Précarité des retraité-e-s et exploitation des femmes
La situation des retraité-e-s en Suisse est assez précaire. Les chiffres de l’OCDE indiquent que 23,4% des plus de 65 ans vit dans la pauvreté[1]. Ceci contraste avec la densité de millionnaires qui connaît les taux les plus élevés chez les plus de 65 ans. Alors que la majorité des retraité-e-s galère pour couvrir ses besoins, une petite minorité vit dans le luxe.
Les femmes sont particulièrement concernées. Pour 37,7% des femmes retraitées, l’AVS constitue la seule source de revenu tandis que chez les hommes, seulement 12,7% n’ont pas de revenu du deuxième et troisième pilier. Lors de la vie active, pour un même travail, les femmes gagnent presque un quart de moins qu’un homme et cotisent donc moins pour les pensions. Cette discrimination se manifeste donc aussi durant la retraite.
Souvent, cette précarité commence avant la retraite. Dans certains secteurs, il est pratiquement impossible de trouver du travail à partir de 55 ans. Le taux de chômeurs-euses de longue durée est très élevé parmi les plus de 50 ans[2] et, ici encore, les femmes sont plus touchées. Lorsque le travail « devient rare », elles sont les premières à être virées ou à subir des flexibilisations de leurs conditions de travail. De plus, l’âge de sortie effective du marché du travail pour une femme se situe aux alentours de 63 ans. Nombre d’entre elles doivent donc faire recours aux assurances sociales pour survivre (chômage, AI). De plus, alors que ces dernières ne cessent d’être attaquées par la droite, les femmes vont s’enfoncer encore plus dans la misère.
Le projet en soi
Avec la PV2020, l’âge de la retraite des femmes passera de 64 ans à 65 ans. Elles vont devoir cotiser une année de plus et recevront donc une année de moins de rentes. Le projet prévoit, certes, des mesures compensatoires qui vont améliorer un peu les rentes. En effet, il y aurait une hausse de 70 francs sur les rentes d’un célibataire et 226 pour les couples. Toutefois, ceci n’est pas gratuit et ne compense pas les pertes.
La contre-réforme PV2020 menace également les rentes de tout le monde. Le projet contient une diminution des rentes par la réduction du taux de conversion du 2e pilier. En effet, le montant cotisé par une personne au 2e pilier est « converti » en rente annuelle à partir d’un pourcentage. Imaginons qu’une personne a un capital-vieillesse de 100’000 francs. Avec un taux de conversion à 6,8%, elle aura droit à 6800 francs de rente annuelle. Or, le PV2020 prévoit une baisse de ce taux de conversion à 6%, ce qui impliquerait une baisse de 12% du montant de la rente annuelle.
Pour maintenir le même niveau qu’avant, il faudra cotiser plus – notamment à travers l’augmentation de la cotisation entre les 35 et 55 ans. Le PV2020 renforce de cette manière le 2e pilier au détriment de l’AVS. Un tel renforcement va dans le sens d’une plus forte individualisation du système de retraites au plus grand bénéfice des assurances privées qui gèrent ce 2e pilier. De plus, le 2e pilier obéit davantage aux lois du marché que l’AVS ce qui le rend plus « flexible » et réformable (en pire).
Enfin, une autre mesure « compensatoire » est la hausse de la TVA[3] de 0,6%. La TVA est une taxe profondément injuste : elle est payée par tout le monde indépendamment du revenu, ce qui pénalise les plus bas et échappe aux plus hauts.
Par conséquent, l’augmentation de l’âge de la retraite pour les femmes renforcera l’oppression structurelle de la femme. Elles vont devoir vendre leur force de travail au patronat (si elles ont encore un job) une année de plus au lieu de profiter des rentes obtenues par une dure vie laborieuse – ce qui d’un point de vue socialiste est inconcevable.
Au final, on devra mettre plus d’argent pour les retraites pour avoir des montants de rente plus bas – tout ça avec un pouvoir d’achat réduit par la hausse de la TVA !
La capitulation des directions
Le comble de cette histoire est que le projet vient du Conseiller fédéral PS Alain Berset. Ceci met les directions des syndicats et de la social-démocratie dans une situation inconfortable. Les parlementaires du PS ont soutenu le projet au parlement et ont réussi à rallier les centrales syndicales.
Mais pourquoi sont-ils capables de soutenir une telle contre-réforme ? Il faut chercher les raisons plus loin. Dans la période de l’après-guerre, le réformisme était à son apogée. La social-démocratie faisait des compromis « gagnants » et les syndicats jouaient le jeu du partenariat social. La bourgeoisie suisse pouvait faire des concessions au mouvement ouvrier, ce qui était permis par l’essor économique. Les salaires augmentaient, l’Etat-providence se consolidait et chaque génération allait un peu mieux que la précédente. C’est durant cette période que des conquêtes comme l’AVS ont pu être obtenues.
Mais ces temps sont révolus. L’amélioration des conditions de vie à travers des réformes ne peut plus être obtenue. Au contraire, la bourgeoisie exige plus de sacrifices de la part des salarié-e-s afin de maintenir ses niveaux de profits. Les états majeurs des organisations des salarié-e-s deviennent ainsi les relais des intérêts bourgeois dans le mouvement ouvrier et apprivoisent leur base pour les faire accepter les contre-réformes. Ils arrivent à peser lourdement parmi les bases justement en raison de ce genre de politique des (faux) compromis qui ont désarmé la classe ouvrière durant ces dernières années. Afin de continuer à gouverner, cette couche réformiste se doit de paraître acceptable aux yeux de la bourgeoisie et de suivre cette politique de compromis.
Toutefois, l’enjeu est très important puisqu’il concerne une des grandes conquêtes du siècle dernier. La question cruciale sera donc de savoir si le plus grand parti des salarié-e-s de Suisse participera à ce véritable raid contre les acquis du mouvement ouvrier ou s’il s’y opposera.
Pour une réelle politique d’opposition !
Malgré la capitulation des directions du PS et de l’USS[4], nous observons une division au sein de la gauche sur le sujet. L’opposition est cependant encore située dans les grands pôles urbains et en Romandie. Le PS genevois a été la première section cantonale à avoir voté son opposition au projet lors de son Assemblée Générale. Des sections cantonales de la JS, notamment celles de Thurgovie, Berne, Zurich, Vaud et Genève sont également opposées au projet. Chez les syndicats, des sections cantonales d’UNIA, du SSP ou de syndicom s’opposent – bien que muselées – à la ligne défendue par leurs centrales.
Le PS Suisse a dû même appeler à une consultation générale des membres pour se positionner sur cette question. Dans l’histoire du PS Suisse, la convocation générale n’a été utilisée que 2 fois : une fois pour décider de l’adhésion à la troisième internationale, la deuxième pour une révision de l’AVS portée par la conseillère fédérale Ruth Dreifuss dans laquelle l’âge de la retraite des femmes était relevé de 62 à 64 ans. Plutôt qu’une démonstration du caractère « démocratique » de cette organisation (il suffit de regarder le non-respect régulier des décisions de la base par ces parlementaires), au contraire, cette convocation générale souligne la faiblesse des directions sociales-démocrates. Elles nécessitent une légitimation « démocratique » pour paraître encore crédibles.
Référendum facultatif ?
Certaines sections romandes des syndicats sont à l’origine du lancement d’un référendum facultatif contre la réforme. Nous soutenons ce pas et considérons que c’est un choix tactique correct, vu que ça permet de commencer la campagne immédiatement. Pourtant, il faut être conscient que ce choix est aussi dû à l’orientation politique des organisations qui portent ce référendum : SolidaritéS et Basta, le POP/PdT etc. Ils se trouvent en dehors des débats cruciaux qui se jouent à l’intérieur du PS et qui vont finalement peser dans la balance.
A ceci s’ajoute l’argumentaire politique des opposants. Ils expliquent (comme nous) pourquoi le projet n’est pas une amélioration. Pourtant, ils reprochent principalement au PS d’avoir mal négocié. Ils ne perçoivent pas ce résultat comme l’unique possibilité permise par l’orientation politique du PS : celle du réformisme. Comme le PS, les lanceurs du référendum devraient briser eux-mêmes avec cette orientation et utiliser ce référendum pour lancer une discussion sur cette question : si nous voulons améliorer notre condition de vie dans un système en crise, il ne suffit plus de voter tous les 4 ans, il faut s’investir et participer à une politique plus radicale.
Pour les marxistes, le référendum ne peut être un but en soi. Il ne peut avoir d’efficacité s’il n’est pas accompagné par une élévation de la conscience et l’organisation de la classe ouvrière.
L’instrument référendaire doit en être l’outil actuellement, même si nous ne pouvons repousser qu’une petite partie des attaques de la bourgeoisie. Mais pour véritablement vaincre les attaques envers nos conditions de vie, nous devons gagner les jeunes et les salarié-e-s à un programme de transformation révolutionnaire. Pour ce faire, nous devons accompagner ces luttes avec des bonnes revendications.
Pour nous, cette réforme est inacceptable. Le système injuste des 3 piliers est incapable de garantir les retraites, et cette réforme, par le renforcement du 2e pilier, fait un pas en avant vers une pension plus individualisée et moins solidaire. A ce système injuste, nous opposons un système de pensions populaires qui ferait payer davantage les plus riches : une fusion de tous les piliers dans une véritable « AVS plus » !
Un meilleur système de retraites ne peut voir le jour dans le cadre d’une société aussi profondément inégale et fondée sur l’exploitation de l’immense majorité par la minorité capitaliste. C’est pour cela que chaque lutte en défense de nos acquis actuels doit être liée à une lutte pour un changement radical de système, c’est-à-dire un dépassement du capitalisme. Seulement sur des bases socialistes solides, nous verrons émerger des meilleures retraites pour toutes et tous.
Nous sommes donc :
Bryan C.
JS Genève
[1] OCDE (2016), Panorama des pensions 2015 : Les indicateurs de l’OCDE et du G20, Éditions OCDE, Paris.
[2] Lien URL : http://www.24heures.ch/suisse/50-ans-difficiles-placer/story/23480380
[3] TVA = Taxe sur la valeur ajoutée. Il s’agit d’une taxe que tout le monde paie indépendamment du montant de son revenu.
[4] Union Syndicale Suisse (USS)
Europe — de Emanuel Tomaselli, ICR Autriche — 16. 11. 2024
Amérique du nord — de la rédaction — 13. 11. 2024
Europe — de Jack Halinski-Fitzpatrick, marxist.com — 11. 11. 2024