Il y a cinq ans que la boule de spéculation immobilière a éclaté. La crise est profonde et le gouvernement cherche des stratégies pour contrer le mécontement croissant de la population.
Depuis 2008, près de quatre millions d’emplois ont été détruits en Espagne. Le PIB a chuté de 7 % en cinq ans. Dans le secteur public, les salaires sont bloqués depuis quatre ans. Le nombre total de chômeurs s’élève à 6 millions, dont 56 % des jeunes. En janvier 2013, lorsque le musée Prado, à Madrid, a publié une offre d’emploi portant sur onze postes de surveillants, il a reçu 18 700 lettres de motivation !
Corruption
Au mois de janvier 2013, El Pais publiait des documents prouvant que des dirigeants nationaux du Parti Populaire (PP) touchaient régulièrement des sommes importantes en espèces. Il s’agissait de dons illégaux de grands groupes capitalistes – notamment du bâtiment et de la sécurité – en échange de contrats publics. Parmi les capitalistes figure le Marquis de Villar Mir, ancien franquiste et propriétaire du groupe de construction OHL. Le trésorier du PP, Luis Barcenas, tenait une double comptabilité pour dissimuler l’existence de ces transactions. Lorsque la presse a révélé le scandale, Barcenas faisait déjà l’objet d’une enquête pour fraude fiscale : il avait placé plus de 22 millions d’euros sur des comptes suisses.
C’est loin d’être la seule affaire de corruption. Un député nationaliste catalan, Xavier Crespo, est accusé d’avoir reçu de l’argent de la mafia russe. D’anciens responsables du gouvernement catalan sont accusés d’avoir détourné des fonds destinés à la formation des jeunes chômeurs. Le roi Juan Carlos s’est servi de ses prérogatives pour distribuer de l’argent public à ses amis – et à lui-même.
Quand ils sont pris la main dans le sac, les riches s’arrangent presque toujours pour éviter la prison. Ils remboursent l’argent volé, bafouillent quelques « excuses » – et l’affaire est classée. Par contre, une mère qui a été prise en train d’acheter des couches-culottes pour sa fille avec une carte de crédit trouvée dans la rue a été condamnée à de la prison ferme assortie d’une amende de 900 euros. Ce jugement a choqué l’opinion publique. Il y a une loi pour les riches et une autre pour les pauvres. Tout ceci alimente la colère et la haine envers les politiciens et les hauts fonctionnaires.
Répression au Pays Basque
Face à l’effondrement de l’économie et une situation sociale explosive, le gouvernement espagnol essaie désespérément de consolider les bases du régime au moyen de la répression. Le gouvernement espagnol multiplie les provocations contre l’ensemble de la classe ouvrière et les nationalités opprimées.
Les événements récents au Pays Basque s’inscrivent dans ce contexte. L’arrestation arbitraire de 18 militants d’Herrira – qui luttent pour l’amélioration des conditions de détention des prisonniers politiques liés à ETA – a provoqué une explosion de colère. Des dizaines de milliers de personnes sont descendues dans la rue.
ETA a déclaré un « cessez-le-feu » et n’a pas perpétré d’attentat depuis des années. La coalition nationaliste de gauche, Euskal Herria Bildu, est à deux doigts d’être la première force politique au Pays Basque ; et voilà que l’Etat espagnol y lance une politique de répression et de provocation.
Arnaldo Otegi, l’un des principaux dirigeants du mouvement indépendantiste, est incarcéré depuis 2009 sous des prétextes fallacieux. Il arrive que des militants indépendantistes inactifs depuis 30 ans soient harcelés et arrêtés. Il arrive même qu’on aille jusqu’à les chercher à l’étranger. Les prisonniers membres d’ETA sont victimes de conditions d’incarcération insupportables. Leurs familles sont harcelées et humiliées. C’est une forme de torture morale et psychologique. Placés sous un régime carcéral spécial, la « Doctrine Parot », ils ne bénéficient pas des dispositifs de « remise de peine » qui s’appliquent à d’autres détenus. Cette « doctrine » est une injustice tellement flagrante qu’elle a même été dénoncée par la Cour Européenne des Droits de l’Homme. En contraste avec ce traitement inhumain, le chef de police Enrique Galindo, ancien commando du GAL – une organisation terroriste « anti-terroriste » liée à l’Etat espagnol – a été libéré pour bonne conduite !
Manifestement, l’Etat espagnol veut complètement écraser le mouvement indépendantiste – et pas seulement ses éléments terroristes. La politique de répression visant à « maintenir l’ordre » essaye de détourner les regards du désastre économique et social provoqué par le capitalisme, ainsi que des affaires de corruption et de criminalité au sommet de l’Etat.
La Riposte* est évidemment solidaire du combat de Herrira contre les arrestations arbitraires et les conditions d’incarcération inhumaines des militants nationalistes. Cela fait partie de la lutte contre le capitalisme et contre l’Etat réactionnaire. Cependant, nous ne soutenons pas pour autant le programme et les méthodes d’ETA.
Nous défendons le droit démocratique à l’auto-détermination, mais de notre point de vue, l’indépendance du Pays Basque sur la base du capitalisme ne serait une solution ni pour les travailleurs basques, ni pour ceux du reste de la péninsule ibérique. Quant aux méthodes d’ETA, l’idée qu’une bande d’hommes et de femmes armés pourrait vaincre l’État capitaliste au moyen d’assassinats, de voitures piégées, de séquestrations, braquages et extorsions – cette idée a fait faillite dans la pratique. Après 50 ans de soi-disant « lutte armée », l’ETA n’a pas atteint ses objectifs officiels (l’indépendance et le socialisme au Pays Basque) ; le cessez-le-feu actuel en est la reconnaissance. Au contraire, indépendamment de ses intentions, les méthodes d’ETA ont servi à justifier la répression d’État et les attaques à répétition contre les droits démocratiques aux Pays Basques. Ces méthodes ont des conséquences objectivement réactionnaires et contre-productives ; elles ne sont pas celles de la classe ouvrière, de la lutte collective. Notre but n’est pas de tuer tel ministre ou tel policier, mais d’affronter et de renverser le système tout entier.
La transition démocratique discréditée
La « transition démocratique » qui est censée avoir eu lieu après la mort de Franco est de plus en plus discréditée. Les travailleurs se rendent compte que derrière les agencements de la « démocratie », c’est essentiellement le même État qui est toujours en place, au service des mêmes intérêts. Les institutions n’ont jamais été purgées des éléments fascistes, qui sont nombreux dans l’armée et les différents corps de police.
Ces éléments réactionnaires se protègent les uns les autres. Prenons le cas d’Emilio Hellin, un officier de police qui a tué une militante trotskiste en 1977, Yolanda González. C’était une jeune fille d’origine basque qui militait dans le mouvement étudiant à Madrid. A 19 ans, elle a été séquestrée et massacrée. Hellin appartenait à un groupe d’extrême droite au sein de la police, précurseur du GAL, appuyé par des éléments fascistes dans l’appareil d’État. Hellin est « tombé » pour protéger ceux qui étaient au-dessus de lui. En 1980, il a été condamné à 43 ans de prison. Mais mystérieusement, il a pu s’évader en 1987 et se rendre au Paraguay, où il a vécu sous la bienveillante protection du dictateur Stroessner. Or, il y a quelques mois, on a appris que ce même Hellin, sous un nouveau nom (Helling), est revenu en Espagne où il a longtemps travaillé comme conseiller pour différentes forces de police !
Prémisses d’une nouvelle révolution
Les perspectives pour l’Espagne ont de quoi inquiéter les capitalistes et leurs serviteurs politiques. Ils voient comment la régression sociale permanente est en train de miner l’assise des institutions de l’Etat et du capitalisme comme système social. Lors des scandales sur la corruption au sommet du Parti Populaire, le quotidien de droite ABC publiait un éditorial dans lequel il avertissait : « Nous courrons le risque, donc, de briser les maillons essentiels du régime démocratique et surtout de la légitimité du système actuel. Si le peuple espagnol ne fait plus confiance à ses politiciens, s’ils ont le sentiment que leurs votes sont inutiles, que leur volonté est détournée, tôt ou tard une rupture aura lieu, dans laquelle des extrêmes idéologiques et les opportunistes anti-système vont se développer. »
Le cours des événements en Espagne indique clairement que les prémisses d’une nouvelle révolution sont en train de prendre forme. La structure sociale de l’Espagne s’est radicalement transformée depuis la guerre civile. Le poids social et le pouvoir potentiel de la classe ouvrière ont massivement augmenté. C’est un facteur en notre faveur. Il n’empêche que cet avantage ne suffira pas pour assurer la victoire. L’issue de cette révolution, comme de celle de 1931-1939, sera décidée par le caractère de la direction du mouvement ouvrier, par son programme et sa stratégie. L’émancipation sociale et politique de tous les peuples de la péninsule passe par une lutte commune pour renverser l’État actuel et frapper à la source même du pouvoir en place – la propriété des grands capitalistes. De cette façon, il sera possible de mettre toutes les nationalités sur une base d’égalité et d’éliminer progressivement toutes les formes d’oppression.
Greg Oxley
PCF Paris
Europe — de Emanuel Tomaselli, ICR Autriche — 16. 11. 2024
Amérique du nord — de la rédaction — 13. 11. 2024
Europe — de Jack Halinski-Fitzpatrick, marxist.com — 11. 11. 2024