« Bien sûr que je porterais les décisions du Conseil fédéral. On n’est pas élu au gouvernement pour faire ensuite la sourde oreille quand quelque chose ne nous convient pas ». C’est ce qu’a déclaré la nouvelle élue socialiste au Conseil fédéral Elisabeth Baume-Schneider lorsqu’on lui a demandé si elle soutenait une augmentation de l’âge de la retraite. En 2019, un demi-million de femmes et d’hommes sont descendus dans la rue lors de la grève des femmes. Trois ans et demi plus tard, la nouvelle conseillère fédérale PS n’a rien de mieux à proposer aux femmes.
Pendant quelques semaines, les médias ont été très occupés par l’élection et par les candidats. Mais il n’était question que de questions de genre, d’origine et d’âge. Ce voile politique identitaire a masqué la question importante : quelle politique le PS défend-il ?
En réalité, peu importe qui siège au Conseil fédéral. Le PS doit quitter le gouvernement. Nous avons besoin d’un parti ouvrier qui mène la lutte contre la crise capitaliste. Cela ne peut se faire que contre le Conseil fédéral, pas dans ce dernier.
Conseil fédéral : un gouvernement capitaliste
Nous nous trouvons dans la crise la plus profonde du capitalisme. L’économie glisse actuellement dans une nouvelle récession mondiale. Cette crise touche tous les secteurs de la société, en Suisse comme au niveau international.
Chacun et chacune le ressentait et le ressent encore : dans la gestion des pandémies, la réforme des retraites, la crise climatique, les soins et, bien sûr, les mesures contre l’inflation. La liste pourrait continuer à l’infini. Partout, le même schéma s’est produit. Le capitalisme a provoqué cette crise, et tout le monde en subit les conséquences, sauf les capitalistes. Le profit passe toujours en premier et, quand c’est encore possible, il y a des « pansements sur des plaies ouvertes» pour le climat et les salariés. La crise est reportée sur la classe ouvrière.
C’est la règle générale du capitalisme, les gouvernements la mettent en œuvre le mieux possible. Le Conseil fédéral mène une politique contre la classe ouvrière, le Conseil fédéral est un gouvernement capitaliste. Non pas parce qu’il serait constitué de capitalistes, mais parce qu’il sert les intérêts des capitalistes.
Le PS n’est certes pas un parti capitaliste, mais il fait partie de ce gouvernement. Il détient deux sièges sur sept. Ces deux membres du Conseil fédéral ne s’opposent pas à la politique capitaliste. Ils en soutiennent les postions. Les conseillers fédéraux PS ne peuvent pas changer le caractère d’un gouvernement, chaque décision est prise à la majorité. La justification donnée pour valider la participation à ce gouvernement capitaliste se réduit donc à une logique de « moindre mal » : participer à la discussion, convaincre, adoucir les attaques et les rendre plus sociales, piéger les bourgeois ou tout simplement obtenir des informations. Ces tentatives de justification ne sont que de la poudre aux yeux et n’ont rien à voir avec un changement réel de la société.
Si nous voulons vraiment changer les choses, nous devons partir de ce qui est. Nous avons besoin d’une compréhension correcte de l’État bourgeois.
L’État bourgeois a un gouvernement bourgeois
La société est divisée en deux classes : les travailleurs et les capitalistes. Les premiers doivent vendre leur force de travail contre un salaire. Les capitalistes sont la classe dominante, ils possèdent tous les moyens de production et vivent du profit, qui est le travail non payé de la classe ouvrière. Le but de l’État bourgeois est de maintenir cet ordre. Pour cela, il est le principal outil à la disposition de la bourgeoisie.
Ce caractère bourgeois ou capitaliste de l’Etat est visible partout. Les lois favorisent toujours le capital ; les fonctionnaires protègent ce qui existe déjà, c’est-à-dire le capitalisme ; la banque nationale est au service de l’ordre capitaliste et les structures politiques rendent impossible le changement de système dans la démocratie bourgeoise. Cela est assuré par le lobbying, la corruption ouverte et légale et, bien sûr, le lien institutionnel entre le parlement, les tribunaux, le gouvernement et les fonctionnaires et les associations capitalistes.
L’État actuel a été construit de manière à servir les capitalistes et à priver les autres classes du pouvoir. Le gouvernement, c’est-à-dire le Conseil fédéral, est l’organe directeur de cet État, qui a un caractère bourgeois immuable.
Contrairement à ce que nous apprenons tous à l’école, il n’existe pas d’État neutre. Il n’est pas une coquille vide que l’on pourrait remplir au choix d’un contenu bourgeois ou socialiste. L’État sert la classe qui l’a créé et s’oppose à toute autre classe qui voudrait en prendre possession.
Il n’est pas possible de changer la nature de l’État en changeant les têtes au sein du gouvernement. Comme l’expliquait la révolutionnaire Rosa Luxemburg à la fin du XIXe siècle, un socialiste ne peut pas faire partie d’un tel gouvernement : « Un adversaire principiel du régime existant se trouve par contre devant l’alternative suivante : ou bien faire à chaque instant de l’opposition à la majorité bourgeoise dans le gouvernement, c’est-à-dire de ne pas être en fait un membre actif du gouvernement, ce qui créerait évidemment une position intenable aboutissant à écarter le membre socialiste du gouvernement ; ou bien collaborer, s’acquitter quotidiennement des fonctions nécessaires au maintien et à la marche de la machine étatique, c’est-à-dire, en fait, ne pas être socialiste, tout au moins dans le cadre de ses fonctions gouvernementales.»
La question de la nature de classe de l’État et de la participation des socialistes à un gouvernement bourgeois sont des questions centrales du mouvement ouvrier. Car la question de l’Etat a toujours cristallisé la lutte contre l’influence de la bourgeoisie et des idées bourgeoises sur le mouvement ouvrier. La légèreté théorique sur ces questions conduit inévitablement à l’opportunisme dans la pratique, qui subordonne la lutte des classes au carriérisme. La Suisse offre la meilleure preuve de tout cela.
Le PSS au Conseil fédéral depuis 1943
Le premier Conseil fédéral du PS a été élu après la victoire de l’Armée rouge à Stalingrad en 1943. L’intégration du PS avait pour but de pacifier la lutte des classes.
Les autres conseillers fédéraux étaient désormais des « collègues » que l’on défendait et non que l’on attaquait. Au gouvernement, les représentants du PS n’attaquent pas l’adversaire de classe, ils nient même l’existence de l’antagonisme de classe. Partout où celle-ci se manifeste, ils la masquent. Mais réconcilier l’antagonisme de classe est objectivement impossible.
Le parti, au lieu de lier les conseillers fédéraux au programme socialiste et de les discipliner, a adopté cette idée bourgeoise de réconciliation des classes. Cela n’a pas supprimé les contradictions de classe, mais les a déplacées au sein même du parti. C’est le prix que le PS a payé pour son intégration dans l’Etat bourgeois : la bourgeoisie a acquis un plus grand contrôle sur le parti au fur et à mesure que la classe ouvrière perdait ce contrôle.
Il n’y a aucune justification à cela. En effet, depuis son intégration au Conseil fédéral, aucune réforme n’a été imposée par le PS au Conseil fédéral. Au contraire, les conseillers fédéraux PS ont dû continuellement assumer la responsabilité de la politique bourgeoise du Conseil fédéral.
Dans les années 1970, la période de croissance unique de l’après-guerre a pris fin. Pendant une trentaine d’années, la bourgeoisie avait été prête à faire certaines concessions à la classe ouvrière. C’était la seule période où le réformisme avait trouvé une base matérielle stable sur une longue période.
Les réformes sont des concessions faites par la bourgeoisie pour améliorer les conditions de vie de la classe ouvrière sous le capitalisme. Depuis les années 80, il n’y en a pratiquement plus. En effet, avec le retour des grandes crises capitalistes, la bourgeoisie recommence à s’attaquer plus fortement à la classe ouvrière.
Mais le PS est désormais pleinement intégré à l’Etat bourgeois, il est presque indissociable des institutions bourgeoises et perd une grande partie de son électorat. Et en tant que membre du gouvernement, il subit la colère de la classe ouvrière.
Depuis 30 ans au moins, la classe ouvrière est attaquée de plus en plus durement et de plus en plus souvent. Chaque « réforme » se traduit pour elle par un déficit net. Peu importe le parti auquel appartiennent les membres du gouvernement. Les budgets et les lois ne leur laissent aucune alternative. Ce que font les conseillers fédéraux PS, ce ne sont pas des réformes, mais exactement le contraire : leur politique est aussi hostile aux travailleurs que celle de l’ensemble du Conseil fédéral, et donc directement nuisible. D’une part, elle entraîne matériellement une baisse du niveau de vie et, d’autre part, elle nuit politiquement au mouvement ouvrier en cachant les antagonismes de classe, en obscurcissant le caractère de classe de l’État et en faisant perdre en même temps à la classe ouvrière son propre parti historique au profit de l’adversaire de classe.
Après des décennies de crise
Aujourd’hui, la situation s’aggrave encore : après 15 ans de crise permanente, aucun problème n’a été résolu, nous nous trouvons au contraire dans une longue spirale descendante. À chaque retournement de situation, la classe ouvrière doit à nouveau passer à la caisse. A cela s’ajoutent la crise climatique, la pandémie et l’inflation. Le régime capitaliste doit s’attaquer à la classe ouvrière pour maintenir son système pourri.
Mais cela ne passe pas inaperçu pour les gouvernements et les institutions bourgeoises. Cela conduit inévitablement à une érosion croissante de la légitimité de l’« establishment » politique aux yeux de la classe ouvrière. Pendant la crise du Covid, le Conseil fédéral a temporairement perdu la confiance de plus de la moitié de la population. C’est un record depuis la Seconde Guerre mondiale. La forme inhumaine de la « lutte contre la pandémie » en Suisse a montré à toute la classe ouvrière suisse que le gouvernement accorde plus d’importance aux profits qu’à notre santé, nos salaires, nos droits, nos vies. Ce gouvernement n’est pas du côté de la majorité travailleuse de la population ! Le Covid n’est qu’un exemple évident. Nous pourrions parler des pensions, du climat, de l’énergie, de l’initiative sur les soins et de bien d’autres choses encore.
Le mécontentement croissant face à la politique de crise bourgeoise s’accompagne d’un processus de radicalisation de la classe ouvrière et de la jeunesse. Ces dernières années, nous avons déjà assisté à différents mouvements de masse, par exemple pour le climat ou contre l’oppression des femmes. Ces mouvements sont l’expression de la classe ouvrière et de la jeunesse qui doivent lutter contre le capitalisme. Nous ne sommes qu’au début d’une phase de résistance croissante de la classe ouvrière contre tous les nombreux phénomènes de crise du capitalisme.
Avec la crise du capitalisme et l’intensification correspondante de la lutte des classes, le fossé se creuse entre ce que devrait objectivement faire un parti ouvrier et ce que fait réellement le PS en tant que parti historique de la classe ouvrière : au lieu de montrer aux mouvements de la classe ouvrière et de la jeunesse, par le biais d’un programme socialiste, une voie pour nous défendre contre la crise, le PS ferme les rangs avec la bourgeoisie au sein du gouvernement. Au lieu de se ranger du côté des mouvements, le PS se range du côté des capitalistes en participant au gouvernement. Berset, Sommaruga, désormais Baume-Schneider, gèrent la crise du capitalisme. Cela suscite, à juste titre, de plus en plus de colère et de haîne au sein de la classe ouvrière et de la jeunesse.
Dans les premières phases de la pandémie, les conseillers fédéraux PS ont été les porte-drapeaux de ce gouvernement. Berset était le visage de la politique de pandémie. Il a appliqué sans critique chaque décision criminelle du Conseil fédéral. Au lieu de s’opposer à la politique bourgeoise en matière de pandémie, il en a assumé la responsabilité totale. Il est révélateur de souligner le contraste : Les conseillers fédéraux PS étaient jusqu’à présent responsables de l’environnement, des caisses maladie et des retraites, de la santé publique et maintenant à nouveau de la migration. Les plus importants des mouvements de masse persistants et récurrents de ces dernières années ont formulé des revendications dans ces domaines. Le Conseil fédéral n’est pas du côté de ces mouvements. Il est un gouvernement de capitalistes et a pour mission de défendre ce système malade.
La participation du PS à ce gouvernement de crise capitaliste a deux conséquences principales. Toutes deux ont un impact négatif sur la lutte de la classe ouvrière. Premièrement, au lieu de démasquer le gouvernement pour ce qu’il est – un gouvernement de capitalistes – le caractère de classe du gouvernement est dissimulé. On entretient l’illusion que le Conseil fédéral représente tous les intérêts, au-delà des lignes de parti et de classe. L’absence d’une opposition politique organisée donne à la politique de crise bourgeoise l’apparence d’être sans alternative.
Deuxièmement, il manque ainsi à la classe ouvrière un parti politique de masse sous la bannière et le programme duquel elle pourrait mener sa lutte contre la politique de crise bourgeoise. La lutte de classe de la classe ouvrière pour la défense de ses conditions de vie a lieu et s’intensifie – que le PS y participe ou non, qu’il soit au gouvernement ou non. Mais en livrant simplement la classe ouvrière aux attaques bourgeoises sans proposer d’alternative, le PS freine ces luttes.
Opposition socialiste
L’analyse objective de la crise du capitalisme et des antagonismes de classe dans la société nous permet d’affirmer avec certitude que nous ne sommes qu’au début d’une longue période d’intensification de la lutte des classes, qui connaîtra une multitude de mobilisations de masse et aussi de situations révolutionnaires. Dans cette lutte, les gouvernements bourgeois ne sont pas du côté de la classe ouvrière. C’est « nous contre eux ».
Le maintien de notre niveau de vie ou même des améliorations ne vont que contre les capitalistes et leur gouvernement. Dans cette situation, la classe ouvrière a besoin de toute urgence d’un parti qui dirige cette lutte ; qui montre comment nous pouvons gagner et qui offre ainsi une perspective au-delà de la crise du capitalisme. Le parti historique de la classe ouvrière en Suisse, le PS, ne remplit pas du tout ce rôle sous sa direction actuelle. Un tel parti devrait aujourd’hui rompre d’urgence à tous les niveaux avec la collaboration avec la bourgeoisie – et donc sortir du gouvernement pour entrer dans l’opposition !
L’opposition socialiste signifie engager la lutte contre les capitalistes, leur gouvernement et l’ensemble de leur système.
La classe ouvrière ne peut mener cette lutte que par elle-même. Ce n’est qu’en tant que classe, et non par le biais de « représentants » politiques ou syndicaux isolés, qu’elle a le pouvoir de contraindre les capitalistes à faire des concessions et, en fin de compte, à se mettre entièrement à genoux. Elle seule produit toute la richesse sociale, elle seule est assise aux véritables leviers de la production capitaliste. La classe ouvrière mobilisée ne peut être arrêtée par aucun gouvernement au monde si elle se met en mouvement et prend conscience de son propre pouvoir collectif.
Le rôle d’un véritable parti de la classe ouvrière est d’accélérer ce processus de prise de conscience : démasquer la nature de l’État bourgeois en défendant un programme socialiste, faire prendre conscience à la classe ouvrière de sa propre force et faire comprendre qu’en fin de compte, c’est la classe ouvrière elle-même qui doit prendre le pouvoir. Pour ce faire, elle doit utiliser toutes les tribunes pour atteindre la classe ouvrière, y compris le Parlement dans l’État bourgeois.
Mais un tel travail d’opposition a un caractère fondamentalement différent de celui du parlementarisme réformiste. Les véritables socialistes ne peuvent assumer au Parlement aucune responsabilité pour les affaires de l’État bourgeois ! Leur tâche est fondamentalement différente. Nous n’assumons de responsabilité que pour la classe ouvrière et sa libération, pas pour les capitalistes et leur système moribond !
Pensons seulement à l’impact que cela aurait si les socialistes utilisaient le Parlement et l’attention des médias qui en découle pour expliquer à la classe ouvrière : « Vous nous avez élus à ce Parlement pour défendre les intérêts de la classe ouvrière. Nous avons besoin au niveau national d’une indexation automatique à l’inflation, nous avons besoin d’investissements massifs dans les soins, l’éducation, des pensions suffisantes pour vivre. Nous avons besoin de la transformation de l’ensemble de l’infrastructure énergétique et de transport contre le changement climatique. Nous exigerons tout cela sans compromis et voterons contre toute détérioration.
Mais nous sommes une minorité ici. Et même si nous étions majoritaires : derrière le Parlement, il y a tout un appareil de fonctionnaires non élus qui sabotera la mise en œuvre de toute mesure décidée par les socialistes.
Cet État est un terrain hostile, c’est l’État de la classe dirigeante. Le pouvoir de la classe ouvrière ne se trouve pas au Parlement, il se trouve chez vous, dans l’entreprise et dans la rue ! Le pouvoir de la classe ouvrière ne connaît pas de frontières. Nous pouvons lutter pour tout cela, mais seulement si vous êtes actifs, si vous vous organisez autour de ce programme, si vous en discutez et le défendez avec vos collègues de travail et dans votre famille ! »
Un tel parti ouvrier est urgent ici et maintenant, face à la crise profonde du capitalisme. Le PS ne joue pas ce rôle aujourd’hui. Au contraire, il soutient le régime bourgeois et empêche la classe ouvrière de prendre conscience de son propre pouvoir et de ses tâches. Le PS s’enlise de manière totalement routinière dans sa politique de collaboration de classe. Il n’y a pas aujourd’hui de débat sur cette question fondamentalement importante. Nous ne nous faisons pas d’illusions sur la direction du PS, mais nous disons clairement ce qui est.
Cela dépend donc de nous-mêmes : de tous ceux qui reconnaissent aujourd’hui la nécessité d’entamer la lutte contre le capitalisme sur les bases de la théorie marxiste et d’un programme socialiste. Nous devons construire une organisation marxiste qui puisse ancrer de plus en plus ces positions objectivement correctes dans les mouvements ouvriers et de jeunesse. Une organisation qui fera tout pour que la question du parti ouvrier soit abordée avec clarté et fidélité aux principes. Dans cette tâche, nous avons besoin de toi et de ton aide ! Si tu es d’accord, alors prends contact avec nous et deviens membre de la TMI et de la section suisse l’étincelle !
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