Destitution en suspend pour Park
Depuis leur début en octobre, les manifestations ont gagné en puissance. Le 12 novembre, le nombre de personnes descendues dans les rues de Séoul, Busan et d’autres villes du pays, était le plus grand depuis le mouvement de démocratisation de 1987, qui fit tomber la dictature militaire.
La vague de protestation qui suivit fit plus que doubler, avec environ 2,3 millions de participants le 3 décembre. Le jour du vote de la destitution, des centaines de manifestants entourèrent l’Assemblée nationale, entonnèrent des chants et se confrontèrent à la police. Des paysans, dont un groupe nommé après une figure historique des révoltes paysannes de 1894, garèrent leurs tracteurs au milieu des rues ; des militants organisèrent des concerts publics et des performances avec des titres tels que « Les responsables sont les Chaebols [les conglomérats de grandes entreprises sud-coréennes] », qui attirèrent une large audience. Des manifestants de tous âges brandissent des pancartes clamant : « Arrêtez Park » et beaucoup pensent que la destitution ne peut être que l’allumage des « flambeaux qui brûlent les racines du système », selon un poème faisant référence aux manifestations avec des bougies.
Le parti au pouvoir, le Saenuri, a tout tenté pour empêcher la destitution de Park. Jusqu’à ce jour, Park n’a pas accepté la décision du parlement et attend le jugement de la Cour Constitutionnelle. Celle-ci s’est réunie pour la première fois cette semaine. La capitulation du parlement sous l’effet des manifestations est un signal fort pour le peuple, qui tire déjà un parallèle entre la situation actuelle et le mouvement de démocratisation des années 1980. Selon un professeur à l’université de Séoul :
« Les législateurs ne destituent pas la présidente. Tout ce qu’ils font c’est de voter la destitution. La présidente n’est pas destituée par eux, mais par le peuple. »
L’idée se répand parmi les masses de leur capacité à obtenir de vrais changements par la rue, ce qui inquiète la classe dirigeante. Pour contrer ceci, et afin de gagner du temps pour user le mouvement, le Saenuri a suggéré le retrait de Park en avril 2017, « dans l’ordre et le calme ». Ses membres ont également proposé une coalition, c’est-à-dire un gouvernement d’union nationale avec des forces d’opposition, et ont ravivé des causeries parlementaires au sujet d’une réforme constitutionnelle. En vain. La massive démonstration de force de la population a obligé les partis libéraux d’opposition – le parti Minjoo (121 sièges sur 300), le Parti du Peuple (38 sièges) et le Parti de la Justice (6 sièges)- à soutenir la destitution. Comme l’a justement exprimé un des députés de l’opposition :
« Pourquoi devrions-nous nous inquiéter de l’échec de la destitution ? Si c’est le cas, le Saenuri sera écrasé aux prochaines élections présidentielles ; nous n’avons donc rien à perdre. »
Les partis d’opposition, tous comme les députés du Saenuri qui soutinrent la destitution, savaient pertinemment qu’en cas de non retrait de Park, l’indignation publique les aurait écrasés. Le taux de soutien aux mesures prises par la présidente était alors de 4% et une écrasante majorité – 78% de la population- approuvait la destitution. De peur que le mouvement devienne hors de contrôle, une large part de la classe dirigeante décida d’intervenir pour empêcher une véritable révolution.
Le mécontentement envers la présidence de Park Geun-Hye qui frémissait jusqu’alors sous la surface, avec quelques (remarquables) explosions de grèves et de manifestations depuis sa prise de fonction en 2012, est devenu aujourd’hui un mouvement de masse qui a fait culbuter un leader sud-coréen.
Mais qu’est-ce qui a mené à la crise du gouvernement de Park, et que pouvons-nous en attendre ?
Les erreurs passées de Park
L’étincelle qui a allumé le mouvement de protestation a été la révélation que Choi Sun-Sil, une confidente de la présidente qui n’a aucunement été élue, s’est ingérée dans les affaires du gouvernement et a conseillé Park Geun-Hye pendant des années. La chaîne JTBC a publié des discours de la présidente, trouvés sur une tablette appartenant à Choi, annotés et modifiés par celle qui est appelée depuis lors la « Raspoutine sud-coréenne ». Les dernières semaines d’investigations ont également révélé l’usage fait par Choi de ses connexions personnelles pour allouer d’importantes sommes d’argent à ses organisations « non lucratives », liées au sport ou aux médias. De grandes entreprises comme Samsung, Hyundai et Lotte sont impliquées dans ce système de corruption. Dans l’une des plus prestigieuses universités du pays, l’université Ewha, les étudiants ont mené un sit-in de 86 jours contre l’admission non-méritée de la fille de Choi.
Bien évidemment, la corruption et le népotisme ne sont pas chose nouvelle en Corée du Sud. Mais cette fois-ci était la fois de trop. Depuis que Park, la fille du l’ancien dictateur militaire Park Chung-Hee, a remporté les élections présidentielles en 2012, le mécontentement s’est accru au sein de la population.
Promesses rompues
Park a mené une campagne promettant de « sauver la classe moyenne » : de meilleures conditions de vie, un système de santé amélioré, plus d’opportunités pour les petites et moyennes entreprises… Elle a également joué de son genre pour justifier ses soi-disant positions progressistes. La réalité a montré tout le contraire.
Sous Park, le système de santé a été encore plus privatisé à travers la fermeture des hôpitaux publics, l’allocation de subventions pour plus de profit, et la réduction de la couverture maladie. En outre, la gestion des réseaux de distribution d’eau, de gaz et d’électricité a continué à être déléguée à des compagnies privées. L’administration Park a également posé les premiers jalons vers la privatisation de la compagnie de chemins de fer Korean Railways en la scindant en plusieurs filiales concurrentes. Park a aussi mis la législation sur le travail à l’ordre du jour de l’agenda politique, ce qui devrait mener à une précarisation massive du travail. Son gouvernement a notamment introduit les salaires selon performances, ce qui va faciliter le licenciement des travailleurs et réduire jusqu’à 40% le montant des salaires dans les secteurs public et financier. Enfin, le taux de chômage parmi les jeunes a atteint cette année les 9%, et le pays arrive à la seconde place des pays de l’OCDE avec le plus grand nombre de travailleurs à bas salaires, après les Etats-Unis.
Cette offensive multiple contre les conditions de vie des travailleurs a provoqué un nombre croissant de grèves. Rien qu’en septembre 2016, 400 travailleurs de l’hôpital de l’université nationale de Séoul firent grève, ainsi que 50 000 travailleurs de Hyundai (la première grève générale de l’entreprise en 12 ans) ; les 22 et 23 septembre, les syndicats de l’industrie financière coréenne et des industries publiques coréennes organisèrent des grèves et des manifestations qui ont rassemblé jusqu’à 60 000 personnes. De plus, les chemins de fer coréens firent grève pendant plusieurs semaines, rejoints par les travailleurs du métro de Séoul, où 30% de la main d’œuvre totale participèrent à un débrayage de 3 jours.
Toute résistance de la part des travailleurs a rencontré une répression brutale de l’Etat. La plus radicale Confédération coréenne des syndicats (KCTU) a appelé à de nombreuses grèves générales au cours des dernières années : la police a effectué une descente dans les bureaux de la confédération, et le syndicat des enseignants et travailleurs de l’éducation a été déclaré hors-la-loi. Après une grève générale le 14 novembre 2015, le président du KCTU, Han San-Gyun, fut condamné à 5 ans de prison pour avoir organisé le mouvement. A cette même occasion, un paysan militant, Baek Nam-Gi, fut battu par la police anti-émeute et mourut quelques mois plus tard, plongé dans le coma.
Park a réagi à toute expression de grogne par des mesures extrêmes, allant jusqu’à invoquer la loi nationale militaire – utilisée le plus souvent en période de dictature- pour réprimer les manifestations. Elle s’est montrée totalement déconnectée de la réalité des Sud-coréens. En voici une illustration : suite à une mauvaise gestion et une sécurité laxiste, le ferry Sewol fit naufrage en avril 2014, entraînant la mort de 300 personnes, dont une majorité d’écoliers. Pendant plusieurs heures après l’accident, Park n’est pas apparue en public, ce qui a provoqué une grande révolte parmi la population. Actuellement, le collectif des victimes du Sewol est un des groupes les plus actifs au sein du mouvement.
Park a également essayé de modifier le contenu des programmes scolaires pour présenter la dictature de son père sous un jour plus favorable. Elle a aussi déclaré illégal le second plus grand parti d’opposition – le parti progressif uni- avant les élections générales de 2014, en l’accusant de soutenir la Corée du Nord et de fomenter une rébellion.
La Corée du Sud dans la tourmente de la crise mondiale
Même s’il est clair que Park n’éprouve que du mépris pour les syndicats et les droits des travailleurs, elle n’avait pas beaucoup de marge de manœuvre en termes de politique économique…
La crise mondiale du capitalisme a eu un impact significatif sur la Corée du Sud. Dans les limites du capitalisme, il n’y a pas de place pour des réformes progressistes ou de petites concessions comme celles proposées par Park durant sa campagne électorale. Les exportations de la Corée du Sud, sur lesquelles repose toute son économie, ont décru pendant 21 des 23 derniers mois. Pour trois trimestres d’affilée, la croissance est restée sous les 1%. L’été dernier, la surcapacité du secteur du transport maritime a provoqué la faillite de Korean Hanjin Shipping, la septième plus grande compagnie maritime mondiale. Ce sont des conséquences directes du ralentissement de l’économie chinoise, premier destinataire (pour 26%) des exportations sud-coréennes. Le scandale de Samsung et des batteries explosives du Galaxy Note 7 a contribué à aggraver la situation économique.
Au même moment, le relatif déclin de l’impérialisme américain a modifié les relations internationales dans la région. L’armée américaine était le plus fort allié de la Corée du Sud contre celle du Nord, et soutenait une ligne dure contre la dictature de Kim. Mais l’autorité des Etats-Unis en Asie a pâti de la démonstration de sa faiblesse au Moyen-Orient. La Chine joue désormais un rôle croissant dans les calculs de la Corée du Sud pour gérer son voisin stalinien. La Corée du Nord utilise la situation dans son propre intérêt et monte la Chine contre la Corée du Sud et les Etats-Unis.
Ceci a poussé la Corée du Sud à signer un accord de partage de renseignements militaires avec son ancien maître colonial, le Japon. Bien que la Corée du Sud et le Japon aient l’habitude de collaborer sur le terrain économique, depuis la défaite japonaise de 1945, les politiciens de la Corée du Sud ont toujours veillé à maintenir une rhétorique anti-japonaise qui trouvait écho auprès de la population. Il n’est donc pas surprenant que l’accord militaire récent signé par le premier ministre japonais Abe Shinzo et Park Geun-Hye soit rejeté par 70% de la population.
Park se retrouve donc coincée entre les injonctions du système en crise qu’elle représente, et les demandes du peuple, dont les intérêts sont diamétralement opposés à ceux du capitalisme.
Pour comprendre la colère de la population contre Park Geun-Hye, ainsi que la corruption dans laquelle baignent les gigantesques conglomérats économiques appelés Chaebol, il faut analyser le développement de la classe dirigeante sud-coréenne et ses liens très proches avec la clique politique, et voir comment ces étapes ont chaque fois été accompagnées de mouvements de masse de la part de la population opprimée.
La classe dirigeante de Corée du Sud… et ses plus grandes peurs
L’oligarchie économique de la Corée du Sud, les Chaebol, remonte à la fin de la période coloniale japonaise en 1945. Lorsque les Etats-Unis débarquèrent sur la péninsule après la seconde guerre mondiale, ils firent face à un mouvement révolutionnaire secouant tout le pays. Cependant, comme environ 80% du capital avait été tenu par les Japonais, il n’y avait pas de classe capitaliste coréenne pour s’opposer à ce mouvement de paysans et de travailleurs. Avec l’aide du stalinisme, qui n’avait aucun intérêt à une véritable révolution, la situation fut résolue en séparant le Nord du Sud et en supprimant brutalement le mouvement révolutionnaire (par exemple, avec le massacre de Jeju en 1948, au cours duquel 30 000 personnes furent tuées par le nouveau gouvernement soutenu par les Etats-Unis).
Après la division formelle du pays entre l’Union soviétique et les Etats-Unis en 1948, ces derniers établirent un régime basé sur l’ancien appareil colonial, en intégrant d’anciens serviteurs du régime japonais. En 1950, quelques compagnies comme Samsung et Hyundai, qui deviendront plus tard des Chaebols, bénéficièrent d’accords commerciaux qui protégeaient l’industrie domestique des capitaux étrangers (ces mesures ne furent acceptées par les Etats-Unis qu’à cause de la guerre froide) et commencèrent à poser les fondements de la classe capitaliste actuelle.
La première république de Corée du Sud ne dura même pas 20 ans avant que survienne la « révolution d’avril » – une vague de protestations menée principalement par des étudiants, et déclenchée par le meurtre d’un étudiant par la police – qui renversa Rhee Syng-Man et son gouvernement. Après un an sous un gouvernement démocrate libéral instable, le général Park Chung-Hee (le père de la présidente actuelle Park Geun-Hye) prit le pouvoir par un coup d’Etat en 1961. Il proclama la 3ème république, qui devint ensuite la 4ème république après l’introduction de la constitution de Yushin, donnant tous les pouvoirs à Park en 1972. Sous son règne, les anciens comme les nouveaux Cheabols tels que Daewoo et Lotte devinrent systématiquement d’énormes conglomérats. Une industrie lourde fut construite en contrôlant les investissements et grâce à une forte aide financière des Etats-Unis, à des crédits subventionnés, à l’allocation des terres, etc, par un Etat militaire bonapartiste.
Ce mouvement alla de pair avec une rapide urbanisation et prolétarisation de la force de travail. Comme nous le soulignions dans un précédent article[1], c’est en 1970 et 1980 que les travailleurs coréens commencèrent à tenter de créer des syndicats de base pour contourner les fédérations contrôlées par le gouvernement. Lorsque Park Chung-Hee fut tué par son propre chef de la sécurité en 1979, l’absence d’une classe ouvrière forte et organisée laissa un vide politique. Très rapidement, le général Chun Doo-Hwan afficha ses ambitions de prendre le pouvoir par un coup d’Etat. Ceci déclencha un autre mouvement qui atteignit son apogée avec la création d’une armée populaire par les habitants de Gwangju et la prise du pouvoir dans leur ville durant 10 jours, du 18 au 27 mai 1980. A la fin, cette révolte fur réprimée dans le sang, ouvrant la voie à 7 années supplémentaires de régime militaire.
Les relations entre l’Etat et les capitalistes de Corée du Sud ont toujours été tissées autour de relations personnelles, de mariages, de liens de parenté et de corruption flagrante. Mais, alors qu’en 1970, l’Etat avait le contrôle, la situation changea dans les années 1980 avec Chun Doo-Hwan. Ses tentatives de poursuivre les propriétaires Chaebol pour accumulation illégale de richesses, et de restructurer les conglomérats se soldèrent par un échec. Les bases d’un régime bonapartiste s’érodaient rapidement suite à la montée d’une classe ouvrière forte et d’une classe capitaliste de plus en plus confiante. Les militaires étaient de plus en plus isolés et incapables de manœuvrer. Le coup de grâce fut porté au régime par le mouvement Minjung (« masses populaires »), juste avant les jeux olympiques qui devaient avoir lieu à Séoul en 1987.
Ce mouvement de masse très inspirant impliqua toutes les couches de la population. Il développa même ses propres formes d’art, ses théories de l’Histoire et sa théologie (influencée par la théologie de la libération d’Amérique latine), et incita des intellectuels de gauche comme Park Hyun-Chae à renommer la classe coréenne opprimée en classe « Minjung ». Un solide parti des travailleurs aurait pu aisément mener ce mouvement à une révolution ; mais en l’absence d’une telle alternative, la chute de Chun Doo-Hwan donna simplement le champ libre à plusieurs présidents libéraux entre 1990 et 2000.
La dérégulation financière se poursuivit ; les Chaebols eurent accès au crédit sur les marchés internationaux. Ceci mena à une grande bulle des crédits et de l’immobilier qui explosa lors de la crise asiatique de 1997. Les conglomérats étaient devenus extrêmement diversifiés, avec un pied dans tous les secteurs économiques. En 1997, 30 firmes contrôlaient plus de la moitié des actions de Corée du Sud ; elles avaient également accumulée la plupart de la dette. Les 5 plus grands Chaebols représentaient 55% de tous les prêts bancaires domestiques alors que 43% des parts des Chaebols appartenaient à leurs familles immédiates.
Bien que la plupart des Chaebols fut renflouée, la crise servit néanmoins à mettre en œuvre une régulation un peu plus stricte du secteur financier (par exemple en créant la possibilité légale pour les banques de faire faillite, une plus grande indépendance entre la Banque de Corée et le gouvernement, et une agence non-gouvernementale de contrôle financier), et quelques grandes entreprises furent même déclarées en faillite. La crise provoqua également une grande vague de grèves en 1997-1998. Mais, de nouveau, à cause d’un manque de leadership révolutionnaire, ce mouvement de masse n’aboutit pas à un changement décisif. A part quelques changements cosmétiques pendant les années de crise, le pouvoir en Corée du Sud demeura largement aux mains des Chaebols.
Les partis d’opposition ne sont pas une solution
L’élite économique de Corée du Sud est plus homogène que ses équivalents dans d’autres pays, mais ses amis politiques le sont bien moins. Les partis ou formations politiques de Corée du Sud sont assez instables. Aucun des principaux partis n’a tenu plus de 2 ans sans scissions, fusions et changements de nom. Même le bastion des Chaebols, le Saenuri, malgré des racines puisant dans le Parti Démocratique Républicain du dictateur Park Chung-Hee, a subi de nombreuses transformations et n’est arrivé à son nom actuel qu’après la crise interne du parti Hannara en 2013. Suite au scandale actuel autour de Park, le Saenuri est de nouveau au bord de la scission.
Cette instabilité politique est le reflet des problèmes liés à l’unification des intérêts de la classe parasite et pourrie des Chaebols avec l’illusion d’une démocratie bourgeoise. Dans ce système truqué, le remplacement du gouvernement Saenuri par une autre sorte de coalition ne résoudra aucun des problèmes auxquels sont confrontés les travailleurs et la jeunesse. L’ancien président Roh Moo-Hyun, en fonction de 2003 à 2008, est un exemple clair de la faiblesse de tout gouvernement qui voudra gouverner dans les limites du capitalisme sud-coréen. Issu d’une famille de paysans pauvres, Roh, un avocat des droits de l’Homme, a gagné la sympathie de nombreux électeurs. On peut supposer qu’il est arrivé en politique avec les meilleures intentions et a essayé de s’attaquer par de nombreux moyens à la corruption rampante du système politique sud-coréen. Cependant, il dut rapidement se rendre compte que, seul, il n’avait aucune chance de lutter contre le système. A la fin de sa carrière, il fut entraîné dans un scandale de corruption, traité sans pitié par les médias, et mit tragiquement fin à sa vie en 2009.
Il faut une véritable alternative
Le vote de destitution par le Parlement fut une grande victoire pour les masses. C’est un signe que la classe dirigeante, ou une grande partie de la classe dirigeante, a peur de perdre le contrôle. Elle veut désormais faire des concessions par le haut, pour éviter une révolution par le bas. Mais cette victoire ne fera que stimuler les masses. Le véritable problème de la classe dirigeante est qu’elle ne peut pas satisfaire les exigences des travailleurs sud-coréens. Elle pourrait gagner un peu de temps en se débarrassant de Park, mais cela ne changerait rien de fondamental : la corruption, un fossé grandissant entre riches et pauvres, les inégalités et l’immense pouvoir des Chaebols continueront de grandir.
Entretemps, les partis traditionnels de la classe dirigeante sont plus discrédités que jamais. Ce fait, combiné avec une confiance grandissante des travailleurs dans leur propre force, devrait mener à une intensification du mouvement et des affrontements avec la classe dirigeante dans les prochains mois.
La seule façon de mettre un terme à la corruption, à la misère, à la précarisation du travail, est de renverser le système actuel. Les conditions sont déjà présentes dans le mouvement de masse, qui commence à questionner le système lui-même. Les travailleurs sont prêts à partir en grève et à défendre leurs droits. La classe dirigeante a peur de la confiance croissante des masses. Elle craint que le mouvement dépasse la résilience du système. Et, en effet, la seule chose qui puisse faire reculer le mouvement sont ses propres limites.
Une coalition de plusieurs associations de la société civile a organisé les énormes manifestations ; elles ont créé un comité qui se nomme « la campagne publique d’urgence pour la démission de Park Geun-Hye » et qui inclut des groupes tels que La Marche de Seoul, Solidarité pour la Démocratie Participative, l’association des Victimes du Ferry Sewol, le Parti Vert, le Parti Travailliste et la KCTU. Ensemble, ils ont travaillé durement pour mobiliser pour les manifestations, pour organiser un planning minutieux, installer les écrans, assurer la sécurité, coordonner des bus venus d’autres villes, et collecter des dons. D’après les expériences passées, on sait que la KCTU seule peut mobiliser plus de 100 000 personnes. Durant les manifestations, la Plateforme pour les Droits Humains a mis en avant des revendications comme des « salaires justes », « du travail pour les jeunes », « la rupture des règles des Chaebols »… Ces demandes sont très légitimes, mais comment les mettre en œuvre, et surtout, par qui ?
La tâche la plus urgente de la KCTU et d’autres représentants des travailleurs est de souligner très clairement les revendications qui ne tournent pas seulement autour de la démission de Park, de rejeter l’agenda politique des partis d’opposition et de combattre pour une véritable alternative pour les travailleurs. Le mouvement actuel est la rampe de lancement idéale pour un parti politique, pour organiser et généraliser la lutte. Certes, ce n’est pas une tâche facile, en particulier dans un pays qui est toujours bloqué dans une situation semblable à celle de la guerre froide, et dans lequel les syndicats sont fortement freinés par la loi. Mais l’Histoire ne connaît pas de raccourcis. Une fois qu’une organisation a été établie avec des demandes et une méthode correctes, elle peut rapidement grandir pour prendre la place encore vacante d’un parti anti-establishment des travailleurs sud-coréens. Un tel instrument donnerait énormément de pouvoir aux travailleurs pour affronter le capitalisme sud-coréen lui-même.
Après la destitution de Park, de nouvelles élections seront à l’agenda ; entretemps, tous les partis de l’establishment ont promis avec crainte de travailler ensemble dans un organe de discussion bipartisan pour éviter une crise de gouvernement. Mais un nouveau président, une grande coalition ou même un changement de constitution n’apporteront qu’une brève trêve. Les contradictions latentes ne seront pas résolues. La victoire sur Park prouve de nouveau aux Sud-coréens que le pouvoir est entre leurs mains. Une génération complète de jeunes a été politisée sous sa présidence ; ces jeunes ont appris que la rue rééquilibre le rapport de force d’un pays. Les événements récents ont ouvert une période de lutte des classes dans le pays ; des éruptions plus fortes suivront. Cette vague de protestation n’est que le signe avant-coureur de ce qui va bientôt arriver en Corée du Sud et dans toute l’Asie du Sud-Est.
L’article a initialement été publié le 5 janvier par Révolution, la section belge de la TMI
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