Mais l’article conclut tristement que 2016 « a été une année de reculs. Non seulement avec le Brexit et l’élection de Donald Trump, mais aussi avec la tragédie en Syrie, abandonnée à ses souffrances, ainsi qu’avec l’appui massif, en Hongrie, en Pologne et ailleurs, pour la ‘‘démocratie antilibérale’’. Alors que la mondialisation est devenue un gros mot, le nationalisme, et même l’autoritarisme, ont fleuri. En Turquie, le soulagement après le coup d’État manqué a été pris de court par le caractère sauvage (et populaire) des représailles. Aux Philippines, l’électorat a choisi un président qui a non seulement déployé des escadrons de la mort, mais qui s’est vanté d’avoir pressé la gâchette. Pendant ce temps la Russie, qui a piraté la démocratie occidentale, et la Chine, qui a provoqué les États-Unis en saisissant un de ses drones marins, insistent sur le fait que le libéralisme ne sert qu’à voiler l’expansion de l’occident. »
Ce magnifique hymne au libéralisme et aux valeurs occidentales prend fin sur une note aigre. The Economist conclut amèrement : « Devant cette litanie, plusieurs libéraux (du type libre-marché) ont perdu leur sang-froid. Certains ont écrit des épitaphes pour l’ordre libéral et ont averti de la menace qui pèse sur la démocratie. D’autres affirment qu’en ajustant légèrement les lois sur l’immigration ou en augmentant les tarifs douaniers, la vie reprendra son cours normal. »
Mais la vie ne va pas simplement « reprendre son cours normal »; plus exactement, nous entrons dans un nouveau cycle de ce que The Economist appelle la « nouvelle normalité », soit une période de coupes incessantes, d’austérité et de diminution des conditions de vie. En réalité, nous vivons dans cette nouvelle normalité depuis un bon moment déjà. De sérieuses conséquences en découlent.
La crise mondiale du capitalisme a créé des conditions qui diffèrent complètement de celles qui existaient (du moins pour une poignée de pays privilégiés) pendant les quatre décennies ayant suivi la Deuxième Guerre mondiale. Pendant cette période, les forces productives des pays capitalistes ont connu leur plus forte croissance depuis la Révolution industrielle. C’est sur ce terrain qu’ont fleuri les « valeurs libérales » tant vantées. Le boom économique offrait aux capitalistes suffisamment de profits pour leur permettre de faire des concessions à la classe ouvrière.
C’était l’âge d’or du réformisme. Mais la période actuelle est celle non pas des réformes, mais des contre-réformes. Cela ne s’explique pas par une inclinaison idéologique, comme se l’imaginent certains réformistes naïfs. C’est la conséquence d’un système capitaliste en crise ayant atteint ses limites. Le processus qui s’est déroulé sur une période de six décennies s’est maintenant inversé.
Les élites et leur moment « Marie-Antoinette »
La classe dirigeante et ses stratèges ont de la difficulté à accepter la situation actuelle et sont complètement aveugles aux conséquences politiques qui en découlent. Cet aveuglement peut être remarqué chez toutes les classes dirigeantes faisant face à leur extinction, et refusant de l’accepter. Comme Lénine l’observait très justement, un homme au bord du précipice ne raisonne pas.
Le Financial Times a publié un article intéressant de Wolfgang Münchau intitulé « Le moment Marie-Antoinette des élites ». Il commence comme suit :
« Certaines révolutions auraient pu être évitées si la vieille garde s’était seulement abstenue de provoquer. Il n’y a pas de preuve que Marie-Antoinette ait vraiment dit “Qu’ils mangent de la brioche”. Mais elle aurait très bien pu. Ça semble authentique. Les Bourbons représentaient l’élite déconnectée mieux que qui que ce soit.
Ils ont maintenant de la compétition.
Notre élite libérale démocrate mondiale se comporte essentiellement de la même manière. Alors même que le Royaume-Uni a voté pour se séparer de l’Union européenne, que Donald Trump a été élu président des États-Unis, et que Marine Le Pen se dirige vers L’Élysée, nous, gardiens de l’ordre libéral mondial, en remettons. »
La comparaison avec la Révolution française est très révélatrice. Partout dans le monde, la classe dirigeante et ses « experts » se révèlent complètement déconnectés de la situation réelle. L’économie de marché et la « démocratie » bourgeoise formaient les paradigmes incontestables de notre époque.
Leur suffisance arrogante ressemble précisément à celle de la pauvre Marie-Antoinette, reine de France.
Marie-Antoinette a fini par y laisser sa tête, et la classe dirigeante commence justement à perdre la sienne. Le Financial Times poursuit :
« Qu’arrive-t-il? Les macroéconomistes pensaient que personne n’oserait remettre en question leur autorité. Les politiciens italiens jouent avec le pouvoir depuis toujours. Et le travail des fonctionnaires de l’Union européenne est de trouver des façons ingénieuses de faire passer des lois et traités politiquement épineux au-dessus des législatures nationales. Même si les Mme Le Pen, M. Grillo et Geert Wilders de la formation d’extrême droite hollandaise qu’est le Parti pour la liberté, se dirigent vers le pouvoir, l’establishment continue à agir de la sorte. Un régent Bourbon, en un rare moment de lucidité, aurait reculé. Notre ordre capitaliste libéral, avec ses institutions en compétition, est par son essence même incapable de le faire. Il est programmé pour en remettre. »
« La chose à faire serait d’arrêter d’insulter les électeurs et, plus important encore, de régler les problèmes d’un secteur financier devenu incontrôlable, de la circulation incontrôlée des personnes et du capital, et de l’inégale distribution des richesses. Dans la zone euro, les dirigeants politiques ont trouvé opportun de s’embrouiller dans la crise bancaire et la crise de la dette souveraine, puis se sont retrouvés à faire face à une dette grecque insoutenable et un système bancaire italien en sérieuse difficulté. Huit ans plus tard, il y a encore des investisseurs qui misent sur l’effondrement de la zone euro telle que nous la connaissons. »
En 1938, Trotsky écrivait que la classe dirigeante fonçait les yeux fermés vers la catastrophe. Les lignes citées ci-haut en sont une claire illustration.
Contrairement à ce que prétend le vieux préjugé libéral, la conscience humaine n’est pas progressiste, mais profondément conservatrice. La plupart des gens n’aiment pas le changement. Ils s’accrochent obstinément aux vieux préjugés, idées, religions et morales, car ils leur sont familiers, et que ce qui est familier est plus rassurant que ce qui ne l’est pas.
L’habitude, la routine, la tradition, toutes ces choses sont nécessaires au maintien de normes sociales qui assurent le bon fonctionnement de la société. Après un certain temps, elles s’enracinent et conditionnent les activités quotidiennes de millions d’hommes et de femmes. Elles deviennent acceptées de tous, tout comme le sont les lois et les coutumes, les règles de la vie politique et les institutions existantes – autrement dit, le statu quo.
Mais à certains moments, les idées ayant existé si longtemps qu’elles se sont transformées en profonds préjugés entrent en conflit avec la réalité. C’est alors qu’une révolution dans les consciences commence à prendre forme. Les gens se mettent à contester ce qui semblait jusqu’alors incontestable. La dure réalité vient fracasser des idées qui étaient confortables parce qu’elles offraient des certitudes. Les gens se départissent des vieilles illusions confortables pour la première fois, et regardent la réalité en face.
La véritable cause de la peur de la classe dirigeante est l’effondrement du centre politique. Ce que nous voyons au Royaume-Uni, aux États-Unis, en Espagne et dans plusieurs autres pays est une polarisation aiguë et grandissante entre la gauche et la droite, ce qui reflète en fait une polarisation grandissante entre les classes. Et ceci, en retour, reflète le fait que le capitalisme se trouve embourbé dans la plus profonde crise de son histoire.
Pendant les cent dernières années, le système politique des États-Unis s’est organisé autour de deux partis, les démocrates et les républicains, qui défendent tous deux le maintien du capitalisme et représentent tous deux les intérêts des banques et des grandes entreprises. Ce fait fut très bien décrit par Gore Vidal, qui écrivait que « notre République a un parti, le parti de la propriété, avec deux ailes droites ».
La stabilité et la longévité de ce que les Étatsuniens ont considéré comme leur « démocratie » reposaient sur ces fondations. En réalité, cette démocratie bourgeoise a servi de voile pour dissimuler la dictature des banques et des capitalistes. Aujourd’hui, ce système bien commode est contesté et profondément ébranlé. Des millions de gens se réveillent face au pourrissement de l’establishment politique et devant le fait que ceux qui affirment les représenter les ont dupés. Il s’agit de la condition préalable à une révolution sociale.
Le capitalisme dans un cul-de-sac
Dans des pays comme les États-Unis, toutes les générations depuis la Deuxième Guerre mondiale pouvaient envisager de meilleures conditions de vie que celles de leurs parents. Durant les décennies de boom économique, les travailleur-euses se sont habitués à des victoires acquises assez facilement. Les leaders syndicaux n’avaient pas à lutter ardemment pour obtenir des augmentations salariales. Les réformes étaient vues comme la norme. Les choses allaient mieux aujourd’hui qu’hier, et elles iraient mieux demain qu’aujourd’hui.
Durant la longue période d’expansion capitaliste, la conscience de classe des travailleur-euses s’est en quelque sorte émoussée. Au lieu de politiques socialistes et de classe claires, le mouvement ouvrier a été infecté par des idées étrangères à travers la courroie de transmission qu’est la petite bourgeoisie, qui a écarté les travailleur-euses et noyé leur voix par ses sermons criards d’un radicalisme de classe moyenne.
La soi-disant rectitude politique et son ramassis d’idées boiteuses pigées dans les poubelles du libéralisme bourgeois ont graduellement été acceptés même au sein du mouvement ouvrier, où les leaders réformistes de droite se les sont appropriés et en ont fait un substitut aux politiques de classe et aux idées socialistes. Les réformistes de gauche ont joué un rôle particulièrement pernicieux à cet égard.
Mais la crise du capitalisme ne laisse plus de place à un tel luxe. La jeune génération d’aujourd’hui fera pour la première fois face à des conditions de vie moindres que celles de ses parents. Graduellement, cette nouvelle réalité s’impose à la conscience des masses. Voilà la raison de l’agitation et du mécontentement qui existent dans tous les pays et qui acquièrent un caractère explosif. Il s’agit d’un avertissement que des développements révolutionnaires se préparent.
Il est vrai qu’à ce stade-ci, le mouvement se caractérise par une confusion immense. Comment pourrait-il en être autrement lorsque les organisations et les partis qui devraient se mettre à la tête d’un mouvement de transformation de la société sont plus devenus des obstacles monstrueux devant la classe ouvrière? Les masses cherchent une porte de sortie de la crise, mettant à l’épreuve différents partis, leaders et programmes. Ceux qui échouent se font tasser sans merci.
Rétrospectivement, le demi-siècle ayant suivi la Deuxième Guerre mondiale sera vu comme une exception de l’histoire. La combinaison de circonstances qui a produit cette situation ne se reproduira selon toute vraisemblance pas. Ce que nous vivons aujourd’hui est un retour au capitalisme normal. Le masque souriant du libéralisme, du réformisme et de la démocratie sera rangé pour révéler à sa place le visage hideux du capitalisme tel qu’il est réellement.
Vers un nouvel Octobre!
Une nouvelle période s’ouvre devant nous : une période de tempêtes et de tensions plus similaire aux années 1930 qu’à la période d’après 1945. Dans une telle période, la classe ouvrière devra lutter ardemment pour défendre les gains du passé, et au cours de cette lutte amère, elle en viendra à comprendre le besoin d’un programme révolutionnaire complet. Soit le capitalisme sera aboli, soit un sort terrible attend l’humanité. C’est la seule alternative. Toute autre voie n’est que mensonge et duperie. Il est temps de regarder la vérité en face.
Les libéraux et les réformistes se démènent pour raffermir le système capitaliste. Ils pleurnichent devant la menace à la démocratie, cachant le fait que la soi-disant démocratie bourgeoise n’est que le voile servant à dissimuler la dictature des banques et des capitalistes. Ils vont tenter d’appâter la classe ouvrière avec des alliances pour « défendre la démocratie », mais ce n’est là qu’une farce hypocrite.
La seule force qui a réellement intérêt à réaliser un système démocratique est la classe ouvrière elle-même. La bourgeoisie soi-disant libérale est incapable de lutter contre la réaction qui découle directement du système capitaliste sur lequel sont basés ses richesses et ses privilèges. C’est Obama qui a pavé la voie pour la victoire de Trump, tout comme Hollande a pavé la voie à la montée de Le Pen.
En réalité, le vieux système s’effondre sous nos yeux. Les symptômes de décomposition sont évidents pour tous. Partout nous voyons les crises économiques, l’effondrement social, le désordre, les guerres, la destruction et le chaos. Il s’agit d’un sombre portrait, mais il découle du fait que le capitalisme a mené l’humanité dans un cul-de-sac.
Lénine a déjà dit que le capitalisme est une horreur sans fin. Nous voyons aujourd’hui la véracité littérale de cette assertion. Mais s’il y a certes les horreurs produites par un système décadent et réactionnaire, il y a également l’envers du décor. Notre époque en est une de naissance, une période de transition d’une période historique à une autre. De telles périodes se caractérisent toujours par des souffrances, les souffrances d’une nouvelle société qui essaie de naître, tandis que la vieille société lutte pour sa préservation en tentant de tuer l’enfant dans l’utérus.
Le vieux monde se meurt. Le fait qu’il titube vers son tombeau se voit à travers d’indéniables symptômes. La pourriture se répand dans l’ordre établi, et ses institutions s’effondrent. Les défenseurs de l’ordre ancien sont saisis d’appréhension devant l’inconnu. Toutes ces choses témoignent du fait que quelque chose d’autre approche.
Cet effritement graduel sera accéléré par l’irruption de la classe ouvrière sur la scène de l’histoire. Les sceptiques ayant perdu confiance en la classe ouvrière devront ravaler leurs paroles. Des forces volcaniques s’accumulent sous la surface de la société. Les contradictions s’accumulent jusqu’au point où elles ne pourront pas être tolérées plus longtemps.
Notre tâche est de raccourcir ce processus pénible et d’assurer que la naissance prenne place avec le moins de souffrances possible. Afin d’y arriver, nous devons renverser le système actuel qui est devenu un frein immense au développement de l’espèce humaine et une menace pour son avenir.
Tous ceux qui tentent de préserver l’ordre ancien, de l’entretenir, de le réformer, de lui donner des béquilles pour qu’il puisse boiter un peu plus longtemps jouent le plus réactionnaire de tous les rôles. Ils empêchent la naissance d’une nouvelle société qui seule peut offrir un avenir à l’humanité et mettre fin au cauchemar du capitalisme.
Ce Nouveau Monde qui tente de naître s’appelle le socialisme. C’est de notre devoir de nous assurer que sa naissance ait lieu aussi tôt que possible et avec le moins de souffrances possible. Le moyen d’y arriver, c’est en construisant une puissante tendance marxiste internationale dotée de cadres éduqués ayant des liens solides avec la classe ouvrière.
Il y a cent ans, un événement changea le cours de l’histoire mondiale. Dans un pays semi-féodal arriéré au bord de l’Europe, la classe ouvrière s’est levée pour changer la société. Nul ne s’y attendait, bien au contraire. Les conditions objectives pour une révolution socialiste en Russie semblaient inexistantes.
L’Europe était au beau milieu d’une effroyable guerre. Les travailleur-euses de Grande-Bretagne, de France, d’Allemagne et de Russie se massacraient entre eux au nom de l’impérialisme. Dans un tel contexte, le slogan « prolétaires de tous les pays, unissez-vous! » devait sembler être la manifestation d’un amer sarcasme. La Russie elle-même était sous l’emprise d’un puissant régime autocratique doté d’une énorme armée et d’une énorme police, et d’une police secrète étendant ses tentacules jusque dans chaque parti politique, incluant les bolcheviks.
Et pourtant, dans cette situation en apparence impossible, les travailleur-euses de Russie se sont levés pour prendre le pouvoir dans leurs mains. Ils renversèrent le tsar et établirent des organes démocratiques de pouvoir, les soviets. Seulement neuf mois plus tard, le parti bolchevique, qui formait un petit groupe de 8 000 membres au début de la révolution, prenait le pouvoir.
Cent ans plus tard, les marxistes font face à la même tâche à laquelle ont été confrontés Lénine et Trotsky en 1917. Nos forces sont faibles et nos ressources sont maigres, mais nous avons la plus puissante des armes : les idées. Marx affirmait qu’une idée devient une force matérielle dès qu’elle pénètre les masses. Pendant une longue période, nous luttions à contre-courant. Mais le courant de l’histoire coule maintenant dans notre direction.
Des idées qui ne sont écoutées que par quelques personnes aujourd’hui seront avidement écoutées par des millions dans la période qui s’ouvre. De grands événements peuvent se dérouler avec une rapidité extrême et transformer la situation. La conscience de la classe ouvrière peut changer en l’espace de quelques jours ou quelques heures. Notre tâche est de préparer les cadres pour les grands événements qui viennent. Notre bannière est la bannière d’Octobre. Nos idées sont les idées de Lénine et Trotsky. C’est la seule garantie de notre succès.
Europe — de Emanuel Tomaselli, ICR Autriche — 16. 11. 2024
Amérique du nord — de la rédaction — 13. 11. 2024
Europe — de Jack Halinski-Fitzpatrick, marxist.com — 11. 11. 2024