Un an après la claque pour la réforme de l’imposition des entreprises III (RIE III) dans les urnes, le gouvernement fédéral lance un “nouveau” projet de réformes, cette fois nommé d’abord PF 17 puis RFFA (pour Loi relative à la réforme fiscale et au financement de l’AVS). La gauche doit, une fois de plus, partir à l’attaque de cette réforme. Mais comment ?
Pour lire notre résolution concernant la riposte contre le projet, adressée à la prochaine assemblée des délégués de la JS Suisse: « NON à RFFA! Préparons la lutte contre la prochaine contre-réforme. »
Ce nouveau projet est pour ainsi dire identique au précédent. Il part de la nécessité (imposée à la bourgeoisie suisse par l’OCDE) de mettre fin à la pratique des arrangements fiscaux pour les grandes entreprises étrangères. Ainsi, la Suisse est forcée de définir un taux d’impôts sur le bénéfice identique pour toutes les entreprises, que leur activité soit en Suisse ou à l’étranger. Il n’en fallait pas plus à la bourgeoisie suisse pour tenter de baisser l’imposition sur toutes les entreprises en incitant les cantons à baisser leurs taux et en introduisant toute une panoplie de mesures d’exonération. En bref, cette réforme-la serait elle aussi un cadeau aux grandes entreprises.
Ainsi, comme ce que la réforme précédente (la RIE II) a finalement donné, le résultat de la RFFA sera, à terme, une grande perte de revenus d’impôts pour les communes, les cantons et la Confédération. Les baisses cantonales prévues intensifient la concurrence fiscale entre les cantons et réduiront le revenu des cantons. La part de l’impôt fédéral cédé aux cantons manquera dans les budgets fédéraux futurs et n’arrive de loin pas à compenser les pertes cantonales. L’austérité permanente dans laquelle vit déjà la Suisse, avec ses coupes incessantes dans les services de l’État, n’en sera qu’accentuée.
Et comme si cela n’était pas suffisant, la commissions de l’économie et des redevances (CER) du Conseil des États propose une fausse compensation supplémentaire en liant cette réforme au financement de l’AVS. Ils manquent d’expliquer que plus que la moitié de cette « compensation » sera payé par les cotisations salariales et par la TVA – donc en grande partie par nous-mêmes ! Le reste, l’augmentation de la contribution fédérale à l’AVS, aura le même résultat que décrit en haut : des déficits futurs au niveau de la Confédération. C’est pourquoi la gauche doit refuser et se battre contre cette réforme.
Pourquoi le gouvernement retente-t-il de faire passer une nouvelle version de la RIE III?
Il pourrait paraître bizarre que le Conseil Fédéral veuille implémenter à nouveau cette réforme alors que des cadeaux fiscaux aux grandes entreprises ont clairement été refusé à 59,1 % des voix l’année dernière. Une part de la classe ouvrière a montré que les mensonges répétés du gouvernement ne la convainquaient plus en votant non à la RIE III. Ainsi, il est nécessaire de se poser la question : Le Gouvernement défend-il vraiment les intérêts de la classe laborieuse ? La réponse est clairement non. Le Conseil Fédéral doit appliquer ce qui est nécessaire à l’intérêt de la bourgeoisie, en l’occurrence, des baisses d’impôts pour les entreprises.
En effet, les impôts composent une partie importante des coûts pour les capitalistes. Ces derniers doivent écouler leurs produits sur le marché international pour faire du profit. Plus les impôts sont hauts, plus les produits doivent être vendus à des prix élevés pour maintenir le même profit et plus leur prix est élevé , moins les produits sont concurrentiels face à ceux des bourgeois des autres pays (où les impôts sont plus faibles). C’est pourquoi la bourgeoisie en Suisse a besoin d’avoir les impôts les plus bas possibles et donc revient avec un projet fiscal plus ou moins identique au précédent : même si la majorité n’en veut pas, cette réforme doit passer. La bourgeoisie Suisse n’est pas seule. Trump aux USA et le nouveau gouvernement italien font de même, ce qui accroît d’avantage la concurrence internationale.
Cette affaire expose donc les limites de la démocratie dans l’État bourgeois. La voix du peuple est censée être souveraine en démocratie. Si une loi est refusée en référendum, elle ne peut pas être implémentée. Formellement, cela est respecté, puisque le projet nommé “RIE III” n’a pas été implémenté. Mais dans le fond on voit bien que le gouvernement et le parlement feront tout ce qui est en leur pouvoir, avec l’aide des partis de droites et des milieux patronaux, pour mettre en place cette réforme sous un autre nom. Si la RFFA est encore refusée, ils reviendront avec un nouveau nom et une nouvelle réforme jusqu’à vaincre la contestation par l’usure. Tant que la crise continuera (et elle va continuer), la bourgeoisie suisse devra se battre pour rester concurrentielle face aux autres bourgeoisies.
Que faire ?
Après avoir démontré le caractère bourgeois de l’État, on doit également tirer la conclusion que la stratégie actuelle du PS pour combattre les réformes fiscales n’est pas efficace. D’une part, c’est bien elle celle-ci qui l’a mené ce partià perdre de plus en plus la confiance des ouvriers et que d’autre part, en liant son action aux limites et mécanismes de la démocratie bourgeoise, le parti se voit confinédans le rôle que ce cadre lui attribue! Persévérer dans cette approche n’aboutitqu’à une volonté constante de politique “du moindre mal” tout en acceptant – voir en défendant – les contre-réformes de la bourgeoisie. Et c’est exactement de cette manière que le PS perd, vote après vote, la confiance de la classe ouvrière. En se résignant au « faisable », le réformisme ne permet pas au PS dans une période de stagnation économique de proposer une quelconque réforme à proprement dire. Seule une rupture nette avec la logique du moindre mal permettra de regagner du terrain et donc de regagner la confiance de la classe ouvrière.
Une fois ce constat tiré, comment pouvons-nous faire pour que ce combat atteigne cet objectif ? La campagne contre la RFFA nous permettra une fois de plus de mettre en lumière les limitations de la démocratie dans l’Etat bourgeois, comme nous l’avons vu plus haut. Les parlementaires de gauche peuvent servir d’outil, pas pour contenter une majorité de droite, mais pour défendre une voix d’opposition combative. Ainsi, il est nécessaire de regagner la confiance de la classe ouvrière que le PS a perdu. Pour regagner les masses, l’opposition doit avoir une position claire et combative afin de nous permettre de construire un rapport de force entre nous et la bourgeoisie qui soit à notre avantage. Du au fait que la nécessité de baisser les impôts est dû au système lui-même, cette position doit inclure une perspectives de rupture avec le système capitaliste.
Mais ce rapport de force entre la bourgeoisie et notre opposition ne se créera pas par lui-même et ne peut surtout pas être fait dans les limites imposées par l’Etat bourgeois. Aujourd’hui nous ne sommes qu’une minorité. Notre stratégie de lutte contre un projet comme la RFFA doit donc en premier lieu permettre à regagner la confiance des gens qui se politisent face à un dysfonctionnement du système.
Et comment se positionne la JS là-dedans ?
Si le PS Suisse a décidé de suivre une stratégie qui ne peut pas nous mener à construire un rapport de force en notre faveur avec la bourgeoisie, ce n’est pas le cas de toutes les tendances au sein du parti. Ainsi, la Jeunesse Socialiste, en tant que jeunesse du parti et courant le plus radical au sein du PS, doit jouer son rôle. Il s’agit donc d’adopter une position claire de rupture avec la politique défensive du moindre mal et de la défendre au PS pour en attirer les éléments les plus combatifs et former un courant de gauche dans ce parti. La JS doit être présente dans les assemblées du PS, pas comme des membres individuels plus radicaux mais plutôt comme une véritable force groupée et organisée visant à construire une aile de gauche et non pas à convaincre individuellement des membres du PS de nos positions.
En résumé, pour combattre efficacement la RFFA et toutes les autres versions de cette réforme qui arriveront, le PS doit se reconnecter avec la classe ouvrière et, plus que de rester sur la défensive, adopter une position d’attaque.
C. T.
JS Genève
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