Début Janvier, les employé-e-s de Swissport ont reçu un ultimatum : soit ils acceptent un nouveau contrat de travail qui inclut de violentes baisses de salaire (qui implique des pertes montant à 1200 fr. par mois!), des flexibilisations et augmentations des heures de travail et des coupes de vacances, soit ils sont licenciés. Après quelques mobilisations des employés, ceux-ci ont finalement dû accepter les contrats plus précaires. Nous avons publié une analyse politique de la situation en février. Cependant, la lutte à l’aéroport de Genève n’est pas terminée. Nous publions ici une interview réalisée au moment de la mobilisation avec deux étudiants travaillent actuellement et par le passé à Swissport pour financer leurs études.
Alice, tu es toujours salariée chez Swissport, est ce que tu pourrais décrire en quoi consiste ton travail là-bas et éventuellement ton salaire ?
ALICE : Je suis agent d’escale, c’est-à-dire que j’enregistre, je fais l’embarquement des passagers, etc. De façon générale on peut dire que je m’occupe des passagers de leur arrivée à leur départ. Mon salaire est de 25.- de l’heure.
Michael* actuellement tu n’es plus salarié chez Swissport, est-ce que tu pourrais raconter ton parcours chez Swissport ?
MICHAEL : Je suis arrivé un peu après Alice et en tout j’ai fait 2 ans chez Swissport. Je suis arrivé en décembre 2018 et j’ai arrêté en décembre 2020. J’ai commencé comme Alice en charter, c’est-à-dire qu’on était une petite équipe ou on faisait que les vols anglais pour le ski. Ensuite, je suis passé en CDI, avec un contrat d’auxiliaire, avec 15h par semaine.
Normalement, je ne devais travailler que les weekends mais avec mon contrat on pouvait me proposer de travailler un peu la semaine. J’ai pu y échapper, mais je me souviens qu’il arrivait que les chefs jouent sur les mots en demandant aux gens de travailler la semaine alors que ce n’était pas marqué sur leur contrat. Par exemple, il y avait une fille qui avait un contrat ou elle ne travaillait que le weekend et le chef avait essayé de lui dire « regarde sur ton contrat c’est marqué que tu peux travailler la semaine aussi » alors que ce n’était pas le cas.
Le COVID a-t-il affecté votre travail chez Swissport ? et, si oui, de quelle manière ?
ALICE : Ah clairement, l’aviation doit être un des secteurs les plus touchés : les gens voyagent moins et donc il y a moins de passagers. Etant donné qu’il y a moins de passagers, ils (Swissport) ont moins besoin de personnel et donc nos horaires ont chuté. Heureusement, on a eu le chômage partiel et donc nos salaires sont restés plus ou moins identiques. Mais à partir de Juin, il n’y aura plus de chômage partiel et ça explique en partie les tensions.
MICHAEL : Chez Swissport, il y a des employés qui viennent d’une agence d’intérim (Adecco). Ils font le même travail que nous, ils ont le même uniforme, ils sont juste moins bien payés. En temps normal, ceux qui ont un contrat avec Swissport reçoivent leurs horaires un mois avant, alors que pour les intérimaires d’Adecco c’est au jour ; on peut t’appeler le vendredi matin et te dire : « demain tu dois venir bosser ». Concrètement, si je dois résumer les conséquences du Covid sur notre travail, je dirai que maintenant on a les mêmes conditions que ceux d’Adecco : on t’appelle à la dernière minute, on a des horaires qui ne veulent rien dire, etc.
Êtes-vous au courant de la lutte actuelle ? et, si oui, quel est l’enjeu du litige ?
ALICE : Des nouveaux contrats ont été proposés par la direction pour faire face à la situation, avec des grosses baisses de salaires. Au niveau des salaires, ces baisses touchent surtout les fixes, parce que nous les auxiliaires on touche toujours 25.- de l’heure à peu près. Je pense qu’ils essayent de garder les auxiliaires puisqu’on est moins chers et plus flexibles que les fixes. Il y a aussi des mesures qui touchent la protection, l’assurance, puisque les accidents non-professionnels ne seront plus pris en compte par exemple. Il y a aussi la mise en place de split-shifts, c’est-à-dire des horaires réduits avec des pauses plus longues moins bien payées.
Si je comprends bien, avec les nouveaux contrats, tout le monde va devoir fournir la même quantité de travail mais avec des salaires inférieurs et une plus grande flexibilité ?
ALICE : Voilà, c’est ça.
Et du coup est-ce que vous trouvez ça légitime ? réalisable ?
MICHAEL : Oui, je pourrais trouver ça légitime à court terme. Peut-être pendant 3 à 4 mois. Mais là je pense que Swissport voit vraiment ça à long terme. Et c’est ça le problème.
ALICE : Surtout, ce qui est illégitime c’est que les baisses pour les fixes sont énormes. Alors que pour les auxiliaires comme nous il n’y a presque pas de changements. Je serai même prête à ce qu’on baisse mon salaire de 1.- ou 2.- et qu’ils laissent les salaires des fixes plus élevés. Parce que les baisses pour les fixes sont vraiment énormes. Ils seront vraiment en difficultés.
Tu as eu des retours de personnes qui seraient mis en difficulté s’ils signaient les nouveaux contrats ?
MICHAEL : Oui, au final, j’ai l’impression que peu importe la personne dans l’entreprise, le salaire va baisser. Tout le monde y perd. Après, comme je vis encore chez mes parents, je n’ai pas été directement impacté par les mesures Covid. Je ne dépends pas totalement de cet argent. Après, dès que tu es fixe ou que tu as un appartement étudiant, ça devient compliqué.
ALICE : Oui, si je devais vivre de cet argent, ça deviendrait compliqué.
Vous pensez quoi de la mobilisation actuelle des salariés contre les nouveaux contrats ?
MICHAEL ET ALICE (ensembles) : On les soutient à fond !
ALICE : je comprends, qu’avec le COVID, Swissport soit obligé de prendre des mesures. Mais les conditions sont abusées. D’autant plus quand on compare avec nos voisins de Zurich. Pourquoi, est-ce qu’ici ça serait plus chaud qu’à Zurich ? Et en plus, ce n’est pas parce qu’il y a moins de vols, qu’on passe moins de temps avec les passagers. Maintenant, il y a plus de choses à vérifier au niveau des mesures Covid, des restrictions, etc.
MICHAEL : Surtout il faut dire que Swissport est aidé par l’Aéroport de Genève. Enfin, sans l’Aéroport de Genève qui appartient en partie à l’Etat, Swissport n’aurait pas tous ces clients. Comme l’a dit le directeur de l’Aéroport de Genève, à un moment donné il faudrait que Swissport se souvienne qu’ils ont marché aussi bien pendant toutes ces années parce qu’il y a l’Aéroport de Genève derrière. Ils sont un peu en train d’oublier ça, alors qu’au final ils doivent des comptes à l’Aéroport de Genève et donc à l’Etat.
Tu veux dire que la structure est à l’Etat ? et que Swissport l’oublie ?
MICHAEL : Oui tout le travail de Swissport ; que ça soit la maintenance des avions, le checking, le fret, etc, si l’AEG ne leur donnait pas ces contrats, ils ne gagneraient pas autant d’argent. Swissport est stable depuis des années et sans l’Aéroport de Genève ils n’auraient pas tout ces contrats. Je ne pense pas qu’aujourd’hui l’Aéroport de Genève est en train de diminuer drastiquement les salaires comme le fait Swissport.
MICHAEL : Je pense que le management de Swissport va être attaqué plus tard. En tout cas, si leur idée de base c’est de diminuer leurs coûts d’une manière ou d’une autre ils vont le faire passer. Ils peuvent très bien négocier et faire des efforts maintenant. Mais dans 6 mois, s’ils veulent faire passer un truc, ils vont faire passer leur truc.
Qu’est-ce que vous pensez de ceux qui parlent d’une reprise de Swissport par l’Etat ?
MICHAEL : Moi je suis d’accord. Peu importe le métier que tu fais, si tu es à l’Etat, tu as toujours des meilleures conditions que quand tu travailles dans le privé. Si tu veux de la stabilité et qu’il n’y ait pas des crises comme il y a maintenant avec des coupes de salaires, il faut l’Etat.
ALICE : Oui, c’est vrai, t’es mieux protégé. Après il y a quelques avantages chez Swissport que tu ne peux pas avoir et que tu dois sacrifier quand tu es à l’Etat.
*prénoms d’emprunt.
Image: change.org
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