En 1944, alors la Grèce se relevait difficilement de la guerre, le passage au Socialisme a été raté de peu. En résultèrent les horreurs d’une nouvelle guerre civile qui prit fin il y a seulement 70 ans.
Entre 1941 et 1949, 10% de la population a été tuée, les infrastructures détruites autant à la campagne que dans les villes. La Grèce ne s’en releva jamais vraiment. Pourquoi autant d’atrocités ont elles pu être commises? Parce que l’Histoire fit le choix ici de la barbarie plutôt que du passage au Socialisme.
En 1941, les forces de l’axe envahissent la Grèce. La résistance s’organise d’abord sur la base de la classe ouvrière dans les villes. De petites cellules locales de résistances apparurent dans tout le pays ce qui permit la fondation du Front de Libération Nationale (EAM), sous la direction principalement du Parti Communiste (KKE). Ce mouvement, qui apparut comme force de résistance à l’occupation, se mua en organisation large de la population travailleuse grecque : les ouvriers de villes et les paysans des campagnes.
Dès 1942, les conditions sont réunies pour fonder l’Armée Populaire Grecque de Libération (ELAS), le bras armé de l’EAM qui vaincra les nazis à la fin de la Guerre. L’ELAS étant la seule force crédible face à l’occupation. La majorité de population de Grèce Centrale, puis de la Thessalie et de la Macédoine, et bientôt de la Grèce entière soutient l’EAM et son armée. L’EAM étend son influence autant sur les campagnes que dans les villes.
Dès Octobre 1942, une majorité des régions paysannes de la Grèce échappent au contrôle de l’axe. Dans ces régions, l’EAM installe un mode de gouvernement populaire qu’elle appelle “La Laocratie” (Le pouvoir du peuple). La base de ce système est faite de comités de villages et d’usines dans lesquels toute la population participe aux prises de décisions. Rapidement, la vie se réorganise. L’alphabétisation de la population se fait rapidement par le bas clergé orthodoxe qui a rejoint l’EAM. La justice est rendue par les cours populaires, etc… L’EAM commence à organiser la gestion du pays à grand échelle. Elle crée des institutions politiques ouvrières parallèles au gouvernement bourgeois, des institutions réellement démocratiques, germes de la société socialiste. Pour la première fois, toute la population, femmes comprises, peut voter pour un parlement ouvrier national.
L’EAM continue le combat contre les nazis, par une combinaison de mouvements de grève en ville et des attaques dans les campagnes. A la libération, en 1944, l’EAM contrôle ⅔ du territoire de la Grèce. Le pays commence à se relever des horreurs de la guerre.
Malheureusement, c’était sans compter avec les bureaucrates du KKE. Si ceux-ci avaient été dépassés par la situation lors du développement de l’EAM, ils étaient restés à la tête de sa direction et surtout de celle de l’ELAS. Ils sont au service de Staline et appliquent la ligne politique extérieure de la bureaucratie russe : empêcher toute révolution à l’étranger. Ils doivent garder leur position privilégiée intacte. Ainsi, Staline et son antenne le KKE devaient empêcher que la classe ouvrière grecque réalise la révolution socialiste. Soutenir un développement toujours plus grand de l’organisation des ouvriers, à travers l’EAM, allait à l’encontre de leurs intérêts.
Ainsi, ils sabotent les efforts de construction de l’EAM en négociant avec le roi et le gouvernement de la bourgeoisie pour créer un gouvernement d’unité nationale avec elle, dans lequel des membres de l’EAM et du KKE auront des places de ministres. Ils acceptent de mettre les forces de l’ELAS sous le contrôle des généraux anglais qui accompagnent la réinstallation de la bourgeoisie au pouvoir. Ainsi, toutes les structures de base du gouvernement ouvrier (L’ELAS, mais aussi les comités locaux et les structures nationales) se retrouvent sous la coupe du gouvernement bourgeois. Evidemment, la première mesure des anglais fut d’exiger à l’ELAS qu’elle se dissolve.
Cette mesure fit peur aux bureaucrates du KKE, qui risquaient de perdre leur principale monnaie d’échange dans les négociations avec le gouvernement national et les anglais : les forces de l’ELAS. Ainsi, le 1er décembre 1944, les ministre de l’EAM/KKE quittent le gouvernement qu’ils avaient accepté de créer moins de 3 mois plus tôt et, sous la pression de la population et d’une part de leur base, appellent à la grève générale. La population répond en masse, preuve qu’elle est encore prête à combattre pour les acquis de l’EAM et la continuation de la laocratie. C’est les fameuses “Dekemvriana”, les journées de Décembre.
A Athènes, la manifestation se termine par un bain de sang. Sur la place Syntagma, depuis les fenêtres du parlement, l’armée anglaise tire sur les manifestants. Ainsi, commencent 37 jours d’affrontements.
Dans les combats, l’ELAS prend d’abord l’avantage face aux anglais du fait de son soutien populaire. Mais la bureaucratie du KKE est toujours à sa tête. Voyant que l’ELAS pourrait vaincre les anglais, ils détournent ses troupes des villes et de leur véritable ennemi. De l’autre côté, les anglais rapatrient toujours plus de troupes vers la Grèce et la révolution de l’ELAS fut étouffée dans le sang.
Cette deuxième trahison fut celle de trop. Les troupes régulières donnent la chasse aux miliciens de l’ELAS partout dans le pays. 40’000 d’entre eux sont arrêtés et jetés en prison. L’ELAS est en lambeau et les structures de l’EAM tout autant.
Les quelques membres de l’ELAS, maintenant dissoute, qui avaient réussi à fuir, se reforment sous le nom d’Armée Démocratique de Grèce (DSE) et reprennent les combat. Cette période de 46 à 49 fut celle de la guerre civile entre la DSE et les troupes royalistes.
Au total, la guerre civile fit quelques 150’000 morts. Combinée avec la guerre mondiale, quelques 10% de la population a été tuée en l’espace de 8 ans. Dans cette situation, le choix se trouvait bien entre socialisme et barbarie fasciste et seule la classe ouvrière organisée pouvait empêcher le bain de sang. Bien plus que la force de la monarchie et de l’impérialisme anglais, c’est bien la double trahison de la direction du KKE qui a scellé le sort de la Grèce. Alors que l’EAM posait doucement les bases du Socialisme en Grèce, la direction du KKE les transforma en la barbarie de la Guerre. Face au pouvoir fasciste, tout comme face à l’impérialisme anglais, seules les structures ouvrières de l’EAM pouvaient empêcher cette barbarie d’avoir lieu, mais uniquement par une prise total du pouvoir par les institutions ouvrières. Ainsi, la question Socialisme ou Barbarie se résout au final dans l’existence d’une direction révolutionnaire ou en l’occurrence de son absence.
Europe — de Emanuel Tomaselli, ICR Autriche — 16. 11. 2024
Amérique du nord — de la rédaction — 13. 11. 2024
Europe — de Jack Halinski-Fitzpatrick, marxist.com — 11. 11. 2024