Dans le cadre de sa rubrique “virus at work”, l’étincelle a pu recueillir le témoignage suivant d’un intérimaire du secteur industriel en France voisine. Il met en lumière l’impossibilité de respecter les mesures sanitaires tout en poursuivant cette production, non essentielle en temps de pandémie.
Donc, pour me présenter, je suis un intérimaire qui bosse dans une usine de décolletage faisant des pièces de voitures en sous-traitant pour Continental, par exemple.
Quand les premiers cas arrivèrent en France, un peu de gel hydroalcoolique a été fourni et des consignes de distance et de non-embrassades ou serrages de mains ont étés appliquées – mais très loin d’être respectées – par la direction de l’usine. Mais c’est seulement quand la France est passée en confinement que tout a commencé.
Les règles ont été durcies et ont commencé à être respectées, mais leur effet est resté limité : à quoi cela sert-il d’interdire de se serrer la main quand tout le monde ouvre certaines portes ? Comme la direction ne donnait toujours aucune info sur le futur de la boîte, la panique a commencé à s’installer jusqu’à un message du directeur qui a fait exploser la colère de tous les salariés.
Ce message disait littéralement que les besoins des clients étaient plus importants que la santé des employés. Le directeur montrait clairement quelle était sa priorité et finissait sa lettre en menaçant que l’arrêt de l’usine signifierait une perte d’emploi pour tous les employés.
La semaine dernière, nous avons pu enfin avoir une réunion avec directeur. Il répéta son message : « L’usine doit tourner ! J’ai une famille à nourrir » et ajouta que ce moment de pandémie était le moment parfait pour rattraper le retard sur les pièces déjà commandées. On a aussi appris que personne n’aurait droit au chômage partiel, que si l’usine fermait, il faudrait prendre sur les congés payés.
Ce qui m’a le plus marqué, c’est qu’un homme avec une voiture à 220’000 € dise ça à ses employés quasiment payés au SMIC. Comme moi, tous les employés étaient furieux.
Un vote a été fait parmi les salariés pour savoir si l’usine fermait ou non (mon vote n’a pas été pris en compte). Ils ont décidé de fermer tout le côté fabrication de pièces et de laisser ouvert le côté qui emballe et envoie les pièces au constructeur (on a du stock devant nous et pouvons tourner sans fabrication pendant un petit bout de temps).
Aujourd’hui l’usine est fermée à 80%, les salariés ne voulant plus travailler ont dû prendre sur leurs congés payés et, lorsqu’ils n’en auront plus, l’usine ouvrira à pleine capacité jusqu’à la fin de la crise ou alors jusqu’à un confinement plus strict venant de l’État.
Le problème, c’est qu’en tant qu’intérimaire dans les conditions actuelles, je ne peux pas me permettre d’arrêter le travail parce que je n’ai pas droit au chômage partiel. La fermeture de l’usine diviserait quasiment ma paye en deux et je ne peux pas du tout me le permettre. Actuellement, la crise économique me fait plus peur que la sanitaire, je ne suis pas à risque, mais j’ai besoin d’un salaire.
Après, c’est vrai que je trouve dégueulasse qu’on reste ouvert alors qu’on ne fabrique pas de choses de première nécessité, mais il faut quand même que le pays tourne un minimum ; c’est déjà le bordel aujourd’hui économiquement alors je ne veux même pas imaginer après.
Bien sûr que j’aimerais pour moi ! C’est dans ces moments-là que les grandes fortunes qui s’en mettent plein les poches doivent aider les plus démunis mais là c’est le capitalisme jusqu’au bout !
Après, moi, par rapport à ce que l’entreprise continue à me payer, on me fait des contrats à la semaine. On pourrait donc bien me dire qu’on n’a juste plus besoin de moi. Du coup, pour moi, ça serait du chômage simple. Il a été annoncé qu’il ne serait pas en dessous du SMIC, mais j’imagine que, si je viens d’être au chômage, je serai quand même très loin des 80 % de mon salaire. Je ne sais pas du tout depuis le début de la pandémie ; c’est le gros flou là-dessus.
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