En février dernier, une grève générale paralysait Haïti. Elle était dirigée contre la pauvreté croissante des masses et la corruption avérée du gouvernement. Ce mouvement prolonge la grève générale de l’été 2018 (contre l’augmentation du prix de l’essence) et les manifestations massives provoquées, en novembre dernier, par un énorme scandale de corruption impliquant directement le gouvernement.
PetroCaribe
En 2006, Haïti a rejoint l’alliance PetroCaribe. Cette alliance entre le Venezuela, des pays d’Amérique centrale et des Caraïbes permettait à ces derniers d’acheter au Venezuela du pétrole à des prix très inférieurs aux cours du marché mondial. L’objectif déclaré était de permettre à ces pays d’investir davantage dans la santé publique, l’éducation, les infrastructures, etc. Mais, au fil des années, Haïti n’a rien vu venir. La population a fini par se demander où passait tout l’argent économisé grâce à PetroCaribe.
En 2016 et 2017, le Sénat haïtien a révélé que près de 2 milliards de dollars avaient été détournés des fonds de PetroCaribe par les élites politiques du pays. En janvier 2019, un nouveau rapport a révélé l’implication de ministres du précédent gouvernement, dont l’actuel Président, Jovenel Moïse. Et pourtant, il n’y a eu ni poursuites judiciaires ni arrestations.
La situation du pays n’a cessé de se détériorer. En octobre 2017, suite aux sanctions imposées au Venezuela par les Etats-Unis, Haïti a dû quitter l’alliance PetroCaribe. Or, la plupart des Haïtiens dépendent beaucoup de l’essence pour satisfaire leurs besoins quotidiens (transports, électricité, chauffage, etc.) Le gouvernement s’est alors tourné vers le FMI, qui a proposé de lui prêter des millions de dollars – à condition de mener des privatisations et d’arrêter les subventions de l’essence. En conséquence, son prix a brutalement augmenté, ce qui a précipité les grèves et manifestations de juillet 2018 – et entraîné la démission du Premier ministre de l’époque.
Privé d’accord avec le Venezuela, Haïti doit acheter son pétrole aux Etats-Unis à des tarifs prohibitifs. Une pénurie d’essence s’en est suivie. La masse des Haïtiens se retrouve de nouveau plongée dans une misère noire, non loin de la famine.
Trahison de la révolution vénézuélienne
Le 10 janvier dernier, lors d’une réunion de l’Organisation des Etats américains, le gouvernement haïtien a voté – comme les Etats-Unis – pour condamner le gouvernement de Maduro, qualifié d’illégitime. Les poches pleines, les élites haïtiennes trahissent le Venezuela, auquel la classe ouvrière haïtienne se sent unie par une solidarité révolutionnaire concrète. Des appels à manifester en solidarité avec le Venezuela ont débouché sur une gigantesque manifestation, le 7 février. Le pays était paralysé. Le mouvement avançait trois revendications : la démission immédiate du président Moïse, l’arrestation des politiciens corrompus qui ont détourné l’argent de PetroCaribe et l’opposition à l’ingérence impérialiste au Venezuela.
Mais lorsque Moïse s’est exprimé, le 15 février, il a refusé de démissionner et a rejeté toutes les revendications de l’opposition. Il s’appuie sur la police pour réprimer le mouvement dans le sang. Ceci dit, cette tactique a ses limites – et de fortes tensions sont apparues au sein de la police. En réalité, le gouvernement de Moïse est très affaibli. Il est complètement discrédité.
La question du pouvoir
Fin février, le mouvement des masses marquait un reflux. Mais cela pourrait n’être que temporaire. Si le mouvement reprend dans les semaines à venir, le gouvernement pourrait tomber. La question du pouvoir serait alors posée. Qu’est-ce qui doit remplacer le gouvernement de Moïse ? Un nouveau gouvernement promu par les impérialistes (via l’ONU) prolongerait l’occupation du pays par des troupes étrangères. Il signifierait aussi la poursuite des politiques pro-capitalistes qui ont plongé le peuple dans la misère.
Les masses haïtiennes doivent rejeter tout accord avec les élites du pays et les impérialistes américains. Elles doivent exiger le retrait des troupes de l’ONU. Elles doivent prendre en main le pouvoir à travers des comités de lutte liés entre eux aux niveaux local et national. Ces comités peuvent rapidement prendre en charge la distribution de denrées alimentaires, le ramassage des ordures, le transport, l’éducation et la santé. Seul un gouvernement des travailleurs, des paysans et des pauvres pourra résoudre la crise actuelle dans le pays.
Europe — de Emanuel Tomaselli, ICR Autriche — 16. 11. 2024
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