Le mercredi 21 octobre, les étudiants ont fermé toutes les grandes universités à travers le pays, un phénomène extraordinaire qui n’a plus été observé depuis les années 80.
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Les évènements de mercredi ont opéré un changement qualitatif de la situation. Ils représentent les vents annonciateurs d’une tempête qui est sur le point de frapper. Le catalyseur, directement à l’origine des protestations, est l’augmentation récemment annoncée des taxes universitaires, et plus généralement le coût exorbitant des études supérieures, qui exclut les plus démunis et surtout les étudiants noirs du système de l’éducation supérieure.
Les scènes qui se sont déroulées ce mercredi n’avaient pas connu d’antécédents dans toute une génération estudiantine. Toutes les grandes universités ont fermé, y compris l’Université de Pretoria, la Free State University, l’Université de Cape Town, l’Université métropolitaine Nelson Mandela, le Collège Eastcape Midlands, l’Université de Fort Hare, l’Université de Witwatersrand, l’Université de Rhodes, de Limpopo, l’Université centrale de technologie, la Cape peninsula University of Technology, l’Université Walter Sisulu, l’Université Stellenbosch, la North West University, et d’autres encore.
A Stellenbosch, les étudiants ont occupé les bâtiments principaux et une place centrale dans la ville universitaire. A Johannesburg, les étudiants de la Wits University ont marché sous la pluie jusqu’à l’importante zone commerciale de Braamfontein. A l’Université d’UKZN, l’Université métropolitaine Nelson Mandela et l’Université de Limpopo, la police a attaqué les manifestants avec des balles en caoutchouc et des gaz lacrymogènes. Mais les évènements les plus dramatiques se sont déroulés à Cape Town. Des milliers d’étudiants des universités de Cape Town, Cape peninsula et Western Cape ont marché sur le parlement où le ministre des Finances donnait sa présentation du budget à moyen terme. Leur intention, disaient-ils, était de parler à Nzimande, le ministre de l’Enseignement supérieur. Empruntant l’une des entrées principales, les étudiants, chantant l’hymne national, ont fait irruption dans l’enceinte parlementaire et atteint les marches de l’Assemblée nationale avant que la police ne les attaque aux grenades assourdissantes et gaz lacrymogènes.
Ce fut une attaque totalement injustifiée. Les étudiants étaient pacifiques, tenant leurs mains au-dessus de leurs têtes pour montrer qu’ils n’étaient pas armés. Mais ce fût en vain. Les étudiants ont été attaqués et battus, et une trentaine d’entre eux arrêtés. Cela n’a pas empêché les étudiants – dans d’étonnantes scènes empruntes de défiance – de se regrouper et de chanter l’hymne national en entier tout en étant chargés par la police et assaillis de grenades. Une des grenades tirées par les policiers a terminé sa trajectoire dans le buste en bronze de Nelson Mandela devant l’Assemblée nationale. Les étudiants ont plus tard été conduits dans des fourgons et accusés de haute trahison pour avoir pénétré dans un « lieu-clé national » (ndlr: National Keypoint).
Au sein du parlement, les députés d’Economic Freedom Fighters (EFF) – le parti d’extrême gauche sud-africain – ont été violemment expulsés après avoir demandé que le speech du ministre soit reporté et qu’il ne pouvait s’agir de « business » routinier lorsque les étudiants sont au portes du Parlement. Après qu’ils aient été retirés, la situation a tourné à l’opposé. Alors que la police battait les manifestants à l’extérieur. à l’intérieur de la Chambre, le ministre a lentement lu son discours monotone, le Président Zuma étant assis impassible, ajustant ses lunettes occasionnellement. Tout autour de lui ministres, parlementaires, « dignitaires », et « honorables invités » étaient assis le visage livide, dans le décor immaculé de l’Assemblée, écoutant le ministre parler de son rapport sur la politique budgétaire. Lorsque celui-ci en a terminé, il y avait un applaudissement courtois et une discussion encore plus courtoise. Cela révèle à quel point ces gens sont étrangers aux luttes quotidiennes des travailleurs et étudiants sud-africains.
Mais les étudiants n’ont pas abandonné. « Nous voulons Blade. Nous voulons Blade », scandaient-ils, faisant référence à Blade Nzimande, le Ministre de l’Enseignement supérieur.
Nzimande, flanqué de quelques-uns des ministres de la Sécurité, a tenté de répondre aux étudiants en dehors du Parlement, mais son haut-parleur n’a pas fonctionné correctement. Les étudiants scandaient : « Blade dehors … Zéro. Zéro. Zéro », « down with Blade », et « Blade doit tomber ». Il a été hué alors qu’il repartait, suivi d’autres chants. Une bouteille d’eau a été lancée sur le ministre alors qu’il entrait au Parlement. Jamais un politicien n’a été si exposé en Afrique du Sud post-apartheid. Nzimande n’est pas seulement un ministre, il est le secrétaire général du parti communiste sud-africain. Le symbolisme de ce moment ne peut pas être exagéré.
Les évènements actuels ont commencé une semaine auparavant, lorsque les protestations ont fait éruption à la Wits University, en opposition à une hausse des taxes de 10,5 % pour l’année suivante. Trois jours durant, le mouvement a englouti l’ensemble de l’Université, aboutissant à une occupation massive du campus de la Chambre du Sénat de Braamfontein. Le vendredi, le Vice-Chancelier Adam Habib est allé s’adresser aux étudiants dans les bâtiments occupés. La journée s’est avérée très longue pour Habib. Les étudiants ont refusé de traiter avec ce dernier, à moins qu’il ne promette zéro incréments de taxes pour 2016. Puis, entouré de milliers d’étudiants, il a constaté qu’il ne pouvait pas partir. Il a passé plus de 12 heures assis sur le sol, entouré d’étudiants chantant des chansons révolutionnaires. Une attaque de la sécurité de l’université contre le bâtiment occupé a été repoussé par les étudiants et Habib est resté assis jusqu’au samedi matin.
A cinq heures du matin le samedi, l’université a décidé de jouer la montre. Le conseil de l’université a suspendu la décision d’augmenter les frais pour l’année prochaine jusqu’à ce que l’accord soit négocié à nouveau. Ce fut une manœuvre dilatoire, clairement. le jour suivant, le conseil s’est réuni à nouveau, et deux jours plus tard ils ne sont pas même apparus pour rendre compte aux étudiants comme promis.
A présent, les protestations se sont répandues à d’autres universités. Le hashtag « Fees Must Fall » a été utilisé sur les réseaux sociaux pour mobiliser les manifestations contre la hausse des frais de scolarité. Le jeudi 20 octobre, le Congrès des étudiants sud-africain (SASCO) a appelé à un arrêt total pour le lendemain.
Désormais, une crise a éclaté au sein du gouvernement. Le ministre de l’Enseignement supérieur, Blade Nzimande, harcelé, a recontré les administrateurs des universités et autres « parties prenantes » afin de trouver une solution à la révolte croissante. Après sa rencontre avec le Président et les bureaucrates, Nzimande croyait avoir trouvé une solution. Il a annoncé que les « parties prenantes » avaient accepté de plafonner toute augmentation de 6 %. Il a informé le pays du « soulagement » pour le président Zuma qu’il y ait une « lumière au bout du tunnel ».
Mais ils ont totalement mal interprété la situation. Cette « lumière » s’est avérée être un train venant en sens inverse. Les étudiants ont rejeté ce nouvel arrangement et sont allés de l’avant avec l’action de mercredi.
Les protestations des étudiants représentent un point tournant dans la situation dans son ensemble. Il ne s’agit pas que des frais de scolarité. Il s’agit d’une nouvelle génération qui ne voit aucun avenir dans un système d’exploitation. L’Afrique du Sud a une histoire de révoltes estudiantines, et celles-ci ont toujours été suivies par le mouvement des travailleurs. En juin 1976, le soulèvement de Soweto et les soulèvements de masse de la jeunesse ont été le prélude aux mouvements révolutionnaires de masse des années 1980 qui ont été menés par la classe ouvrière.
Il y a une semaine, les ouvriers de la métallurgie ont envoyé un avertissement à l’ensemble de l’établissement. A peine quelques jours plus tard, les étudiants révolutionnaires, comme à leur habitude, ont annoncé leur volonté qu’il n’y ait plus d’affaires. Lénine a écrit qu’il se passe des décades sans que rien n’arrive; et qu’il arrive des semaines durant lesquelles des décades se passent. C’est la situation aujourd’hui en Afrique du Sud.
Les marxistes ont toujours dit qu’en dernière analyse, l’Etat est l’organe d’hommes armés défendant la propriété privée. Les masses peuvent voter pour qui bon leur semble, ce sont les capitalistes qui décident. Cette leçon est en train d’être apprise par une nouvelle génération d’étudiants.
Au fond, ces évènements ne sont pas dirigés uniquement contre la hausse des frais. Ils sont dirigés contre le système capitaliste et ceux qui le maintiennent. Toutes les contradictions s’accumulent et menacent d’exploser, comme une bombe à retardement. Et puis, il y a le gouvernement de l’ANC (Congrès national africain). Encore et encore, il a fait des promesses qu’il ne peut tenir. Il n’y a pas de surprise. Le problème est que l’ANC se cramponne au système capitaliste. Mais si vous acceptez le système, alors vous devez accepter sa logique et ses conséquences.
Il n’y a qu’en nationalisant les terres, les banques et l’industrie, et les sommets dominants de l’économie, sous le contrôle et la gestion démocratique des travailleurs, qu’existeront les conditions matérielles pour le plein emploi, l’abolition de la pauvreté et l’inégalité, et la réalisation de la liberté, de l’éducation de qualité pour tous ! En dernière analyse, c’est la seule solution à la crise du capitalisme et à la crise de l’éducation.
Ben Morken
TMI Afrique du Sud
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