Cette année, la pride et le 14 juin se réunissent dans une ambiance pesante. Malgré les manifestations massives de ces dernières années, le mouvement semble dans l’impasse et une vague de populisme de droite « anti-woke » déferle à travers le monde. En tant que communistes, cette situation ne doit pas nous conduire au pessimisme ; elle contient en elle le potentiel de pousser la lutte contre l’oppression en avant, sur des lignes de classe.
Au cours des dernières décennies, les politiques identitaires ont été pleinement adoptées par de larges couches de la classe dominante. Des politiques de « Diversité, équité et inclusion (DEI) » au langage épicène, la bourgeoisie s’est dotée d’un vernis féministe et queer-friendly. UBS, Roche et Nestlé, entre autres, sont tous rentrés dans la merveilleuse danse du capitalisme rose. Sur le plan politique, le gouvernement suisse et ses universités ont aussi participé à ce grand spectacle.
Pourtant, aussi facilement que la bourgeoisie a adopté un visage féministe, elle lâche maintenant le « wokisme » au profit des pires politiques racistes et sexistes. L’ère du capitalisme rose est derrière nous : UBS, Roche, Novartis et Nestlé, hier héroïques défenseurs de la diversité et des quotas, abandonnent aujourd’hui leurs programmes de DEI. Partout, nous voyons émerger des mouvements populistes et des personnalités publiques ouvertement sexistes.
Cette volte-face des capitalistes ne doit pas nous surprendre : ces messieurs cherchent avant tout le profit, pas l’égalité. Finalement, la bourgeoisie s’accroche par opportunisme à l’humeur en vogue afin de déterminer les politiques de divisions les plus adaptées pour maintenir son système.
Si hier la bourgeoisie se disait féministe et anti-raciste, c’était avant tout pour usurper le mécontentement réel qui bouillonnait, en se donnant un air progressiste. Si aujourd’hui elle se sépare sans ménagement des politiques identitaires, c’est avant tout pour exploiter le rejet général du « wokisme » parmi la population, qui l’associe correctement aux politiques du statu quo.
Le bilan de ces années de capitalisme rose suffit à expliquer ce rejet. Les politiques symboliques de promotion des femmes et des personnes queers ont certes permis plus de représentation dans des conseils d’administration d’entreprises, mais dans le même temps les conditions de vie de tous les travailleurs ont continué à se dégrader !
Ces dernières décennies, entre les crises et les guerres, la classe dominante a mené un assaut général et prolongé contre la classe ouvrière, et le masque des politiques identitaires qu’elle a porté y a été pleinement associé. Si même les femmes et les latinos abandonnent aujourd’hui les Démocrates aux USA, c’est avant tout parce qu’ils détestent cette classe dominante, qu’ils cherchent n’importe quelle alternative. C’est là l’attitude de la classe ouvrière dans son ensemble.
Au mieux, les méthodes individualistes des politiques identitaires n’auront bénéficié qu’à une petite minorité de personnes opprimées, sans jamais attaquer la base de l’oppression et de l’exploitation. Pendant que la grande majorité de la classe ouvrière voyait son niveau de vie se dégrader, les sommets politiques ressassaient des discours creux sur le féminisme et l’inclusivité, sans reconnaître le mécontentement qui s’accumulait.
La bourgeoisie libérale, avec la gauche réformiste à sa remorque, a caché sous ce voile progressiste une gestion de la crise du système capitaliste au moyen des pires politiques réactionnaires. Dans la dernière période, le féminisme de la bourgeoisie et de son establishment s’est révélé comme une manœuvre cynique.
Dans ce contexte, il n’est pas dur de comprendre comment les politiques identitaires sont devenues aux yeux de millions de travailleurs l’arme idéologique de l’establishment. L’arme est ici discréditée au même titre que la classe qui la manie.
La « gauche » s’est continuellement positionnée comme appendice des capitalistes en cherchant à répartir plus « équitablement » l’austérité. Les réformistes ont participé à la gestion de crise du capitalisme et sont devenus presque indiscernables des libéraux.
Cette gauche a refusé d’organiser la lutte pour arracher des améliorations significatives pour toute la classe ouvrière, y compris pour les personnes opprimées. Elle a refusé encore de lutter de manière conséquente contre les attaques de la bourgeoisie, et a capitulé à chaque pas.
Citons seulement l’approche qu’a eue la « gauche » face à la réforme AVS 21, qui visait à élever l’âge du départ à la retraite des femmes. Le PS explique que l’initiative est passée à cause des hommes. Autrement dit, il désigne le prolétariat masculin comme fautif principal, ce qui remet aussitôt la lutte sur des lignes identitaires.
Or ce sont bien les capitalistes qui mènent des attaques d’austérité généralisées, en s’appuyant sur les divisions existantes au sein de la classe ouvrière. Au fond, leur but est l’augmentation de l’âge de la retraite pour tous les travailleurs !
Une lutte contre de telles attaques nécessiterait précisément une large union large de la classe ouvrière, et c’est bien pour ça que la bourgeoisie tend le piège de la division. La gauche a été incapable de mener cette lutte et c’est pourquoi, aux yeux de larges couches de travailleurs, elle s’est séparée de la lutte de classe pour devenir synonyme de politique identitaire, entièrement associé au statu quo. C’est ce qui a créé en premier lieu le vide que les populistes de droite peuvent remplir.
Une profonde haine contre la classe dominante s’est accumulée et, en absence de voie progressiste pour la canaliser, trouve une expression déformée dans la droite populiste. Ces démagogues reconnaissent la détresse profonde de la classe ouvrière, s’accrochent à son sentiment de rejet de « l’establishment » libéral et du « wokisme », et usurpent ainsi le rôle d’ennemis mortels du vieil ordre libéral.
Telle est la signification du trumpisme ou de l’UDC en Suisse. Pendant que la gauche s’enchaîne à un système en perdition, l’extrême droite se présente (hypocritement) comme la seule force anti-système majeure.
À court terme, ces mouvements « anti-woke » entraîneront certainement plus d’attaques queerphobes, sexistes et racistes, en renforçant également les groupes et politiciens réactionnaires qui se sentent le vent en poupe maintenant que la bourgeoisie retourne sa veste.
Cependant, une stabilisation à long terme des populistes de droite reste exclue. Ces mouvements sont voués à se déchirer sur cette contradiction fondamentale : bien qu’ils se basent sur la classe ouvrière pour être élus, ces démagogues ne peuvent pas tenir les promesses qu’ils lui font.
Leurs appels démagogiques aux travailleurs ne feront jamais disparaître leur véritable caractère de classe. La crise les force inévitablement à attaquer la classe ouvrière et à se dévoiler pour ce qu’ils sont réellement : les défenseurs du capital. Au final, la classe ouvrière ne gagne rien des divisions et attaques contre les travailleurs immigrés ou trans, pas plus que du capitalisme rose.
Plus leurs politiques seront testées dans la pratique, plus la classe ouvrière tirera la conclusion que ces charlatans n’ont rien à offrir de plus que les libéraux, et cherchera donc de nouvelles méthodes de lutte. La condition pour mener ce processus à un niveau supérieur est de rejeter ces deux ailes bourgeoises pour entrer pleinement sur le terrain de la lutte de classe contre le capitalisme, contre l’oppression et l’exploitation.
Le processus actuel contient donc un important élément progressiste, à savoir le rejet sain des politiques identitaires qui détournent la lutte contre l’oppression sur des lignes individualistes et qui, in fine, protègent la classe dominante d’une lutte unie de la classe ouvrière.
Pour à l’avenir gagner les larges couches du prolétariat, il nous faut être parfaitement clairs sur notre opposition implacable, sur des lignes de classe, tant contre les politiques identitaires que contre l’opposition de droite qui leur est faite par les populistes. Jamais les libéraux n’ont réellement lutté contre l’oppression, et en tant que communistes, jamais nous ne nous sommes rangés derrière leur idéologie.
Malgré toutes les mesures symboliques de l’ère du libéralisme « woke », les personnes opprimées ne s’en sortent guère mieux après cette expérience. Au contraire, la majorité des travailleuses voient leur niveau de vie chuter, et le fait que la présidente de l’Italie ou de la Migros soient des femmes n’y change rien.
Les quelques acquis démocratiques arrachés à la bourgeoisie sont des pas en avant importants, mais il faut également avoir conscience des limites de la simple égalité devant la loi sous le capitalisme.
Le droit de transitionner n’a par exemple pas la même valeur pour tout le monde, et se réduit parfois à un droit pour les riches. Le parcours médical cauchemardesque et les coûts pour les transitions hormonales ou les torsoplasties est un obstacle majeur pour les prolétaires trans – d’autant plus quand les coûts de la santé en Suisse explosent !
Dans un pays où la classe ouvrière est écrasée par les primes et franchises d’assurance maladie, et peut se ruiner au moindre imprévu, la question du suivi médical des personnes trans se révèle être une expression particulière de la lutte des travailleurs pour des soins gratuits et de qualité. Les ressources pour une amélioration substantielle à ce niveau existent, mais, sous le capitalisme, ces richesses continueront d’être le monopole de la classe dominante.
De même, la discrimination en raison de l’orientation sexuelle ou du genre a été interdite dans la loi, mais les agressions et discriminations contre les personnes queers ont atteint un nombre record en 2022, et ont à nouveau doublé en 2023. La classe dominante suisse préfère soutenir les guerres impérialistes d’Israël, investir des milliards dans l’armement, ou réprimer des grèves, que protéger réellement les personnes queers et les femmes.
Les mesures d’austérité et les politiques étatiques de la bourgeoisie révèlent ici une lutte acharnée contre la classe ouvrière dans son ensemble, peu importe son identité sexuelle ou de genre. En dévoilant notre ennemi commun qu’est le système capitaliste, ces attaques exigent une lutte unie du prolétariat.
L’incapacité totale de la bourgeoisie libérale à nous défendre devient ici apparente ; les politiques identitaires de « gauche » et de droite sont les deux faces d’une même pièce. Pour en finir avec l’oppression, des réformes sur papier ne suffisent pas ; il faut en détruire les racines : le capitalisme et la société de classe. Cette conclusion est déjà tirée par une couche croissante de personnes opprimées qui voient à travers l’hypocrisie de la classe dominante.
De chaque côté de la guerre culturelle, le prolétariat se retrouve donc dans une situation des plus brutales. Néanmoins, ce constat nous impose de voir que la ligne de démarcation est mal tracée, que la politique identitaire est un cul-de-sac. Notre ennemi, celui des femmes, des personnes queers comme des travailleurs immigrés, c’est le capitalisme. Réciproquement, le prolétariat masculin suisse ne se libérera jamais sans union avec ces couches opprimées. En ce sens, la lutte révolutionnaire pour l’émancipation des femmes et des personnes queers est indissociable de la lutte révolutionnaire du prolétariat.
En surface, une lutte collective contre l’oppression sur des lignes de classe peut paraître lointaine, mais, sous la surface, la taupe de la révolution creuse. Le capitalisme a besoin de l’oppression et des divisions au sein de la classe ouvrière pour asseoir son régime.
Dans la période de crise actuelle, les capitalistes ont de moins en moins de marge de manœuvre et doivent passer à l’offensive de façon plus ouverte. Mais à chaque coup qu’ils portent, ils détruisent aussi les illusions restantes du prolétariat et, malgré eux, soufflent sur les braises de la lutte des classes.
L’inflation, les attaques sur les salaires, mais aussi les guerres commerciales ou militaires, Trump et le génocide à Gaza, tout cela jette la base pour de grands bonds dans la conscience de la classe ouvrière. Les couches les plus avancées en tirent déjà des conclusions révolutionnaires.
Cependant, faute de programme communiste capable de montrer un chemin à suivre, celles-ci tombent souvent dans un pessimisme noir, désespérées du sexisme et de la queerphobie au sein de leur famille ou parmi leurs collègues. Pour sortir du désespoir, nous ne pouvons pas nous limiter à voir une seule facette du processus actuel, nous devons en comprendre la source et le potentiel révolutionnaire implicite.
La gauche a été absolument incapable de saisir la volonté de rupture qui existe aujourd’hui, et a par conséquent permis l’émergence de la droite populiste. Tant que nous resterons enfermés dans les méthodes des politiques identitaires, destinées à maintenir la classe ouvrière divisée, la lutte idéologique sera perdue, et la lutte pour des améliorations matérielles avec.
Le programme communiste est seul capable de sortir de l’impasse actuelle, de défendre les personnes opprimées. Les larges couches qui se détourneront demain du populisme de droite pourront être convaincues à la condition que nous nous réapproprions dès aujourd’hui les méthodes de lutte de la classe ouvrière.
Jamais la société n’a été aussi riche et n’a eu autant accès aux connaissances scientifiques. Et pourtant, l’oppression, le sexisme et la discrimination s’aggravent. Rôles genrés moyenâgeux, politiques du bouc émissaire, discrimination dans l’accès aux ressources et aux prestations…
La lutte contre ces détériorations doit être engagée de toute urgence. Nous demandons:
De telles mesures amélioreraient immédiatement les conditions de vie des femmes et des LGBT. Elles réduiraient la double charge du travail salarié et de la famille ainsi que la dépendance financière vis-à-vis du partenaire – terrain propice aux relations malsaines et à la violence domestique. Ces revendications s’attaquent aux conditions matérielles qui favorisent l’oppression, la violence et les abus contre les femmes et les LGBT. Elles seraient réalisables aujourd’hui. Elles nécessitent simplement des investissements ciblés et de grande envergure.
Les richesses nécessaires existent.. Mais elles sont accaparées par les capitalistes, qui n’ont aucun intérêt à débloquer la situation. Au contraire : les améliorations obtenues par le passé sont attaquées les unes après les autres. Dans la crise actuelle, ils n’ont qu’un seul intérêt : leurs profits. Devons-nous pour autant laisser tomber nos revendications ? Non, nous devons nous battre. Et ce de manière ciblée, contre les capitalistes. Qui a le pouvoir de s’imposer contre eux ? La classe ouvrière !
Individuellement, nous sommes impuissants. Ensemble, nous sommes forts. La classe ouvrière n’est pas seulement la majorité de la population (ainsi que des femmes et des queers): de par notre position dans l’économie, nous sommes également aux commandes de la société : aucune ampoule ne s’allume, aucun engrenage ne tourne et aucun patient n’est soigné sans l’aimable accord de la classe ouvrière !
Les communistes défendent les méthodes de lutte de la classe ouvrière, y compris dans la lutte contre l’oppression et la discrimination. La politique symbolique (représentation, quotas, langage) ne change pas la réalité et le quotidien des femmes et des queers de la classe ouvrière. Ce qui peut vraiment changer les conditions, c’est la lutte commune pour des améliorations matérielles : grèves, manifestations, assemblées générales et organisation collective.
Les femmes et les minorités ne sont pas les seules à souffrir des dégradations actuelles. Les capitalistes font porter le coût de la crise du capitalisme à l’ensemble de la classe ouvrière. Certaines couches sociales sont doublement ou triplement touchées. Mais nous assistons à la baisse du niveau de civilisation de l’ensemble des salariés. Nous avons tous des intérêts communs dans la lutte contre les capitalistes.
En raison des attaques à grande échelle contre la classe ouvrière, de nombreuses couches sont poussées au désespoir. Là où il n’y a pas d’autre solution, elles commenceront à se défendre. Dans les secteurs présentant le plus grand potentiel d’explosion, notamment les soins et l’éducation, les femmes sont déjà en première ligne et jouent un rôle d’avant-garde, entraînant l’ensemble du personnel dans la lutte, indépendamment du sexe.
Au sein des luttes, les communistes défendent la plus grande unité possible. Les capitalistes tentent de briser cette unité. Ils misent sur toutes sortes de mécanismes de division et dépensent des milliards pour répandre le poison de leur idéologie dans la classe ouvrière. Nous luttons contre toute division, car elle ne profite qu’aux capitalistes.
Nous entamons la lutte contre tout comportement nuisible. Lorsque la classe ouvrière entre en lutte, il est beaucoup plus facile de lutter contre les préjugés sexistes ou homophobes et la discrimination. Lors d’un mouvement de masse ou d’une grève, il devient en effet évident que discriminer ses collègues brise l’unité de la lutte. Mais il faut encore que quelqu’un explique activement que dans ce sens, les discriminations ne nuisent pas seulement aux personnes directement concernées, mais à tout le monde – à toute la classe – et donc aussi à toi-même !
La lutte pour la libération des femmes et des queers est la lutte pour une société dans laquelle il n’y a plus de nécessité matérielle à l’oppression, au sexisme et à la discrimination et où les exploiteurs n’ont plus le pouvoir de reproduire leurs idées divisives : c’est la lutte pour le communisme.
Luttes de Libération — de Ine Bouchon, Genève — 12. 06. 2025
Solidarité — de der redaktion — 19. 05. 2025
Culture — de Kevin Wolf, Fribourg — 10. 05. 2025
International — de Madlaina Jost, Berne — 08. 05. 2025
Suisse — de Ivan Lampert und Charles Tolis — 06. 05. 2025