« L’Europe est gravement malade. Il ne s’agit pas de certaines banques, toute la branche est sous pression. » Ce bilan fut tiré par l’économiste principal de la Deutsche Bank, David Folkerts-Landau, au moment de l’essor de la crise bancaire en Italie cet été. Quelques mois plus tard, c’est le cours d’actions de la Deutsche Bank elle-même qui se retrouve au niveau le plus bas depuis 1983. L’analyse de Folkerts-Landau est pertinente dans le sens où les problèmes des banques européennes ont le caractère symptomatique d’une crise plus profonde qui touche la branche entière. Il est illusoire de penser que la place financière suisse serait à l’abri de cette crise plus profonde. En effet, les cours d’actions des deux banques principales en Suisse, UBS et le Crédit Suisse, ont également chuté de 35% (UBS) et de 50% (CS) depuis le début de l’année. Ce manque chronique de confiance en la place financière se manifeste donc presque aussi nettement pour les grandes banques suisses que pour la plus grande banque allemande, la DB (-55%). Comme l’évoque Andreas Venditi, économiste de la banque suisse Vontobel : « Ce qui se passe à la bourse a toujours une raison. Si un secteur perd 30-50% dans une période de six mois, ceci est causé par des raisons fondamentales. » Comme nous allons le voir, ces raisons fondamentales sont intimement liées à la crise mondiale du capitalisme. L’accent sera mis sur UBS et le CS, ce qui est justifié par leur importance non seulement pour le secteur financier suisse, mais pour l’économie mondiale. Les deux banques, à elles seules, représentent presque la moitié du total consolidé des bilans de toutes les banques suisses. Elles font partie des banques mondiales qualifiées de « too big to fail » par les autorités états-uniennes car leur faillite intempestive mettrait en danger l’ensemble du système financier, secteur pesant pour 10% du PIB suisse.
Les investissements non rentables
La gestion de fortune et le « Investment Banking » constituent les deux secteurs d’activités principaux d’UBS et du CS. En ce qui concerne le secteur du « Investment Banking », on constate que les jours glorieux d’avant la crise de 2008 sont passés. Lors du premier trimestre 2016, les banques d’investissements mondiales, dont UBS et le CS font partie, ont enregistré les revenus les plus bas depuis l’année catastrophique de 2009. Dans son dernier rapport sur la stabilité financière des banques d’investissements, le Fonds Monétaire International (FMI) constate un niveau de rentabilité structurellement bas. Le FMI en déduit lui-même qu’il doit y avoir des crédits irrécouvrables et des surcapacités qui devraient être diminués. Les deux grandes banques suisses font également face à de telles difficultés. Dans le cas du CS, ces crédits irrécouvrables peuvent, entre autres, être trouvés dans une entreprise de charbon surendettée en Indonésie ou bien dans le tiers de la flotte immobilisée de l’entreprise « Hanjiin Shipping » en Corée du Sud. Les investissements scandaleux d’UBS, bien que moins médiatisés, sont tout aussi présents. UBS dispose d’un dérivé de crédit italien de 15 milliards de francs suisses et a investi en Espagne ; deux pays de l’épicentre de la crise financière actuelle en Europe. Ces investissements vont de pair avec le développement de l’économie réelle ; en situation de crise de surproduction, des crédits qui paraissaient être des affaires sûres deviennent irrécouvrables. Les surcapacités qui avaient ainsi été crées par une expansion des marchés au-delà de leur frontière grâce à des extensions de crédits, renforcent la crise économique.
La source du problème
Les investissements bancaires ne signifient rien d’autre qu’une mise à disposition de crédits à d’autres entreprises ayant constamment besoin d’accroître leur productivité en réinvestissant du capital sous pression concurrentielle. Les entreprises ont besoin de crédits qui en retour nourrissent la surproduction. En contribuant au renforcement de la crise de surproduction, les banques détruisent elles-mêmes des capacités de futurs investissements rentables. Ce processus dialectique aboutit par sa propre nécessité à des investissements trop risqués où les crédits ne peuvent plus être remboursés par les entreprises.
Un exemple récent démontrant la crise de surproduction actuelle constitue les deux milles marins de Hanjin Shipping auxquels l’accès aux ports est refusé et qui sont donc coincés dans la mer depuis la faillite de l’entreprise sud-coréenne en septembre de cette année. Les divers préteurs de Hanjin Shipping avaient surestimé le potentiel du marché des transports outre-mer et voient leurs crédits gaspillés en forme de marins sans utilité. Marx décrit ce processus de la manière suivante : « Toute l’essence du crédit, et de « l’overtrading » et de « l’overspeculation » qui vont avec, repose sur la nécessité d’élargir et de sauter au-dessus des bornes de la circulation et de la sphère d’échange. » Il faut faire le constat crucial que ce processus de réinvestissement dans les moyens de production est limité par son propre déroulement. C’est à cause de cette contradiction centrale que la fonction des investissements s’inverse à un moment donné ; les crédits ne permettent plus d’élargir les capacités de production et ne sont plus une source de profit pour les banques, ils contribuent désormais à générer des surcapacités et se transforment en dettes.
Les implications pour la gestion de fortune
Avec UBS, plus grande gestionnaire de fortune à l’échelle mondiale, et le CS se trouvant à la quatrième place au niveau mondial, cette activité bancaire constitue le secteur clé de la place financière suisse. Après la crise de 2008, les plans de reconstruction des banques suisses visaient notamment à renforcer ce secteur clé. Elles s’étaient déjà brulées les ailes dans des investissements à risques élevés lors de l’éclatement de la crise financière. D’ailleurs, le CS et UBS sont, comme la DB, accusés de vente d’obligations sécurisées contribuant à la crise hypothécaire en 2008. Les deux instituts suisses ont déjà mis de côté des fonds pour payer des amendes importantes. De tels imbroglios financiers et légaux constituent un risque considérable pour leur spécialisation dans la gestion de fortune. Du coup, afin de protéger leurs bases financières et ainsi assurer leurs solvabilités – ce qui est crucial pour les gros propriétaires de capitaux qui cherchent à placer leur argent auprès de banques suisses – il fallait réduire la place des investissements dans leurs bilans. Les banques suisses n’étaient pourtant pas les seules à poursuivre cette stratégie. Il en résulte une pression internationale dans ce domaine, parvenant surtout du secteur financier états-unien. Les banques suisses ont été condamnées à de multiples reprises en matière de fraude fiscale par les Etats-Unis depuis 2009. UBS et le CS ont dû céder à la pression montante et doivent désormais fournir leurs informations sur les clients états-uniens. Entretemps, la Suisse a signé des accords d’échange automatique des renseignements (EAR) avec une quarantaine d’autres pays, ce qui signifie le début de la fin du « glorieux » secret bancaire. Résultat : 850 milliards de francs suisses ont été retirés des comptes bancaires suisses depuis 2009, chiffre net bien entendu. Le noyau de la prospérité financière suisse a, sans doute, perdu un de ses piliers portants des derniers cents ans. Le conseil fédéral, en bon représentant des intérêts du capital helvétique, se voit obligé de réagir et a déjà annoncé ses intentions de soutenir les grandes banques dans le rétablissement de leur rentabilité sous forme de cadeaux fiscaux ; une sorte de RIE3 pour les banques.
Les conséquences
Tenant compte de cette baisse de revenus et des risques croissants dans le secteur de l’investissement, les banques suisses se retournent de plus en plus vers la gestion de fortune. La compétition élevée qui en résulte signifie un facteur additionnel contribuant à la diminution de profitabilité en matière de la gestion de fortune. Au-delà, ce secteur traditionnellement essentiel pour UBS et le CS subit lui-même des mesures appliquées par les autorités monétaires pour faire face à la crise. Notamment des taux d’intérêts émis par la Banque Centrale Européenne et la Banque Nationale Suisse à des niveaux historiquement les plus bas qui auraient comme objectif d’inciter les entreprises à prendre des crédits et investir. Pour les banques européennes, cette baisse forcée du taux d’intérêt implique cependant une chute des revenus sur la gestion des fortunes. En effet, ces revenus ont chuté de 37% pour UBS et de 10% pour le CS au premier semestre 2016 en comparaison annuelle. Nous pouvons en conclure que les stratégies de « réorientation » des grandes banques ne portent et ne porteront pas leurs fruits. Elles ne constituent pas le chemin vers la sortie de la crise, au contraire, elles sont directement ou indirectement le résultat des circonstances provoquées par la crise de surproduction non dépassée de 2008.
En direction du krach ?
Les deux banques mondiales suisses s’enfoncent de plus en plus dans une impasse incontournable. Lors du troisième trimestre cette année, UBS a annoncé des déclins de profits de 60% par rapport à l’année 2015, touchant la quasi-totalité de ses secteurs et de la part du CS on s’attend à nouveau à des chiffres rouges. Ce dernier se trouve à la troisième place du classement du FMI concernant la contribution aux risques systémiques, donc pas loin de la DB (1ère place). On entend par là la somme nette des pertes de capitaux que pourraient engendrer une crise en Suisse dans un autre pays. On voit qu’aujourd’hui, l’interdépendance des banques au niveau mondial est une source d’instabilité alors qu’elle était une source de croissance dans la période de pré-crise expansive. Selon une recherche de la banque Vontobel, UBS risque actuellement 7,5 milliards de francs d’amende et les sanctions contre le CS pourraient s’élever jusqu’à 5,5 milliards de francs. Lors de telles incidents juridiques et politiques, l’impasse des banques ne peut plus être camouflée. En cas de nouvelle crise bancaire, le mouvement ouvrier doit reprendre la revendication, déjà portée haut et fort en 2008, d’étatiser toutes les banques sous un contrôle démocratique des employé(e)s, de l’Etat et des syndicats.
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