Dans l’art du cynisme, les capitalistes sont passés maîtres. La dernière campagne publicitaire de la compagnie Helsana, spécialiste de l’assurance-maladie, en est la preuve douloureuse.
Impossible de ne pas les avoir vues. Depuis plusieurs semaines, les affiches publicitaires pour l’assurance-maladie Helsana sont partout. On peut y lire en caractères énormes que «pleurer fait du bien», ou que «le rire renforce». À choisir une émotion, c’est plutôt la colère que ces affiches inspirent.
Chaque année, de plus en plus de personnes ne parviennent plus à payer leurs primes. Celles qui y arrivent encore prennent des franchises à 2500 francs, et les assurances nous assènent que si la santé coûte si chère, c’est à cause de nous. Nous les inquiets qui, pour un oui ou pour un non, allons consulter un médecin. Nous les parents qui nous tracassons quand notre enfant a de la fièvre. Vous serez gentils, tâchez de «prendre sur vous» avant d’aller consulter, pendant que les caisses maladie s’assoient sur des réserves de 11 milliards de francs, soit l’excédent des primes encaissées par rapport aux remboursements de prestations.
Qu’advient-il de cet argent ? Les assureurs boursicotent. Ils placent, investissent, font «fructifier». Une part de l’argent des primes est détournée vers des portefeuilles de traders, vers des promoteurs qui s’enrichissent dans l’immobilier. En 2019, le groupe CSS Assurance annonçait une performance de ses placements à 8,8%. L’année précédente, Concordia se targuait d’un bénéfice de 157 millions de francs sur ses investissements. Tout cela alors même que la classe travailleuse peine à boucler ses fins de mois. Et puisque la Loi fédérale sur l’assurance-maladie (LAMal) interdit aux assureurs de faire des bénéfices, l’argent sert à financer la publicité ou le courtage, à hauteur de 102 millions de francs en 2019, comme le révélait la RTS. Cet argent sert aussi à payer des salaires à la direction : 755’000 francs pour le président-directeur général du groupe en 2020. Au mois de juin dernier, le groupe Helsana a même dépensé plus de 400’000 pour la rénovation d’une salle de réunion pour le Conseil d’entreprise afin de «promouvoir un environnement de travail nouveau, contemporain et innovant». Dans un même élan d’avarice, le groupe a amputé les salaires les plus bas. Si le cynisme n’existait pas, il faudrait l’inventer.
Les assurances-maladies font continuellement pression sur le système de santé pour réduire les prestations qu’elles doivent couvrir, et donc augmenter leurs marges. Les coûts sont toujours plus délestés sur la population par l’augmentation des primes. Cela révèle les contradictions internes du capitalisme. Comment un système peut-il être viable si les «acteurs du marché» agissent contre la défense de la santé de la population ? Cette situation existe depuis toujours en Suisse, mais la crise actuelle force les capitalistes à appliquer des mesures d’austérité toujours plus violentes pour sauver leurs profits. À travers sa nouvelle campagne, Helsana nous fait comprendre que la raison pour laquelle quelque chose ne va pas dans nos vies, c’est nous. Nous ne pleurons pas assez, nous ne rions pas assez. La raison de notre souffrance, diront les assureurs, ce n’est surtout pas la somme des primes qui nous est amputée chaque mois. Par sa campagne, le groupe Zürichois démontre la cécité des capitalistes, qui vantent les mérites des «solutions» individualistes aux problèmes systémiques, tout en soumettant les émotions au régime du management. Les hôtes ou hôtesses de caisse doivent se plier au «SBAM» (Sourire Bonjour Au revoir Merci). Les soignants sont invités à «accueillir leurs émotions», alors que les patrons réduisent toujours plus les effectifs. Les assurés, eux, sont appelés à sourire ou à pleurer pour faire face au stress du quotidien. La question centrale demeure : d’où vient ce stress ? N’existe-t-il pas de conditions réelles et objectives à nos souffrances ? J’ai nommé la régression des systèmes de santé, d’éducation et des services sociaux qui résultent des privatisations.
Face à cela, les bourgeois prônent le «développement personnel», qui permet que tout un chacun puisse réinventer sa vie et atteindre le meilleur de lui-même en adoptant un regard plus positif sur soi et sur le monde. Entendons par là que chacun s’attelle à développer son être intérieur, pendant que le tissu social s’effrite dans les griffes des capitalistes.
Ne nous y méprenons pas : le problème n’est pas que nous ne gérons pas assez bien nos émotions ! Luttons maintenant ensemble pour les conditions réelles et collectives du bonheur ; à commencer par la création d’une assurance maladie unique, bon marché, couvrant également les traitements de santé mentale !
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