A 5h50, je badge à la pointeuse. Je perds alors mon identité, qui est remplacée, pendant 7 heures, par le numéro de mon badge. Chaque employé est associé à un numéro et un code barre, exactement comme les articles qu’il envoie aux clients.
A 5h55, la sonnerie retentit : c’est le début du « shift » (équipe). La plupart des employés (les « associates », dans le jargon amazonien) travaillent en équipe, soit de 5h55 à 13h05, soit de 13h35 à 20h45. Bien sûr, il n’y a aucune prime d’équipe.
Je commence ma journée par la « prise de poste » : mon chef d’équipe nous parle des chiffres du jour : nombre d’unités à expédier, unités expédiées la veille, les loupés, les objectifs de productivité sur les différents postes, qui sont : le « picking » (prélèvement des articles dans les rayons), le « rebin » (le tri des articles), le « packing » (l’emballage) et la « safety » (la sécurité).
Cette « prise de poste » dure environ 5 minutes. Puis je pars sur la tâche qui m’est affectée, par exemple le « picking », le prélèvement d’articles avec un scanner, qui me guide dans les 100 000 m2 du site. Sur ce poste, je parcours 8 à 10 km dans la journée.
20 minutes de pause
A 9h30 arrive enfin la pause. Elle est officiellement de 30 minutes – payées 20 minutes. Mais on ne prend en réalité que 20 minutes, car l’aller-retour en salle de pause (via des portiques de sécurité) prend au total 10 minutes. Une fois arrivé en salle de pause, à 9h35, le café à la main, on parle avec les collègues, de tout et de rien, mais souvent de nos conditions de travail, de la pression quotidienne des managers pour qu’on augmente notre productivité. On ironise quand la direction nous dit qu’une augmentation de salaire va être compliquée, alors que le PDG d’Amazon, Jeff Bezos, veut envoyer des touristes dans l’espace…
A 9h55, il faut quitter la salle de pause pour arriver à 10h00 à la seconde « prise de poste » de la journée. Et gare aux retardataires ! A 10 h, donc, un autre manager nous parle des productivités sur chaque poste depuis le début de journée, du nombre d’unités qui nous restent à passer – puis chacun retourne à sa tâche.
A 13h05, enfin, la journée de travail harassante se termine. Tout le monde est pressé de rentrer chez soi. Allez, plus que quatre jours et c’est le week-end !
Conditions de travail
Le travail chez Amazon est très répétitif. On fait les mêmes gestes des centaines, voire des milliers de fois, par jour, à des cadences toujours plus soutenues. Il faut sans cesse prélever, trier, emballer, toujours plus vite, ce qui engendre beaucoup d’accidents du travail ou de problèmes de santé : mal de dos, tendinites, blessures liées aux collisions avec des chariots, etc.
Le chef de ligne vient nous voir régulièrement, dans la journée, pour nous signaler notre productivité et nous pousser à faire mieux. Ceux qui ne tiennent pas l’objectif fixé reçoivent la visite et les remontrances du manager. Les récidivistes ont droit à une convocation, par courrier, à un « entretien préalable en vue d’une sanction disciplinaire », en présence du manager et d’une personne des Ressources Humaines. Tous les moyens de pression sont bons pour maintenir une productivité élevée. Le tout pour un salaire de 1260 euros nets.
Bien sûr, nos managers savent nous récompenser : quand nos chiffres sont excellents, on nous remercie avec… des bonbons ! Et oui, chez Amazon, les employés sont infantilisés. A croire que l’on vient travailler pour des bonbons. Je demanderai à mon propriétaire si je peux lui payer mon loyer en fraises tagadas…
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