Suite à sa condamnation à cinq ans d’inéligibilité, il est fort possible que Marine Le Pen ne puisse pas être candidate à la prochaine élection présidentielle. Si nous comprenons la réaction positive d’une partie des travailleurs face à ce verdict – alimentée par la haine profonde qui existe envers le RN – il est nécessaire d’en comprendre le caractère politique.

Il est clair que l’extrême droite et la droite, dont Marine Le Pen et sa clique, sont nos ennemis de classe. Mais cette condamnation montre le vrai caractère de la démocratie bourgeoise et n’est pas anecdotique. Quelques juges non-élus ont écarté une candidate soutenue par des millions d’électeurs, que tous les sondages placent loin devant les autres candidats. C’est un séisme politique dont les répliques et les effets seront considérables

Une justice « indépendante » ?

Nous rejetons catégoriquement la propagande hypocrite sur « l’indépendance de la justice ». Ce verdict est conforme à l’inquiétude que le RN suscite dans une large fraction de la bourgeoisie française. Celle-ci redoute, non sans raison, qu’un gouvernement du RN aggrave l’instabilité sociale et la polarisation politique. 

Les dirigeants réformistes du mouvement ouvrier nous invitent à « respecter la justice ». Mais l’appareil judiciaire fait partie intégrante de l’appareil d’Etat bourgeois, dont le rôle est de défendre les rapports de production capitalistes et le pouvoir de la classe dirigeante. En dernière analyse, « l’Etat représentatif moderne est l’instrument de l’exploitation du travail salarié par le Capital », soulignait Engels. Prétendre que la justice française est « indépendante » et qu’il faudrait « respecter » toutes ses décisions, c’est contribuer à semer la confusion dans l’esprit des jeunes et des travailleurs – au profit de la bourgeoisie et de son appareil d’Etat.

La « justice indépendante » a harcèlé les gilets jaunes, les jeunes révoltés par le meutre de Nahel, les militants syndicaux les plus combatifs, etc. De nombreuses manifestations pro-palestiniennes ont été interdites, des militants ont été convoqués par la police – avec l’approbation des juges. Le jugement du 31 mars n’est pas une « bonne nouvelle » pour la gauche en général et pour Mélenchon en particulier. En ne s’y opposant pas fermement, le dirigeant de la FI s’expose d’autant plus au même type de verdict. 

Toute l’histoire du capitalisme français fourmille d’exemples illustrant de façon très claire le fait que la justice n’est pas indépendante : elle est un instrument entre les mains de la classe dirigeante, dirigé contre la classe ouvrière.

« Ouvrir les yeux » des électeurs du RN ?

On entend dire, notamment, que la condamnation de Marine Le Pen pourrait « ouvrir les yeux » des électeurs du RN – et  fragiliser le parti. C’est là une sérieuse erreur d’analyse et de perspective. La masse des électeurs du RN– et en particulier ses millions d’électeurs exploités et opprimés – considèrent comme plus ou moins corrompue toute la classe politique « traditionnelle » et tous les cadres dirigeants des partis « de gouvernement ». Et pour cause ! La corruption et autres magouilles gangrènent la vie politique française, comme le montre notamment un article du Monde de janvier 2024 sur les « affaires » judiciaires ayant directement concerné « vingt-six membres du gouvernement et proches collaborateurs d’Emmanuel Macron depuis 2017 »

Dans ce contexte, la condamnation de Marine Le Pen ne va pas « ouvrir les yeux » des électeurs du RN, car leurs yeux sont déjà grands ouverts. Ils savent que les magouilles et la corruption sont généralisées à tous les niveaux de la vie politique et que, la plupart du temps, la justice française absout cette corruption et ces magouilles. C’est sur cette base qu’ils apprécient le jugement du 31 mars contre Marine Le Pen. Ils y voient une confirmation de l’idée qu’elle serait une « ennemie du système » – en quoi ils se trompent, bien sûr, mais ce ne sont pas les déclarations sur « l’indépendance de la justice » qui les feront changer d’avis

Comment briser l’ascension du RN ?

L’ascension du RN s’explique par la polarisation politique vers la gauche et vers la droite, provoquée par la profonde crise du capitalisme. Cependant, cette polarisation est d’autant plus forte à droite que « la gauche » trahit et déçoit les aspirations de tous ceux dont elle censée défendre les intérêts. Lorsque la colère des masses contre la régression sociale ne trouve pas d’expression adéquate à gauche, cela ouvre un boulevard à la démagogie « anti-système » des populistes de droite. 

Ainsi, il y a un énorme décalage entre la colère croissante des masses et l’extrême modération des dirigeants officiels du mouvement ouvrier. C’est la contradiction centrale de la situation actuelle. Pour affaiblir le RN, la gauche et le mouvement syndical doivent défendre une alternative de gauche radicale à la démagogie « anti-système » de Marine Le Pen et sa clique. La France insoumise et la CGT, en particulier, devraient défendre un programme et une stratégie visant à renverser le gouvernement des riches et le remplacer par un gouvernement des travailleurs.