Des dizaines de milliers de manifestants qui banalisent les effets du Covid et l’UDC en ascension : en pleine crise historique, les idées réactionnaires gagnent du terrain. Mais la tendance générale est clairement vers la gauche !

« Ni rire, ni pleurer, mais comprendre ». Le sentiment anti-confinement est bien trop important pour que l’on puisse considérer tous ceux qui le partagent comme des insensés. 10 000 personnes ont manifesté contre le confinement à la mi-mars, et d’autres événements de ce type sont prévus. Il est vrai que des nazis s’y retrouvent et que certaines personnes d’extrême-droite occupent un rôle dirigeant, mais cela ne suffit pas à expliquer l’ambiance explosive. Ce qui pousse une grande partie du mouvement est dans le fond un ressentiment progressiste contre les puissants. Dans ces développements contradictoires et tendus, nous devons clairement séparer ce qui est effectivement progressiste de ce qui est réactionnaire.

La confiance dans l’establishment en baisse

Pour de plus en plus de personnes, il devient clair que le Conseil fédéral a échoué dans sa politique de crise. Après tout, il n’a ni réussi à protéger la santé – la Suisse compte un nombre très élevé de décès par habitant et n’a pas empêché la misère sociale. 16,5% de la population vit avec une personne qui a peur de perdre son emploi. Un taux incroyable de 18 % de la population déclare avoir des symptômes dépressifs graves. Les inquiétudes concernant la santé ainsi que les peurs existentielles deviennent des maladies courantes.

L’échec du Conseil fédéral est une combinaison de décisions délibérées dans l’intérêt des profits, d’incompétence évidente (par exemple le chaos des tests et des vaccinations) et aussi de mensonges flagrants des conseillers fédéraux (masques, 2e vague). Dans le même temps, la répression étatique s’intensifie. La présence policière est en nette augmentation. En raison du confinement, la plupart de ce qui permettaient de rendre le quotidien moins morose (voyager, sortir au restaurant, sortir avec des amis) au milieu de la pression de la vie quotidienne a disparu. La classe dirigeante applique sa politique de crise contradictoire avec arbitraire, incohérence et coercition.

La question de savoir s’il faut confiner ou non est mal posée. Il s’agit en fait de savoir à quoi devrait ressembler une politique Covid humaine : la protection de la population, de sa santé et de ses conditions de vie doit être absolument prioritaire par rapport aux profits des capitalistes. Cela nécessite des investissements massifs dans la recherche, le système de santé, le personnel enseignant, les transports publics, les services de santé mentale, etc. Il faut ensuite préciser qui doit payer pour cela, à savoir les capitalistes qui accaparent toutes les richesses de la société. Enfin, il faut montrer que les capitalistes ne paieront jamais volontairement et qu’ils ne peuvent y être obligés par aucune voie légale. Seules les manifestations et grèves de masse pourront les forcer !

Pourtant, aucune grande organisation de gauche ne le défend de cette façon. Personne ne souligne que notre société est suffisamment riche pour permettre à chacun de vivre sans stress la plupart du temps, pendant la pandémie aussi. Même le PS, le seul parti de masse de gauche, soutient majoritairement la politique destructrice du Conseil fédéral. L’absence d’opposition signifie que le ressentiment croissant contre l’establishment n’est pas canalisé dans une direction claire. Au lieu de cela, les divisions apparentes entre ouverture et fermeture, entre santé et social, sont mises en avant. 

L’UDC en ascension

L’absence d’opposition de gauche ouvre le champ à la droite. L’UDC a eu le vent en poupe ces derniers temps, et sa pétition contre le confinement a reçu un grand soutien. Cela est compréhensible dans la mesure où la politique contradictoire de Corona provoque effectivement beaucoup de souffrance et un sentiment d’impuissance. Une fois de plus, l’UDC instrumentalise démagogiquement la crise et les peurs, cette fois pour forcer des ouvertures afin de garantir les intérêts de profit des capitalistes.

La politique de l’UDC est d’une hypocrisie extrême. L’UDC est le parti le plus important de la bourgeoisie suisse et donc le principal responsable des mesures d’austérité, de la dégradation des conditions de vie et de la pression croissante de la concurrence. Pendant des décennies, le parti  a propagé le racisme le plus dégoûtant et une image étouffante et dépassée de la famille, alimentant davantage la division et le sentiment d’isolement parmi la classe ouvrière et les jeunes. La revendication de la fin du confinement n’est pas seulement très dangereuse pour la santé. Elle prétend aussi qu’un simple retour à la  normalité capitaliste peut résoudre les problèmes des gens.

L’UDC détourne l’attention des réels problèmes; à la question de la misère sociale et des écarts sociaux entre riches et pauvres, l’UDC répond en prétendant que les travailleurs et les capitalistes ont un intérêt commun (ici, la fin du confinement). La fausse question de l’ouverture contre la fermeture est exploitée sans vergogne par l’UDC pour diviser la classe ouvrière : l’UDC s’appuie sur les couches qui ressentent de plus en plus la pression du confinement. Celles-ci sont artificiellement opposées aux couches de la classe ouvrière qui sont plus exposées au virus : le personnel soignant, vendeurs, enseignantes et bien d’autres encore. L’UDC n’a pas de réponse au mécontentement, à l’isolement et à la dépression de la population – mais elle en porte une grande part de responsabilité. 

La question sociale

Néanmoins, l’UDC bénéficie incontestablement d’un certain soutien au sein de la population y compris dans la classe ouvrière. La base de ce phénomène est la crise du système et le ressentiment contre l’establishment. Le succès de la droite est l’échec de la gauche. Elle ne peut pas exprimer ce mécontentement légitime parce que la direction du PS en particulier représente l’establishment autour du Conseil fédéral. C’est pourquoi l’UDC peut se poser en pseudo-opposition. Mais comme l’UDC ne peut pas résoudre les antagonismes de classe à long terme, son soutien n’est que superficiel.

Les sondages sur les revendications dans la crise du Covid le démontrent clairement une fois de plus. La grande majorité des  sympathisants de tous les partis – aussi de l’UDC! – demandent « plus de mesures sociales » contre la crise (sondage Corona de Sotomo). La proportion était similaire chez les sympathisants de tous les partis. Lorsque la question sociale des intérêts de classe est mise sur la table, les phénomènes de surface tels que le soutien de l’UDC et la scission entre ouverture et confinement sont relégués au second plan. Les mesures sociales demandées représentent les intérêts de la classe ouvrière et des classes opprimées. C’est en fait le domaine de la gauche. Il est clair ici que l’écrasante majorité de la population peut et doit être gagnée à un programme de gauche combatif. Ce n’est que de cette manière que l’on pourra combattre l’UDC.

Polarisation

Sous l’impulsion de la crise historique, l’opinion publique connaît actuellement des changements plus rapides et plus radicaux. Une polarisation est en cours. Cela se voit aussi au niveau des partis. Depuis des années, les partis bourgeois traditionnels perdent leur soutien au niveau national et cantonal. Le PLR est en perte de vitesse, le PDC (qui s’est désormais choisi un nom vide de contenu, « le centre ») est déjà satisfait s’il limite les pertes. Ils représentent le statu quo établi de longue date, qui est de plus en plus identifié, à juste titre, comme le principal responsable de la crise historique. Les Verts peuvent en bénéficier à court terme, principalement parce qu’ils sont nouveaux et n’ont pas eu le temps de démontrer leur impuissance. Leur objectif, cependant, est de s’intégrer au système pourri. Les Verts n’ont pas non plus de solution. Les partis des pôles que sont l’UDC et le PS ont tendance à se renforcer en période de crise.

Le PS, en tant que seul parti de masse de gauche, porte une grande responsabilité dans la lutte contre la politique inhumaine du Conseil fédéral, contre l’UDC et d’autres idées réactionnaires. Avec Meyer-Wermuth, le PS a connu un certain glissement verbal vers la gauche. Nous, les marxistes, soutenons chaque pas qu’il fait dans ce sens, contre les bourgeois et les partis de droite. Cependant, cela ne doit pas occulter le fait que les dirigeants du PS font bien trop peu. Bien trop peu concernant les énormes problèmes auxquels la classe ouvrière est confrontée. Bien trop peu en termes de ce qui pourrait être fait avec les richesses de la société. Quand l’UDC passe hypocritement à l’offensive contre le gouvernement, la direction du PS soutient pleinement le Conseil fédéral et la « démocratie suisse ». Elle défend ainsi précisément les institutions contre lesquelles le mécontentement social est dirigé et sur lesquelles l’UDC fonde son soutien. Ce n’est pas comme ça qu’on combat la droite !

Pourtant, le potentiel des idées de gauche radicales est gigantesque. Au premier rang se trouve la jeunesse, au sein de laquelle un sentiment anticapitaliste général se propage de plus en plus. Avec la Grève des femmes, la Grève du climat et les manifestations contre le racisme, trois mouvements d’ampleur nationale ont eu lieu ces dernières années. Les mouvements se sont peut-être calmés entre-temps, mais aucun de ces problèmes majeurs n’a été résolu. Sur de nombreux lieux de travail et dans de nombreux secteurs, les luttes ont été plus fréquentes et plus dures qu’auparavant au cours des derniers mois. Dans plusieurs votations, lorsque la question sociale était clairement posée, les intérêts de la classe ouvrière ont prévalu : le cadeau fiscal aux entreprises RIE3 et l’augmentation de l’âge de la retraite des femmes ont été rejetés, le congé paternité et les initiatives cantonales sur le salaire minimum ont été acceptés.

Perspective de la lutte des classes

Dans la polarisation, le pôle de droite apparaît parfois plus fort. L’UDC en particulier fait souvent beaucoup de bruit. Mais nous ne devons pas nous laisser embrouiller, et encore moins être pessimistes, par ces phénomènes superficiels. Il est essentiel de reconnaître les tendances générales, même si elles se trouvent sous la surface : la tendance générale est vers la gauche, vers plus de luttes, plus de mouvements, plus de travailleurs et de jeunes radicalisés !

Actuellement, la pandémie est toujours posée comme un couvercle sur la radicalisation. De nombreux travailleurs et jeunes serrent le poing dans leur poche ou restent en état de choc. Mais cette radicalisation bouillonne sous le couvercle. Les chiffres stupéfiants sur les peurs de la population en sont la preuve. Nous le ressentons tous dans nos vies personnelles également, où les questions politiques et sociales se posent de plus en plus en famille, à l’école, au travail et sur internet. Pour aggraver les choses, nous ne sommes qu’au début d’une crise économique profonde et de longue durée. Les grandes couches qui restent aujourd’hui essentiellement passives devront de plus en plus se battre. Avec l’entrée des masses dans l’arène politique, la question sociale sera de plus en plus mise en avant.

La classe ouvrière cherchera avec de plus en plus de véhémence des solutions à sa crise sociale et à ses pressions croissantes. Par conséquent, elle se détourne de plus en plus des anciennes idées dominantes. Ce processus de détachement peut prendre des expressions confuses et réactionnaires. Sans un parti de masse capable de lutter, la classe ouvrière est confrontée à une série de dures défaites et d’expériences douloureuses. Mais des leçons importantes seront tirées de ces événements et de ces luttes. La classe ouvrière apprendra qu’elle doit être mieux organisée, qu’elle a besoin de méthodes de lutte plus rigoureuses et de positions de gauche radicales.

La véritable signification de la période actuelle de forte polarisation réside dans le développement de la conscience de la classe ouvrière. Chers sympathisants du courant marxiste, chers camarades : il ne faut pas se laisser abuser par le pessimisme des parlementaires et des dirigeants syndicaux. La jeunesse et la classe ouvrière se préparent, inconsciemment ou consciemment, aux luttes à venir. Le potentiel de construction d’une organisation révolutionnaire est énorme. Nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour saisir ce potentiel !

Pour la rédaction
Dersu Heri