuaient de les diriger, s’octroyaient 5 à 6 % de « retour sur investissement », mais étaient soumis, dans toutes leurs décisions importantes, au contrôle des travailleurs, qui avaient ainsi la possibilité d’apprendre les différents aspects techniques, comptables, administratifs, etc., de la gestion d’une entreprise.

Le contrôle ouvrier – qui établit un double pouvoir au sein de l’entreprise – a nécessairement un caractère instable et transitoire. Dans les faits, les capitalistes russes y résistaient de toutes leurs forces, se livraient au sabotage de la production et, souvent, abandonnaient la partie pour fuir à l’étranger. Alors, les ouvriers administraient l’entreprise eux-mêmes. Dans de nombreux cas, les bolcheviks répondirent au sabotage par la nationalisation, à titre défensif.

Malgré les efforts des dirigeants et ouvriers bolcheviks pour coordonner les différentes entreprises entre elles et, ainsi, jeter les bases d’une planification centralisée de l’économie, les travailleurs russes avaient souvent tendance à administrer les entreprises pour leur propre compte, à la façon de coopératives indépendantes les unes des autres. Cela reflétait le faible niveau économique et culturel de la Russie de l’époque. Il en résultait un grand chaos. Les bolcheviks, qui nationalisèrent l’ensemble des grands moyens de production en juin 1918, eurent beaucoup de peine à briser les tendances au « coopérativisme ». Mais ils finirent par y parvenir, malgré les dévastations de la guerre civile, et à coordonner les différentes branches de l’économie sous la direction d’un Congrès des Conseils Economiques. Dans les comités directeurs des entreprises nationalisées siégeaient non seulement des travailleurs des entreprises en question, mais aussi des représentants des autres branches.

Actualité du contrôle ouvrier

Dans L’an 1 de la révolution russe, Victor Serge a bien décrit quelques-unes des difficultés inouïes auxquelles fut confronté le pouvoir bolchevik dans la foulée d’Octobre. Il y souligne aussi l’héroïsme des masses, qui à plusieurs reprises ont sauvé la révolution des assauts de ses ennemis intérieurs et extérieurs.

En lisant ce livre, on mesure le gouffre qui sépare les travailleurs russes de 1917 et la classe ouvrière du XXIe siècle – non seulement en Amérique de Nord, en Europe et au Japon, mais aussi dans bon nombre de pays ex-coloniaux. Le développement du capitalisme au cours du XXesiècle, en particulier lors des « trente glorieuses », a énormément renforcé le poids social et le niveau culturel de la classe ouvrière. Cela signifie que les tâches de direction et de gestion démocratique d’une économie planifiée présenteront beaucoup moins de difficulté aux travailleurs. Une fois au pouvoir, ils n’auront pas besoin de passer par l’expérience d’une longue phase de « contrôle ouvrier » de la production, c’est-à-dire de double pouvoir entre travailleurs et capitalistes au sein des entreprises. Il est même probable que dans bien des cas cette phase sera inutile. Les travailleurs apprendront à administrer directement la production, sans l’« aide » du patronat et de ses plus proches spécialistes.

Bien sûr, la panification démocratique de l’économie nécessite toutes sortes de techniciens, spécialistes, ingénieurs, etc. Mais ici l’énorme écart entre 1917 et notre époque est évident. En 1917, les techniciens et spécialistes étaient presque tous hostiles à la révolution russe. Pour la plupart issus des classes dirigeantes, leur niveau de vie et leur psychologie les tenaient à distance du mouvement ouvrier, qu’ils méprisaient. Ils sabotèrent l’économie dans l’espoir de faire chuter le régime issu d’Octobre, qu’ils détestaient de toutes leurs fibres. Les fonctionnaires du régime tsariste firent de même : ils sabotèrent. Aujourd’hui, à l’inverse, les techniciens, spécialistes, ingénieurs et managers de premier rang sont largement prolétarisés. Ils font de longues heures de travail, sont pressurés par le grand Capital et, souvent, conscients de l’être. La plupart d’entre eux sont issus de la classe ouvrière ou des couches inférieures des classes moyennes. Quant aux fonctionnaires, non seulement ils ne sont plus hostiles au mouvement ouvrier, mais ils en font partie intégrante et en constituent un bataillon puissant et militant. Ceci change le rapport de forces général entre les classes, d’une part, et d’autre part renforce la capacité des travailleurs à administrer une économie planifiée.

Ajoutons que le développement de la technologie, depuis 1917, a énormément renforcé les capacités techniques de nombreux salariés, qui ont l’habitude de manipuler des machines et des logiciels très sophistiqués. Prenons l’exemple de l’entreprise pétrolière PDVSA, au Venezuela, première source de revenus du pays. Lors du lock-out patronal de 2002-2003, qui visait à renverser Hugo Chavez, la direction de l’entreprise a délibérément saboté les commandes hautement technologiques de l’entreprise, puis déserté les lieux et appelé à la grève générale. Mais la majorité des travailleurs de PDVSA ont pris le contrôle de l’entreprise et sont parvenus à en relancer la production. Ils ont prouvé, dans les faits, qu’ils étaient capables d’assurer le fonctionnement d’une industrie très complexe, sur le plan technologique, sans l’assistance des couches supérieures de l’entreprise.

Cela ne signifie pas que le mot d’ordre de « contrôle ouvrier » est dépassé, qu’il devra partout et en toutes circonstances céder la place à celui d’administration directe des entreprises par les salariés. La conquête du pouvoir par la classe ouvrière ne se fera pas du jour au lendemain. Et il ne s’agira pas d’un processus linéaire. La révolution socialiste sera précédée par toute une série d’explosions de la lutte des classes, au cours desquelles la question du « contrôle ouvrier » pourra se poser là où ne seront pas réunies les conditions de l’expropriation de l’entreprise et de son administration directe par les salariés. Cela dépendra de circonstances concrètes : du niveau d’organisation et de conscience des salariés en question, de leur lien avec le reste du mouvement ouvrier, de l’attitude des organisations syndicales, de la situation politique générale, etc. Le contrôle ouvrier peut constituer une étape indispensable de la lutte. Mais de par sa nature même, le contrôle ouvrier d’une ou plusieurs entreprises est une situation instable ; il ne peut constituer qu’une phase transitoire vers l’expropriation et la gestion ouvrière directe. A défaut, un rapide retour à la « normale » – c’est-à-dire à la dictature patronale dans l’entreprise – est inévitable.

« L’école de la planification »

La façon dont Trotsky aborde la question du contrôle ouvrier, dans son Programme de transition(1938), n’a rien perdu de sa pertinence. Ce texte fut écrit pendant la Grande Dépression des années 30, qui avait fait exploser la misère et le chômage, comme aujourd’hui. Dans la perspective de préparer la classe ouvrière à diriger la société et l’économie, Trotsky défendait la levée du secret commercial et de grands travaux publics sous contrôle ouvrier. Le passage mérite d’être longuement cité :

« L’abolition du « secret commercial » est le premier pas vers un véritable contrôle de l’industrie. Les ouvriers n’ont pas moins de droits que les capitalistes à connaître les « secrets » de l’entreprise, du trust, de la branche d’industrie, de l’économie nationale tout entière. Les banques, l’industrie lourde et les transports centralisés doivent être placés les premiers sous la cloche d’observation.

« Les premières tâches du contrôle ouvrier consistent à éclairer quels sont les revenus et les dépenses de la société, à commencer par l’entreprise isolée ; à déterminer la véritable part du capitaliste individuel et de l’ensemble des exploiteurs dans le revenu national ; à dévoiler les combinaisons de coulisses et les escroqueries des banques et des trusts ; à révéler enfin, devant toute la société, le gaspillage effroyable de travail humain qui est le résultat de l’anarchie capitaliste et de la pure chasse au profit. (…)

« La lutte contre le chômage est inconcevable sans une organisation large et hardie de GRANDS TRAVAUX PUBLICS. Mais les grands travaux ne peuvent avoir une importance durable et progressiste, tant pour la société que pour les chômeurs eux-mêmes, que s’ils font partie d’un plan général, conçu pour un certain nombre d’années. Dans le cadre d’un tel plan, les ouvriers revendiqueront la reprise du travail, au compte de la société, dans les entreprises privées fermées par suite de la crise. Le contrôle ouvrier fera place, dans ces cas, à une administration directe par les ouvriers.

« L’élaboration d’un plan économique, même le plus élémentaire – du point de vue des intérêts des travailleurs, et non de ceux des exploiteurs – est inconcevable sans contrôle ouvrier, sans que les ouvriers plongent leurs regards dans tous les ressorts apparents et cachés de l’économie capitaliste. Les comités des diverses entreprises doivent élire, à des conférences correspondantes, des comités de trusts, de branches d’industrie, de régions économiques, enfin de toute l’industrie nationale dans son ensemble. Ainsi, le contrôle ouvrier deviendra l’ECOLE DE L’ECONOMIE PLANIFIEE. Quand l’heure aura sonné, le prolétariat par l’expérience du contrôle se préparera à diriger directement l’industrie nationalisée. »

On le voit, le « contrôle ouvrier » n’est ici qu’un pont vers la planification de l’économie, vers le socialisme, dans le cadre d’une offensive générale de la classe ouvrière. Cela n’a rien à voir avec la paisible « cogestion » – entre syndicats et patrons – qui s’est développée en Europe dans les années 70. Cette fiction de « démocratie sociale » n’a rien apporté aux travailleurs ; par contre, elle a développé la corruption directe et indirecte des couches supérieures des organisations syndicales, ce qui était précisément l’objectif de la classe dirigeante.

L’un des exemples les plus célèbres de cette corruption est le scandale qui a éclaté en 2007, en Allemagne, à propos des millions d’euros de pots-de-vin dont bénéficiaient des dirigeants du syndicat IG Metall dans le cadre de la « cogestion » chez Volkswagen. L’affaire fit d’autant plus de bruit que ces pots-de-vin consistaient en prostituées, voitures de sport et voyages au Brésil. Mais ce n’était que le sommet de l’iceberg. Le problème est organique. Par sa nature même, la « cogestion » n’augmente pas le contrôle des travailleurs sur le grand Capital ; elle augmente seulement le contrôle du grand Capital sur les directions syndicales. Elle n’a donc aucun caractère progressiste.

La planification en URSS

Les adversaires du communisme exhibent l’effondrement de l’URSS comme un trophée. N’est-ce pas la preuve définitive de la supériorité du système capitaliste ? Il faut bien sûr expliquer scientifiquement la chute de l’URSS. Mais avant de s’effondrer, l’Union Soviétique a connu des rythmes de croissance économique inédits dans le monde capitaliste, du moins jusqu’au milieu des années 60. C’est un fait que les économistes bourgeois s’efforcent de passer sous silence ou de minimiser, car les succès de l’économie soviétique ont démontré de façon irréfutable la supériorité des méthodes de planification sur le marché capitaliste.

Dès 1936, soit moins de 20 ans après la révolution de 1917, Léon Trotsky analysait les grands indicateurs des progrès de l’économie soviétique et concluait : « Les immenses résultats obtenus par l’industrie, le début plein de promesses d’un essor de l’agriculture, la croissance extraordinaire des vieilles villes industrielles, la création de nouvelles, la rapide augmentation du nombre d’ouvriers, l’élévation du niveau culturel et des besoins, tels sont les résultats incontestables de la révolution d’Octobre, dans laquelle les prophètes du vieux monde voulurent voir le tombeau de la civilisation. Il n’y a plus lieu de discuter avec MM. les économistes bourgeois : le socialisme a démontré son droit à la victoire, non dans les pages du Capital, mais dans une arène économique couvrant le sixième de la surface du globe ; non dans le langage de la dialectique, mais dans celui du fer, du ciment et de l’électricité ». (La révolution trahie)

La viabilité du système économique soviétique a été soumise à une épreuve décisive entre 1941 et 1945, lorsque l’URSS a été envahie par l’Allemagne nazie, laquelle disposait des ressources combinées de pratiquement toute l’Europe. Malgré 27 millions de victimes dans ses rangs, l’URSS a réussi à vaincre l’armée nazie – puis, après 1945, à reconstruire son économie dévastée dans un laps de temps très court. Elle est alors rapidement devenue la deuxième puissance industrielle au monde, derrière les Etats-Unis.

En 1917, la Russie était un pays arriéré, semi-féodal et largement illettré ; à la fin des années 50, l’URSS était une économie moderne, disposant d’un quart des scientifiques au monde, de systèmes de santé et d’éducation comparables à ce qu’il y avait de meilleur en occident – et capable, la première, d’envoyer dans l’espace un satellite, puis un homme. Elle a multiplié par cinq son PIB entre 1945 et 1979. Une transformation aussi fulgurante n’a aucun équivalent dans les annales de l’humanité.

Ces succès sont d’autant plus remarquables qu’ils ont été réalisés malgré les énormes distorsions et faux frais d’une planification bureaucratique de l’économie. Pendant toute une période, la bureaucratie stalinienne n’a constitué qu’un obstacle relatif au développement des forces productives. Autrement dit, elle jouait un rôle relativement progressiste, comme « gardienne » des nouveaux rapports de production issus d’Octobre. Mais cette situation contradictoire ne pouvait durer indéfiniment. La bureaucratie parasitaire a fini par constituer un obstacle absolu au développement de l’économie soviétique. Elle ne jouait plus aucun rôle progressiste. Entre 1965 et 1970, le taux de croissance moyen de l’URSS était de 5,4 %, ce qui marquait déjà un recul. Entre 1971 et 1978, il est tombé à 3,7 %, soit à peu près au même niveau que les pays capitalistes avancés de l’époque. En soi, c’était déjà une très mauvaise nouvelle. Mais les choses ne firent que s’aggraver. A la fin de l’ère Brejnev, l’économie soviétique s’embourbait dans la stagnation.

C’est au fond ce qui détermina la chute de l’URSS et la restauration du capitalisme en Russie. Marx expliquait que la viabilité de tout système économique et social dépend, en dernière analyse, de sa capacité à développer les forces productives et, ce faisant, à accroître l’empire de l’homme sur la nature. L’URSS n’a pas échappé à cette loi d’airain. Même si les rapports de propriété issus de la révolution d’Octobre représentaient un pas-de-géant par rapport aux rapports de propriété capitaliste, cela ne garantissait pas automatiquement la victoire définitive des uns sur les autres. Dès les années 30, Léon Trotsky expliquait que les contradictions intérieures de l’URSS portaient en elles les éléments d’une régression vers l’économie de marché – à l’initiative de la bureaucratie elle-même. C’est ce qui a fini par se produire au début des années 90.

Isolement et arriération

L’analyse détaillée des contradictions de l’URSS et de sa dynamique générale dépasse les limites de cet article. Léon Trotsky s’y est livré avec brio dans La révolution trahie, un ouvrage incontournable pour comprendre les forces et les faiblesses de la planification soviétique. Ici, rappelons que jusqu’en 1924, année de la mort de Lénine, tous les dirigeants du parti bolchevik (Staline compris) expliquaient que la victoire définitive du socialisme était inconcevable dans les limites géographiques de l’URSS. Dans des dizaines de discours et d’articles, Lénine répétait que les bolcheviks avaient commencé une révolution dont la consolidation en Russie même dépendait de son développement sur l’arène internationale. Or les révolutions qui ont éclaté en Europe dans la foulée d’Octobre se sont soldées par des défaites, notamment du fait de la trahison des dirigeants socio-démocrates.

La défaite de la révolution allemande de 1918-23, en particulier, a porté un coup sévère aux espoirs des masses russes. C’est dans ce contexte que Staline et ses affidés ont commencé, en 1924, à défendre la théorie du « socialisme dans un seul pays », en l’occurrence l’URSS. Cette aberration théorique correspondait aux besoins et à la psychologie d’une bureaucratie naissante déterminée à profiter paisiblement de sa position et de ses privilèges, à l’abri des soubresauts de la lutte des classes internationale. Mais cette « théorie » avait sa logique propre. Peu à peu, la bureaucratie soviétique se transforma en un monstrueux obstacle sur la voie de la révolution mondiale. En un cercle toujours plus vicieux, chaque défaite des travailleurs en dehors de l’URSS renforçait l’isolement de celle-ci, la démoralisation de ses masses – et donc le pouvoir de la bureaucratie soviétique ; et plus ce pouvoir augmentait, plus la bureaucratie avait les moyens de paralyser, en retour, la classe ouvrière mondiale.

A la fin de la révolution espagnole de 1931-37, ce processus a atteint un point culminant. Le stalinisme et ses agents criminels du GPU y ont joué un rôle ouvertement contre-révolutionnaire. A ce stade, la bureaucratie stalinienne craignait les révolutions socialistes comme la peste, car elles risquaient de pousser les masses russes dans la voie d’une révolution politique dirigée contre cette même bureaucratie. Celle-ci sauvait sa peau à court terme, mais au prix de renforcer l’isolement de l’URSS et, ainsi, de préparer son effondrement ultérieur.

Le développement de la bureaucratie soviétique était lié à la fois à l’isolement de la révolution russe et à l’extrême arriération économique et culturelle du pays, ces deux facteurs interagissant l’un sur l’autre. En ce qui concerne les bases économiques – décisives, en dernière analyse – du bureaucratisme, Trotsky résumait le problème de la façon suivante : « L’autorité bureaucratique a pour base la pauvreté en articles de consommations et la lutte de tous contre tous qui en résulte. Lorsqu’il y a assez de marchandise au magasin, les chalands peuvent y venir à tout moment. Quand il y a peu de marchandises, les acheteurs sont obligés de faire la queue à la porte. Sitôt que la queue devient très longue, la présence d’un agent s’impose pour le maintien de l’ordre. Tel est le point de départ de la bureaucratie soviétique. » (La révolution trahie) Or l’agent chargé du « maintien de l’ordre » sera tenté d’abuser de sa position et de se servir en premier – et mieux que les autres. « Ainsi nait du besoin de la société un organe qui, dépassant de beaucoup sa fonction sociale nécessaire, devient un facteur autonome et en même temps la source de grands dangers pour tout l’organisme social. » (Ibidem)

La faillite de la planification bureaucratique

Dans ce contexte national et international, la démocratie soviétique issue d’Octobre ne pouvait pas se maintenir. Plus la bureaucratie se consolidait, plus elle prenait conscience de ses intérêts de caste et de sa position d’usurpatrice, moins elle pouvait tolérer le contrôle des masses. Elle y mit fin par différentes méthodes, notamment policières. Or comme nous l’avons souligné plus haut, la planification socialiste de l’économie a besoin de la participation démocratique des travailleurs. Tant qu’il s’agissait d’arracher l’économie soviétique à son arriération semi-féodale, de développer une industrie lourde et des infrastructures de base, les méthodes de direction bureaucratiques pouvaient obtenir des résultats, c’est-à-dire des taux de croissance élevés, malgré d’énormes gaspillages de travail humain. Mais avec la complexification croissance de l’économie, surtout après la Deuxième Guerre mondiale, la planification « d’en haut », sans contrôle et participation des masses, engendrait un chaos toujours plus grand. Les relations précises entre industries lourdes, industries légères, agriculture, sciences et technologie ne peuvent pas être trouvées sur simple décision administrative. Dès lors, le gaspillage, l’incompétence et la corruption devinrent organiques, engendrant cynisme, indifférence et démoralisation chez bon nombre de travailleurs.

Sous le capitalisme, les lois du marché exercent un certain contrôle sur la viabilité de telle ou telle production. Une marchandise nécessitant trop de travail au regard de sa qualité ne fera pas long feu, face à la concurrence. Dans une économie planifiée, ce mécanisme aveugle n’existe pas. Il doit être remplacé par la participation démocratique des travailleurs (comme producteurs et comme consommateurs) à toutes les étapes de l’élaboration et de la réalisation du Plan. Mais cela suppose le droit de critiquer, de s’organiser librement, de prendre des initiatives – autant de choses que la caste dirigeante en URSS ne pouvait tolérer.

Le bureaucratisme minait la qualité de la production, et notamment des produits de consommation courante. Les bureaucrates locaux et nationaux avaient surtout à cœur d’atteindre les objectifs quantitatifs qui leur avaient été assignés, quitte à rogner sur la qualité. Ceci leur posait d’autant moins de problèmes qu’eux-mêmes se fournissaient dans des « magasins spéciaux » inaccessibles aux masses, où la qualité des produits était nettement supérieure à la moyenne de ce que consommait le citoyen lambda.

Dans un article intitulé Ma jeunesse en URSS, le militant marxiste Kassim Ben Hamza rapporte une anecdote qui illustre bien ces dérives : « Les dysfonctionnements économiques devenaient insupportables. C’était particulièrement visible dans le domaine de l’agriculture, véritable « talon d’Achille » de l’économie soviétique. Un jour, lorsque j’étais étudiant, notre secrétaire local des Jeunesses Communistes (Komsomol) s’est adressé à nous, au micro de l’amphithéâtre : « Camarades, notre direction des Jeunesses Communistes a décidé que nous allions apporter notre aide aux travailleurs du centre de stockage des denrées alimentaire ». On nous y emmena en bus. Ce centre de stockage réceptionnait des camions qui provenaient des kolkhozes (coopératives agricoles), et notre premier travail consistait à les décharger. On mettait dans les sacs des choux tout frais venus des kolkhozes. Puis, d’autres camions venaient prendre la marchandise pour la livrer dans les magasins. Mais plutôt que de charger les choux frais, les responsables nous ont demandé de prendre d’autres sacs, contenant des choux en voie de pourrissement, d’en arracher les feuilles les plus pourries et de les charger dans les camions en partance pour les magasins. Pendant ce temps, les sacs de choux frais qu’on venait de décharger précédemment restaient à l’air libre – et pourrissaient, à leur tour…

« Dans le même centre de stockage, on nous a ensuite demandé d’empaqueter des pommes de terre. Cependant, on nous a donné, en quantités égales, des sacs de patates à moitié pourries et des sacs contenant des patates en bon état. Sans sourciller, le responsable nous demanda de mélanger, dans les mêmes paquets, les pommes de terres fraîches et les pourries. Choqués par cette consigne absurde, nous fûmes un certain nombre à ne pas l’appliquer strictement. Au lieu de mélanger les deux types de pommes de terre, nous remplissions un paquet sur deux avec des pommes de terre pourries, mais en le recouvrant d’une rangée saine (car nous savions que la plupart des Soviétiques, méfiants, soulèveraient la première rangée avant de l’acheter). Dans l’autre paquet, nous ne mettions que des produits frais.

« D’autres étudiants appliquèrent les consignes à la lettre et s’en vantèrent, sans penser qu’ils trompaient de simples travailleurs. Mais cette forme de cynisme était elle-même une conséquence de la bureaucratie. Si les soviets avaient eu un réel pouvoir, beaucoup d’étudiants auraient été prêts à y participer. Ils auraient proposé leurs solutions, comme la construction de nouveaux hangars frigorifiés, une meilleure liaison entre les kolkhozes et les magasins, etc. Mais comme la bureaucratie détenait le pouvoir, personne ne voulait se créer de problèmes, et beaucoup de gens se contentaient de suivre leurs intérêts immédiats et personnels. Cela préparait les bases politiques et morales de la restauration du capitalisme, plus tard. »

Les conséquences économiques, sociales et culturelles de la restauration du capitalisme en Russie furent catastrophiques, comme l’avait anticipé Trotsky dans La révolution trahie. La supériorité de l’économie planifiée sur l’économie de marché se manifesta de façon négative, pour ainsi dire, à l’occasion de sa dislocation. Entre 1991 et 1997, la production russe s’est effondrée d’environ 60 %. Cette destruction massive de forces productives n’avait aucun précédent dans l’histoire moderne : la Grande Dépression des années 29-33, aux Etats-Unis, s’était soldée par une chute de 30 % du PIB. La Russie des années 90 a vu ressurgir le vieux démon du chômage de masse et les manifestations les plus extrêmes de la pauvreté, par exemple le phénomène des sans-logis. La santé et l’éducation publiques furent dévastées, la situation des femmes régressa de façon drastique. Dans le même temps, un capitalisme mafieux concentrait des fortunes colossales dans les mains des « oligarques ». Les dirigeants de l’ancienne bureaucratie se jetèrent avec avidité dans cette orgie de profits, déchirant aux yeux du monde entier les derniers oripeaux de leur attachement officiel aux idéaux « socialistes ».

Conclusion

Analysée d’un point de vue marxiste, scientifique, l’expérience des forces et faiblesses de la planification en URSS ne mène pas à des conclusions pessimistes. Au contraire. L’énorme potentiel de la planification a été démontré de façon irréfutable, quoiqu’en pensent et disent les intellectuels bourgeois, qui souvent préfèrent n’en rien dire, voire n’en rien penser. Quant à l’inévitable faillite d’une planification bureaucratique, elle n’a pas réfuté le programme du marxisme, mais l’a au contraire validé. Or les conditions objectives d’une planification démocratique de la production sont aujourd’hui beaucoup plus favorables qu’à l’époque de la dégénérescence stalinienne de la révolution russe. Le niveau actuel du développement des forces productives, de la science et de la technologie, comme le poids social de la classe ouvrière, diminuent d’autant les possibilités que le renversement du capitalisme débouche sur la dictature d’une caste parasitaire. Par ailleurs, les merveilles de la technologie moderne, par exemple l’informatique, rendront d’immenses services aux tâches de planification démocratique de la production. Les progrès de l’économie et l’élévation du niveau de vie des masses en seront d’autant plus rapides. Tous les délais seront raccourcis, y compris le développement international de la révolution.

A l’échelle de l’histoire, jamais les conditions matérielles et culturelles d’une révolution socialiste n’ont été aussi favorables. Mais la crise organique du capitalisme signifie que ces conditions ne progressent plus ; au contraire, elles régressent. Il n’en est que plus urgent de construire des partis et une Internationale révolutionnaires déterminés à mobiliser les travailleurs du monde entier vers la conquête du pouvoir. C’est ce qui manque : le facteur subjectif. Le mouvement ouvrier doit tourner la page du réformisme et renouer avec les idées du marxisme – et donc avec l’objectif de remplacer « l’économie de marché » et ses souffrances inouïes par une planification socialiste et démocratique de la production. Elle seule permettra de libérer l’humanité de l’exploitation et de toutes les formes d’oppression.