Bien que tous les principaux dirigeants des puissances impérialistes, de Biden à Scholz, en passant par Macron et bien d’autres, versent des larmes de crocodile sur le « nombre excessif de victimes civiles » à Gaza, ils ont dans les faits tous collaboré avec le gouvernement israélien. Non seulement avec l’aide militaire, mais aussi en étouffant tant économiquement que socialement le peuple palestinien. Ils ont contribué à créer les conditions matérielles qui rendent impossible toute autonomie palestinienne. Ils entretiennent ouvertement des relations avec Netanyahou qui, avec ses amis sionistes d’extrême droite, tente de détruire le peu qui reste du territoire palestinien.
Au-delà de la campagne militaire génocidaire à Gaza et de l’expansion constante des colonies en Cisjordanie, une autre guerre se déroule sur le front économique. Elle inclut la réduction du financement des agences d’aide de l’ONU, la rétention des recettes fiscales de l’Autorité palestinienne et le refus aux travailleurs palestiniens d’accéder aux emplois qu’ils occupaient en Israël avant le 7 octobre.
Rappelons les conditions socio-économiques qui prévalaient à Gaza et en Cisjordanie avant l’attaque du 7 octobre. Le taux de chômage net dans les territoires palestiniens, à Gaza et en Cisjordanie, s’élevait déjà à environ 25 %, même si la situation à Gaza était déjà bien plus catastrophique qu’en Cisjordanie.
Un rapport d’Oxfam datant de 2009, intitulé « ‘The Gaza Strip: A Humanitarian Implosion’ », expliquait il y a 15 ans déjà que : « La situation des 1,5 million de Palestiniens de la bande de Gaza [ils sont aujourd’hui 2,3 millions] est pire aujourd’hui qu’elle ne l’a jamais été depuis le début de l’occupation militaire israélienne en 1967. La situation actuelle à Gaza est le fait de l’homme, elle est totalement évitable… La gravité de la situation s’est accrue de manière exponentielle depuis qu’Israël a imposé des restrictions extrêmes à la circulation des biens et des personnes en réponse à la prise de contrôle de Gaza par le Hamas… » [Je souligne].
Le taux de chômage à Gaza s’élève à 40 %, mais il augmente rapidement vers les 50 %. De plus, le niveau de pauvreté à Gaza a massivement augmenté; 80 % des familles dépendent de l’aide humanitaire. Ce simple fait souligne à quel point cette aide est cruciale, comme celle fournie par des agences telles que l’UNRWA (l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient).
En 2009, la quasi-totalité de l’économie productive de Gaza avait été paralysée par l’imposition d’un blocus économique strict par Israël. L’industrie a presque cessé d’exister, l’agriculture est en crise et les milliers de travailleurs qui traversaient auparavant la frontière pour aller travailler en Israël n’ont plus d’emploi.
Le rapport parle d’une « population emprisonnée ». Dans ces conditions, le directeur de l’UNRWA a souligné que « des communautés affamées, en mauvaise santé et en colère ne font pas de bons partenaires pour la paix ». Bien entendu, le gouvernement israélien a fait la sourde oreille.
Telles étaient les conditions imposées à la population de Gaza bien avant l’attaque du 7 octobre. La raison officielle de cette politique brutale était l’émergence du Hamas comme premier parti aux élections de 2006, et la consolidation de sa position un an plus tard par une prise de contrôle armée de la bande de Gaza.
Les succès électoraux du Hamas étaient les conséquences de la désillusion généralisée de la population palestinienne à l’égard du Fatah et de l’OLP qui gouvernaient la Cisjordanie et la bande de Gaza. Cette désillusion était due à la corruption endémique et à la collaboration de facto avec les forces de sécurité israéliennes pour contrôler le peuple palestinien au lieu de le protéger.
Ainsi, le blocus économique de Gaza était un moyen de punir la population pour avoir osé soutenir une force qui ne plaisait pas aux autorités israéliennes. Le message était clair : si vous ne votez pas pour les dirigeants palestiniens qui collaborent avec Israël, nous vous étranglerons économiquement et vous bombarderons quand nous en ressentirons le besoin.
Telle était encore la situation à Gaza décrite dans un rapport de l’UNRWA datant d’août 2023 :
« L’économie et sa capacité à créer des emplois ont été dévastées, ce qui a entraîné l’appauvrissement et la déstructuration d’une société hautement qualifiée et bien éduquée. L’accès à l’eau potable et à l’électricité est toujours en état de crise et a un impact sur presque tous les aspects de la vie. 95 % de la population n’a pas accès à l’eau potable. L’électricité est disponible en moyenne 11 heures par jour depuis juillet 2023. Cependant, la pénurie continue d’électricité a gravement affecté la disponibilité des services essentiels, en particulier les services de santé, d’eau et d’assainissement, et continue de saper l’économie fragile de Gaza, en particulier les secteurs de la fabrication et de l’agriculture ».
Bien que la situation en Cisjordanie ne soit pas aussi grave qu’à Gaza, en 2021, le taux de chômage atteignait 25 % et celui des jeunes 40 %, près de 20 % d’entre eux vivant en dessous du seuil de pauvreté. La Cisjordanie dépend fortement des emplois en Israël, avec environ 23 % de la population active employée soit en Israël, soit dans les colonies israéliennes en Cisjordanie.
Aujourd’hui, le processus d’étranglement atteint de nouveaux sommets. L’acheminement de l’aide à Gaza est rendu de plus en plus difficile, voire impossible, par Israël qui limite le nombre de camions autorisés à entrer et refuse de garantir un passage sûr pour les livraisons médicales.
Avant le mois d’octobre de l’année dernière, 500 camions de fournitures entraient en moyenne chaque jour dans la bande de Gaza. En janvier, ils n’étaient plus que 140. Aujourd’hui, ils ne sont plus que 60. Dans une situation où toutes les réserves ont été épuisées, la famine est devenue endémique, en particulier dans le nord. Les gens boivent de l’eau sale et mangent tout ce qui leur tombe sous la main, y compris des aliments pour animaux.
Israël s’en prend également au financement des agences d’aide. M. Netanyahou s’est accroché au fait que, selon un dossier des services de renseignement israéliens, une douzaine de personnes employées par l’UNRWA dans la bande de Gaza (sur un total de 13 000) ont pris part, à un titre ou à un autre, à l’attentat du 7 octobre. Le Washington Post a examiné ces allégations, mais n’a pas pu les vérifier par lui-même. Philippe Lazzarini, chef de l’UNRWA, a souligné qu’Israël n’avait fourni aucune preuve de ses allégations. Il n’en reste pas moins qu’Israël s’en sert comme d’un levier pour faire plier les bras de ses alliés impérialistes.
Les médias de masse occidentaux ont relayé ces affirmations comme des faits et les États-Unis, immédiatement suivis par le Royaume-Uni, l’Allemagne, la France, l’Italie, le Canada et l’Australie, ont suspendu le financement de l’agence, sans se soucier des conséquences humanitaires dont ils semblaient tous être « très préoccupés » quelques minutes auparavant. La liste complète des pays qui ont suivi le mouvement, représente plus de la moitié du budget d’aide de l’UNRWA. Et ce, malgré le fait que, lorsque les allégations ont été présentées aux Nations unies, les personnes citées – dont certaines sont aujourd’hui décédées – ont été rapidement démises de leurs fonctions et qu’une enquête a été ouverte.
Comparez la rapidité avec laquelle les impérialistes ont coupé l’aide dont les Palestiniens de Gaza avaient désespérément besoin, à l’aide militaire qu’ils continuent d’apporter à Israël alors que ce dernier détruit tout ce qui rend la vie possible dans la Bande. Biden fait passer un projet de loi pour plus d’aide à Israël, la plupart à des fins militaires et seulement une petite fraction pour « l’aide humanitaire », avec une condition spécifique qu’aucune ne doit aller à l’UNRWA. Le contraste est flagrant.
Plus de deux millions de personnes à Gaza dépendent actuellement de l’UNRWA « pour leur stricte survie », comme l’a déclaré Philippe Lazzarini, commissaire général de l’agence. En janvier, près de 1,4 million de réfugiés gazaouis étaient hébergés dans 155 structures de l’UNRWA et 500 000 autres bénéficiaient de ses services. Johann Soufi, avocat et ancien directeur du bureau juridique de l’agence à Gaza, a déclaré à l’Agence-France Presse que la sanction de l’UNRWA, pour la responsabilité présumée de quelques employés, équivaut à punir collectivement la population gazaouie.
Depuis un certain temps, l’UNRWA fait l’objet de menaces et de réductions de son financement. Déjà en août 2018, le président américain de l’époque, Trump, avait annoncé que les États-Unis cesseraient unilatéralement leur contribution. La vérité est que le gouvernement israélien tente depuis de nombreuses années d’obtenir une réduction du financement de l’UNRWA. Les gouvernements israéliens se sont particulièrement opposés à l’agence en affirmant que sa définition du « réfugié » palestinien, qui englobe 5,9 millions de personnes, est trop large et alimente donc l’espoir qu’ils pourront un jour retourner dans leur pays d’origine.
Le problème pour les sionistes est le changement dans l’équilibre démographique entre Palestiniens et Juifs sur le territoire de la Palestine historique, c’est-à-dire en Israël, à Gaza et en Cisjordanie. Cette région compte aujourd’hui 7,4 millions de Palestiniens contre 7,2 millions de Juifs israéliens. Ce chiffre inclut les Palestiniens qui sont citoyens d’Israël – des citoyens de seconde classe avec moins de droits – qui sont près de deux millions sur une population totale de 9,3 millions d’habitants. Le taux de natalité des femmes palestiniennes est d’environ 4 enfants, contre 3 pour les femmes israéliennes.
À ce rythme, la population palestinienne globale vivant en Palestine historique continuera d’augmenter par rapport à la population juive. Cela explique également la position des sionistes extrémistes, qui souhaitent que les Palestiniens vivant en Israël soient expulsés en même temps que ceux vivant à Gaza et en Cisjordanie, et que l’émigration des Juifs d’autres pays soit accélérée, parallèlement au programme de colonisation.
Selon les estimations démographiques réalisées par le PCBS, il y avait « environ 14,3 millions de Palestiniens dans le monde à la mi-2022 », dont environ trois millions en Jordanie, les trois quarts ayant obtenu la citoyenneté jordanienne. Environ un demi-million vivent en Syrie, 400 000 au Liban, officiellement en tant que réfugiés, et environ 250 000 en Arabie saoudite. Cela signifie que 11 à 12 millions de Palestiniens vivent dans la région, le reste ayant émigré en Europe, en Amérique et dans d’autres parties du monde.
Les sionistes souhaitent qu’un nombre important de réfugiés se voient accorder la citoyenneté à part entière dans les pays où ils résident actuellement, de sorte qu’avec le temps, ils puissent être absorbés et intégrés, perdant ainsi leur statut de réfugié et mettant fin à tout espoir de retour dans leur patrie ancestrale. Le fait que les citoyens jordaniens d’origine palestinienne soient censés adopter une identité jordanienne est une illustration de ce que les sionistes aimeraient voir dans toute la région, à savoir l’élimination de facto de l’identité nationale palestinienne. Tout cela explique pourquoi le gouvernement israélien souhaite voir disparaître l’UNRWA en tant qu’organisme. Selon un article paru le 2 février dans The Guardian, l’UNRWA pourrait être contraint de mettre fin à ses opérations à Gaza si le financement n’est pas rétabli rapidement. Pour Israël, cependant, il semble que le fait de réussir à suspendre le financement de l’UNRWA ne suffise pas. Depuis le mois d’octobre, 63 installations de l’UNRWA ont été directement touchées et 69 autres ont subi des dommages plus ou moins importants. Au total, 319 personnes réfugiées dans les installations de l’UNRWA ont été tuées et plus d’un millier ont été blessées. En outre, le ministre israélien des affaires étrangères, Israël Katz, a déclaré qu’il prendra des mesures pour retirer complètement l’UNRWA de la bande de Gaza à l’issue de la guerre.
Lorsque l’Autorité palestinienne a été créée à la suite des accords d’Oslo en 1994, un accord connu sous le nom de Protocole de Paris a été établi, en vertu duquel Israël perçoit l’impôt sur le revenu pour le compte de l’Autorité palestinienne et effectue ensuite des transferts mensuels, sous réserve de l’approbation du ministère israélien des finances.
Il devait s’agir d’un accord temporaire de cinq ans, au terme duquel le contrôle devait passer à l’Autorité palestinienne. 30 ans plus tard, cette transition n’a toujours pas eu lieu. La raison en est très claire : Israël dispose ainsi d’un levier important pour faire pression sur l’Autorité palestinienne.
Même après que la bande de Gaza soit tombée sous le contrôle du Hamas en 2007, de nombreux travailleurs du secteur public y ont conservé leur emploi et ont continué à recevoir leur salaire, qui était payé avec les recettes fiscales transférées par le ministère israélien des finances. Actuellement, ce poste est occupé par Bezalel Smotrich, lui-même colon, et l’un des sionistes les plus extrémistes, ultra-orthodoxes et de droite du gouvernement de Netanyahou.
En novembre, juste après l’attaque du Hamas le 7 octobre sur le sud d’Israël, le gouvernement Netanyahou a décidé de retenir les paiements – un total de 275 millions de dollars, y compris les sommes collectées avant l’attaque – qui étaient destinés aux fonctionnaires de la bande de Gaza, arguant que ces fonds pourraient se retrouver entre les mains du Hamas. En réaction à cette suppression, l’Autorité palestinienne a refusé de recevoir les recettes réduites et a exigé le paiement de l’intégralité des sommes dues.
La dernière évolution en date est qu’Israël a retenu ces recettes fiscales, refusant de les envoyer à l’Autorité palestinienne. Au lieu de cela, il les a envoyées en Norvège, et elles ne devaient pas être débloquées sans l’approbation du gouvernement israélien. C’est M. Biden lui-même qui a demandé à M. Netanyahou d’envoyer les recettes fiscales en Norvège pour les « garder en sécurité », afin de calmer les ardeurs de ses ministres d’extrême droite qui ont insisté pour qu’aucun argent ne parvienne au Hamas à Gaza.
Depuis lors, la Norvège a accepté de transférer des fonds destinés à la Cisjordanie tout en retenant ceux prévus pour Gaza. Gaza est administrée par le Hamas, mais l’Autorité palestinienne a financé des dépenses essentielles, notamment les salaires de son personnel de santé. Maintenant que le financement a été réduit, la situation à Gaza va continuer à s’aggraver.
Chaque mois, Israël perçoit environ 188 millions de dollars de taxes pour le compte de l’Autorité palestinienne, soit 2,25 milliards de dollars par an. Ce chiffre n’est pas négligeable, puisqu’il représente 64 % des ressources de l’Autorité. À l’heure actuelle, la masse salariale de l’Autorité palestinienne compte environ 150 000 fonctionnaires, tant à Gaza qu’en Cisjordanie.
Ce blocage des fonds a eu pour conséquence de priver un grand nombre de ces employés de leur salaire total. Déjà en 2021, leurs salaires avaient été réduits de 25 % en raison de retenues constantes de la part du gouvernement israélien. L’Autorité palestinienne traverse une grave crise financière et accumule les dettes impayées. La situation est devenue si grave qu’au début du mois de février, l’Autorité palestinienne a été contrainte d’annoncer une réduction de 40 % des salaires de ses employés du secteur public.
La décision de la Norvège de débloquer les fonds destinés à la Cisjordanie s’explique par la crainte des impérialistes de voir l’AP de Cisjordanie confrontée à un effondrement imminent. La situation en Cisjordanie est déjà au bord d’une explosion sociale majeure. Les attaques incessantes des colons et des FDI contre la population locale ont fait près de 500 morts et plus de 12 000 blessés parmi les Palestiniens et ce, rien qu’en 2023.
Le fait qu’Israël ait suspendu les permis de travail d’environ 130 000 travailleurs palestiniens qui se rendaient en Israël depuis la Cisjordanie aggrave encore la situation en Cisjordanie. Au total, quelque 200 000 Palestiniens ont perdu leur emploi. Plus de la moitié d’entre eux travaillaient dans le secteur israélien de la construction. Un ouvrier palestinien du bâtiment en Israël pouvait gagner plus de 3 000 dollars par mois, ce qui permettait de garantir un niveau de vie raisonnable aux habitants de la Cisjordanie.
Cette source de revenus s’est brusquement tarie. Aujourd’hui, un grand nombre de chômeurs de Cisjordanie sont contraints de vendre tout ce qu’ils peuvent dans un effort désespéré visant à rassembler suffisamment d’argent pour nourrir leurs enfants et payer les factures. Nombre d’entre eux se sont vu couper l’eau et l’électricité pour cause de factures impayées.
Le taux de chômage dans les territoires palestiniens est passé d’environ 25 % à 47 % depuis octobre, tandis que l’économie palestinienne dans son ensemble s’est effondrée de 35 %. Aujourd’hui, une grande partie de la population vit littéralement au jour le jour, sans savoir comment elle pourra survivre jusqu’à la fin du mois.
Parallèlement à Gaza, la population est au bord de la famine, selon de nombreux observateurs sur le terrain. De nombreuses familles passent des heures chaque jour à marcher sur de longues distances et à faire la queue pour obtenir le peu de nourriture et d’eau encore disponible. Fin décembre, un rapport du Comité d’examen de la famine ( FRC) a révélé qu’au moins un quart des habitants de Gaza (plus de 500 000 personnes) étaient confrontés à la perspective d’une pénurie alimentaire extrême.
Les enfants en particulier sont les plus vulnérables dans une telle situation, surtout dans les toutes premières années, où toute période prolongée de malnutrition peut nuire au développement physique et mental. Gaza compte actuellement plus de 130 000 enfants de moins de deux ans. Par conséquent, cette situation peut avoir des effets à long terme sur leur santé, même après la fin de la guerre.
L’agriculture locale s’est complètement effondrée du fait des bombardements massifs et continus. De nombreuses infrastructures, telles que les boulangeries et les entrepôts alimentaires, ont été détruites ou forcées de fermer. Les approvisionnements alimentaires en provenance de l’extérieur de Gaza sont tout ce qui reste aux personnes qui campent à Rafah et dans les environs, ainsi que dans d’autres villes.
Action contre la faim, basée à Washington D.C., a déclaré le 17 février : « Si la situation perdure, nous assisterons à l’une des plus grandes catastrophes auxquelles nous ayons été confrontés en tant qu’humanitaires. Elle sera due à la faim, aux maladies et à l’environnement très pollué et dangereux de Gaza, dû aux résidus des milliers de bombes, au phosphore blanc, aux eaux usées brutes qui flottent partout et à l’eau insalubre que les gens consomment parce qu’ils n’ont pas d’autre choix ».
La situation au nord du territoire est vraiment dramatique. Près de 300 000 personnes vivent encore dans des conditions épouvantables. Selon un récent rapport de la BBC, dans le nord isolé de Gaza, « des enfants restent sans nourriture pendant des jours, alors que les convois d’aide se voient de plus en plus souvent refuser l’autorisation d’entrer ». Les gens meurent de faim.
Dans ces conditions de destruction quasi totale des infrastructures de base et de réduction massive de l’aide, les maladies infectieuses se propagent à une vitesse alarmante. La diarrhée a touché plus de 100 000 personnes depuis octobre, la moitié d’entre elles étant des enfants de moins de cinq ans, soit 25 fois plus que par le passé. Des dizaines de milliers d’infections respiratoires sont signalées. L’hépatite est en augmentation et de nombreuses autres maladies sont en hausse. Le Global Nutrition Cluster, partenaire de l’Unicef, a prévenu qu’une « explosion de la mortalité infantile » était imminente.
Les impérialistes ont de bonnes raisons de craindre que la situation n’atteigne un point de non-retour. Le peuple palestinien est poussé bien au-delà de ce qui est humainement tolérable. Nous sommes confrontés à la menace d’un effondrement complet de l’Autorité palestinienne en Cisjordanie, en plus de la dévastation absolue de Gaza.
Tout cela commence à inquiéter sérieusement les impérialistes, spectateurs malgré eux de l’effondrement de ces territoires. Ils voient la bombe à retardement et comprennent que si la population atteint la limite de ce qu’elle peut supporter, ils pourraient être confrontés à un soulèvement populaire général.
Ils comprennent que pour maintenir un certain degré de stabilité dans la région, il faut garantir aux Palestiniens un minimum d’existence civilisée, avec de la nourriture, un logement, des soins de santé de base, des emplois et des revenus, et au moins le semblant d’espoir de pouvoir un jour disposer d’une quelconque patrie dans laquelle ils pourront reconstruire leur vie. Dans l’état actuel des choses, ces espoirs sont détruits non seulement à Gaza, mais aussi en Cisjordanie.
Le dernier événement en date, la démission du Premier ministre palestinien Mohammad Shtayyeh, confirme la crise politique à laquelle est confrontée l’Autorité palestinienne. Il semble que sa démission s’inscrive dans le cadre d’une évolution vers une sorte de gouvernement technocratique, qui gouvernerait également la bande de Gaza une fois la guerre terminée.
Le terme « gouvernement technocratique » est un euphémisme pour désigner un gouvernement non élu qui fera passer le programme de l’élite au pouvoir. L’AP dirigée par Abbas, discréditée aux yeux de la plupart des Palestiniens, veut ainsi leur imposer les mêmes collaborateurs, mais sous un autre visage. Tel est le programme de l’impérialisme américain pour les Palestiniens.
Cependant, pour le moment, Netanyahou reste sourd. Comme nous l’avons expliqué dans un article précédent, un assaut total sur Rafah ferait basculer la situation. Cela pourrait donner lieu à un scénario dans lequel des centaines de milliers de personnes désespérées qui campent actuellement dans des tentes – peut-être jusqu’à un million – franchiraient la frontière avec l’Égypte.
Il semble désormais confirmé que les autorités égyptiennes prennent des mesures de précaution au cas où un tel scénario se concrétiserait. Les dernières images satellite semblent indiquer que des travaux sont en cours le long de la frontière égyptienne avec Gaza afin de créer une zone tampon entourée de murs pour recevoir les réfugiés palestiniens au cas où Israël lancerait son offensive terrestre sur Rafah.
Tout cela focalise l’attention des impérialistes. Ils font maintenant pression sur Netanyahou pour qu’il accepte un cessez-le-feu temporaire et lève les restrictions à l’humanitaire. Les États-Unis ont rédigé une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU, appelant à un « cessez-le-feu temporaire » à Gaza, mais avec la condition supplémentaire de « dès que possible ».
Nous ne devons pas nous faire d’illusions. L’impérialisme américain ne cherche pas à mettre fin aux bombardements sur Gaza. Il ne cherche qu’à obtenir un arrêt temporaire – ou une « pause » comme il l’appelle – afin de relâcher une partie de la pression qui s’accumule. En témoigne le fait qu’ils ont récemment opposé leur veto à une résolution de l’Algérie au Conseil de sécurité de l’ONU qui appelait à un cessez-le-feu immédiat.
Néanmoins, comme l’a souligné le Financial Times, » le recours à une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies [par les États-Unis] pour appeler à un changement de stratégie de la part d’Israël représente une étape diplomatique importante pour les États-Unis… » Sous cette pression, le gouvernement israélien a reporté au 10 mars son offensive terrestre prévue à Gaza. Il a fixé une date limite pour le lancement de l’offensive si le Hamas n’a pas libéré tous les otages d’ici là.
Cette date n’est pas un hasard. Le ramadan commence cette année le dimanche 10 mars au soir ! Lancer l’offensive terrestre sur Rafah ce jour-là aurait une signification hautement symbolique pour les musulmans du monde entier, et en particulier du Moyen-Orient. En effet, Netanyahou cracherait au visage de millions de musulmans de la région.
Dans un contexte de bouleversements sociaux de plus en plus importants au Moyen-Orient, cela pourrait conduire à des bouleversements de masse et à des mouvements d’ampleur révolutionnaire. C’est pourquoi les impérialistes, avec les États-Unis en tête, tentent de s’éloigner de l’abîme.
Ils ont désespérément besoin de quelqu’un de fiable à la tête de l’État d’Israël. Selon le New York Times, M. Gantz, ministre israélien de la défense, est considéré comme « l’adulte au sein du gouvernement israélien » et « l’homme le plus susceptible de remplacer M. Netanyahou et son gouvernement désastreux ».
Gantz est toutefois loin d’être un saint. En tant que chef d’état-major général sous Netanyahou, il s’est fait connaître pour sa gestion impitoyable de l’opération « Bordure protectrice », le bombardement de Gaza en 2014 qui a tué plus de 2 300 Palestiniens et en a mutilé plus de 10 000.
Il a récemment déclaré : « Le monde doit savoir, et les dirigeants du Hamas doivent savoir – que si d’ici le Ramadan nos otages ne sont pas rentrés chez eux, les combats continueront partout, y compris dans la région de Rafah. » Cela confirme le fait que lorsqu’il s’agit d’écraser les Palestiniens, tous les hauts responsables politiques sionistes ont la même position.
La guerre à Gaza a déjà fortement déstabilisé la région et risque de la fragiliser encore davantage. Si l’offensive sur Rafah se poursuit, elle fragilisera considérablement les régimes arabes environnants, qui seront confrontés à la menace d’un bouleversement révolutionnaire. L’onde de choc se répercuterait dans le monde entier.
Du point de vue des besoins objectifs de la classe capitaliste mondiale dans cette situation, il est logique que les impérialistes cherchent à faire reculer Netanyahou. M. Biden a maintenant annoncé avec confiance que d’ici le lundi 4 mars, un cessez-le-feu – d’une durée pouvant aller jusqu’à six semaines selon certains rapports – serait en place.
L’optimisme de M. Biden n’est cependant partagé ni en Israël ni à Gaza. Cette attitude s’explique par le fait qu’un cessez-le-feu est présenté comme une mesure temporaire et non comme un moyen de mettre fin à la guerre, l’une des principales exigences du Hamas.
Basem Naim, chef de la division politique du Hamas à Gaza, a déclaré que les annonces de M. Biden étaient « prématurées » et ne « correspondaient pas à la réalité sur le terrain », tandis que des responsables israéliens ont déclaré que le Hamas continuait à formuler des « exigences excessives ».
L’accord en cours de discussion permettrait également la libération de 40 otages détenus par le Hamas en échange de 400 prisonniers palestiniens. La majeure partie des otages restants serait donc encore aux mains du Hamas. Cela signifie que même si un tel accord était conclu, il ne donnerait qu’un sursis temporaire à la population palestinienne de Gaza et ne mettrait pas fin à la guerre.
Netanyahou continue d’insister sur le fait que, même en cas d’accord de cessez-le-feu, il poursuivra ses préparatifs en vue d’une attaque sur Rafah, ce qui ne laisse rien présager de bon. Le problème est que les intérêts généraux du capitalisme mondial ne correspondent pas aux intérêts de Netanyahou et de ses collègues du gouvernement d’extrême droite, ainsi qu’à ceux d’une partie importante de la classe dirigeante sioniste.
Même le prétendu « modéré » Gantz diffère de Netanyahou, non pas sur la question de savoir s’il faut continuer à expulser les Palestiniens du peu qui reste de leur patrie historique, mais sur le rythme et les modalités de cette expulsion. Il pourrait également être un peu plus sensible à la pression des soutiens financiers impérialistes d’Israël.
Pour Netanyahou au contraire, battre en retraite et laisser le Hamas en place à Gaza marquerait la fin de sa carrière politique. L’extrême droite provoquerait l’effondrement de son gouvernement. Il s’ensuivrait des élections, dont Netanyahou sortirait perdant, et ses problèmes juridiques dans son pays pourraient avoir de graves conséquences personnelles.
C’est ce qui explique ses dernières manœuvres visant à faire échouer les tentatives en cours pour conclure un accord avec le Hamas au sujet des otages. Il pose des conditions visant précisément à rendre impossible tout accord avec le Hamas. Selon le Times of Israel, le 25 février, des responsables ont accusé Netanyahou « d’essayer de torpiller l’accord naissant sur les otages afin d’apaiser les éléments d’extrême droite de son gouvernement ».
Netanyahou pourrait à un certain stade dépasser les bornes, ouvrant la perspective d’un conflit plus large avec l’Égypte et d’autres régimes arabes. Les escarmouches armées de plus en plus nombreuses à la frontière libanaise pourraient également conduire à une escalade dans ce pays. Tout cela mettrait un énorme coup d’arrêt au processus de normalisation auquel les impérialistes tenaient tant entre Israël et l’Arabie Saoudite, ainsi qu’avec d’autres pays de la région. Des éléments importants au sein de l’establishment israélien pourraient donc conclure à un moment donné que Netanyahou doit partir. Nous n’en sommes pas encore là, mais ses jours sont clairement comptés.
Le problème que rencontrent les impérialistes est que, parfois, ce qui est rationnel dans l’abstrait n’est pas toujours possible dans les conditions concrètes sur le terrain. Nous vivons une époque de crise sans précédent du système capitaliste mondial. La marge de manœuvre des différentes puissances, grandes et petites, est fortement réduite. Cela peut donner à des individus occupant des postes de commandement clés un pouvoir disproportionné pendant une période temporaire. Entre-temps, les conflits sur les marchés et les sphères d’influence deviennent de plus en plus intenses, les tensions étant poussées à leur paroxysme, jusqu’à la guerre ouverte où les contradictions sont les plus marquées.
Dans ce contexte, ce sont les travailleurs de tous les pays qui souffrent. Les Palestiniens sont pris dans cette contradiction, mais leur souffrance intense met également en lumière l’impasse même de tout le système. Cela explique pourquoi l’écrasante majorité des travailleurs et des jeunes, où qu’ils soient, ressentent instinctivement de l’empathie pour leur cause et s’y rallient. La lutte des classes traverse la question palestinienne comme une épaisse ligne rouge et touche tous les pays.
Il incombe aux travailleurs de tous les pays de résoudre cette contradiction, non pas en réglant tel ou tel détail, mais en déracinant l’ensemble du système capitaliste.
Europe — de Emanuel Tomaselli, ICR Autriche — 16. 11. 2024
Amérique du nord — de la rédaction — 13. 11. 2024
Europe — de Jack Halinski-Fitzpatrick, marxist.com — 11. 11. 2024